Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.
L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. Iouxte la Copie imprimée à Anuers. A PARIS M. DC. XLIX
A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. MADAMOISELLE, Depuis vostre retour,
le receuoir. I’auouë qu’il est inoüy
implorer dauantage vos bontez, qui
MADAMOISELLE, Vostre tres-humble & tres-obeïssant
A MONSIEVR VIRGILLE sur son Eneide trauestie, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE.
VIRGILLE si ie vous déguise, Ce n’est pas que ie vous méprise, Ou que ie veüille vous ioüer, Cher amy, croyez qu’au contraire, I’ay voulu vous faire loüer, De celle à qui les Dieux feroient gloire de plaire.
Vous ne parliez pas vn langage, Qui soit en regne de nostre âge, Où l’on a banny l’ancien : Vous n’en estes moins vn grand homme, Mais le nouuel Italien Fait qu’on estime peu celuy de vostre Rome.
ADVIS AV LECTEVR. AMY Lecteur, i’auois fait ce Liure
posterieur. Lecteur ie te demande la grace
A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. EPISTRE BVRLESQVE.
PHILIS, qui ne vous connoist pas ? Et qui ne sçait que vos appas, Des libertez vont à la queste, Depuis les pieds iusqu’à la teste ? Desia les quatre Mandians, Contre vous tout haut vont crians ; Desia maints cœurs se formalisent, Dequoy vos yeux les deualisent, Et confessent tous à la fois, Que vos merites sont de poids.
Moy seul que l’Amour n’embrasse, Qui n’aspire point à la grace, De mourir dans vostre prison, Ny de vous seruir de tison ; Ie ne demande, obiect aymable, Que vous me soyez pitoyable, Car ie me taste & ne sens point, Du feu caché sous mon pourpoint. Permettez qu’au meurtre ie crie, Quand vous en voudrez à ma vie ; Mais ie ne suis pas importun, Comme vn anguille de Melun, Qui crie auant que l’on l’escorche, A present qu’Amour ny sa torche, Ne m’ont point encore allumé, Iapprehende d’estre enrhumé. En vn mot ie vais vous tout dire, Ie ne veux que vous faire rire. Ie sçay bien que vous plairoit peu, Qui vous parleroit de son feu, Que vostre cœur seroit plus tendre, A me voir mourir qu’à m’entendre :
Vostre seruiteur.
L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE Trauestie.
Deussay-je passer par les piques D’vn tas d’impertinens critiques, Dont le sçauoir sera picqué Par quelque mot mal expliqué, I’entreprens de chanter Enée, Et commence par la iournée Que le maistre de son vaisseau Palinure fut à van-l’eau.
Au sixiesme de l’Eneide, Maistre Æneas perdit son guide, Et cria d’vn tres-piteux ton, Comme vn aueugle sans baston ; Il dit ce qu’il auoit à dire, Tandis que courrut son nauire A bride abbatuë en la mer, Iugez s’il alloit de bel air : Finalement auprés de Cume, (Ce ne pouuoit estre sans rhume, Car il auoit crié trop fort) Il se vit arriuer au port, Et son cœur nageant dans la ioye Oublia l’homme qui se noye. D’abord on tourna le vaisseau, Et par vn demy cercle en l’eau, La proüe ayant fait volte-face, La pouppe vint prendre sa place, A mesme temps l’anchre ietté Mit tout le monde en seureté : Pas vn ne manqua de besongne, Si l’vn appelle, l’autre cogne, Sur tous vn tas de ieunes gars, Qui sont d’ordinaires égrillards, S’assemble en corps & se rallie Dessus ce bord de l’Italie, Cette jeunesse ne dort pas Quand l’heure approche du repas : De mesme accord ils vont en trouppe Cueillir des herbes pour la souppe, L’on m’a dit que ce fut des choux, L’vn fait du feu de deux cailloux, Et les frottant sur de la méche, Que son camarade desseiche, Ie me doute bien que par fois Le pauure hõme attrappe ses doigts, Vne bande plus esloignée, Tenant en main vne cognée, Court aux forests coupper du bois : Vne autre bande abbit des noix, Quelques-vns questent par la plaine Pour découurir quelque fontaine, I’entends ou fontaine, ou ruisseau : Car pourueu que ce soit de l’eau, Ils se la monstrent tous par signe, Comme estant vn bon heur insigne, Et témoignent par leurs clameurs Que Desbarreaux n’est pas des leurs, Luy qui prend pour mauuais augure Quand il rencontre de l’eau pure.
Mais Enée a bien à songer A d’autres choses qu’à manger,
Ce Temple & tout ce qu’il estalle, Fut jadis basty par Dedalle, Du moins ie sçay bien qu’en parla Le Gazettier de ce temps-là : Et quoy que peut estre cét autre Ait peu mentir comme le nostre, Il escrit que fuyant Minos, Ennemy qu’il auoit à dos, Par des inuentions nouuelles Dedalle se colle des aisles, Qu’il s’eslance en l’air hardiment Sur la foy de cét element : Et qu’il continua sa course Tant que deuers l’vne & l’autre ourse, Comme vn coq il se vint jucher Où l’on ne l’alloit pas chercher. Ie vous puis donner ma parolle Que ce Dedalle estoit vn drolle, Car sans descendre en plat païs, La crainte de ses ennemis Le fit nantir de citadelle, Et vrayment qu’il leur donna belle, Quand à Cume vn pauure badaut De Sergent le vit tout en haut : Si Phœbus a bonne memoire, Il en pourroit dire l’histoire, Car dés qu’il fut en seureté, Et les Preuosts d’autre costé, Vous sçauez auec quel hommage Il vous consacra son plumage, Et tout ce qu’on dit que de plus Il fit pour vous Monsieur Phœbus Son zele vous bastit ce Temple, Où d’abord mon Heros contemple Si fixement qu’on l’auroit pris Pour vn bon bourgeois de Paris : Il estoit lors deuant la porte Arresté comme l’on rapporte A regarder Androgeon, Lequel n’auoit pas eu du bon, Il y voyoit sa face peinte Du sang dont elle fut esteinte, Il voyoit dans vn mesme rang Le conte rendu de ce sang, Car auprés la funeste image De sept enfans qu’en leur bas aage On fait tous les ans deuorer, Pensa bien le faire pleurer, Enfans d’Athenes qu’on enuoye Du Minotaure estre la proye, Et qu’à peints vn docte pinceau, Tirans au fort dans vn chappeau, Il n’auoit pas pris ses besicles Celuy qui signa ces articles, Helas, qu’au lieu d’eux tous les ans Ne liuroit-il les Partisans ? Ou plustost que n’est il encore Pour ces gens quelque Minotaure ?
A l’opposite est buriné Le païs où ce monstre est né, C’est Crette, coste maritime, Qui fut complice d’vn grand crime, Où l’on vit amoureux taureau Pere de ce terrible veau,
Au milieu d’vn œuure si rare L’on cherche la place d’Icare, Mal-heureux fils qui fut si fou, De vouloir se casser le cou ; Dedalle auoit ja burinée La moitiée de sa destinée, Par deux fois l’ouurage laissé, Et par deux fois recommancé ; Il entreprenoit de poursuiure, Quand sa main tombant sur le cuiure, Le bras luy restant entrepris, Son art fut court contre son fils, Et le Peintre se trouua pere. Ce que mon Heros considere, Et d’autres figures auprés, Comme s’il y venoit exprés, Quand son Achatte le fidelle Le releua de sentinelle, Il l’auoit enuoyé deuant Chercher les Moines du Conuent, Auec luy s’en vint Deiplobe, Traisnant sans doute longue robe, Car la Prestresse d’Apollon La doit porter iusqu’au talon, Hé quoy, dit-elle, fils d’Anchise, Quelle contenance à l’Eglise, De bayer aprés vn Tableau ? Pensez-vous que cela soit beau : C’est ce que feroit vne femme, Les enfans dedans nostre-Dame, Deuant sainct Christophle à Paris, Ne semblent pas plus ahuris, Et les badauts qu’on nous enuoye, Le sont biẽ moins que ceux de Troye[illisible] Si vous tenez les bras croisez, Ie vous feray mettre aux aisez ; Et vous & vos gens sire Enée, Employez mieux cette iournée, Qu’on cherche sept petits Taureaux, Qu’on les prẽne dans les trouppeaux, Que l’innocence & le bas aage A faits exempts du labourage ; Vous voilà tous bien ébobis, Il me faut autant de brebis Qu’on choisira selon la mode, Qui ne soient vieilles comme Herode, Eu suitte on doit les immoler, Elle fit tréve de parler. Le grand Æneas ne s’oppose, Fort prest à faire toute chose, Iusqu’à suiure comme vn barbet La Dame qui signe luy fait, Et portant deuant la lanterne, Le meine dans vne cauerne.
Vn grand pan qui sembloit creusé, Soit que l’on s’y fut amusé, Naturel, ou fait auec pelle, D’vn rocher qui Cume s’appelle, S’ouure par trois differents trous, Et l’Oracle respond par tous. On estoit proche de cét antre, Desia presques mon Heros entre, Quand la Sybille qui parla, Dit d’vne voix rude, alte-là,
Haut & puissant Dieu respecté, Pour les marques de ta bonté, Le seul espoit, la seule ioye, Qui reste aux fugitifs de Troye, Aymable Seigneur Apollon, Qui sur ton charmant violon, Nous donnois jadis serenades, Auant le iour des barricades : Toy-mesme ou ie me suis mépris, Conduisois le bras de Paris, Tu fus l’assassin homicide, Qui blessa le pauure Eacide ; Achille alors il s’appelloit, Quand Paris qui tiroit fort droit, Luy mit au talon vne fléche, Seul endroit propre à faire bréche Helas i’ay par tes mandemens, Et par tes aduertissemens, Esté si long temps dessus l’onde Le plus miserable du monde : I’ay si souuent manqué de pain, Plus couru que n’a fait Caïn : Tousiours la migraine ou colique, M’ont fait compagnie en Affrique, Dans vn pays si mal-aisé, Où iamais ie n’ay reposé, Qu’entre Syrte, ou quelque autre gouffre, Et tu veux encor que ie souffre, Enfin ie ne perdray pas tout, Ie tiens de l’Italie vn bout, Vous autres Dieux & vous Deesses, Qui nous auez serré les fesses, Qui pour vostre propre interest Nous tourmẽtez quand il vous plaist :
Ainsi l’Oracle ce dit-on, Aux Troyens parloit bas Breton, Et meslant au vray quelque doute, Faisoit que nul n’y voyoit goutte. La Diablesse dans son caucau, Recommençoit tout de plus beau, Et sans Apollon qui l’arreste, Elle alloit faire encore la beste ; Enfin son courroux appaisé, Et son visage composé, Inuitent le bon fils d’Anchise, A luy declarer sans feintise, Ce qu’il roulloit en son esprit, Voicy ie croy comme il s’y prit. Il ne manque plus à mes peines, Que d’auoir les fiévres quartaines, Mais si ce sont là tous mes coups, I’en ay plus deuiné que vous. Ie ne desire qu’vne chose, Que dés long-temps ie me propose Et que ie demande à genoux, C’est que puis qu’õ va par chez vous, Ou si par routtes effroyables, On peut aller à tous les Diables, Que i’aille embrasser mes parents, Qui tiennent là les premiers rangs : Rendre visite au pere Anchise, Et luy donner neufue chemise, Car i’ay peur en ces Pays bas. Que les morts ne sauonnent pas. Ie l’ay porté sur cette espaule, Le bon Anchise, comme vn drolle, Malgré les traits & les traits & les cailloux, Qui pleuuoient à verse sur nous, Et c’estoit bien autre incendie, Que du tripot à comedie. Il vous dira le bon vieillard, Qu’il fut tousiours plus gras que lard, (Dieux il estoit de bonne paste) Car nous allions tant à la haste, Qu’il n’auoit œufs frais en chemin, Ny boüillon, ny parfois du pain. C’est luy qui m’a dit Chose, Enée, Va voir la Sybille Cumée : Or douter de vostre pouuoir, Vrayment il me feroit beau voir, Ne sçait on pas que Dame Hecate, De qui le nom par tout éclatte, Vous a donné les clefs du bois, Dont les morts se chauffẽt les doigts, Et son bureau mis au passage, De l’Enfer où d’aller i’enrage, Orphée au dernier carnaual, Aux damnez a donné le bal, Il en a pû tirer sa femme, Et son corps tenant à son ame, A malgré Charon le chenu, Passé la barque & reuenu. Pensez-vous qu’à faux ie le die, I’estois à cette Comedie, Où i’entré par vn grand bon-heur, Car sans estre de la faueur, On ne laissoit passer personne, Et moy-mesme ie m’en estonne, * Sinon qu’on sceut que les Troyens, Seroient vn iour Italiens.
La chasõ
Æneas qui les encourage, Ne fait gueres moins qu’eux d’ouurage, Il auoit desia lié prés D’vne vingtaine de cotterets, Lors qu’en cette forest espoisse Il luy prit vne grande angoisse, Ah, dit il, monstrant vn ormeau, Pourquoy n’est ce là ce rameau, Dont parloit tantost la Sybille, Ie connois qu’elle est fort habille ; Et de Misenne le trespas, Me fait voir qu’elle ne ment pas. Il acheuoit à tire d’aille, Voicy deux ramiers qu’on appelle, Virgile dit pigeons communs, Des bisets disent quelques vns, Et n’en desplaise au sieur Virgille Loin de bourg, noblesse de ville, De fuyes, & de coulombiers, C’estoient ou bisets ou ramier : Parbleu des pigeons domestiques, Ne sont assez melancholiques Pour aimer les sombres forests, Si ce n’est que Venus exprés Leur eut chaussé cette humeur sõbre, Qui fit qu’ils chercherent de l’ombre. Æneas qui les a connus, Pour oyseaux de Dame Venus, Leur fit vne telle priere, Comme ils luy rasoient la visiere, Oisillons moins gros qu’vn chameau, Conduisez moy vers ce rameau, Et faites-m’en passer l’enuie, Mamman, mignogne, ie vous prie. Il dit : & les suit de ses yeux ; Il n’en a qu’à demy de deux. Et plus que certaine donzelle, Il exerça lors sa prunelle, Eux ne voltigeoient pas plus loin, Qu’ils pensoient en auoir besoin, Pour aller chercher dequoy viure, Sans qu’il eut de peine à les suiure : Quand en face du lac d’Enfer, Aussi puant que Lucifer, Toutes deux se leuent de terre, Et par vn vol pris à grand’erre, Sur arbres vont prés du Troyen, Percher chacune sur le sien : Arbres, d’où vient lueur certaine, Qui donne aux hommes la migraine, Charmant trompeur, subtil appas, Qui n’entend ou qui n’en veut pas ? C’est de l’or que par le Virgille, Qu’il appelle vne glus subtille, Pour moy ie croy qu’il a raison, L’or est la gluë de la saison. Ce que sçachant cét esprit rare, Vn peu plus bas il le compare A la lueur que rend la glus, Quand en hyuer les arbres nuds Sont pris s’ils ne prennent la fuite, Par celle qu’ils n’ont point produite Et qu’elle s’attache à leurs troncs, Tous les plus grãds & les plus ronds, Sous les voilles d’vn puissant chesne, La branche paroissoit à peine, L’ombre qu’il faisoit à l’entour, Ny souffroit pas le moindre iour : Mais la lueur qu’elle a renduë, Sa fueille qu’vn Zephir a meuë, Qui pour estre d’or fait du bruict, Ioint que ce n’estoit point la nuit, Qu’Æneas n’estoit pas vn borgne, Qu’attentiuement il la lorgne, Tout cela fit qu’il s’approcha, Qu’il la connut & l’arracha, Non qu’elle se mit en deffence Il creut dans son impatience, Qu’elle pourroit luy resister, Tellement qu’il la fit haster :
Le rapt cõmis
Cependant Æneas le pie, Ne joüoit pas à la touppie, Il court, il en est tout en eau, Il creuse luy mesme vn tombeau, Pour mettre le corps de Misenne, Sur vne montaigne prochaine, Qui depuis vn long temps passé. Retient le nom du trespassé. Bref sans obmettre vne vetille, Il suit l’ordre de la Sybille. Vn cachot obscur & plus laid, Que n’est le petit Chastelet,
Aupres du premier pont-leuis, Ont leurs cabanes vis à vis, Les pleurs, le soucy, la tristesse, Les maux, les fiévres, la vieillesse, La crainte, la necessité, La faim, animal indompté, Le trauail dont chacun s’échappe, Et la mort qui tous nous attrape ; Car contre son cruel effort, Rien au monde n’est assez fort, Elle en priue plus de la vie Que ne font les yeux de Siluie, Ie n’entends pas les comparer, Mais on en void plus expirér. Toutes ces guenons sont si laides, Que ce sont d’amour des remedes, Qui voudroit le plus debauché Auoir auec vne couché. Ces gauppes, ces salles furies, Ces vieilles chiennes, ces voiries, Ces laides masques, ces lidrons, Sont autant de dames pil...... Ces sorcieres escheuelées, Ces putains pis que verollées, Ces, ces, tout ce qu’il vous plaira, Au Diable qui les aimera, Necessité, mal, ny tristesse, Trauail, ny faim, mort ny vieillesse ; Elles ont bien si peu d’appas, Que les Demons n’en veulent pas, Et c’est la raison la plus forte Que ces monstres sont hors la porte. D’autre costé gueres loin d’eux, La guerre qui ne vaut pas mieux, Le sommeil, le plaisir infame, Le vray destructeur de nostre ame, Des mortels le subtil poison, Loüent cent francs vne maison, Aupres la cruelle discorde, Riualle de misericorde, Demeure depuis tres long temps, Pour cheueux elle a des serpens, Vne vipere est sa guirlande, Et personne n’est de sa bande, Ne se pouuant pas souffrir d’eux. Vn peu plus loin au milieu d’eux On voit vn vieil & puissant orme, Dont la taille paroist enorme, Qui iette des bras à foison, Capables de porter maison : Sous sa feüille habitent les songes, Ou plustost des nuicts les mẽsonges, En suite plusieurs animaux, Des grenoüilles, lezarts, crapaux,
De là l’on enfille de front Le grand chemin de Acheront, Acheront, de qui les marées, Au fleuue Styx portẽt denrées, Styx, qui n’est qu’vn marais bourbeux, Où vous en auriez iusques aux yeux, Et qui d’vne mare petite, Fait par aprés le grand Cocyte. Le Suisse qui garde ces eaux, A qui Pluton les donne à baux Nommé Charon, a sur la face, Tout au moins quatre doigts de crasse : Son poil du menton & du sein, Est plus long [illisible] d’vn Medecin : Son œil d’vne [illisible] trempe, Eclaire noir comme vne lampe ; Sur vn bras portant son pour point, On croit d’abord qu’il n’en a point : Tout son fait est noüé derriere, Il est sanglé d’vne estriuiere, Et le canapsat est tout tel, D’vn Pelerin de sainct Michel ; C’est luy seul qui conduit sa barque, Au moins nul Autheur ne remarque, Qu’autre meine les trepassez, Encor qu’il soit vieil d’age assez, Tant il retient de sa ieunesse, Dans sa vigoureuse vieillesse, Et son poil de neige couuert, N’empesche pas qu’il ne soit vert, Au bord de gros escadrons d’ames, Comtes, Marquis, Barons, Vidames, François, Polonois, Allemans, Maris, femmes, pappas, mammans, Courent comme en temps de prieres, Les enfans deuant les Banieres. Tout suit, les Gassions,du temps, Les Nobles, les petites gens, Les Princes, les pauures, les riches, Les Beauforts, ainsi que les Guiches, Les Chastillons, & les Clanleus, Et les enfans mis dans les feus En la presence de leurs peres, Les pucelles, les sœurs, les freres, Enfin les ieunes & les vieux Font vn salmigondis piteux. Tout ce monde se presse en trouppe, Ainsi que les gueux à la souppe ; Ou comme vers les premiers froids, Les fueilles tombent trois à trois, Ces pauures esprits peslemesle, Fondent en ces lieux comme gresle, Plus dru que ne font estourneaux, Ou si vous voulez des moineaux, A qui l’Hyuer donne la chasse, Lors que leur trouppe la Mer passe, Et leurs bataillons ébahis, S’en vont chercher d’autres pays :
* C’est cõme
Cependant le pieux Enée, Qui veut employer sa iournée, Presente à sa guide la main, Et tous deux vont leur grãd chemin. Ils estoient prés de la riuiere, Quand par deuant ou par derriere, Charon, qui les vit aborder, (Iugez s’il se prit à gronder) S’écria renfrogné de rage, D’où nous vient ce nouueau visage ? Qui m’ameine ce fanfaron ? Espere-il dupper Charon ? Alte là ! tu serois vn diable, Que si tu branle, ie t’accable. Cà, çà, qu’on t’entende chanter, Qui te fait icy presenter ? Vous pensiez auec vos espades, Venir faire des gasconnades ? C’est icy le lieu de la nuit, Il ne s’y meine point de bruit, Et les ombres qui s’y reposent, N’aiment ceux qui troubler les osent. Retournez-vous-en, beau coquet, On n’a point icy le bouquet, On ne courtise point nos filles, Vous n’estes pas icy chez Gilles, Chez les Baigneurs, chez Martial, Aux Marais, dans le cours, au bal, Il n’est point icy de coquettes, Ny pour vn double de fleurettes, Il ne s’y fait point de cocu, Allez, & tournez moy le cu : Aussi bien vous seriez mon frere, Que ie ne pourrois pas vous plaire, On m’a deffendu tres-souuent De passer rien qui soit viuant ; Et mes deffenses les dernieres, Portent sur peine d’estriuieres : I’auois passé de ces marauts, Que vous appellez des Heros, Vostre petit frippon d’Alcide, Ie ne sçay si i’estois timide, Et si sa mine me fit peur, Ou plustost s’il gagna mon cœur, Mais en faisant le bon Apostre, Ce chien de Heros, prit le nostre. Il enleua Tous ces coquins venus des Dieux, La plus part n’en valent pas mieux : Tesmoin ce goujat de Thesée, Qui pensa chose fort aisée, Auec son amy Pirython, De rauir la femme à Pluton. Ie songe encor à ces infames, Qui croyoient débaucher nos fẽmes, Vouloient-ils ces luxurieux Donner le Pennache à nos Dieux ? Pretendoient-ils les miserables Faire les cornes à nos diables ? On ne les peut punir assez, Ces godelureaux, ces Vas. Qui de Madame Proserpine, Vinrent faire vne Fueillantine. La guide crût qu’il seroit bon De coupper là, Monsieur Charon. Ne vous fachez point, vieil Rodrigue, Nous ne venons pas pour intrigue, Et moins pour faire des Nepueux, Des chastes femmes de nos Dieux : Nos armes sont pour la deffence, Non pour aucune violence : Cette espée à nostre costé, Vous marque nostre qualité, Et si nous en portons, c’est comme En doit porter vn Gentilhomme. Que vos chiens tant qu’il leur plaira, (Maudit soit qui s’en soucira) Hurlẽt, pourueu que l’on mette ordre A ce qu’ils ne nous puissent mordre : Que la bonne femme à Pluton, Proserpine, soit chaste ou non, Qu’elle soit seuere ou facille, Nous le ietterions à croix-pille. Monsieur est vaillant comme Mars, Mais ce n’est point de ces pendars, Qui vinrent dans vos Republiques, Pour rendre vos femmes publiques. Son propre nom, c’est Æneas, Son surnom, ie ne le sçay pas ; Il est de Nation Troyenne, Et de race fort ancienne : Il demande à voir son Papa, Que la parque noire attrapa :
[illisible] * La Sybille Enée descẽdit
Or ces païs, quoy qu’infernaux, N’en sont point moins Presidiaux, Et la connoissance du Code, Est comme chez nous à la mode : Minos President au Mortier, Fort habille homme en ce mestier, A soin d’y rendre la Iustice ; Ce Iuge ne prend point d’espice, Semestre & Paullette en ces lieux, Ce sont des noms tres odieux : On n’y parle point d’Eminence, De Priué Conseil, ny Regence : Tuteur dans la minorité, Ce Parlement est respecté : Nul prisonnier en ces demeures Ne l’est apres vingt & quatre heures : Les plaidans y tirent au sort, Pour sçauoir s’ils ont droit ou tort, Tousiours les Iuges ordinaires, Et iamais aucuns Commissaires.
Si vous poussez encor vn pas, Vous trouuerez vn peu plus bas Les ames qui mal conseillées Sans congé s’en sont en allées, Sots esprits, d’eux-mesme en ce [1 mot ill.] Iuges, bourreaux & patiens, Bouchers de leur propre furie, Et les veaux de leur boucherie : Bons Dieux ! qu’ils se treuuent camus A l’instant qu’ils ne viuent plus ? Helas ! pour retourner sur terre Est-il de paix, est-il de guerre, Lettre de Cachet, Hostel-Deiu, Est il pour sortir de ce lieu Rien au mõde qu’ils n’embrassassent ? De Fauory qu’ils ne chassassent ? Et voudroient-ils bien se tenir A quelque poinct pour reuenir ? Mais quoy d’auoir quitté la vie, C’est vne chienne de folie, Que iamais on ne fit deux fois ; Ils ont beau se ronger les doigts, En vain ils regardent derriere, Le sort a fermé la barriere ; Ils ont desiré d’y venir, Il faut creuer ou s’y tenir, Le Stix y fait vn marecage, Qui ne se passe point à nage : Ils ne treuuent plus de batteau Qui les reporte sur cette eau : Ce Lac qui de neuf bras les ferme, Ne leurs a point donné de terme.
Gueres loings de ces mal-heureux, Si vous voulez ietter les yeux, Vous verrez à perte de veuë, Vne plaine fort estenduë, Qu’ils disent plaine de douleurs, Le champ des souspirs & des pleurs. C’est le chantier des allumettes, Que Monsieur Cupidon a faites, De ceux qu’à bruslé iusqu’aux os Ce petit Dieu trouble repos : Ces pauures fols melancholiques, Qu’amour rendit paralytiques, Ces amants qui furent discrets, Cherchent encor les lieux secrets, Ils cherissent la solitude, Ils gardent leur inquietude, Mes Dames, vous ne croiriez pas, Qu’ils aiment apres le trespas ;
Biuoy. garde
Tandis que l’esprit ainsi cause, L’Aurore dans son char de rose, Se faisoit ramener du cours, A voir enfiler leurs discours ; L’esprit faisant venir des chaises, Ses valets preparant des fraises, Il estoit aisé de iuger, Qu’ils ne pouuoient si tost bouger : Et ie crois que Messer Enée, Auroit mis là sa matinée, Sans la guide qui l’impreuuant, Luy dit fort bien en se leuant, Trefue de la ceremonie, Saluez vostre compagnie, Vous passeriez icy le iour, Mais la nuict aduance à son tour : Vertubleu vous auez à faire Bien d’autre besogne qu’à braire : Voyez-vous ce chemin là bas, Comme il se diuise en deux bras, Le gauche meine à tous les diables, Où les damnez sont miserables : Dieu nous garde de cét endroit : L’autre chemin qui tourne à droit, C’est celuy que nous deuons prendre, Et c’est luy qui pourra nous rendre, Plus viste au champ Elysien, Où demeurent les gens de bien. L’esprit qui void que c’est luy dire, Ouuertement qu’il se retire, Dame, ne nous poussez pas tant, Dit-il, cela n’est pas seant : Ie m’en vais acheuer le nombre Des ans qu’il faut que ie sois ombre ; Pour vous allez maistre Æneas, Dieu vous garde d’vn pareil cas. Lors ce courtois esprit s’enuole, Aussi viste que sa parole.
Mon Heros ses yeux délegua, Ou la Sybille a dit aga, Et vit autre part qu’à la droit, Dessous vne roche fort droite, Vn grand lieu rendu regulier, Par vn esprit particulier ; C’est vn fort qu’a fait imprenable, La Mathematique du Diable. Vn mur, deux murs, puis encore vn, Ce sont trois murs dira quelqu’vn ; Disons s’il le veut trois murailles, Mettent à couuert ses entrailles, Trois murailles, sont encor peu, Vn fleuue qui roulle du feu, Et des roches toutes entieres, Sert à ce pays de frontieres. On void la porte de deuant, Estre presqu’au dessus du vent, Pour sa hauteur hors de mesure, Les pilliers sont de pierre dure, Qu’on casseroit moins aisément, Qu’on a fait Semestre Normand ; Et que les Dieux fussent-ils quatre, N’auroient pas la force d’abattre. Là Thysiphone sur le seüil, A iamais ne fermera l’œil, Meschante ame, bonne Vedette, Portant sanglante chemisette, Et le Suisse qui iour & nuit, Prent garde si quelqu’vn ne fuit.
Nostre Troyen tout ahury, Fit presques vn aussi grand cry : La peste quelles sont les fautes, De qui les peines sont si hautes ? Ie petille de le sçauoir, Dit-il, mais non point de le voir. Contez le moy Madamoiselle : La guide fit response telle. Æneas genereux Troyen, Iamais vn seul homme de bien N’entra dans cette caue basse, Pour nous dire ce qui s’y passe : Moy mesme n’aurois passé l’huis, Moy comme vous sçauez qui suis, Du bois d’Auerne gardienne, Sans Hecatte qui prit la peine, Malgré Rhadamante & ses dens, De m’en faire voir le dedans ; C’est dedans que son Throsne plante L’impitoyable Rhadamante, Ce Iuge tranche du fendant, C’est encor pis qu’vn Intendant : C’est luy qui selon les offences, Donne d’horribles penitences. Il fait degoiser vn discret, Ce qu’il a fait de plus secret, Ses sentimens les plus intimes, Et les plus cachez de ses crimes. Si c’est vn Courtisan François, Il veut sçauoir combien de fois Il a fait le peché de Rome, Ie voulois dire de Sodome : Mais si c’est vn Italien, Il ne luy demandera rien ; Il l’abandonne à Tysiphonne, Qui prent des escourgez d’vne aune, Et qui d’vne main l’empoignant, Escorche le Seignor seignant, Ensuite les autres coupables, Sont fessez comme de beaux diables : A gauche elle tient des Serpents, Qui leurs monstrent de longues dẽts, Lors ils sont en triste équipage, Pour les éfrayer dauantage, Main forte elle crie à ses sœurs, Tandis la porte des douleurs S’ouure, & ses pantes mal-graissées, Leurs rendent les dents agacées. Considerez vous les beaux yeux, De celle qui garde ces lieux ? Ne la treuuez vous pas mignonne, La Damoiselle Tysiphonne, Et Champagne auec ses fers chauds, Coiffoit il mieux par serpenteaux ? Mais ce n’est rien au prix de celle Qui fait là-dedans la cruelle, Auec plus de seuerité, Que la belle qu’on a chanté, C’est Hydra l’aimable farouche, Qui fait tant la petite bouche ; Si petite bouche est cent trous, Capables de nous croquer tous, Ie croy qu’elle l’a fort petite, Et c’est peu selon son merite.
C’est là le veritable Enfer, Où regne le grand Lucifer : Toutes les caues en sont belles, Si les caues se disent telles, Qui plus bas ont leur fondement, Elles le sont infiniment : Et comme on le sçauroit connoistre, Le vin bien frais y deuroit estre, Le fonds en estant aussi creux, Que le haut est proche des Cieux, Dans les plus basses de ces caues, Ces Titans qui faisoient les braues, S’y treuuent pour leurs vanitez, Par la foudre precipitez ; I’y vis garder place, & plus d’vne, Pour ces champignons de fortune, Qui bien que crus en vne nuict, N’en fons le matin moins de bruit,
I’y vis Salmoné, qui sur terre Vouloit se mocquer du Tonnerre, Et par vn caprice inoüy, Faisoit Bedoudou comme luy : Le galland dans vne charete, Qui d’estain sonnant estoit faite, Que tiroient quatre grands mulets, S’en alloit dancer des ballets, Portoit des momons par la Grece, Et roullant de grande vitesse, Auec vne lampe à sa main, Vouloit vn honneur plus qu’humain : Fol qui deuint poudre de Cypre, Long-temps deuant que fut pris Ipre ; Singe qui par trop curieux, Obligea le grand Roy des Cieux, De lancer sur ce miserable, Vn coup de foudre espouuentable, Qui luy fit dire, helas ! le mien Estoit vn beau foudre de chien. Ie croy cette manie égalle, A la licence generalle, D’abuser de l’authorité D’vn Roy dans sa minorité, Et ie tiens qu’vn pareil supplice, Est vn exemple de Iustice, Que doit vn ialoux Potentat, A l’vnité de son Estat.
Cét abysme effroyable enserre Tityon, le fils de la terre. De qui le corps couché tout plat, N’eut pas laissé passer vn rat, Durant neuf grands arpents d’espace Tant il en fournissoit la place. Dans ses entrailles vn Vautour, Y vit à gogo nuit & iour, Et sa rage perpetuelle, Treuue de la chair eternelle : Dieux ! il faut que le fonds soit bon De l’estomach de Tityon, Et que du Vautour qu’il endure, La dent soit horriblement dure, Car le premier qui seroit las, A l’autre ne suffiroit pas. A ce Vautour ie tiens semblable, La conuoitise insatiable, De certains Messieurs de nos iours, Qui riches, amassent tousiours : Aux malheureux hommes qu’il rõge, Se rapporte bien quand i’y songe, Vn criminel dont le remords, Luy fait souffrir dix mille morts, Et iamais pourtant ne luy donne Vne pauure mort qui soit bonne.
Parleray-je de Pirriton, Qui faisoit des qu’en dira ton De nostre Reine Proserpine ? Ou des Lapithes gens mutine ? Iugez s’ils y sont malheureux, Vne grosse pierre sur eux Pendante, à faire tousiours preste Des pommes cuites de leur teste, Les retient dans vn douteux sort, Qui n’est pas vie & n’est pas mort, A ce sort incertain ressemble Celuy d’vn Ministre qui tremble. Et qui depuis vn iuste Arrest, Ne sçait s’il n’est plus ou s’il est.
Vn à qui la faim enragée, A la dent d’vne aune allongée, Void vn fort superbe festin, En plats d’argent & non d’estain, Où tout ce que magnificence Fournit d’agreable à la pance, On a soin d’y faire trouuer : Il se depesche de lauer,
On y void des freres damnez, L’vn encor sur l’autre acharnez, De qui les haines mutuelles, Apres la mort sont eternelles. Les parricides des parents : Et ceux qui fraudent leurs clients ? On peut expliquer ce reproche, Pour les affaires qu’on accroche, Tous les détours des Procureurs, Vulgairement dits des voleurs, Et qu’on nomme dans la souttane, Les Godenors de la chicane.
Croyez qu’ils y sont ces richars, Qui n’en ont esté moins eschars, Et sans songer que Dieu soit iuste, Ont tousiours fait leur Dieu d’vn Iuste : Ie ne dis pas ceux que i’y vis, Crainte d’offencer mes amis, Mais vray dans le siecle où nous sommes, L’Enfer est paué de ces hõmes, Sur tous on y tourmente ceux, Qui ne sont riches que pour eux, Et seruis à plus d’vn potage, Laissent gueuser leur parentage. Comme ils y seront si pis n’est, Ceux qui prestent pour interest, Les Monopoleurs, ces sangsues, Qui ne me sont que trop connues, Que Messieurs du Parlement, Y vont dépescher vistement, Ces coquins venus en guenille, A qui i’ay donné la mandille : C’est-là qu’on tient des tabourets, Chez Proserpine en tout tẽps prests, Pour leurs nobles guenõs de femmes.
I’y vis traitter mal ces infames, Qui faisoient guetter leurs vallets, Si Monsieur estoit au Palais, Et par vn adultere flamme, Communiquoient auec Madame, Tant que Monsieur à la maison, Reuenoit sot comme vn oyson.
On y void des Parlementaires, Et ceux qui broüillent les affaires, Si par fois & quand il le faut, Vn Roy veut leuer vn impost. Entre eux sont quantité de traistres, Qui sous-main ont duppé leurs maistres, Les approchant les ont toquez Les ayant toquez, debusquez, Ne demandez pas quel supplice, Se deliure à chaque iniustice : Quelques-vns roullent vn gros [1 mot ill.], Et font tousiours Boula[1 lettre ill.]e apres : Les autres que l’on pilorie, D’autres assis toute leur vie, Dont le plus renommé d’entre eux, C’est Theseus le mal heureux, Qui se tient sur vne bancelle, Et picque à iamais l’escabelle, Criant qu’on l’apris par erreur, Pour quelque clerc de Procureur.
I’entendis en mesme seance, Phlegias geuller d’importance, Il se tournoit de tous costez, Disant, Messieurs, or escoutez, Les Dieux veulent que l’on les prie, Ils n’entendent point raillerie, Et moy dans ce sainct mouuement, Le pris pour l’Abbé le Nor.
Les vns ont vendu leur patrie, Et pour de l’or l’ont asseruie, Sous le pouuoir d’vn Estranger, Qui prend plaisir à la ronger : L’application est facile, Sans forcer le sens de Virgille. Ils ont fait Edicts & rayez, Selon qu’ils en furent payez : C’est ce que dit la médisance, De la derniere Conference, De la derniere Conference, Où l’on a cassé nos Arrests, Et l’hõme est plus grand que iamais.
L’vn de sa fille fist sa femme, Par vne incestueuse flamme ; Generalement en ce lieu, Nul n’est pour auoir prié Dieu, Et d’autres que i’oubliois presques, Pour auoit fait des vers Burlesques, A dire toutes les façons, Dont on bat ces mauuais garçons, Et dont on ramonne leurs costes, Tous leurs tourmés, toutes leurs fautes, La bouche de Gargatuas, Monsieur, ne me suffiroit pas.
La Sybille au bout de son roole, Demeura sur cette parole, Et luy dit, d’Achise le fils, Nous auons nostre temps précis, Ces pays sont mal agreables, Laissons en repos tous les diables ; Marchons voicy nostre chemin, Nous pourrons voir l’Enfer demain. Ie croy desia m’estre apperceüe, Moy qui n’ay point mauuaise veüe, D’vne cheminée & d’vn huis, Regardez plustost d’où ie suis, C’est, ie croy, la porte cochere, Et si ie ne me trompe guere, Ie le connois c’est le logis, Où les cycloppes font leur nids, Ou de donner on nous commande, Nostre rameau d’or à l’offrande. Ce dit, ils marchent à grands pas, Vn cheual ne les suiuroit pas, Non pas mesme s’il alloit l’amble, Deux Cordeliers qui vont ensemble, Quand on commence le soupper, Ne les pourroient pas attrapper, (I’entends ceux qui sont en la ruë, Quand on a sonné la repuë.)
Ils vont comme Freres Mineurs, A la maison de ces forgeurs : Æneas à la porte aduance, Où Virgille dit qu’il commence A prendre auec qu’il commence A prendre auec deuotion, De l’eau fraische, beniste, ou non, Pour moy ie ne vais pas si viste, Mais si ce ne fut eau beniste, Il meritoit bien que c’en fut, Dans cette pieté qu’il eut.
Ayans procedé de la sorte, Il ficha sa branche à la porte, De là le gaillard fit vn saut, Pour auoir fait tout ce qu’il faut, Et comme si cette gambade, Qu’il auoit fait par boutade, En d’autres païs l’eut mené, Il se trouue bien estonné, Quand il cõtemple vn vaste Empire, Où tout semble creuer de rire ; Des grandes plaines, de beaux prez, Que la Nature a chamarez Des fontaines & des cascades, Des canaux bordez de Nayades, Il vit comme il auoit bon nez, Que c’estoient les lieux fortunez : Vn air guay, que mesme vn Zephyre N’oseroit troubler, s’y respire ; Le iour y semble estre fardé, Ou qu’il se soit accommodé, Pour receuoir le sieur Enée, Ou qu’en cette illustre iournée, Il ait emprunté des rubis, Ou qu’il ait loüé des habits, Les plus beaux de la Fripperie, Auec le plus de broderie : Son teint est plus blanc qu’vn satin, Il a la fraischeur du matin,
Là du grand Teucer la lignée, Qui s’estoit si loin prouignée, Heros nez durant la saison, Qu’on auoit du tout à foison, Qu’à Troye on faisoit bonne vie, Qu’on n’y parloit point d’Italie, Que les Peuples estoient contents, Bref, ce n’estoit pas en ce temps ; Ilus, & le braue Assarace, Et Dardan l’Autheur de sa race, D’où sont descendus les Troyens, En ce lieu regorgent de biens. On voit leurs armes qui se roüillent, Et leurs charrettes qui se moüillent : Leurs Lampons du siege d’Arras, Leurs bottes où nichent les rats On voit tant que porte la veuë Cheuaux paistre à bride abbattuë : Tous les mesmes plaisirs qu’auoient Ces esprits au temps qu’ils viuoient, Les vns de rouler en carrosse, D’autres de chercher playe & bosse, Et d’essayer des pistolets ; Certains d’estriller des mulets, (Des cheuaux, dit le grand Virgille) Ie pense comme il fut habile, Qu’il cuida les mulets damnez, Pour auoir fait les obstinez : Les mesmes dit ce grand Genie, Sont là leurs plaisirs qu’en la vie, Il voit aussi de tous costez, Des banquets sur l’herbe apprestez, Des esprits qui font la débauche, Qui boiuent à droit comme à gauche, Et font rubis dessus le nez, Apres six verres entonnez : Ils chantoient des chansons à boire, Entre autres, branslons la machoire, Sous des Lauriers, où l’Eridan, Qui roule depuis plus d’vn an, Fait vne agreable cascade, Où ces esprits à la friscade, Peuuent quand tel est leur plaisir, Faire du Burlesque à loisir.
Vn essein d’esprits s’y promeine, Qui n’ont laissé manger leur laine, Qui comme cocqs sur leurs fumiers, Ont sçeu defendre leurs foyers, Et percez plus à iour qu’vn crible, Ont rendu leur pays paisible : Les Prestres qui se sont chastrez, Et ceux qui se sont sequestrez, Des femmes & du mariage, Y sont eux & leur pucelage. Y pretendez-vous vostre part, Messieurs les Abbez gras à lard ? Chappõs du Mans, Prieurs, Chanoines ? En general vous autres Moines, Ma foy pour ceux que i’ay connus, Ils en sont desia reuenus, Et leur froc aux champs Elysées, Pourroit exciter des risées.
Ceux qui mieux ont sçeu rafiner, Sur le mestier de deuiner,
Ceux là qui par leur diligence, Ont inuenté quelque science, Les Maistres de tous les mestiers, Arracheurs de dents, Maltoutiers, Les autheurs de la plaidoyerie, Les vsuriers & leurs voirie, (Mon dessein n’est que de conter, Ceux dont on ne se peut douter.)
On y voit aussi des personnes, Pour auoir basty des Sorbonnes ; I’entends que qui fut liberal, Passe parmy le general : Et ceux dont la liste i’ay faite, Bridez d’vne blanche cornette, Ayant au front vn bandeau fin, Mais entre eux point de Ma... Tous plus propres qu’vne poupée ; De qui la guide enueloppée, Parle en ces termes à celuy, Qui voudra le prendre pour luy. Entr’autres vn nommé Musée, Encore plus long qu’vne fusée, Pourroit dite en leuant les bras, Messieurs, que faites vous là bas ? Tous les autres prés de sa taille, Ne semblent que de la canaille ; A luy cõme au plus grand Seigneur, La guide parle en tout honneur, Mes bonnes gens ie suis bien lasse, Et vous, tres haut Monsieur, de grace, Enseignez nous par quel endroit Nous pourrons aller le plus droit, Au deuant de Monsieur Anchise ; Nous n’auons besoin de méprise, Pour luy nous venons de fort loin, Nous auons passé vos eaux : foin De ce maudit pelerinage, Ie n’y reuiens pas dauantage ; Ie pense qu’elle alloit pester, Quand cét homme vint l’arrester : Prenez, luy dit-il, patience, Ie ne vois pas qu’on vous offence : Pour nous, non plus que les Hurons, Ne sçauons où nous coucherons : Le Ciel est nostre couuerture, Tout nostre lict c’est la verdure, Que tantost nous prenons au bois, Sur le bord de l’eau quelquefois, Dans de beaux prez quand bons nous Or iamais nostre lit ne trẽble. Mais si vous trouuez bon & beau, sẽble, S’il vous plaist passer ce cotteau, Ie vous feray voir vne routte, Qu’on pourroit suiure sans voir goutte. Ce dit, il monta le premier, Bien que ce fut sur son fumier, Et faisant vne reuerence, Aima mieux par obeïssance, Suiuant le compliment commun, Se rendre inciuil, qu’importun : Il ne fit que trop de grimace, Mon cher Monsieur passez de grace, Pour moy ie demeure confus ; Ma foy ie n’y reuiendray plus : C’est vne inciuilité haute, Ie ne seray point cette faute : Vous m’y feriez plustost coucher, Il se mit pourtant à marcher, Leur fit voir vne belle plaine : Æneasconfus de sa peine, Le conjura de retourner, Et se remit à cheminer.
Cependant le bon pere Anchise, Dont la guide s’estoit enquise, Par ses doigts ou par ses boutons, Comme des trou peaux de moutons, Contoit des innombrables sommes, Des esprits qui deuoient estre hõmes, Et ie crois qu’il passoit son temps, A regarder ses descendants, Dans vn lieu fermé de montagnes, Où ces ames ont leurs compagnes, Leurs horoscopes il tiroit, Pour sçauoir quel vn tel seroit, Et dans quel temps il pourroit estre, Lors qu’Æneas vient à paroistre. Anchise qui le voit venir, D’aise ne peut pas se tenir,
Mon cher fils que i’ay tant pleuré, Vous n’estes donc point demeuré, Puis que ie vois vostre arriuée, Et vostre addresse s’est treuuée Bastante à descendre en ces lieux, Dessein encor plus glorieux, Pour estre de plus grande peine, Qu’à sortir du bois de Vincenne, Vous auez vaincu le danger, Qui se rencontre à s’y ranger : Apres vne si longue absence, Ie puis vous tenir hors de France, Comme de tout autre pays, Mes yeux en sont tout ébays : Ie puis parler & vous respondre, Mais non, car ie me sens confondre : Ie m’estonne sans m’estonner, D’auoir pû si bien deuiner, Et si bien chausser mes lunettes, Quand ie vous preuis où vous estes, Par quelle tempeste ietté, Par quelles secousses porté, Par quel chemin, par quelle corde, Cy descendu, l’on m’accorde, De voir ce que i’ayme le plus ? Quels dangers n’auez-vous courus ? Dieux que i’auois d’inquietudes, Que vous n’en eussiez de plus rudes, Pour les doux attraits de Didon ; Et qu’amour auec son brandon, Ne vous estrillât à Carthage, Et qu’il vous fit perdre courage. A quoy son fils : vos mandemens, Dit-il, vos aduertissemens, Vostre ombre que i’ay souuent veuë, Sont causes de ma bien venuë, Tous mes vaisseaux se portent bien, Ils sont sur le bord Tyrien ? De grace touchez-là, mon pere, Ne vous retirez pas arriere ; Attendez-moy pour vous baiser, Pouuez-vous me le refuser ? Pourquoy donc comme vne écreuice Reculer ? est-ce par caprice ? Ce disant, ce fils genereux, Disoit fort bien, & pleuroit mieux, Soit qu’il crût faire violence, Il fit trois fois circonference, De ses deux bras autour du cou D’Anchise, qui dit qu’il est fou : Ie tiens mon pere par la teste, Dit le fils, que vous estes beste, Dit le pere en se releuant ? Car vous ne tenez que du vent, Cependant dans vne valée, Où la multitude d’alée, En donne à chacun pour sa part, Il voit vn grand bois à l’écart, Où l’eau de Lethé qui serpente, Semble mener vne courante, Et dire à Messire Æneas, Est-ce que soif vous n’auez pas ? Au bord de ce fleuue qui coule, Des esprits arriuent en foule, Et de tous costez à foison, Comme si l’on tiroit l’oison. Les abeilles vn iour de feste, Qui vont dans les prez à la queste, (I’entens quelque beau iour d’Esté, Qui seul est chez elles f[1 lettre ill.]sté,) Quand les fleurs elles ont treuuées, Ne sont pas plus grandes huées ; Ny le menu peuple amassé, Autour d’vn tonneau defoncé, Ou d’eau benitte à la déroute, La veille de la Pentecoute.
Æneas demeure interdit, De ce troupeau qui s’agrandit, Demande, si c’est à son pere, Vn esprit qu’on aille de faire, Quel est ce beau fleuue qu’il voit, Que fait tout ce monde qui boit ?
Anchise, qui craint en son cœur, De passer icy pour menteur, Demande à son fils audience, Pour plus expresse connoissance, Et luy dit vous verrez au bout, Que ie vous ay dit vray par tout.
L’Air mobile, maison des Gruës, La Mer le Palais des Moluës, La terre le giste des veaux, Le Ciel des Almanachs nouueaux, (Entendez celuy de la Lune) Les Estoiles, sans que pas vne En soit exempte par escrit, Furent pleines du mesme esprit ; Ce mesme esprit qui les anime, Qu’éloquemment Platon exprime, Fait mouuoir par diuers ressorts, De l’Vniuers tout le grand Corps : Et s’insinuant dans ses veines, Roule ces horribles Baleines. De là les hommes sont venus, Et cent animaux inconnus, Les aquatiles, volatiles, Iusques au moindre des reptiles, Tous doüez de force & vertu, Tant que l’esprit soit abatu, Et que sortant d’vn lieu celeste, Il treuue vn corps qui le moleste : Corps dont les organes diuers, Mettent le pauuret à l’enuers, Et qui plus au carcan l’attache, Que l’esprit leue la moustache, (Tesmoin celuy-là de Scarron, Pris par le col comme vn larron) Corps qui bien qu’auec mille peines, L’empesche de faire des siennes ; Et qui luy cause la douleur, Le desir, la ioye & la peur : Corps enfin qui rend dessus terre, Cét esprit prisonnier de guerre ; Esprit qui mesme deliuré, Et bien que la mort l’ait sevré, Iamais n’en sortit si bien quite, Qu’auec tache grande ou petite, Et qu’il n’en demeurât soüillé, Salle, vilain, ou barboüillé. C’est le sujet qu’on le vergete, Qu’on l’assomme, qu’õ le mal-traite, Tant qu’il soit plus net qu’vn denier, Et plus blanc que n’est vn Meusnier. L’vn en l’air pendu se déroüille, L’autre vit auec la grenoüille ; L’autre sert de tison au feu, Et c’est ce qui me plairoit peu ; Auant qu’estre en cette contrée, Où peu de gens treuuent entrée, Ie sommes battus tous de rang, Du plus petit iusqu’au plus grand : L’on nous en donne auecques rage, Tout nostre saoul & dauantage. Pour celles-cy quãd fort long temps Elles ont suby les tourments,
Anchise aduance en acheuant, Et meine son fils fort auant, Sur vn lieu fait à l’aduantage, Pour voir ces ames au visage, Puis il dit, mon fils Æneas, Morbieu ne m’interrompez pas, Puisque ie vais vous faire entendre, Ceux qui de nous doiuent descendre, La belle gloire qu’ils auront, Et vostre nom qu’ils porteront, Enfin ie veux si ce temps dure, Vous dire la bonne auanture, Tenez ce garçon si courtois, Panché sur sa lance de bois, Le destin veut auec la chance, Qu’il moine le premier la dance : C’est Syluie Albain, qui naistra, Et qui vers les quinze ans croistra, Le sang de Troye & d’Italie, Aux derniers iours de vostre vie, De ce fils vous fera present ; Et ne treuuez vous pas plaisant, Qu’estant né sans qu’aucun le sçache, Dans les endroits où paist la Vache, On le viendra prendre en vn bois, Pour Roy, qui laissera des Rois : Auec sa mere Lauinie, Dont sera liesse infinie : Et nostre sang doit par ses mains, Gouuerner long-temps les Albains.
Le moins esloigné de Syluie, N’est pas le plus loin de la vie, Il se doit appeller Procas, Et sera cét homme en tout cas, L’ornement de la gent Troyenne, Dont l’hõneur merite vne Antienne.
Cettuy-là Capys se dira, Numiter luy succedera, Cettuy-cy c’est Syluie Enée, Belle ame pour les armes née ; Luy seul portera vostre nom, Vostre cœur, & vostre renom, Il viuera comme les Apostres, Et vaudra mieux qu’aucun des autres, Qui deuant qu’il y soit mandé, Auront dans Albe commandé ; Desquels iugez par les espaules ; Quels serõt tous ces maistres drosles.
Pour ceux-là qu’auant estre nez, Vous voyez desia couronnez, Auecques des feüilles de chesnes, Dame, ils vous bastiront Fidennes, Sur les montagnes vn Chasteau, Dit Collatin, Castre Nouueau, Bole, Nomente, Pometie, Core, & la ville de Gabie : Ces noms Burlesques Eneas, Surprendre ne vous doiuent pas, Tous ces mots deuiendront vulgaires Dans les moindres Dictionnaires.
Vous auez bien veu Numitor. Romulus, plus braue qu’Hector, Protegera ce sien grand pere ; Romulus qu’Ilia sa mere, Ie croy du sang d’Assaracus, (Maudit soit qui s’en souuient plus) Qu’Ilia, dis-je, du fait pleine De Mars, ce vaillant Capitaine, Suiuant le destin produira, Quoy que Vestale elle sera ; Et partant luy du costé gauche, Mais quand c’est vn Dieu qui débauche, On le peut faire auec honneur ; Il sera tres-homme de cœur, Voyez comme il porte sa creste, Voyez comme il leue la teste, Regardez il a le toupet, Et c’est son pere Mars tout a fait ; Desia deuant luy l’on dit gare, Signe que c’est vn homme rare, Ioint qu’õ m’a dit que dans les Cieux, Mars le marquoit au coin des Dieux.
Mon fils, c’est de ce galand hõme, Qu’enfin doit venir cette Rome, Dont l’oracle n’a point menty, Dans ce qu’il en a pressenty ; Car ce sera plus grande ville, Qu’encor ne dit Monsieur Virgille, Et ie treuue ayant bien cherché, Que ce doit estre vn Euesché. Elle embrassera sept collines, Qui luy seruiront de courtines, Ses murailles iront bien loin, Encor qu’elle n’en ait besoin, Elle aura des belles lignées, Plus qu’on n’en prend en deux poignées, Qui nous donner ont des Heros, De quoy chanter plus à propos Le Te Deum que [1 mot ill.], Qui pour s’estre trouuée enceinte, De trois ou quatre meschans Dieux, Se fait respecter en tous lieux ; Et caquetant comme vne Pie, De tous costez dans la Phrygie, Se fait traisner sur vn beau char, Disant qu’on face des feux, car I’ay fait moy quis suis ieune encore, Plus d’vn cent de Dieux qu’on adore, A quoy quelqu’vn a respondu, Il faut qu’elle les ayt pondu. A present chaussez vos lunettes, Et plus attentif que vous n’estes, Contez hardiment par vos mains, Ce qui va passer de Romains, C’est Cesar, & toute la suite, Que le sang d’Iule a produite, Tremblez deuant celuy qui suit, Dont les Deuins font tant de bruit, C’est mon fils, c’est le grand’Auguste, Né des Dieux, c’est celuy tout iuste, Dont vous disiez auparauant, Qu’autant en emportoit le vent : C’est le sujet que la Sibylle, Prit de ses vers en plus de mille : C’est celuy seul, qui doit encor Vous ramener le siecle d’or, Et qui sans conter l’Italie, Qui n’est qu’vne terre iolie, Que pour legitime il aura, Par tout le monde regnera, Aux Hurons, à la Martinique, Dans l’Asie, & dans Amerique, Par tout où le Soleil a cours, Antipodes Topinambours, Tant d’autres regions nommées, Chez les Athlas & Ptolomées, Qui seroient recits superflus, Il aura tout le monde, & plus. Desia la plus grande partie, Du menu peuple de Scythie, Le redoute dans son esprit, Comme vous feriez l’Antechrist. L’autre iour le Nil par sa bouche Dit qu’il apprehendoit la touche, Mais plustost il en ouurit sept ; Pour dire la peur qu’il luy fait. C’est vn vaillant trotin qu’Alcide, Auec sa biche Eripide, Que corps à corps il attrappa, Et son Sanglier qu’il frappa, Duquel coup la beste mourante, Purgea la forest d’Erimante ; Auguste l’auroit bien berné, Quoy qu’il ait fait trembler Lerné, Que Bacchus auec sa broüette Nous vienne icy conter goguette, Qu’auec ses Tygres il yra, Au diable quand il luy plaira : Qu’il coure la terre, mon Prince Aura tousiours quelque Prouince, Où Bacchus n’aura point esté : Et nous aurons encor douté, De faire malgré la tempeste, Vn pot cassé de nostre teste, Plustost que de ceder vn droit, Sur cét Empire qu’on nous doit ? Quitter ces belles esperances, Pour quelques legeres souffrances ! Non, il faut que creue Æneas, Ou qu’Anchise ne mente pas.
Pour celuy qui là bas arriue, Tenans vne branche d’Oliue, (Ie crois qu’il lit vne oraison) Ie connois bien ce poil grison :
Voulez-vous voir les deux Tarquins ? Et le bedeau de ces faquins, Brutus qui les mit à la porte, Qui leur sceptre à Rome rapporte, Ce vangeur de nos libertez, Lors que les Roys seront flutez ; Ce premier fleau des Monarques, De Consul portera les marques, Ce Brutus destructeur des Rois, L’inébranlable appuy des loix, Donnera credit au Digeste, Et dans vn rencontre funeste, Iuge de ses deux propres fils, Atteins d’auoir formé partis, Il souffrira qu’on les immolle, Pour son cher pays à Barthole ; Pauures enfans que ie plains fort, D’auoir pour pere vn esprit fort.
Voulez-vous voir les deux Decies, Qui creueront comme vessies. Ie vois passer les deux Drusus, Et leurs ennemis décousus. Voulez-vous encore vn Stoïque, Qui fera pour la Republique, Nommer vn de Messieurs ses fils, Ambassadeur en ce pays ? C’est Torquat qui dans vn vacarme, Où son fils aura pris vne arme, Signera de ses propres mains, Qu’il n’a pour fils que les Romains, Pauure enfant, funeste peinture, Où l’on poignarde la nature, Diable i’enuoy rois bien au grat, Vn pere fait comme Torquat.
Tenez, regardez bien Camille, Il sera plus braue que mille, Les François par quelque hazard, Luy pourront prendre vn estendart, Mais ie voy ce cœur tout de flame, Le rapporter de nostre Dame.
Ces deux esprits deuant vos yeux, Portans mesmes armes tous deux, Icy comme larrons en foire, S’entendent, mais qui pourra croire, Que dés qu’au monde ils seront mis, Ce seront deux grands ennemis ? S’ils ne se font icy malice, C’est qu’on y rend bonne Iustice, Et sur ma foy ie sçay d’vn tel, Qu’ils se sont desia fait appel, Pour se harper en l’autre vie, Et qu’ils en ont tres grande enuie : Mon cher fils nous sommes certains, Qu’estans nez vn de ces matins, Ce ne sera pas vne guerre, Mais vne boucherie en terre ; L’vn des Alpes amenera, Toutes les forces qu’il pourra, Et contre son pere le gendre, Tout l’Orient fera descendre : Ie préuois les sanglants défis, Du beau-pere contre le fils.
Quand i’y songe que diroit on, Si i’oubliois Cosse ou Caton ? L’on connoistra si la famille Des Gracches nous est inutile : Nous aurons les deux Scipions, Freres & braues Champions, Qui tiendront en bride Carthage, Si vous en voulez dauantage, On vous donne Fabricius, Lequel dira qu’il n’en veut plus ? Ce grand hõme qu’on vous propose, Estant content de peu de chose. Prenez, si vous voulez, Serrant, Que vous trouuerez labourant ; On garde pour la bonne bouche, Vn qu’on ne croit pas qu’il y touche, Ce sera le grand Fabius, Qui, comme rapporte Ennius, Sans faire crier, tuë, tuë, N’auançant qu’à pas de Tortuë, (Vous sçauez qui va piano, Que d’ordinaire il va sano,) De ce marcher melancolique, Il sauuera la Republique.
Laissons les autres Nations, Parler de leurs inuentions, Que leurs gens sçauent la graueure, Les Astres & l’Architecture, Qu’ils ont de meilleurs Aduocats, Tout cela n’est pas vn grand cas : Passe, qu’ils parlent à la mode, Qu’ils entendent fort bien le Code, Soient plus diserts que Ciceron, Facent mieux des vers que Scarron, Des Almanachs que Saincte Marthe, Sçachent mieux que Sanson la carte, Les Romains la sçauront broüiller, Laissons les autres trauailler. Mais pour la nation Romaine, Elle est faite pour le domaine, De Loix elle n’en veut que deux, L’vne, de rosser l’orgueilleux, L’autre est, de baiser à la iouë, Ceux dont la fortune se iouë, Ou dans leurs boüillantes ardeurs, Qui feront comme les fondeurs.
Lors se moucha le bon Anchise, Qui fut cause de sa reprise, Il falloit que pour se moucher, Il prit son temps, ou pour cracher :
Le bon Anchise alloit s’estendre, Quand son fils petillant d’apprendre, Quel estoit vn ieune muguet, Vestu seulement de droguet, Mais auec tant de marchandise, Le point de Genne à sa chemise, Le bas si proprement plicé, Le chappeau si bien retroussé, Le baudrier en broderie, Et les boucles d’orfevrerie : Luy dit, Ie voudrois bien sçauoir, Qui sera ce panache noir, Dont la perruque est bien peignée, Pourquoy sa mine renfrognée ? Pourquoy vis à vis de Marcel ? Pourquoy ce bruit vniuersel, Dés qu’il paroist dans vne ruë, Tout tremble quand il se remuë. Comme il le porte à la grandeur ! Est-ce vn Prince, est-ce vn Empereur ? Et pourquoy dessus son visage, Le deüil y peint-il vn nuage ? Lors Anchise en pleurs esbouffant, Luy dit, Æneas, mon enfant, Quel dessein auez vous d’apprendre, Vn mal-heur qui vous feroit pendre, N’estoit que vous estes Chrestien, Espargnez-moy cét entretien ; Helas ! c’est vn de vostre race, A qui le destin dira passe, Et plus viste que Godenot, Le serrera sans dire mot. S’il vous monstre son nez en terre, C’est comme vn esclair du tonnerre, Et les Dieux deuiendroient ialoux, S’il estoit long-temps auec vous. Rien que pour vous en faire enuie, Ils ne luy donneront la vie, Que de cheueux de toutes parts, Arrachez dans le champ de Mars ? Quels cris, quels regrets, quels vacarmes, Quel horrible torrẽt de larmes ? Quand le Tibre rendu plus gros, Viendra pleurer dessus ses os. Mon fils pensez-vous qu’il s’en face. Des douzaines dans vostre race ? Ce sont pour vous parler sans fard, Les Deputez de Vaugirard. C’est vn tres-bel vn ce me semble, Troye & Rome iointes ensemble, Auec peine en fourniront deux, Romains, luy disant vos adieux, Souuenez vous qu’on trousse enballes, Des vertus les trois principales ; L’Esperance, la Charité, La Foy, que le tout est flusté. Par tout où luira sa rapiere, Le sage tournera visiere, Et le sot se presentera, De tous les costez qu’il ira, A pied, pourueu qu’il ait sa lance, A cheual, s’il vient en presence, Ie voy l’ennemy débandé, Comme pour le ieune Condé ; Vrayment s’il bride son courage, Et qu’on le baptise auec l’âge, Il s’appellera Marcellus, Mais s’il meurt il ne viura plus : Et quoy qu’il meure ou qu’il vieillisse, Ie luy prepare vn beau seruice, Ramassons le boucquet de fleurs, Nous donnerons bien tost les pleurs
Le pere & le fils ce me semble, Dans le deuis qu’ils ont ensemble, Où l’vn ny l’autre ne s’assied, Deuoient bien dancer sur vn pied :
En ce pays on void deux portes, Qui ie croy doiuent estre fortes, Quoy que Virgille ne l’ayt dit, Mais on peut rimer à credit : Il dit que là passent les songes, Qui sont vrays ou qui sont mẽsonges, S’ils sont vrays qu’on les fait passer, Deux à deux & sans se presser, Par la porte faite de corne : Si quelquefois l’oreille corne Que ce ne soient qu’illusions, Que fantosmes, que visions, Ceux-là par la porte d’yuoire, Viennent embroüiller la memoire, Et ce fut par ce dernier huis, Qu’Anchise ramena son fils, Il ne dit point comme ils sortirent, Ny les compliments qu’ils se firent : Encor que n’en parle l’autheur, Tu peux penser, amy Lecteur, Qu’adieu mon fils, adieu mon pere, Ce fut leur parole derniere. On lit que le bon Æneas, S’en alla le plus viste au pas, Dire qu’en mer on se remette, Qu’il fit cingler droit à Gayette, Qu’on ietta l’anchre du vaisseau.
Et moy qui treuue qu’il fait beau, Las d’estre tousiours sur des chaises, I’ay voulu pour prendre mes aises, Ietter la plume de la main, Adieu Lecteur iusqu’à demain.
FIN. |
Section précédent(e)
|
Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.