Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], LE RABAIS DV PAIN. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_2957. Cote locale : C_8_40.
Section précédent(e)

LE RABAIS
DV PAIN.

EN VERS BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë saint Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

-- 3 --

-- 4 --

LE RABAIS DV PAIN

EN VERS BVRLESQVES.

 


Encore vn coup Muse badine
Qui me fais tousiours bonne mine
Non pas pour chanter des amours
Car tant que i’oyray les tambours
Et que ie verray les fumées
De tant de mesches allumées
En vain le petit Cupidon
Allume pour moy son brandon
En vain ses plus belles coquettes
Retortillent leurs cadenettes
Et se mettent dessus le groin
Mousches qui ne me piquent point.
Mais ayant pleuré la misere
Fille du mauuais ministere
Depuis vn siege de deux mois
Qui commença le iour des Rois
A present que Dieu nous enuoye
Quelque eschantillon de la ioye
Que sa bonne fille la paix
Promet entiere desormais
Ie me trouue d’humeur à rire
Et ie t’inuoque pour écrire
Mieux qu’autresfois des vers falots
Que ie tire du fond des pots
Car si ie n’ay la pance pleine
Tu sçais que ie manque d’halene
Et que ie suis vn écriuain
A remplir mon cornet de vin.
Commençons donc ce beau Poëme
Aussi gaillard que le Caresme

-- 5 --


Où l’on a mangé de la chair
Parce que le pain estoit cher
Et puis qu’à present il ramande
Afin que l’vzurier se pande
Parce qu’il ne gangne pas tant,
Debutons par vn compliment
Grand mercy Dame Conference
Qui voulez remettre la France
Et qui vous tenez à Rüel
Qui iadis estoit si crüel
Vous voulez donc que la farine
De Paris chasse la famine
Vous voulez donc que le froment
Nous serue encore d’aliment ?
Non cheuaux, iuments, chats & chates,
Chiens, chiennes, pantoufles, sauates,
Liures, papier, & parchemin
Comme le vouloit saint Germain
Qui traitant [1 mot ill.] de rebelle
Le comparoit à la Rochelle,
Mais Paris n’est pas huguenot
Et sçait des tours de godenot.
Paris est vne bonne ville
Où l’on voit d’hommes plus de mille
Pour les femmes, & les enfans
On en conte plus de deux cens,
Que si iamais son estenduë
Ne s’offre bien à vostre veuë
En voicy de iustes raisons
C’est qu’il y a trop de maisons,
Et que tousiours des cheminées
Il sort de terribles fumées.
Mais reuenons à nostre pain
Dont la guerre auoit fait vn nain
Et qui bien-tost comme on espere
Reprendra sa taille ordinaire.

 

 


La Reyne lassée de nos maux
Malgré ces vilains animaux
Que nous appellons des harpies
Qui gazoüilloient comme des Pies
Et qui maintenant ce dit-on
Commencent de changer de ton.

-- 6 --


Voyant dans le Senat auguste
Vne intention droite, & iuste
Et ne doutant plus de sa foy
Quand elle eut veu les gens du Roy
Qui luy porterent des nouuelles
Du puissant secours de Bruxelles,
Car s’il estoit seditieux
Il ne demanderoit pas mieux,
Et sans songer à la Regence
Il l’auroit fait venir en France,
Voyant donc les soûmissions
Et ces tendres affections
Qu’il a pour le bien du Royaume
Pour qui l’on a pris le Heaume
La Mere de nostre Louys
Se souuint encor de Paris
Et crût qu’vne paix generale
Valoit bien mieux que la cabale
De messieurs les interessez
Qui iamais n’en auront assez.
Enfin quoy que l’on puisse dire
Ie croy que le fiel de son ire
Qu’auoient excité les meschans
S’est dissipé parmy les champs
Et ie pense que nostre ville
Craint plus le flegme que la bile,
L’on propose des deux costez
D’élire certains deputez
Qui sont hommes d’experience
Pleins de courage, & de science
Pour terminer nos differents
Qui certes sont vn peu bien grands
L’on nous a dit qu’vne personne
De qui l’ame n’est pas trop bonne
Rendit nos Messieurs estonnez
En y voulant mettre le nez ;
Car ne parlant pas nostre langue
L’on n’écouta pas sa harangue,
Et dit on que pour cette fois
Il ne faloit que des François.

 

 


Mais muse tu fais la capable
Laissons la Conference à table

-- 7 --


Couuerte d’vn riche tapis,
Et parlons du pain blanc, & bis
Et de la farine sa mere
Comme aussi du blé son grand pere,
Vn iour la curiosité
Iusqu’au Palais m’auoit porté,
Car il n’est beste qui n’y vaze,
Iadis on n’y voyoît que l’aze
Mais ces iours passez vn cheual
Comme estant plus noble animal
D’vne demarche non brutale
Entra franchement dans la sale
Auec vn plaisant fol sur luy
A ce qu’on m’a dit auiourd’huy.
Estant donc chez Dame Iustice
Pour m’informer de la police
Et sçauoir mille nouueautez
Qu’on debite de tous costez
D’vn bruit aussi grand que tonnerre
I’entendis crier guerre, guerre,
Et moy n’ozant pas crier paix
Du moins i’en faisois les souhaits.
Ie demande dans la cohüe
La cause qui fait que l’on hüe
Alors qu’vn maistre sauetier
Fort excellent dans son mestier
Me dit d’vn accent assez rude
Vrayment pour vn homme d’estude
Ie vous trouue bien ignorant
De ne sçauoir pas qu’on nous vend,
Au lieu d’ouurir tous les passages
Ce qu’on feroit si i’estions sages
La Reyne n’accorde à Paris
De blé chaque iour que cent muys
Encore le veut elle vendre
Au lieu qu’elle deuroit le rendre
Car Polonois, & Allemands
Nous l’ont volé parmy les champs,
Voila la belle Conferance
Où i’auions mis tant d’esperance,
Vaudroit bien mieux sortir demain
Et tirer droit à saint Germain,

-- 8 --


Si nous ne faisons de sortie
Ma foy ie perdrons la partie.
Alors d’vn iugement plus bien,
Ie luy dis que tout iroit bien,
Et que la Reyne en cette affaire
Reprenoit l’humeur debonnaire
Puis qu’elle perdoit le dessein
De nous faire creuer de faim.
Car pourueu que le pain ramande
Paris est vne ville grande
Qui se moquera des efforts
Des ennemis qui sont dehors,
Nous en serons tousiours les maistres
Plutost que des mouchards, des traistres,
Qui sont tous les iours parmy nous,
Plus dangereux que les filoux.
La seine riuiere agreable
N’estoit que fort peu nauigable
Non à la verité faute d’eau
Non plus que faute de bateau
Mais parce qu’vn ordre seuere
La Reyne estant en colere
Empeschoit qu’il n’en vint pas vn
Ny de Corbeil, ny de Melun.
Or graces à la mesme Reyne
Les bateaux voguent sur la Seine,
Et l’vzurier de boulanger
Voyant qu’il vient dequoy manger
Enrage de donner pour viure
Du pain blanc à deux sols la liure,
Il ne veut plus cuire de pain
Parce qu’il y fait moins de gain
Et fasché contre l’abondance
Voudroit remettre l’indigence.
Mais ie luy donne vn bon conseil
C’est de faire vn prompt appareil
De quelques brasses de ficelle,
Pour se mettre non sous l’aisselle
Mais tout alentour de son col,
Auant que donner pour vn sol
Le pain qu’il vendoit plus de quatre,
Au Diable soit l’acariastre.

 

FIN.

-- 9 --

Section précédent(e)


Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], LE RABAIS DV PAIN. EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_2957. Cote locale : C_8_40.