Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.
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L’ENFER
BVRLESQVE,
OV LE
SIXIESME DE L’ENEIDE
TRAVESTIE,
ET DEDIÉE
A MADAMOISELLE
DE CHEVREVSE.

Le tout accommodé à l’Histoire du Temps.

Iouxte la Copie imprimée à Anuers.

A PARIS

M. DC. XLIX

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A MADAMOISELLE
DE
CHEVREVSE.

MADAMOISELLE,

Depuis vostre retour,
que nous estimons vn des plus doux
& considerables fruicts de nostre
Paix, le desir que i’ay de vous dedier
le premier quelque Liure, m’a fait
precipiter cét Ouurage, qui n’a pas
moins besoin de vostre cœur pour le
defendre, que de vostre bonté pour

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le receuoir. I’auouë qu’il est inoüy
d’adresser l’Enfer à vn Ange, mais
c’est le propre d’vne personne genereuse,
comme vous estes, de proteger
tout ce qui demande de l’estre ;
au moins c’est auiourd’huy la mode :
& les derniers mouuements, dont
vostre seule presence rend le souuenir
agreable, sont des preuues qui
monstrent, que ceux de vostre qualité
ne doiuent plus regarder ce qu’ils
defendent, mais seulement ce qu’ils
ont entrepris. Si donc des princes en
ce iour ont estably pour maxime
d’honneur de maintenir des Diables,
qui les en auroient priez, peut-on
treuuer estrange que ie vous demande
protection pour l’Enfer, qui n’est
que leur demeure, & n’est pas criminel
comme eux. Ie croy que cela me
doit iustifier amplement auprés des
Censeurs les plus seueres, & que sans

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implorer dauantage vos bontez, qui
sont assez connuës, sans parler de vôtre
vertu, de vostre beauté, & de vôtre
naissance, qui sont égallement illustres,
pour ne vous obliger point à
lire vos loüanges, ie dois finir icy par
des protestations d’estre toute ma
vie,

 

MADAMOISELLE,

Vostre tres-humble & tres-obeïssant
seruiteur,
C. M. C. P. D.

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A
MONSIEVR VIRGILLE
sur son Eneide trauestie,
ET DEDIÉE
A MADAMOISELLE
DE CHEVREVSE.

 


VIRGILLE si ie vous déguise,
Ce n’est pas que ie vous méprise,
Ou que ie veüille vous ioüer,
Cher amy, croyez qu’au contraire,
I’ay voulu vous faire loüer,
De celle à qui les Dieux feroient gloire de
plaire.

 

 


Vous ne parliez pas vn langage,
Qui soit en regne de nostre âge,
Où l’on a banny l’ancien :
Vous n’en estes moins vn grand homme,
Mais le nouuel Italien
Fait qu’on estime peu celuy de vostre Rome.

 

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ADVIS
AV LECTEVR.

AMY Lecteur, i’auois fait ce Liure
pour le dõner escrit à la main, quand
vn Gentilhomme Flamand qui vint
à Paris l’emporta en Flandres, d’où
il me manda du depuis qu’il l’auoit fait imprimer,
& qu’il me prioit de luy enuoyer l’Epistre.
Ie me resolus à souffrir le debit d’vn Liure
qui se ressent des derniers troubles : Tel
qu’il soit, ie n’apprehende point les rieurs, il
est fait pour eux, & mon dessein est de faire
rire ; c’est vn ieu, vn diuertissement, ie pourrois
dire vne folie que ie ne mentirois pas
Enfin c’est du Burlesque que MonsieurScarron
a fait naistre, & porté dans le mesme iour, au
dernier point de l’agréement où il pourra iamais
monter. Ie ne crois pas qu’il me veüille
du mal d’vne faute que ie n’ay point commise,
puisque cét Ouurage est imprimé sans mon
consentement : Ouurage qui semble preuenir
le sien, mais qui luy sera tousiours de beaucoup

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posterieur. Lecteur ie te demande la grace
de vouloir suppléer, par ton esprit & ta charité,
à quelques vers imparfaits que ces Estrangers
n’ont pû lire. Adieu.

 

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A
MADAMOISELLE
DE
CHEVREVSE.
EPISTRE BVRLESQVE.

 


PHILIS, qui ne vous connoist pas ?
Et qui ne sçait que vos appas,
Des libertez vont à la queste,
Depuis les pieds iusqu’à la teste ?
Desia les quatre Mandians,
Contre vous tout haut vont crians ;
Desia maints cœurs se formalisent,
Dequoy vos yeux les deualisent,
Et confessent tous à la fois,
Que vos merites sont de poids.

 

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Moy seul que l’Amour n’embrasse,
Qui n’aspire point à la grace,
De mourir dans vostre prison,
Ny de vous seruir de tison ;
Ie ne demande, obiect aymable,
Que vous me soyez pitoyable,
Car ie me taste & ne sens point,
Du feu caché sous mon pourpoint.
Permettez qu’au meurtre ie crie,
Quand vous en voudrez à ma vie ;
Mais ie ne suis pas importun,
Comme vn anguille de Melun,
Qui crie auant que l’on l’escorche,
A present qu’Amour ny sa torche,
Ne m’ont point encore allumé,
Iapprehende d’estre enrhumé.
En vn mot ie vais vous tout dire,
Ie ne veux que vous faire rire.
Ie sçay bien que vous plairoit peu,
Qui vous parleroit de son feu,
Que vostre cœur seroit plus tendre,
A me voir mourir qu’à m’entendre :

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Aussi ie ne veux de douceur,
Non plus de vous que de ma sœur,
Mais bien pour mon liure vne œillade ;
Peut-estre il vous semblera fade,
Qui pourroit dire les dégouts,
Que fille d’esprit comme vous,
Peut auoir, en pareil rencontre,
I’y vois bien du pour & du contre :
Quelqu’vn dira qu’il ne vaut rien,
Que les vers n’en riment pas bien,
Que le stile en est satyrique,
Qu’il tient par trop de l’heroïque,
Qu’il adiouste & rogne à Marron,
Qu’il n’est pas de Monsieur Scarron,
Qu’il ne merite pas la grace,
Qu’vne de nos heures s’y passe,
Non pas vn seul de ces moments,
Que vous plaignez à vos amants :
Tout cy, tout çà : bien ie l’aduouë ;
Mais il est quelque temps qu’on iouë,
On n’est pas tousiours serieux,
Il se peut faire que vos yeux,

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Recrus de faire du carnage,
Voudront par fois vn autre ouurage,
Et que lors pourront estre ouuerts
Des Romans, des liures de vers,
En ce nombre par courtoisie,
Daignez-y souffrir ma Poësie,
Et vous obligerez l’Autheur,
De mourir

 

Vostre seruiteur.

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L’ENFER BVRLESQVE,
OV
LE SIXIESME DE L’ENEIDE
Trauestie.

 


Deussay-je passer par les
piques
D’vn tas d’impertinens
critiques,
Dont le sçauoir sera picqué
Par quelque mot mal expliqué,
I’entreprens de chanter Enée,
Et commence par la iournée
Que le maistre de son vaisseau
Palinure fut à van-l’eau.

 

 


Au sixiesme de l’Eneide,
Maistre Æneas perdit son guide,
Et cria d’vn tres-piteux ton,
Comme vn aueugle sans baston ;
Il dit ce qu’il auoit à dire,
Tandis que courrut son nauire
A bride abbatuë en la mer,
Iugez s’il alloit de bel air :
Finalement auprés de Cume,
(Ce ne pouuoit estre sans rhume,
Car il auoit crié trop fort)
Il se vit arriuer au port,
Et son cœur nageant dans la ioye
Oublia l’homme qui se noye.
D’abord on tourna le vaisseau,
Et par vn demy cercle en l’eau,
La proüe ayant fait volte-face,
La pouppe vint prendre sa place,
A mesme temps l’anchre ietté
Mit tout le monde en seureté :
Pas vn ne manqua de besongne,
Si l’vn appelle, l’autre cogne,
Sur tous vn tas de ieunes gars,
Qui sont d’ordinaires égrillards,
S’assemble en corps & se rallie
Dessus ce bord de l’Italie,
Cette jeunesse ne dort pas
Quand l’heure approche du repas :
De mesme accord ils vont en trouppe
Cueillir des herbes pour la souppe,
L’on m’a dit que ce fut des choux,
L’vn fait du feu de deux cailloux,
Et les frottant sur de la méche,
Que son camarade desseiche,
Ie me doute bien que par fois
Le pauure hõme attrappe ses doigts,
Vne bande plus esloignée,
Tenant en main vne cognée,
Court aux forests coupper du bois :
Vne autre bande abbit des noix,
Quelques-vns questent par la plaine
Pour découurir quelque fontaine,
I’entends ou fontaine, ou ruisseau :
Car pourueu que ce soit de l’eau,
Ils se la monstrent tous par signe,
Comme estant vn bon heur insigne,
Et témoignent par leurs clameurs
Que Desbarreaux n’est pas des leurs,
Luy qui prend pour mauuais augure
Quand il rencontre de l’eau pure.

 

 


Mais Enée a bien à songer
A d’autres choses qu’à manger,

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Ce deuot, cét homme d’exemple,
Cherche dans Cume vn certain tẽple
Où Phœbus estoit respecté
Plus que simple diuinité,
Soit qu’il eust appris de Virgille,
Que là demeuroit la Sybille,
Qui par le souffle d’Apollon,
Le ventre enflé comme vn ballon,
Et faisant d’estranges postures,
Predisoit les choses futures.
Il est déja proche du bois,
Qui fut à Diane autrefois,
Aduançant auec peu de suitte,
Il n’estoit encore heure induitte,
Qu’il se trouua sans sçauoir où,
Dans vn Temple ou dans le Perou,
Car tant sa richesse fut ample,
Il vit le Perou dans ce Temple :
Et du depuis il s’est vanté
Que le Diable l’auoit tenté
D’en dérober la grosse poutre,
Et qu’il auroit passé plus outre
Sans la peur de faire du bruit :
Ah ! si ç’auoit esté la nuit,
Ou qu’il l’eust pû mettre en sa poche,
Ou qu’il eut passé quelque coche,
Son prix auroit payé son port,
Estant d’vn or qui pesoit fort.

 

 


Ce Temple & tout ce qu’il estalle,
Fut jadis basty par Dedalle,
Du moins ie sçay bien qu’en parla
Le Gazettier de ce temps-là :
Et quoy que peut estre cét autre
Ait peu mentir comme le nostre,
Il escrit que fuyant Minos,
Ennemy qu’il auoit à dos,
Par des inuentions nouuelles
Dedalle se colle des aisles,
Qu’il s’eslance en l’air hardiment
Sur la foy de cét element :
Et qu’il continua sa course
Tant que deuers l’vne & l’autre ourse,
Comme vn coq il se vint jucher
Où l’on ne l’alloit pas chercher.
Ie vous puis donner ma parolle
Que ce Dedalle estoit vn drolle,
Car sans descendre en plat païs,
La crainte de ses ennemis
Le fit nantir de citadelle,
Et vrayment qu’il leur donna belle,
Quand à Cume vn pauure badaut
De Sergent le vit tout en haut :
Si Phœbus a bonne memoire,
Il en pourroit dire l’histoire,
Car dés qu’il fut en seureté,
Et les Preuosts d’autre costé,
Vous sçauez auec quel hommage
Il vous consacra son plumage,
Et tout ce qu’on dit que de plus
Il fit pour vous Monsieur Phœbus
Son zele vous bastit ce Temple,
Où d’abord mon Heros contemple
Si fixement qu’on l’auroit pris
Pour vn bon bourgeois de Paris :
Il estoit lors deuant la porte
Arresté comme l’on rapporte
A regarder Androgeon,
Lequel n’auoit pas eu du bon,
Il y voyoit sa face peinte
Du sang dont elle fut esteinte,
Il voyoit dans vn mesme rang
Le conte rendu de ce sang,
Car auprés la funeste image
De sept enfans qu’en leur bas aage
On fait tous les ans deuorer,
Pensa bien le faire pleurer,
Enfans d’Athenes qu’on enuoye
Du Minotaure estre la proye,
Et qu’à peints vn docte pinceau,
Tirans au fort dans vn chappeau,
Il n’auoit pas pris ses besicles
Celuy qui signa ces articles,
Helas, qu’au lieu d’eux tous les ans
Ne liuroit-il les Partisans ?
Ou plustost que n’est il encore
Pour ces gens quelque Minotaure ?

 

 


A l’opposite est buriné
Le païs où ce monstre est né,
C’est Crette, coste maritime,
Qui fut complice d’vn grand crime,
Où l’on vit amoureux taureau
Pere de ce terrible veau,

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Baiser Pasiphe qui se cache
Pour l’embrasser sous poil de vache,
Dont les cornes fort à propos
Restoient à son mary Minos.
Cét excrement d’amour impure,
Fait contre l’ordre de nature,
Ce genre meslé d’animal,
Et qui ne ressemble pas mal
A deux autres collez ensemble,
Qui n’alloit ny le pas, ny l’amble,
A son logis à son costé,
Pour son tribut tant redouté,
Ou si par fois on rend visité,
La sortie en est interdite,
Et ie croy que l’on peut sans bruit
Y porter son bonnet de nuit,
en vn mot c’est ce labyrinthe,
Dont on s’égarroit dans l’enceinte,
Où, sans le fil d’Ariadné,
Thesée eust esté fort berné,
Fil d’épinay, qu’à cette Dame,
Dedalle touché de sa flamme,
Donna, luy monstrant les détours,
Les verroux & les doubles tours,
Que fait la clef dans la serrure,
Dont à bon droit ie conjecture
Qu’il deuoit auoir notion,
Estant de son inuention.

 

 


Au milieu d’vn œuure si rare
L’on cherche la place d’Icare,
Mal-heureux fils qui fut si fou,
De vouloir se casser le cou ;
Dedalle auoit ja burinée
La moitiée de sa destinée,
Par deux fois l’ouurage laissé,
Et par deux fois recommancé ;
Il entreprenoit de poursuiure,
Quand sa main tombant sur le cuiure,
Le bras luy restant entrepris,
Son art fut court contre son fils,
Et le Peintre se trouua pere.
Ce que mon Heros considere,
Et d’autres figures auprés,
Comme s’il y venoit exprés,
Quand son Achatte le fidelle
Le releua de sentinelle,
Il l’auoit enuoyé deuant
Chercher les Moines du Conuent,
Auec luy s’en vint Deiplobe,
Traisnant sans doute longue robe,
Car la Prestresse d’Apollon
La doit porter iusqu’au talon,
Hé quoy, dit-elle, fils d’Anchise,
Quelle contenance à l’Eglise,
De bayer aprés vn Tableau ?
Pensez-vous que cela soit beau :
C’est ce que feroit vne femme,
Les enfans dedans nostre-Dame,
Deuant sainct Christophle à Paris,
Ne semblent pas plus ahuris,
Et les badauts qu’on nous enuoye,
Le sont biẽ moins que ceux de Troye[illisible]
Si vous tenez les bras croisez,
Ie vous feray mettre aux aisez ;
Et vous & vos gens sire Enée,
Employez mieux cette iournée,
Qu’on cherche sept petits Taureaux,
Qu’on les prẽne dans les trouppeaux,
Que l’innocence & le bas aage
A faits exempts du labourage ;
Vous voilà tous bien ébobis,
Il me faut autant de brebis
Qu’on choisira selon la mode,
Qui ne soient vieilles comme Herode,
Eu suitte on doit les immoler,
Elle fit tréve de parler.
Le grand Æneas ne s’oppose,
Fort prest à faire toute chose,
Iusqu’à suiure comme vn barbet
La Dame qui signe luy fait,
Et portant deuant la lanterne,
Le meine dans vne cauerne.

 

 


Vn grand pan qui sembloit creusé,
Soit que l’on s’y fut amusé,
Naturel, ou fait auec pelle,
D’vn rocher qui Cume s’appelle,
S’ouure par trois differents trous,
Et l’Oracle respond par tous.
On estoit proche de cét antre,
Desia presques mon Heros entre,
Quand la Sybille qui parla,
Dit d’vne voix rude, alte-là,

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Ainsi le veut la Destinée,
Et voulez vous pas bien Enée,
Ceder humblement au bon Dieu,
Le haut du paué dans ce lieu :
Il vient. Elle acheue auec peine,
Car soudain elle pert l’haleine,
On luy voit dresser les cheueux,
Blanchir la prunelle des yeux,
Changer de couleur (chose enorme)
Elle n’a plus rien de sa forme :
Elle est plus noire qu’vn pendu,
Son estomach s’est estendu,
Comme aux roüez dans vne place,
Quand ils ont eu le coup de grace :
Les gens d’Æneas effarez,
La pluspart se sont esgarez,
Chacun croit le Diable à sa queuë,
Ils võt plus d’vn grand quart de lieuë,
Fuyans ils se disoient entr’eux,
Est-ce ainsi que viennent les Dieux ?
L’autre que la frayeur transporte,
Quel Dieu ? que le Diable l’emporte,
Ne faisons point les esprits forts,
Ie suis rauy d’estre dehors.
Enée & d’autres de sa sorte,
Dont la peur n’estoit pas si forte
Deuant ce corps qui s’agrandit,
Si corps il pouuoit estre dit,
Attendoient tousiours dans cét antre,
Qu’elle eust le Diable dans le ventre,
Ou qu’il luy vinst au cul souffler,
Car il void ce corps se gonfler ;
Son attente ne fut friuolle,
Enfin elle prit la parolle.
Troyen, pourquoy vous effrayer ?
C’est à present qu’il faut prier,
Iupiter veut que l’on le presse,
Dites Mea culpa sans cesse :
Criez à le faire enrager,
Taschez par vœux à l’engager,
De faire ouurir cette cauerne,
Autrement ie veux qu’on me berne,
Si vous sçauez rien. Cela dit,
Pas vn seul mot on n’entendit :
Ce n’estoit manque de silence,
La peur faisoit belle audience,
Il faut qu’elle ne dit plus rien,
Et cependant ledit Troyen
Trembla plus que fueille de chesne,
Ou qu’vn criminel à la gesne.
Il vit au tour de luy ses gens,
Qui n’aiment point ces passe temps,
Sots comme des fondeurs de cloches,
Et tenants leurs mains dans leurs poches.
Tandis que chacun auoit peur,
Æneas prioit de bon cœur,
Et voicy mot pour mot la plainte,
Que pour lors luy dictoit la crainte.

 

 


Haut & puissant Dieu respecté,
Pour les marques de ta bonté,
Le seul espoit, la seule ioye,
Qui reste aux fugitifs de Troye,
Aymable Seigneur Apollon,
Qui sur ton charmant violon,
Nous donnois jadis serenades,
Auant le iour des barricades :
Toy-mesme ou ie me suis mépris,
Conduisois le bras de Paris,
Tu fus l’assassin homicide,
Qui blessa le pauure Eacide ;
Achille alors il s’appelloit,
Quand Paris qui tiroit fort droit,
Luy mit au talon vne fléche,
Seul endroit propre à faire bréche
Helas i’ay par tes mandemens,
Et par tes aduertissemens,
Esté si long temps dessus l’onde
Le plus miserable du monde :
I’ay si souuent manqué de pain,
Plus couru que n’a fait Caïn :
Tousiours la migraine ou colique,
M’ont fait compagnie en Affrique,
Dans vn pays si mal-aisé,
Où iamais ie n’ay reposé,
Qu’entre Syrte, ou quelque autre gouffre,
Et tu veux encor que ie souffre,
Enfin ie ne perdray pas tout,
Ie tiens de l’Italie vn bout,
Vous autres Dieux & vous Deesses,
Qui nous auez serré les fesses,
Qui pour vostre propre interest
Nous tourmẽtez quand il vous plaist :

-- 17 --


Quand mesme l’orgueilleuse Troye,
Eust esté vostre raba-ioye,
Ne l’auez vous pas mise à bas,
Nosseigneurs ne poursuiuez pas.
Si Paris vous a treuué laide,
Madame Iunon, quel remede ?
S’il a médit de vos gallants,
Si dans Troye on porta des glands,
Contre vostre expresse deffence,
Pour chastier cette insolence,
L’auez-vous pas bloquée ? helas,
Ma Reine, ne nous tuez pas.
Et toy Prophete si iolie,
Accorde à mon sort l’Italie,
Donne moy pour asseoir mes Dieux,
Ie suis las de courre auec eux :
Alors ie iure qu’à Diane,
Et qu’à Phœbus le Diaphane,
I’y feray bastir vn Palais,
Le plus riche qui fut iamais :
Que i’y feray chommer sa feste :
Et pour toy ma chere Prophete,
Ie : y donne vn grand cabinet,
Dont le paué sera bien net ;
De plus ie t’achepte vne malle,
Si ton cahier est encor salle :
Et si tu conduis bien ma nef,
Va i’y feray faire vne clef,
Où i’y commanderay des gardes,
Ainsi que si c’estoient mes hardes :
I’y commettray des Officiers,
Qui changeront tous les quartiers,
Seulement tiens les en bon ordre,
Que le vent n’y puisse point mordre,
Et porte-les, quand sera fait,
Debiter chez Toussaint Quinet.
Tandis que mon Heros demeurs,
A discourir le long d’vne heure,
Il ennuye à ceux qui sont là,
Et la Sybille pour cela
N’en paroist point plus mitigée,
Elle fait encor l’enragée :
Elle écume, elle se débat,
Ronge l’our let de son rabbat,
Tache par force & par addresse,
[illisible] le Dieu qui la presse.
Mais ce Dieu rit de ses efforts,
Il est le maistre de son corps,
Il la traisne, il la persecutte,
Il la bransle, il la culebutte,
En vn mot il a le pouuoir,
De la remettre en son deuoir,
Car malgré son humeur farouche,
Il luy fit trois points à la bouche,
Et luy racommoda le lieu,
Par où parla ce maistre Dieu.
Des ja ces roches toutes seules,
Ouurent leur centaine de gueulles,
Et par ces cent differents trous,
L’oracle se diuise à tous :
O le plus à plaindre du monde,
Leur dit il, le balot de l’onde,
Æneas, pauure Iodelet,
D’Eole cét esprit folet,
Prenez vne constance neuue,
Endossez cuirasse à l’épreuue,
Courage encore pour vn moment,
Ie vous promets contentement,
Les Troyens verront l’Italie,
Et Lauinia la iolie ;
Mais las ! si tost ils n’y seront,
Que s’en retirer ils voudront,
La mer qui leur semble importune,
Sera leur que de vous plus de trois
Ie sçay que de vous plus de trois
S’y mangeront le bout des doigts,
Qu’ils y feront piteuse trogne,
Car c’est bien pis qu’en Catalogne,
I’en voy plus aller chez Pluton,
Qu’à la prise de Charenton :
Ie voy le Tibre qui ne roule,
Que testes, bras, iambes en foule :
Ie le voy tout fumant de sang,
Que vous versez de vostre flanc,
Et dans cette image sanglante
Ie l’ay pris pour vn second Xante ;
Vn braue, vn Mars, tel que Condé,
Vn nouuel Achille mandé,
Né comme l’autre de Deesse,
Retiendra le pain de Goneffe,
Et vous fera mille tourments :
Pour lors vous verrez si ie ments ;

-- 18 --


Vous autez de rudes secousses,
Tousiours le malheur à vos trousses,
Harò sur vous, & tout de bon,
Esperez-vous fléchir Iunon ?
Ie vous vois gueux en cette guerre,
Prest de donner du nez en terre,
Mandier auiourd’huy du pain,
Et du secours le lendemain,
Que conduira la Bas......
Vos gens tourneront le derriere.
Faim, peste, soif, fer, pluye & feu,
Vous sont acquis, quel ieu Mathieu ?
Et le pis est que vostre peine
Naistra d’vne seconde Heleine,
Ne vous amusez pas pourtant,
Messire Enée à pleurer tant,
En tout cas faites bonne mine,
Que vostre grand cœur se raffine,
A mesure que le danger
S’efforcera de le changer.
Quelques trouppes viendrõt en lesse,
Et mesme vn Parlement de Grece.
Qui destruisit vostre Ilion,
Demandera la ionction :
Cette vnion inopinée,
Vous sauuera Monsieur Enée.

 

 


Ainsi l’Oracle ce dit-on,
Aux Troyens parloit bas Breton,
Et meslant au vray quelque doute,
Faisoit que nul n’y voyoit goutte.
La Diablesse dans son caucau,
Recommençoit tout de plus beau,
Et sans Apollon qui l’arreste,
Elle alloit faire encore la beste ;
Enfin son courroux appaisé,
Et son visage composé,
Inuitent le bon fils d’Anchise,
A luy declarer sans feintise,
Ce qu’il roulloit en son esprit,
Voicy ie croy comme il s’y prit.
Il ne manque plus à mes peines,
Que d’auoir les fiévres quartaines,
Mais si ce sont là tous mes coups,
I’en ay plus deuiné que vous.
Ie ne desire qu’vne chose,
Que dés long-temps ie me propose
Et que ie demande à genoux,
C’est que puis qu’õ va par chez vous,
Ou si par routtes effroyables,
On peut aller à tous les Diables,
Que i’aille embrasser mes parents,
Qui tiennent là les premiers rangs :
Rendre visite au pere Anchise,
Et luy donner neufue chemise,
Car i’ay peur en ces Pays bas.
Que les morts ne sauonnent pas.
Ie l’ay porté sur cette espaule,
Le bon Anchise, comme vn drolle,
Malgré les traits & les traits & les cailloux,
Qui pleuuoient à verse sur nous,
Et c’estoit bien autre incendie,
Que du tripot à comedie.
Il vous dira le bon vieillard,
Qu’il fut tousiours plus gras que lard,
(Dieux il estoit de bonne paste)
Car nous allions tant à la haste,
Qu’il n’auoit œufs frais en chemin,
Ny boüillon, ny parfois du pain.
C’est luy qui m’a dit Chose, Enée,
Va voir la Sybille Cumée :
Or douter de vostre pouuoir,
Vrayment il me feroit beau voir,
Ne sçait on pas que Dame Hecate,
De qui le nom par tout éclatte,
Vous a donné les clefs du bois,
Dont les morts se chauffẽt les doigts,
Et son bureau mis au passage,
De l’Enfer où d’aller i’enrage,
Orphée au dernier carnaual,
Aux damnez a donné le bal,
Il en a pû tirer sa femme,
Et son corps tenant à son ame,
A malgré Charon le chenu,
Passé la barque & reuenu.
Pensez-vous qu’à faux ie le die,
I’estois à cette Comedie,
Où i’entré par vn grand bon-heur,
Car sans estre de la faueur,
On ne laissoit passer personne,
Et moy-mesme ie m’en estonne,

* Sinon qu’on sceut que les Troyens,
Seroient vn iour Italiens.

-- 19 --


Pollux a pû rendre à son frere,
Vne place sur l’Hemisphere,
Et ses deux freres tour à tour,
Se prestant l’vsage du iour,
Se disent souuent l’vn à l’autre,
Ce iour mien sera demain vostre,
Sans que pourtant ces trop heureux,
Se puissent rencontrer tous deux,
Car de ces freres de merite,
L’vn meurt quand l’autre ressuscite.
Ils y vont quinze fois le mois,
Et ie n’iray pas vne fois ?
Voulez-vous que i’allegue Alcide,
Plus renommé que l’Eneide ?
Parleray-je de Theseus ?
Si pour couurir vostre refus,
Vous dites qu’on fit vne faute,
Ou que ces hommes de la coste,
De quelque Dieu sont descendus :
Et moy mieux que tous ces pendus,
En ligne perpendiculaire,
Du costé de ma chaste mere,
Propre neueu du grand Iupin,
Me prent on pour vn Turlupin ?
Æneas poussoit sa harangue,
Et ioüoit des mieux de la langue,
Quand la Sybile à ce qu’on dit
En ces termes luy répondit.
Pouppon de la race celeste,
I’auray donc beau vous dire peste,
De ce qui se passe là bas,
Vous ne vous en esbranlez pas ?
Mais voulez vous que ie vous die,
Pour moy si i’auois telle enuie,
I’en aurois le contentement :
On y peut aller aisément,
A pied par vn chemin sans pierre,
En carrosse, par eau, par terre,
Vous ne sçauriez pas aller mal,
Suiuez Monsieur le C.....
C’est vne routte fort commode,
Qui passe pour estre à la mode,
Où l’ou vient de tous les endroits ;
Routte bien que ie nommerois,
Si ma Muse estoit libertine,
Vue Routte à la Ma......
Ne craignez point d’arriuer tard,
On n’en a que trop tost sa part :
Nuit & iour la porte est ouuerte,
Elle l’est trop pour nostre perte,
Et l’on n’en ferme les battans,
Qu’aux mal-heureux qui sont dedãs,
Car vouloir tourner le derriere,
Mettez cette pensée arriere,
Les plus pagnottes ont l’honneur
D’y deuenir des gens de cœur :
Dans cette maudite contrée,
On ne prend point de droit d’entrée,
Mais d’en reuenir quand il plaist,
Ma foy c’est là que le Diable est.
Peu d’hommes que Dieu predestine,
Où germe la grace diuine,
Fort peu de disciples d’Arnaut,
Fort peu qui pretendent là haut ;
Ou qui pour y porter leurs quilles,
Reçoiuent assez d’vstencilles.
Pourtant si vous vous obstinez,
A rendre visite aux damnez,
Et dans vostre souhait burlesque,
d’aller voir cette gent Moresque :
Promò, i’impreuue vos desseins,
Secundò, i’en laue mes mains,
Tertiò, ie dis qu’vne plante,
Pour son ombrage sort plaisante,
Porte vne branche toute d’or,
Laquelle branche est vn thresor :
Elle est sacrée à Proserpine,
Comme il n’est rose sans espine ;
Vn bois haut la met à couuert,
Par son feüillage en tout temps vert.
Quelqu’vn dit que des arbres sõbres,
Cachent la branche de leurs ombres,
N’esperez iamais sans ce don,
Voir le Domaine de Pluton.
Sa femme qui veut qu’on luy porte,
A mis des Suisses à la porte ;
Au reste prenez hardiment,
Puis qu’vne autre en mesme moment,
Vient en la place de l’absente,
Qu’au naïf elle represente.
Regardez bien de coin en coin,
Ayez lunettes au besoin,

-- 20 --


Faites affiller vostre veuë,
Que la pointe en soit bien aiguë,
Pour cela i’yrois dés demain
Chez l’Oculite Theuenain ;
Puis quand vous treuuerez la cache,
Qu aussi-tost vostre main l’arrache ;
I’ay tort, prenez l’a doucement,
Elle suiura facillement,
Si c’est le destin qui vous meine,
Autrement il n’est force humaine,
Olinde, lame de damas,
Ny cousteau fait au coutelas,
Chastelleraut, Moulins, Vienne,
Qui face que le rameau vienne,
Auant que ce soit son plaisir,
Enfin si vous auez loisir,
Vous treuuerez vn corps qui traisne,
Ie voy que vous estes en peine,
Ce corps vous porte moults guignõs,
Il a fait germer vos oignons,
Fait enfuir le pot à la souppe,
Bref tres-fatal à vostre trouppe.
Il estoit de vos bons amis
La veille qu’à mort il fut mis ;
Ayez soin qu’on l’enseuelisse,
Et qu’on luy chante vn beau seruice,
Item, disoit-elle, c’est tout :
Lors que s’estant leué debout,
Æneas fort melancholique,
Quitta cét esprit prophetique.
On iuge à le voir arpenter,
Comme à l’entendre lamentes,
Que luy causera mainte bille,
Ce qu’a predit Dame Sybille.
Son fidelle Achatte vanté,
Qui le suit tousiours a costé,
Court auec luy la pretantaine,
Et n’est dans vne moindre peine,
De sçauoir ce qu’ils ont perdu,
Et quel amy gist estendu.
Mais comme ils viennent sur l’areine,
Ils treuuent le corps de Misenne
Misenne le tambour d’Hector,
Que quelqu’vn auoit mis à mort ;
Et pour lors le fiffre d’Enée,
Depuis la facheuse iournée
Que son deffunct maistre alla voir,
Si le Dieu Pluton estoit noir.
Ce mort trompettoit à merueilles,
Donnoit du cœur par les oreilles,
Animoit dans tous les combats
Admirablement les soldats,
Se seruant dans vne deffaite,
Et de sa fluste & de sa brette.
Lors que son maistre trespassa,
Au logis d’Enée il passa,
Et témoigna qu’il estoit sage,
Parce qu’il monta d’vn estage.
Mais las tandis qu’innocemment,
Au bord de l’humide element,
Il s’amuse à sonner la charge,
Il ne prenoit pas la descharge,
Dont Triton peut estre enuieux,
(Si l’on peut soupçonner les Dieux)
Le pauure Misenne menace,
Heureux s’il eut eu calebasse,
Car helas le malin Triton
Ne l’eut pas fait couler à fond.
Il fit tant boire nostre chantre,
Qu’il creu[illisible] par le bas du ventre,
Et puis il le renuoya mort
Dessus ce pitoyable bord.
La gent Troyenne se ramasse,
A l’entour de cette carcasse,
Et poussent tous de si hauts cris,
Que ie les ouys de Paris.
Entr’autres le pieux Enée,
De pleurs a la face baignée,
Quand sans remettre au lendemain,
Ce monde à l’œuure met la main,
Et chacun d’eux se rent vtille,
Pour satisfaire à la Sybille.
Les vns esleuent vn Autel,
Ceux de qui le dessein est tel,
Mettent des arbres l’vn sur l’autre,
Les femmes disent patenostre,
Les hõmes n’õt point mal aux doigts,
Quelques-vns vont coupper du bois,
Dans vne forest tres-profonde,
Et du mesme temps que le monde,
Retraitte ancienne des loups,
Le bois retentit de leurs coups :

-- 21 --


Aussi l’on aduance besogne,
Ce n’est point en vain que l’on cogne,
Le bruit qu’ils font en ce mestier,
N’est pas le bruit d’vn bahutier,
Celuy de la cheute des chesnes,
Est le digne fruict de leurs peine,
Donnant des coups à ce bois neuf,
Capables de tuer vn bœuf.
D’vne hache ils ont fait bicestre,
Aux pins, aux fresnes, au bois d’hestre
Et l’ardeur ce peuple a porté,
Iusqu’à mener du bois flotté.

 

La chasõ
[illisible] vous n’e[illisible]
Italiẽs,
[illisible]ous ne
[illisible]errez
point l’Or[illisible]

 


Æneas qui les encourage,
Ne fait gueres moins qu’eux d’ouurage,
Il auoit desia lié prés
D’vne vingtaine de cotterets,
Lors qu’en cette forest espoisse
Il luy prit vne grande angoisse,
Ah, dit il, monstrant vn ormeau,
Pourquoy n’est ce là ce rameau,
Dont parloit tantost la Sybille,
Ie connois qu’elle est fort habille ;
Et de Misenne le trespas,
Me fait voir qu’elle ne ment pas.
Il acheuoit à tire d’aille,
Voicy deux ramiers qu’on appelle,
Virgile dit pigeons communs,
Des bisets disent quelques vns,
Et n’en desplaise au sieur Virgille
Loin de bourg, noblesse de ville,
De fuyes, & de coulombiers,
C’estoient ou bisets ou ramier :
Parbleu des pigeons domestiques,
Ne sont assez melancholiques
Pour aimer les sombres forests,
Si ce n’est que Venus exprés
Leur eut chaussé cette humeur sõbre,
Qui fit qu’ils chercherent de l’ombre.
Æneas qui les a connus,
Pour oyseaux de Dame Venus,
Leur fit vne telle priere,
Comme ils luy rasoient la visiere,
Oisillons moins gros qu’vn chameau,
Conduisez moy vers ce rameau,
Et faites-m’en passer l’enuie,
Mamman, mignogne, ie vous prie.
Il dit : & les suit de ses yeux ;
Il n’en a qu’à demy de deux.
Et plus que certaine donzelle,
Il exerça lors sa prunelle,
Eux ne voltigeoient pas plus loin,
Qu’ils pensoient en auoir besoin,
Pour aller chercher dequoy viure,
Sans qu’il eut de peine à les suiure :
Quand en face du lac d’Enfer,
Aussi puant que Lucifer,
Toutes deux se leuent de terre,
Et par vn vol pris à grand’erre,
Sur arbres vont prés du Troyen,
Percher chacune sur le sien :
Arbres, d’où vient lueur certaine,
Qui donne aux hommes la migraine,
Charmant trompeur, subtil appas,
Qui n’entend ou qui n’en veut pas ?
C’est de l’or que par le Virgille,
Qu’il appelle vne glus subtille,
Pour moy ie croy qu’il a raison,
L’or est la gluë de la saison.
Ce que sçachant cét esprit rare,
Vn peu plus bas il le compare
A la lueur que rend la glus,
Quand en hyuer les arbres nuds
Sont pris s’ils ne prennent la fuite,
Par celle qu’ils n’ont point produite
Et qu’elle s’attache à leurs troncs,
Tous les plus grãds & les plus ronds,
Sous les voilles d’vn puissant chesne,
La branche paroissoit à peine,
L’ombre qu’il faisoit à l’entour,
Ny souffroit pas le moindre iour :
Mais la lueur qu’elle a renduë,
Sa fueille qu’vn Zephir a meuë,
Qui pour estre d’or fait du bruict,
Ioint que ce n’estoit point la nuit,
Qu’Æneas n’estoit pas vn borgne,
Qu’attentiuement il la lorgne,
Tout cela fit qu’il s’approcha,
Qu’il la connut & l’arracha,
Non qu’elle se mit en deffence
Il creut dans son impatience,
Qu’elle pourroit luy resister,
Tellement qu’il la fit haster :

-- 22 --


Il craignoit s’il l’eut courtisée,
Qu’elle ne se fut aduisée
De demander quelque ruban,
Son manchon, sa coiffe, ou son gan,
Et tout ce dont la moins coquette
Manque quand la partie est faite,
Crainte de ces empeschemens,
Il l’emporta sans complimens,
D’vne façon plus inciuille,
Que Charmoi n’enleue vne fille.
Cependant les pauures Troyens,
Qui trauailloient comme des chiens,
Hastoient le conuoy de Misenne,
L’ingrat qui ne prit pas la peine
De dire à pas vn de ces gens,
Dieu vous le rende auec le temps.
D’abord, à force de matiere,
Qui semble d’vne forest entiere,
Bois fendu, busches & rondins,
Des fresnes, des chesnes, des pins,
Qu’à mesure qu’on amoncelle,
L’on frotte de suif de chandelle,
Ils éleuent vn grand bucher,
Où ce corps ils veulent iucher,
Et le poussent dans vne nuë,
Tant qu’on en a mal à la veuë,
A gauche, à droit, deuant, aprés,
Ils l entrelardent de cyprés,
Et dés que la pille fut faite,
Au dessus ils posent sa brette :
Quelques-vns font boüillir de l’eau,
Les autres la tirent au seau,
Et preparent vn bain matie,
Pour cette carcasse pourrie,
Auec lard & beurre à foison,
En le graissant comme vn oison,
Ils témoignent que l’heure approche,
Qu’ils le feront rostir sans broche.
Desia les grands cris de ce lieu,
Sont signes qu’on luy dit Adieu,
Desia dans son lit de parade,
Ils ont mis ce pauure malade :
Les vns portent vn iuste corps
Qu’on fait de bois à tous les morts,
Dieu nous garde d’auoir affaire
De ce Tailleur qui les sçait faire.
Il a prou de solliciteurs,
Il n a que trop de seruiteurs,
Chacun luy couure quelque membre,
Mais tous mauuais valets de Chãbre,
Des Troyens les plus apparens,
En la place de ses parens,
Vont les premiers apres la biere,
Et tenant flambeaux par derriere,
Cõme on voit Messieurs les Laquais
Les porter deuant nos coquets ;
Ainsi faisant piteuse mine,
Ils bruslerent nostre machine ;
Et le Seigneur Vulcain prit part,
Aux [1 lettre ill.]estes d’vn morceau de laid,
Il saisit l huile auec la couppe,
Il mit tout en feu comme estouppe,
Et du costé qu’il se treuua,
Au Diable rien qui se sauua.
Quand Vulcain fut las de mal faire,
Quand il leur permit de soustraire,
Ce qui restoit de son repas,
Où les os ne manquerent pas.
Sortant du feu vous pouuez croire,
Qu ils auoient grand besoin de boire,
Et qu ils estoient fort alterez,
Aussi vrayment vous en aurez,
Tout du meilleur qu’on puisse vẽdre ;
On fit aussi boire la cendre,
Que du depuis le grand Chorin,
Serra dans vn bassin d airain ;
Et comme le Poëte recite,
Il fit par trois fois l’eau beniste :
En suite il monta pour prescher
Sur les ruines du bucher.

 

Le rapt cõmis
aux
Filles Dieu.

 


Cependant Æneas le pie,
Ne joüoit pas à la touppie,
Il court, il en est tout en eau,
Il creuse luy mesme vn tombeau,
Pour mettre le corps de Misenne,
Sur vne montaigne prochaine,
Qui depuis vn long temps passé.
Retient le nom du trespassé.
Bref sans obmettre vne vetille,
Il suit l’ordre de la Sybille.
Vn cachot obscur & plus laid,
Que n’est le petit Chastelet,

-- 23 --


Est entouré du lac d’Auoine,
C’est vne profonde cauerne,
Mise à couuert par des forests,
Que Pluton fit planter auprés.
De sa gueulle large & vilaine
Elle engloutiroit la balaine :
Elle a ses costes de fin roc,
Et peut dire cela m’est hoc,
Dans l’instãt que quelque hyrõdelle,
Ou qu’vn oiseau vole sur elle :
Iamais vn moineau seulement,
Ny sceut passer impunement,
Tant iette odeur de reculée
Sa gueulle demantibulée.
En ces quartiers il fait beau voir
Quatre grands taureaux à poil noir,
A qui le Prestre auec hommage,
Verse du vin sur le visage,
Qu’ils ont salle & plein de bourbier,
Ce Prestre, assez mauuais barbier,
Leur ayant fait vne garcette,
Le petit bout du poil il iette
A la mercy des sacrées feux,
Et se met à meugler comme eux,
D vn ton de voix peu delicate,
Inuoquant la puissante Hecate,
A qui pourtant il ne parla,
Bien qu’il soit vray qu’il l’appella.
Son apprentif prés de la gorge,
De la victime qu il égorge,
Ainsi que s il auoit dessein
De la raser, tend vn bassin
Sous cette victime saignée.
Mais garre, le vaillant Enée,
Tire sa serpe le premier,
Ie pense que ce grand guerrier
Desire auoir part à la gloire,
De tuer vne brebis noire ;
Il court apres, il la poursuit,
Enfin il l’immole à la nuit,
Et la partage en vne escuelle,
Pour sa sœur la terre & pour elle.
L’esprit de la femme à Pluton,
Qui ne doit pas estre trop bon,
Fait qu’il la veut rendre propice,
Par le trespas d’vne genisse.
Or le soir desia venu,
Le Roy des Diables n’a rien eu :
Ou met ordre pour des grillades,
Des saupiquets, des estouffades,
N’ayant plus les pauures mondains,
Rien de reste que les boudins,
Que pourroit-on faire autre chose ?
On les fait cuire, on les arrose,
Mais voicy bien vn autre jeu.
Enée estoit aupres du feu,
A la mesme heure que fit Gille
Sa Majesté de nostre ville ;
La terre commence à mouuoir,
D’abord le Troyen crût auoir
Vapeur vineuse en sa caboche,
Il luy semble que chacun cloche,
Luy mesme de luy mesme rit,
Et sans qu’il vit branler son lit,
Comme vn de ses gens se répandre,
Il ne le pourroit pas comprendre ;
Ce valet tombe de son haut,
Ou ie suis yure, ou ce maraut,
S’écria ce grand Capitaine,
Ou bien le monde se promeine
En effet il n’estoit point fou,
Il n auoit beu ny peu ny prou,
Et la terre sans railleries
Estoit pour lors aux Tuilleries,
Il entend aboyer des chiens,
Mais d’vn autre ton que les siens,
Qui gardent ses maisons champestres,
Mon Heros trousseroit ses guestres,
Tant il eut pour deux ou trois fois,
N’estoit qu’il connoist à la voix,
Que c’est la [illisible] Cumée,
Qui ne parut point enthumée,
Ains crioit à s égosiller,
Ne veulent ils pas s’en aller
Tous ces Mazarins, ces prophanes,
Ces petits maistres, ces grands asnes ?
Sortez dis je, & n’approchez pas,
Les bois seulement de cent pas ;
Pour vous aduancez sieur Enée,
Tenant flamberge degainée,
C’est à present que nous verrons,
Si vous estes de ces poltrons,

-- 24 --


Que la crainte de la famine,
Soumit à la loy [illisible]......,
Et fit. Sans acheuer [illisible]
Elle rentra dans son cachot.
Le Troyen la suit de pied ferme,
Et refusant de prendre terme,
Luy fait voir par cette action,
Qu’il a le cœur & le pied bon.
O Dieux, disoit il en luy mesme,
Vous qui portez le Diadéme,
Souuerains arbitres des morts,
Du Phlegeton & de ses bords,
S’il se pouuoit faire qu Enée,
Vit par vn trou de cheminée,
Par où peut manger vn esprit,
Comment il parle ou qu’il écrit :
Si vous esleuez des canailles,
A combien se montent vos tailles.
Si vous vous chaussez haut ou plat ;
Quels sont vos Ministres d’Estat,
Si vous les prenez d’Italie,
Si vous les triez de la lie,
Si vous endurez des Traittans,
Des Monopoleurs, des Prestans,
Ou des Intendans de Iustice,
Trosnes illustres de tout vice :
Et tant de choses qu Eneas
Pourroit vous demander là bas.
Le Ciel n’auoit point de lumiere,
Ils vont tous seuls & sans lizieres,
Tastonnant auec vn baston,
Au trauers des choux de Pluton.
Le plus grand aueugle du monde,
Dans vne forest tres profonde,
Durant la plus obscure nuit,
Où pas vne estoille ne luit,
Se seruiroit mieux de sa veuë,
Qu’Enée en sa route inconnuë.

 

 


Aupres du premier pont-leuis,
Ont leurs cabanes vis à vis,
Les pleurs, le soucy, la tristesse,
Les maux, les fiévres, la vieillesse,
La crainte, la necessité,
La faim, animal indompté,
Le trauail dont chacun s’échappe,
Et la mort qui tous nous attrape ;
Car contre son cruel effort,
Rien au monde n’est assez fort,
Elle en priue plus de la vie
Que ne font les yeux de Siluie,
Ie n’entends pas les comparer,
Mais on en void plus expirér.
Toutes ces guenons sont si laides,
Que ce sont d’amour des remedes,
Qui voudroit le plus debauché
Auoir auec vne couché.
Ces gauppes, ces salles furies,
Ces vieilles chiennes, ces voiries,
Ces laides masques, ces lidrons,
Sont autant de dames pil......
Ces sorcieres escheuelées,
Ces putains pis que verollées,
Ces, ces, tout ce qu’il vous plaira,
Au Diable qui les aimera,
Necessité, mal, ny tristesse,
Trauail, ny faim, mort ny vieillesse ;
Elles ont bien si peu d’appas,
Que les Demons n’en veulent pas,
Et c’est la raison la plus forte
Que ces monstres sont hors la porte.
D’autre costé gueres loin d’eux,
La guerre qui ne vaut pas mieux,
Le sommeil, le plaisir infame,
Le vray destructeur de nostre ame,
Des mortels le subtil poison,
Loüent cent francs vne maison,
Aupres la cruelle discorde,
Riualle de misericorde,
Demeure depuis tres long temps,
Pour cheueux elle a des serpens,
Vne vipere est sa guirlande,
Et personne n’est de sa bande,
Ne se pouuant pas souffrir d’eux.
Vn peu plus loin au milieu d’eux
On voit vn vieil & puissant orme,
Dont la taille paroist enorme,
Qui iette des bras à foison,
Capables de porter maison :
Sous sa feüille habitent les songes,
Ou plustost des nuicts les mẽsonges,
En suite plusieurs animaux,
Des grenoüilles, lezarts, crapaux,

-- 25 --


des Centaures ioints à la Scylle,
Font le passage difficille :
Briarée auec ses cent bras,
Le portier de ces Pays-bas,
Soustenu par la beste lerne,
Tient le guichet de la cauerne :
Vne chimere vomit du feu
Deuant la porte de ce lieu :
Des harpies & des gorgonnes,
Qui n’ont point mine d’estre bonnes,
Auroient fait fuir le Duc d’Vs.
Quand il eut veu Geryon : mais
Pour le genereux fils d’Anchise,
Il les regarde sans surprise,
Virgille, qui le fait coyon,
Dit qu’il craint, moy ie dis que non,
Et pour nous accorder ensẽble,
Qu’il n’a pas de peur, mais qu’il tremble,
Soudain il met le fer au vent,
Et si ceux qui vont au deuant
Luy penser friser la moustache,
Il monstre qu’il n’est point gauache,
On le void aussi tost aprés,
Il pousse, il les ioints de si prés,
Que leurs portãt en tierce, en quarte,
Il les rompt, les suit, les écarte,
Or sans la guide qui luy dit,
Qu’on ne peut blesser vn esprit,
Ie croy qu’il feroit du carnage,
Tant il se porte de courage,
Acharné sur ces pauures morts,
Comme s’ils auoient vn vray corps ;
Mais la il est dans ces bourrasques
Reduit à les appeller masques.

 

 


De là l’on enfille de front
Le grand chemin de Acheront,
Acheront, de qui les marées,
Au fleuue Styx portẽt denrées,
Styx, qui n’est qu’vn marais bourbeux,
Où vous en auriez iusques aux yeux,
Et qui d’vne mare petite,
Fait par aprés le grand Cocyte.
Le Suisse qui garde ces eaux,
A qui Pluton les donne à baux
Nommé Charon, a sur la face,
Tout au moins quatre doigts de crasse :
Son poil du menton & du sein,
Est plus long [illisible] d’vn Medecin :
Son œil d’vne [illisible] trempe,
Eclaire noir comme vne lampe ;
Sur vn bras portant son pour point,
On croit d’abord qu’il n’en a point :
Tout son fait est noüé derriere,
Il est sanglé d’vne estriuiere,
Et le canapsat est tout tel,
D’vn Pelerin de sainct Michel ;
C’est luy seul qui conduit sa barque,
Au moins nul Autheur ne remarque,
Qu’autre meine les trepassez,
Encor qu’il soit vieil d’age assez,
Tant il retient de sa ieunesse,
Dans sa vigoureuse vieillesse,
Et son poil de neige couuert,
N’empesche pas qu’il ne soit vert,
Au bord de gros escadrons d’ames,
Comtes, Marquis, Barons, Vidames,
François, Polonois, Allemans,
Maris, femmes, pappas, mammans,
Courent comme en temps de prieres,
Les enfans deuant les Banieres.
Tout suit, les Gassions,du temps,
Les Nobles, les petites gens,
Les Princes, les pauures, les riches,
Les Beauforts, ainsi que les Guiches,
Les Chastillons, & les Clanleus,
Et les enfans mis dans les feus
En la presence de leurs peres,
Les pucelles, les sœurs, les freres,
Enfin les ieunes & les vieux
Font vn salmigondis piteux.
Tout ce monde se presse en trouppe,
Ainsi que les gueux à la souppe ;
Ou comme vers les premiers froids,
Les fueilles tombent trois à trois,
Ces pauures esprits peslemesle,
Fondent en ces lieux comme gresle,
Plus dru que ne font estourneaux,
Ou si vous voulez des moineaux,
A qui l’Hyuer donne la chasse,
Lors que leur trouppe la Mer passe,
Et leurs bataillons ébahis,
S’en vont chercher d’autres pays :

-- 26 --


Ainsi ces ames par prieres,
Taschent de passer des premieres,
Il faut bien croire que ces morts,
N’õt pas fort bon temps sur ces bords,
Mais le maistre de la nacelle,
Prend les vns, les autres harcelle,
Et quand il commence à gronder,
Comme il les fait tous debander.
Æneas durant ce tumulte,
Qui connoist de loin la dispute,
Sans sçauoir pour qui ny pourquoy,
Vierge, ce dit il, contez-moy
D’où vient que les esprits se rendent
A ce fleuue, & ce qu’ils demandent :
Iamais Paris ne fit bruit tel,
Pour sauuer Monsieur de Broussel,
A t’on laissé libre au caprice,
Que ce barboüillé les choisisse ?
Où vont ceux cy ? que font ceux là ?
A quoy la guide dit cela.
Voicy le Styx & le Cocytte,
Vous sçauez ce que l’on éuite,
Qu’il prẽd aux Dieux vn trẽblement,
Quand par le Styx ils font serment,
Et qu’ayme mieux leur eminence,
Leuer la main dans l’Audience :
Cette trouppe que vous voyez,
Ce sont la pluspart gens noyez,
Qui n’ont point eu de sepulture,
Ou que les Loups ont pour pasture,
Ou pour qui chanté l’on n’aura
Deprofundis, ny Libera.
Le bastelier Caron s’appelle :
Ceux qu’il porte dans sa nacelle,
Sont ceux qui furent enterrez,
Et firent gagner leurs Curez.
Pour les corps qu’on traisne aux voiries,
Les pendus, les anatomies,
Ceux qui deffrayent les turbots,
Qui mettent la nappe aux corbeaux,
Et ceux qui sont nez en Sicile,
Ils ont beau trauestir Virgille,
Ronger leurs ongles, iusqu’à tant
Que l’on change de mil six cent :
Ce terme escheu, l’on leur fait grace,
Et comme d’autres on les passe.
Æneas demeure interdit,
A ce pitoyable recit,
Il sent pour eux quelque tendresse,
Dans les malheurs il s’interesse,
Principalement à l’abord
Qu’il vit Leucaspe sur ce bord,
* Leucaspe & le fidelle Oronte,
Dont le vent n’auoit tenu conte,
Qu’auoit ce gourmand engloutis,
Sans songer s’ils estoient rostis,
Dans cette effroyable tempeste,
Que Iunon faisoit de sa teste,
Où Neptune enragea si fort,
Qu’on lit qu’il iura par la mort.
Il void aussi dans cette plaine,
Palinure, qui se demeine,
Luy qui faisant vn Almanac,
Tomba l’autre iour de son bac,
Dans vn element aquatique.
Durant la routte de l’Affrique.
A peine Æneas crut ses yeux,
Il s’approcha pour le voir mieux,
Et n’en doutant plus, Palinure,
Est-ce vous ? par quelle aduanture
Les Dieux vous ont ils esloigné ?
Et pourquoy vous ont ils baigné ?
Dittes donc, car vostre mort seulle
Me feroit donner sur la gueulle,
Du Prophete qui m’a menty,
Quand le maraut m’a guaranty,
Que vous estiez encor en vie,
Et que vous verrez l’Italie :
Helas ! vous ne la verrez point ;
Faut-il qu’il me trompe en ce point,
Luy qui me tint tousiours parolle,
Sans iamais m’auoir donné colle ?
Dieux me voicy bien attrappé.
Non non, vous n’estes point trompé,
Respond le triste Palinure ;
Sçauez-vous que c’est faire iniure
A ce bon maistre deuineur,
Et qu’il est vn homme d’honneur :
Ie ne suis point mort par trop boire,
Rayez-le de vostre memoire ;
Le gouuernail m’estoit resté,
Et quelque sot l’auroit quitté.

-- 27 --


Il est bien vray qu’en la pensée
De vostre barque delaissée,
Quoy qu’il me sauuast du trespas,
I’aurois voulu ne l’auoir pas :
Ie considerois moins ma vie,
Que vostre barque mal seruie,
Mais pourtant i’allois mon chemin,
Tenant ce gouuernail en main :
A la faueur de son escorte,
Ie marché trois nuicts de la sorte ;
Enfin le quatriesme iour,
Ouurant les yeux plus grands qu’vn four,
I’apperceus vn bout d’Italie :
Iugez, Monsieur, si ie r’alie
Toutes mes forces au plustost,
Ie criois à nage pataut,
Et i’estois presque en asseurance :
Mais qui l’auroit dit quãd i’y pense ?
Ie commençois à m’accrocher,
A la barbe d’vn gros rocher,
Quand ma chienne de houppelande,
D’vn fin camelot de Holande,
Fit appel à quelques filloux,
Qui me chargerent à grands coups,
Sans me permettre deux paroles,
Pensant que i’auois des pistoles :
Ie sers à present de plaisir
Aux vagues qui sont de loisir,
Et Messieurs les Vẽts, de leur grace,
Bernent quelquefois ma carcasse.
Ah ! tirez-moy de ce malheur,
Grand Prince, remply de valeur,
Au nom du iour, de vostre pere,
De vostre tante & vostre mere,
Où si vous en desirez plus,
Au nom du petit Iulus.
Prenez pitié de ma detresse,
Et souffrez qu’à vous ie m’adresse,
Pour faire mon enterrement,
Vous le pouuez bien aisément ;
Enquestez-vous du port Veline,
Mon corps y fait piteuse mine :
Ou si par chemins inconnus,
Que vous auriez sçeu de Venus,
(Car vous ne passez pas à nage)
Par vn guay, par quelque passage,
Que vous auroiẽt monstré les Dieux,
Qui vous appellent en ces lieux ;
Si vous trauersez l’autre riue,
Permettez moy que ie vous suiue,
Et que i’aille mesme chemin ;
Ou si vous me donniez la main,
A vous voir mener ma pauure ame,
On la prendroit pour vostre femme,
Elle passeroit sous ce nom,
Mais la guide respondit non :
De quand estes-vous hipochondre,
Dit-elle, puis qu’il faut respondre ?
Esprit, en croyez-vous auoit ?
Mal aduisé venez sçauoir ?
Que vostre inutile priere,
Ne vous peut passer la riuiere ;
Autant en emporte le vent,
Vous ne sçauriez venir deuant,
Que vostre charogne salaupe,
N’ait veule pays de la taupe,
Ainsi le veut l’Arrest des Dieux ;
Et ces Arrests là tiennent mieux,
Que ceux contre son Eminence,
Allez, ie vous donne asseurance,
Que vous passerez dans vn temps :
Ce terme est, dit-il, de cent ans :
Il n’est pas si long, luy dit-elle :
Et comment donc, dit-il, ma belle :
C’est que la gent qui, ce dit-on.
Vous immola pour vn teston :
Il est trop vray, dit Palinure,
Ie n’en auois qu’vn, ie vous iure :
Sçachez, dit-elle, que la gent
Qui vous prit la vie & l’argent,
Ayant connu l’ire celeste,
Qu’elle craint autant que la peste,
Enterrera pour son repos
Plus que pour le vostre, vos os
Qu’elle vous fera sepulture,
Qui se dira de Palinure.
Qui, dit-il, luy dira mon nom ?
Ce sera, dit-elle, Apollon.
Or dans ces dit-il, & dit-elle,
Sans dire adieu Madamoiselle,
Au milieu d’vn discours qu’il tint,
On ne sçait que l’esprit deuint,

 

* C’est cõme
en parle
Mõsieur
Scaron. au
premier de
l’Eneide,
où il décrit
cette tempeste.

-- 28 --

 


Cependant le pieux Enée,
Qui veut employer sa iournée,
Presente à sa guide la main,
Et tous deux vont leur grãd chemin.
Ils estoient prés de la riuiere,
Quand par deuant ou par derriere,
Charon, qui les vit aborder,
(Iugez s’il se prit à gronder)
S’écria renfrogné de rage,
D’où nous vient ce nouueau visage ?
Qui m’ameine ce fanfaron ?
Espere-il dupper Charon ?
Alte là ! tu serois vn diable,
Que si tu branle, ie t’accable.
Cà, çà, qu’on t’entende chanter,
Qui te fait icy presenter ?
Vous pensiez auec vos espades,
Venir faire des gasconnades ?
C’est icy le lieu de la nuit,
Il ne s’y meine point de bruit,
Et les ombres qui s’y reposent,
N’aiment ceux qui troubler les osent.
Retournez-vous-en, beau coquet,
On n’a point icy le bouquet,
On ne courtise point nos filles,
Vous n’estes pas icy chez Gilles,
Chez les Baigneurs, chez Martial,
Aux Marais, dans le cours, au bal,
Il n’est point icy de coquettes,
Ny pour vn double de fleurettes,
Il ne s’y fait point de cocu,
Allez, & tournez moy le cu :
Aussi bien vous seriez mon frere,
Que ie ne pourrois pas vous plaire,
On m’a deffendu tres-souuent
De passer rien qui soit viuant ;
Et mes deffenses les dernieres,
Portent sur peine d’estriuieres :
I’auois passé de ces marauts,
Que vous appellez des Heros,
Vostre petit frippon d’Alcide,
Ie ne sçay si i’estois timide,
Et si sa mine me fit peur,
Ou plustost s’il gagna mon cœur,
Mais en faisant le bon Apostre,
Ce chien de Heros, prit le nostre.

Il enleua
Cerbere.


Tous ces coquins venus des Dieux,
La plus part n’en valent pas mieux :
Tesmoin ce goujat de Thesée,
Qui pensa chose fort aisée,
Auec son amy Pirython,
De rauir la femme à Pluton.
Ie songe encor à ces infames,
Qui croyoient débaucher nos fẽmes,
Vouloient-ils ces luxurieux
Donner le Pennache à nos Dieux ?
Pretendoient-ils les miserables
Faire les cornes à nos diables ?
On ne les peut punir assez,
Ces godelureaux, ces Vas.
Qui de Madame Proserpine,
Vinrent faire vne Fueillantine.
La guide crût qu’il seroit bon
De coupper là, Monsieur Charon.
Ne vous fachez point, vieil Rodrigue,
Nous ne venons pas pour intrigue,
Et moins pour faire des Nepueux,
Des chastes femmes de nos Dieux :
Nos armes sont pour la deffence,
Non pour aucune violence :
Cette espée à nostre costé,
Vous marque nostre qualité,
Et si nous en portons, c’est comme
En doit porter vn Gentilhomme.
Que vos chiens tant qu’il leur plaira,
(Maudit soit qui s’en soucira)
Hurlẽt, pourueu que l’on mette ordre
A ce qu’ils ne nous puissent mordre :
Que la bonne femme à Pluton,
Proserpine, soit chaste ou non,
Qu’elle soit seuere ou facille,
Nous le ietterions à croix-pille.
Monsieur est vaillant comme Mars,
Mais ce n’est point de ces pendars,
Qui vinrent dans vos Republiques,
Pour rendre vos femmes publiques.
Son propre nom, c’est Æneas,
Son surnom, ie ne le sçay pas ;
Il est de Nation Troyenne,
Et de race fort ancienne :
Il demande à voir son Papa,
Que la parque noire attrapa :

-- 29 --


Si tout cela point ne vous touche,
I’ay dequoy vous fermer la bouche.
Alors elle prend son rameau,
Qu’elle auoit sous son deuanteau :
Il estoit d’or. Adieu cholere :
Deslors Charon veut bien se taire.
Ah ! craignons que l’or quelque iour,
N’ait mesme effet sur nostre Cour.
Ce n’est pas sans raison qu’on trẽble,
L’or qui les mit là bas ensemble,
Les peut icy haut separer ;
Mais nous deuons mieux esperer :
Quand l’or auroit cette puissance,
Il ne s’en trouue plus en France,
Soit que quelqu’vn craignant ce mal,
Eloigne vn dangereux métal :
* Soit qu’vne seconde Sybille,
Comme l’autre née en Sicille,
Dans les enfers le porte encor,
On ne sçait que deuient cét or.
La reflexion est jolie
Qu’Enée y fut par l’Italie,
Et qu’on nous aduertit sous-main,
Que nostre or tient mesme chemin.
Bref, Charon ne peut rien produire
Contre ce rameau qu’il voit luire :
Il perd iugement & raison,
Il admire le fatal don,
Que depuis tant d’ames qu’il meine,
Il ne vit que cette semaine.
Ie vous laisse à penser l’effort
Qu’il fait pour estre viste à bord ;
Soudain pour auoir plus de place,
A bons grands coup de croc il chasse
Les esprits hors de son batteau ;
Il en iette partie en l’eau,
Croyant qu’vn si grand personnage
Meritoit luy seul vn voyage.
En vn mot, il prend Æneas,
La bar que tremble sous ses pas,
Si nous voulons croire Virgille,
Mais ce fut comme la Bastille :
Ie confesse que par ses bords,
Qu’il dit cousus de fil retors,
Elle prit d’eau quelque bouteille :
Est-ce vne si grande merueille ?
Pour moy, ie tiens tout asseuré,
Que le fil n’estoit pas serré.
Au surplus mon Heros arriue,
Auec sa guide à l’autre riue,
Ou comme il n’estoit pas botté,
Il fut si tellement crotté,
Que dans ce marecage infame
Ie sçay qu’il iuroit en son ame,
Luy qui fut vn homme de bien,
N’auroit pas iuré pour vn rien,
Vn grand païs qu’il considere
Est sous la garde de Cerbere ;
Grand chien dont la voix seulement
Feroit tomber vn bastiment :
Trois gosiers tiennent à sa teste,
Et c’est la Roche, il ne s’enqueste :
Meschant, qui se laisse dit-on
Moins surprendre que Charenton :
Ce gros & venerable dogue
Est bien d’vn naturel si rogue,
Qu’en jeu iamais rien il ne prend,
Son large derriere il respand
Sur le carreau mal à son aise,
Depuis qu’il a rompu sa chaise :
La guide crût asseurément
Qu’il leurs seroit vn compliment :
Or pour l’éuiter par addresse,
Dans le mesme instant qu’il se dresse,
Et cent serpens auec son corps,
Qu’il leue par diuers ressorts,
Tant c’est vne grande machine,
Que sa prodigieuse échine :
Elle ayma mieux Paller treuuer,
Et l’ayant pris à son leuer,
Luy dit en parole choisie,
Monsieur, c’est trop de courtoisie,
Ie n’ay pas le temps d’arrester,
Ie ne veux que vous presenter
Vostre part d’vne bonne tourte,
Auec regret qu’elle est si courte.
Elle tire vn gasteau de miel,
Propre pour temperer son fiel ;
Lui tout d’vn coup ouurãt trois guelles
Capables d’aualler trois meulles,
Le reçoit dans l’vne des trois,
Iugez s’il en fit à deux fois.

-- 30 --


Mais tandis qu’il cõmence à prendre
Ses mesures pour mieux s’estendre,
La guide eut le temps de sortir,
Æneas de se guarantir,
Comme le beau garde de balle,
Ce chien s’accrouppit en oualle,
Et couure les carreaux entiers
D’vn cul, dont il a trop d’vn tiers.
Le Troyen poursuiuant sa routte,
La premiere fois qu’il écoutte,
Il oit comme les foibles cris,
De quelques fort ieunes esprits,
Des plaintes d’vn petit qu’on berce,
Quand vne grosse dent luy perce,
Des gemissements éleuez,
Tels que font les enfans trouuez.
Ce sont ceux-là que de nourrice
La mort arracha par caprice ;
Aupres d’eux demeurent les gens
Qu’on a fait mourir innocens,
Auec la mal-heureuse bande
Des battus qui payent l’amende.

 

[illisible]

* La Sybille
Cumée étoit
Sicilienne.

Enée descẽdit
aux Enfers
par la
Sicille.

 


Or ces païs, quoy qu’infernaux,
N’en sont point moins Presidiaux,
Et la connoissance du Code,
Est comme chez nous à la mode :
Minos President au Mortier,
Fort habille homme en ce mestier,
A soin d’y rendre la Iustice ;
Ce Iuge ne prend point d’espice,
Semestre & Paullette en ces lieux,
Ce sont des noms tres odieux :
On n’y parle point d’Eminence,
De Priué Conseil, ny Regence :
Tuteur dans la minorité,
Ce Parlement est respecté :
Nul prisonnier en ces demeures
Ne l’est apres vingt & quatre heures :
Les plaidans y tirent au sort,
Pour sçauoir s’ils ont droit ou tort,
Tousiours les Iuges ordinaires,
Et iamais aucuns Commissaires.

 

 


Si vous poussez encor vn pas,
Vous trouuerez vn peu plus bas
Les ames qui mal conseillées
Sans congé s’en sont en allées,
Sots esprits, d’eux-mesme en ce [1 mot ill.]
Iuges, bourreaux & patiens,
Bouchers de leur propre furie,
Et les veaux de leur boucherie :
Bons Dieux ! qu’ils se treuuent camus
A l’instant qu’ils ne viuent plus ?
Helas ! pour retourner sur terre
Est-il de paix, est-il de guerre,
Lettre de Cachet, Hostel-Deiu,
Est il pour sortir de ce lieu
Rien au mõde qu’ils n’embrassassent ?
De Fauory qu’ils ne chassassent ?
Et voudroient-ils bien se tenir
A quelque poinct pour reuenir ?
Mais quoy d’auoir quitté la vie,
C’est vne chienne de folie,
Que iamais on ne fit deux fois ;
Ils ont beau se ronger les doigts,
En vain ils regardent derriere,
Le sort a fermé la barriere ;
Ils ont desiré d’y venir,
Il faut creuer ou s’y tenir,
Le Stix y fait vn marecage,
Qui ne se passe point à nage :
Ils ne treuuent plus de batteau
Qui les reporte sur cette eau :
Ce Lac qui de neuf bras les ferme,
Ne leurs a point donné de terme.

 

 


Gueres loings de ces mal-heureux,
Si vous voulez ietter les yeux,
Vous verrez à perte de veuë,
Vne plaine fort estenduë,
Qu’ils disent plaine de douleurs,
Le champ des souspirs & des pleurs.
C’est le chantier des allumettes,
Que Monsieur Cupidon a faites,
De ceux qu’à bruslé iusqu’aux os
Ce petit Dieu trouble repos :
Ces pauures fols melancholiques,
Qu’amour rendit paralytiques,
Ces amants qui furent discrets,
Cherchent encor les lieux secrets,
Ils cherissent la solitude,
Ils gardent leur inquietude,
Mes Dames, vous ne croiriez pas,
Qu’ils aiment apres le trespas ;

-- 31 --


Que les Dieux, belles inhumaines,
Ne leurs dõnẽt point d’autres peines,
Ces Dieux connoissant le tourment
Que l’on endure en vous aimant.
* Là depuis que vous estes née,
Tousiours quelque ombre infortunée,
Déplorable effet de vos coups,
Phylis y vient parler de vous :
Là de vos vertus la legende
Sert d’entretien à cette bande,
Et ie ne m’en estonne plus,
Vous les auez tellement crus,
Qu’entre ces mal-heureux, les vostres
Sont desia plus forts que les autres.
Là Virgille, ce grand esprit,
Asseure, mais ie croy qu’il rit,
Qu’il se rencontre aussi des femmes,
Que l’amour brusle de ses flammes :
Il falloit que ce fut iadis,
Car à present si ie le dis,
Ce sera contre ma pensée,
Qu’on monstre vne femme blessée,
Bien loin d’estre morte d’amour,
Ie les tiens rares en ce iour ;
Ah ! que n’en ay ie recontrées,
I’en aurois peuplé ces contrées.
Phœdre s’y tient auec Procris,
Eriphile y fait de grands cris,
Auec Euadné la pudique,
Et Pasiphaé la lubrique :
Cadamic est de leur troupeau ;
Enée y monstre son museau,
Qui fut Monsieur, qui fut Madame,
Et termina ses iours en femme.
On y void la ruine Didon,
(Dieu veüille luy faire pardon)
Qui s’estoit fraischement occise,
Pour les beaux yeux du fils d’Anchise :
Elle sortit d’vne forest,
Où d’entrer Enée estoit prest,
Qui d’abord qu’il l’eust apperceuë,
Ou qu’il crût pouuoir l’auoir veuë,
Ainsi qu’vn premier iour du mois
On regardera quelquefois
Si l’on verra leuer la Lune,
(La comparaison est commune)
Et c’est pour prouuer seulement,
Qu’il ne le sçauroit bonnement :
Mais sa larmoyante prunelle,
Me fait croire que ce fut elle :
Dés aussi-tost qu’il l’auisa,
Le Troyen la galantisa.
Faut il Reine trop mal heureuse,
Que la Gazette la menteuse,
Et l’ignorant Courier François,
Ait dit vray la premiere fois ?
Vous vous estes assassinée,
Pour moy chetif & pauure Enée ?
Vous estes morte bel object,
Et pour vn si maigre suject ?
Helas ! quittant vostre riuage,
Les pleurs couloient sur mon visage :
Par tous les diables & les Dieux,
Nous coucherions encor tous deux.
Sans leur souueraine puissance,
Force majeure, & violence,
Qui me traisne encor à present,
Dans vn pays si mal plaisant.
Qui l’eut dit ? plus ie me regarde,
Moins ie m’en serois mis en garde,
Que pour vn Nicolas le Drû,
Vous eussiez le cœur si feru,
Ny que Reine fut forcenée,
Pour vn estranger tel qu’Enée.
Belle fugitiue alte-là,
Ne me refusez pas cela ;
Qui fuyez-vous belle farouche ?
Estes vous borgne, aueugle, ou louche ?
D’vn mot seulemẽt & c’est tout,
De vos regards d’vn petit bout,
Obligez moy belle maligne,
C’est pour iamais que ie vous guigne.
Auec ces termes de parler,
Mon galland croit la cajoler :
Mais ses yeux semblent sans paroles,
Ne promettre pas poires molles ;
Ne luy presentant que le dos,
Pour respondre à ces doux propos,
Elle tient en bas son optique,
D’vne façon melancholique,
Monstrant que tel croit estre bien,
Chez Madame, qui ne tient rien,

-- 32 --


Et qu’en cette maudite terre
Les Dieux l’ont trauestie en pierre.
Mais il estoit trop tard. Didon,
De faire nargue à Cupidon,
Lors que tu fus, il falloit estre
Ce que tu voudrois bien parestre.
Dans le moment que tu n’est plus,
Et faire au monde tes refus :
Il falloit lors la mallebosse,
Fuyr comme vn cheual de carosse ;
Monstrer comme tu fais les dents,
Auiourd’huy qu’il n’en est plus tẽps.
En fin cette viuante roche
Se sauue en vne forest proche,
Forest, où son premier mary
Fait vn triste chariuary :
Où l’vne apres l’autre ces ames,
Conséruant leurs premieres flammes,
Font dans leur soucy mutuel,
Coquericaut perpetuel.
Le bon Æneas la galoppe,
Si ce n’est point fable d’Esope,
Mais cõme il la croit prendre au bras,
Il treuue qu’elle n’en a pas.
Apres auoir fait l’impossible,
L’esprit se rendant inuisible,
Il reprend son premier sentier,
Tant qu’il entre dans vn quartier,
Où les poltrons n’ont point d’entrée,
C’estoit vne grande contrée,
Des champs qui ne sont possedez,
Que par les Bourbons & Condez,
Où l’on ne donne plus de places
Qu’à ceux de l’vne de ces races.
Thides’y presente à ses yeux,
Auec Parthenope le preux,
Et i’ay leu dans vn Paraphraste,
Qu’il y vit la forme d’Adraste :
Il y trouua ses Citoyens,
Et les illustres des Troyens,
Qui morts dans la derriere guerre,
Font pleurer sans oignon la terre :
Luy-mesme y moüilla son mouchoir,
Dans vn long rang qu’il vint à voir,
Des Antenorides, des Glauques,
Des Medontes, des Tersiloques,
Tous des Beauforts des temps passez.
Auant qu’ils fussent trespassez,
Donc les ames furent si bonnes,
De vouloir mourir en personnes,
I’aurois pris Procureur exprés :
Il y vit aussi de Cerés,
Le grand aumosnier Polybeste,
Qui de mourir fut aussi beste,
Qu’Ides de Priam le chartier,
Dont ce n’estoit point le mestier :
L’vn deuoit dire son breuiaire,
Et quitter cette humeur guerriere :
L’autre mener son tombereau,
Apprendre son diahureau,
Qu’il crie en enfer (dit Virgile)
Encor, mais il est inutile.
Aupres d’Æneas ces esprits
Semblent les enfans de Paris :
Vne partie à droit l’assiege,
Comme le Roy dans vn College,
Vne autre de l’autre costé,
Donc il en perdit grauité,
(Car il n’estoit pas d’humeur fiere)
Ces esprits deuant & derriere
L’entourrent fort passionnez,
De le regarder sous le nez.
L’vn dit agz, sa houppellande
Est faite de drap de Hollande,
L’autre dit, regardez ses gans,
Ses canons, sa poudre, & ses glans,
Il est vrayment, quelqu’vn s’escrie,
Dans la haute galanterie,
Et tous qu’Enée est plus coquet,
Que la chanson n’a point Par.
De ses ames les plus Gentilles,
Luy demandant des Vaudeuilles,
Des bouts-rimés, des triolets,
Et des nouuelles du Palais,
Quelqu’autre bouffõne & crotesque,
La lettre au Cardinal burlesque.
Or pour les Archiducs Gregeois,
On ne leurs redit pas deux fois,
Que ce Monsieur s’appelle Enée,
Qu’ils courrent à grande iournée,
C’est à qui drillera le mieux,
Ils pensent qu’ils vient apres eux,

-- 33 --


Et dans la terreur qui les pousse,
Ils ont encor Hector en trousse,
Quelques-vns taschent de crier,
Quand ils ne font que begayer,
Ils ouurent la gueulle assez grande,
Pour estourdir toute vne bande,
Mais de penser former des mots,
Zeste, ces esprits sont bien sots.
Æneas connut auec peine,
Deiphobe dans cette pleine,
Le propre fils de Priamus,
Que les Grecs rendirent camus,
Que par des rigueurs nom pareilles,
Ils priuerent de ses oreilles,
Et pour porter leurs cruautez,
Dans toutes les extremitez
Soit modernes, soit anciennes,
Luy rognerent toutes les siennes.
D’abord que le Troyen l’eut veu,
Qui Trembloit d’estre reconnu,
Et comme le Poëte raconte,
Qui tenoit sa main sur sa honte :
Deiphobe, dit Æneas,
Braue qui ne descendez pas,
D’vn qui se mouchast sur la manche,
Fils de Teucer à barbe blanche,
Quelle effroyable cruauté,
Vous a de sorte escarmoté ?
Ainsi qu’on m’auoit fait entendre,
Vous vous estiez laissé respandre,
Sur vn tas de corps morts Gregeois,
Ce n’estoit pas pour deux ou trois,
Nous disoit le bruit de la ville ;
Vous en auiez enuoyé mille,
Marquer vostre place icy bas,
Mais ie voy que cela n’est pas :
Moy-mesme sur ce bruit friuole,
Ie vous en donne ma parole,
Vous fis vn tombeau dans Rhœté,
Où vostre corps n’auroit esté :
I’appellé par trois fois vostre ombre,
Qui n’estant pas encor du nombre,
N’auoit garde de dire mot,
Maugrébieu i’estois vn bon sot :
Ce ne sont point des choses feintes,
Vos armes y sont encor peintes,
Le tombeau porte vostre nom,
Personne ne dira que non.
L’esprit ne voulant pas se taire,
Vous auez fait ce qu’on peut faire :
Amy, luy dit-il, pour vn mort,
Quand on fait bien, on n’a pas tort :
Mais vne comette maligne,
Iointe à l’obiect le plus insigne,
En perfidie, en cruauté,
En débauche, en impieté,
Le plus meschant, le plus infame,
En vn mot, ma putain de femme,
Ma de cette sorte accourcy.
Il vous en souuient, Seignor si,
De cette nuict que nous passames,
Et la derniere pour tant d’ames ;
Nuict donc le iour fut veu de peu,
Que nul ne se leua sans feu,
Nuict des Roys que faisant ripaille,
Nous bruslasmes tous comme paille,
On ne se souuiendra qu’assez,
De cette nuict des Trespassez,
Quand ce cheual sur nos murailles,
Le sujet de nos funerailles,
Par le conseil de quelques fous,
Grimpé, nous donna du dessous,
Et tout farcy d’Infanterie,
Il nous mit à la boucherie.
Ma bonne femme cependant,
Auec l’ennemy s’entendant,
Feignit de faire des orgies,
Achepta de grosses bougies,
Et prenant filles pour cela,
Les ennemis elle appella
Du haut de nostre citadelle,
En leur monstrant vne chandelle.
Moy qui d’vn mois n’auois dormy,
Et qui ne dors pas à demy,
Iugez si le sommeil m’arriue,
Dans des draps tous blancs de lesciue,
Ie m’ettendois auec plaisir,
Pensant en auoir le loisir.
La Dame prent ma hallebarde,
Que la nuict ie mettois en garde,
Mon fusil & mes pistolets,
Iusqu’à des manches de balets,

-- 34 --


Donc elle crût que ma vaillance
Auroit pû faire resistance.
Vous sçauez entre vous & moy,
Qu’on auoit cessé le biuoy.
Elle ouure à Menelas la porte,
Qui ne manquoit pas de main forte,
Se flattant que par mon trespas,
Elle appaiseroit Menelas :
En vn mot les ennemis viennent,
Ces homicides me surprennent :
Eolide fut mon parrain,
Vous connoissez le pellerin.
Dieux rendez-leurs auec vsure,
Si ma passion à mesure,
Ce que les traistres m’ont presté,
Ou plustost ce qu’ils m’ont osté.
C’est à vous le dé fils d’Anchise,
Qu’Æneas à son tour m’instruise,
Du dessein qu’il a dans ces lieux,
Si c’est par le vouloir des Dieux,
S’il ne s’est point perdu sur l’onde,
Quitté par mesgarde le monde,
Et s’il n’est point par ses malheurs,
Poussé dans ces lieux de douleurs.

 

Biuoy. garde
extraordinaire
quãd l’ennemy
est
proche.

 


Tandis que l’esprit ainsi cause,
L’Aurore dans son char de rose,
Se faisoit ramener du cours,
A voir enfiler leurs discours ;
L’esprit faisant venir des chaises,
Ses valets preparant des fraises,
Il estoit aisé de iuger,
Qu’ils ne pouuoient si tost bouger :
Et ie crois que Messer Enée,
Auroit mis là sa matinée,
Sans la guide qui l’impreuuant,
Luy dit fort bien en se leuant,
Trefue de la ceremonie,
Saluez vostre compagnie,
Vous passeriez icy le iour,
Mais la nuict aduance à son tour :
Vertubleu vous auez à faire
Bien d’autre besogne qu’à braire :
Voyez-vous ce chemin là bas,
Comme il se diuise en deux bras,
Le gauche meine à tous les diables,
Où les damnez sont miserables :
Dieu nous garde de cét endroit :
L’autre chemin qui tourne à droit,
C’est celuy que nous deuons prendre,
Et c’est luy qui pourra nous rendre,
Plus viste au champ Elysien,
Où demeurent les gens de bien.
L’esprit qui void que c’est luy dire,
Ouuertement qu’il se retire,
Dame, ne nous poussez pas tant,
Dit-il, cela n’est pas seant :
Ie m’en vais acheuer le nombre
Des ans qu’il faut que ie sois ombre ;
Pour vous allez maistre Æneas,
Dieu vous garde d’vn pareil cas.
Lors ce courtois esprit s’enuole,
Aussi viste que sa parole.

 

 


Mon Heros ses yeux délegua,
Ou la Sybille a dit aga,
Et vit autre part qu’à la droit,
Dessous vne roche fort droite,
Vn grand lieu rendu regulier,
Par vn esprit particulier ;
C’est vn fort qu’a fait imprenable,
La Mathematique du Diable.
Vn mur, deux murs, puis encore vn,
Ce sont trois murs dira quelqu’vn ;
Disons s’il le veut trois murailles,
Mettent à couuert ses entrailles,
Trois murailles, sont encor peu,
Vn fleuue qui roulle du feu,
Et des roches toutes entieres,
Sert à ce pays de frontieres.
On void la porte de deuant,
Estre presqu’au dessus du vent,
Pour sa hauteur hors de mesure,
Les pilliers sont de pierre dure,
Qu’on casseroit moins aisément,
Qu’on a fait Semestre Normand ;
Et que les Dieux fussent-ils quatre,
N’auroient pas la force d’abattre.
Là Thysiphone sur le seüil,
A iamais ne fermera l’œil,
Meschante ame, bonne Vedette,
Portant sanglante chemisette,
Et le Suisse qui iour & nuit,
Prent garde si quelqu’vn ne fuit.

-- 35 --


De loin vne voix peu mignonne,
S’entend auec les coups qu’on donne,
Voix comme de plusieurs Taureaux,
Ou les cris de la place aux Veaux,
Ou comme vn cliquetis d’espée,
L’vne contre l’autre frappée ;
Enfin ces malheureux damnez,
Font bruit en diables déchaisnez,
C’est pis qu’vne femme qui cause,
Et c’est encore toute autre chose.

 

 


Nostre Troyen tout ahury,
Fit presques vn aussi grand cry :
La peste quelles sont les fautes,
De qui les peines sont si hautes ?
Ie petille de le sçauoir,
Dit-il, mais non point de le voir.
Contez le moy Madamoiselle :
La guide fit response telle.
Æneas genereux Troyen,
Iamais vn seul homme de bien
N’entra dans cette caue basse,
Pour nous dire ce qui s’y passe :
Moy mesme n’aurois passé l’huis,
Moy comme vous sçauez qui suis,
Du bois d’Auerne gardienne,
Sans Hecatte qui prit la peine,
Malgré Rhadamante & ses dens,
De m’en faire voir le dedans ;
C’est dedans que son Throsne plante
L’impitoyable Rhadamante,
Ce Iuge tranche du fendant,
C’est encor pis qu’vn Intendant :
C’est luy qui selon les offences,
Donne d’horribles penitences.
Il fait degoiser vn discret,
Ce qu’il a fait de plus secret,
Ses sentimens les plus intimes,
Et les plus cachez de ses crimes.
Si c’est vn Courtisan François,
Il veut sçauoir combien de fois
Il a fait le peché de Rome,
Ie voulois dire de Sodome :
Mais si c’est vn Italien,
Il ne luy demandera rien ;
Il l’abandonne à Tysiphonne,
Qui prent des escourgez d’vne aune,
Et qui d’vne main l’empoignant,
Escorche le Seignor seignant,
Ensuite les autres coupables,
Sont fessez comme de beaux diables :
A gauche elle tient des Serpents,
Qui leurs monstrent de longues dẽts,
Lors ils sont en triste équipage,
Pour les éfrayer dauantage,
Main forte elle crie à ses sœurs,
Tandis la porte des douleurs
S’ouure, & ses pantes mal-graissées,
Leurs rendent les dents agacées.
Considerez vous les beaux yeux,
De celle qui garde ces lieux ?
Ne la treuuez vous pas mignonne,
La Damoiselle Tysiphonne,
Et Champagne auec ses fers chauds,
Coiffoit il mieux par serpenteaux ?
Mais ce n’est rien au prix de celle
Qui fait là-dedans la cruelle,
Auec plus de seuerité,
Que la belle qu’on a chanté,
C’est Hydra l’aimable farouche,
Qui fait tant la petite bouche ;
Si petite bouche est cent trous,
Capables de nous croquer tous,
Ie croy qu’elle l’a fort petite,
Et c’est peu selon son merite.

 

 


C’est là le veritable Enfer,
Où regne le grand Lucifer :
Toutes les caues en sont belles,
Si les caues se disent telles,
Qui plus bas ont leur fondement,
Elles le sont infiniment :
Et comme on le sçauroit connoistre,
Le vin bien frais y deuroit estre,
Le fonds en estant aussi creux,
Que le haut est proche des Cieux,
Dans les plus basses de ces caues,
Ces Titans qui faisoient les braues,
S’y treuuent pour leurs vanitez,
Par la foudre precipitez ;
I’y vis garder place, & plus d’vne,
Pour ces champignons de fortune,
Qui bien que crus en vne nuict,
N’en fons le matin moins de bruit,

-- 36 --


Et qui venus d’vn chetif homme,
Marchandent des chapeaux à Rome :
Ces donneurs d’auis sogrenus,
Ces neants qui sont paruenus,
Et qui fauoris des Altesses.
Traisnent leur maistre en leurs bassesses.
I’y vis les deux fils Alous,
Ces deux Colosses si connus,
Qui des Dieux par ingratitude,
Troublerent la beatitude,
Ces deux insignes mal-faicteurs,
Les voulant chasser en peteurs.
Seroit-ce pas vn pareil crime,
D’vn qui deuroit sa legitime,
A la bonté du Parlement,
Et qui le perdroit laschement ?

 

 


I’y vis Salmoné, qui sur terre
Vouloit se mocquer du Tonnerre,
Et par vn caprice inoüy,
Faisoit Bedoudou comme luy :
Le galland dans vne charete,
Qui d’estain sonnant estoit faite,
Que tiroient quatre grands mulets,
S’en alloit dancer des ballets,
Portoit des momons par la Grece,
Et roullant de grande vitesse,
Auec vne lampe à sa main,
Vouloit vn honneur plus qu’humain :
Fol qui deuint poudre de Cypre,
Long-temps deuant que fut pris Ipre ;
Singe qui par trop curieux,
Obligea le grand Roy des Cieux,
De lancer sur ce miserable,
Vn coup de foudre espouuentable,
Qui luy fit dire, helas ! le mien
Estoit vn beau foudre de chien.
Ie croy cette manie égalle,
A la licence generalle,
D’abuser de l’authorité
D’vn Roy dans sa minorité,
Et ie tiens qu’vn pareil supplice,
Est vn exemple de Iustice,
Que doit vn ialoux Potentat,
A l’vnité de son Estat.

 

 


Cét abysme effroyable enserre
Tityon, le fils de la terre.
De qui le corps couché tout plat,
N’eut pas laissé passer vn rat,
Durant neuf grands arpents d’espace
Tant il en fournissoit la place.
Dans ses entrailles vn Vautour,
Y vit à gogo nuit & iour,
Et sa rage perpetuelle,
Treuue de la chair eternelle :
Dieux ! il faut que le fonds soit bon
De l’estomach de Tityon,
Et que du Vautour qu’il endure,
La dent soit horriblement dure,
Car le premier qui seroit las,
A l’autre ne suffiroit pas.
A ce Vautour ie tiens semblable,
La conuoitise insatiable,
De certains Messieurs de nos iours,
Qui riches, amassent tousiours :
Aux malheureux hommes qu’il rõge,
Se rapporte bien quand i’y songe,
Vn criminel dont le remords,
Luy fait souffrir dix mille morts,
Et iamais pourtant ne luy donne
Vne pauure mort qui soit bonne.

 

 


Parleray-je de Pirriton,
Qui faisoit des qu’en dira ton
De nostre Reine Proserpine ?
Ou des Lapithes gens mutine ?
Iugez s’ils y sont malheureux,
Vne grosse pierre sur eux
Pendante, à faire tousiours preste
Des pommes cuites de leur teste,
Les retient dans vn douteux sort,
Qui n’est pas vie & n’est pas mort,
A ce sort incertain ressemble
Celuy d’vn Ministre qui tremble.
Et qui depuis vn iuste Arrest,
Ne sçait s’il n’est plus ou s’il est.

 

 


Vn à qui la faim enragée,
A la dent d’vne aune allongée,
Void vn fort superbe festin,
En plats d’argent & non d’estain,
Où tout ce que magnificence
Fournit d’agreable à la pance,
On a soin d’y faire trouuer :
Il se depesche de lauer,

-- 37 --


On souffre qu’à table il se mette,
Qu’il s’attache sa seruiette :
Iusqu’à son Benedicité
Ou a tousiours patienté :
Mais quand sa bouche est preparée,
Qu’il souffle sur la cuillerée,
Vne Furie à ses costez,
En a tous ses habits gastez :
Il en veut prendre vne seconde,
Quand cette Megere qui gronde,
Tenant vn fallot allumé,
Sans attendre qu’il ait humé,
Luy desserre sur le visage ;
Elle le bat, elle l’outrage.
Se peut-il rien plus mal-heureux ?
Et ce Parasite fameux,
Qu’vn grãd Seigneur fit par des Suisses
Rouer de coups iambes & cuisses,
Comme il pensoit prendre vn repas.
(Helas ! il ne s’en doutoit pas)
Pust-il estre plus miserable,
Qu’est aux Enfers ce pauure diable ?

 

 


On y void des freres damnez,
L’vn encor sur l’autre acharnez,
De qui les haines mutuelles,
Apres la mort sont eternelles.
Les parricides des parents :
Et ceux qui fraudent leurs clients ?
On peut expliquer ce reproche,
Pour les affaires qu’on accroche,
Tous les détours des Procureurs,
Vulgairement dits des voleurs,
Et qu’on nomme dans la souttane,
Les Godenors de la chicane.

 

 


Croyez qu’ils y sont ces richars,
Qui n’en ont esté moins eschars,
Et sans songer que Dieu soit iuste,
Ont tousiours fait leur Dieu d’vn Iuste :
Ie ne dis pas ceux que i’y vis,
Crainte d’offencer mes amis,
Mais vray dans le siecle où nous sommes,
L’Enfer est paué de ces hõmes,
Sur tous on y tourmente ceux,
Qui ne sont riches que pour eux,
Et seruis à plus d’vn potage,
Laissent gueuser leur parentage.
Comme ils y seront si pis n’est,
Ceux qui prestent pour interest,
Les Monopoleurs, ces sangsues,
Qui ne me sont que trop connues,
Que Messieurs du Parlement,
Y vont dépescher vistement,
Ces coquins venus en guenille,
A qui i’ay donné la mandille :
C’est-là qu’on tient des tabourets,
Chez Proserpine en tout tẽps prests,
Pour leurs nobles guenõs de femmes.

 

 


I’y vis traitter mal ces infames,
Qui faisoient guetter leurs vallets,
Si Monsieur estoit au Palais,
Et par vn adultere flamme,
Communiquoient auec Madame,
Tant que Monsieur à la maison,
Reuenoit sot comme vn oyson.

 

 


On y void des Parlementaires,
Et ceux qui broüillent les affaires,
Si par fois & quand il le faut,
Vn Roy veut leuer vn impost.
Entre eux sont quantité de traistres,
Qui sous-main ont duppé leurs maistres,
Les approchant les ont toquez
Les ayant toquez, debusquez,
Ne demandez pas quel supplice,
Se deliure à chaque iniustice :
Quelques-vns roullent vn gros [1 mot ill.],
Et font tousiours Boula[1 lettre ill.]e apres :
Les autres que l’on pilorie,
D’autres assis toute leur vie,
Dont le plus renommé d’entre eux,
C’est Theseus le mal heureux,
Qui se tient sur vne bancelle,
Et picque à iamais l’escabelle,
Criant qu’on l’apris par erreur,
Pour quelque clerc de Procureur.

 

 


I’entendis en mesme seance,
Phlegias geuller d’importance,
Il se tournoit de tous costez,
Disant, Messieurs, or escoutez,
Les Dieux veulent que l’on les prie,
Ils n’entendent point raillerie,
Et moy dans ce sainct mouuement,
Le pris pour l’Abbé le Nor.

-- 38 --


Tant il parloit auec science,
De l’Eternelle Prouidence,
Et du mal qu’on fait auiourd’huy,
Mais ce n’estoit pourtant pas luy.

 

 


Les vns ont vendu leur patrie,
Et pour de l’or l’ont asseruie,
Sous le pouuoir d’vn Estranger,
Qui prend plaisir à la ronger :
L’application est facile,
Sans forcer le sens de Virgille.
Ils ont fait Edicts & rayez,
Selon qu’ils en furent payez :
C’est ce que dit la médisance,
De la derniere Conference,
De la derniere Conference,
Où l’on a cassé nos Arrests,
Et l’hõme est plus grand que iamais.

 

 


L’vn de sa fille fist sa femme,
Par vne incestueuse flamme ;
Generalement en ce lieu,
Nul n’est pour auoir prié Dieu,
Et d’autres que i’oubliois presques,
Pour auoit fait des vers Burlesques,
A dire toutes les façons,
Dont on bat ces mauuais garçons,
Et dont on ramonne leurs costes,
Tous leurs tourmés, toutes leurs fautes,
La bouche de Gargatuas,
Monsieur, ne me suffiroit pas.

 

 


La Sybille au bout de son roole,
Demeura sur cette parole,
Et luy dit, d’Achise le fils,
Nous auons nostre temps précis,
Ces pays sont mal agreables,
Laissons en repos tous les diables ;
Marchons voicy nostre chemin,
Nous pourrons voir l’Enfer demain.
Ie croy desia m’estre apperceüe,
Moy qui n’ay point mauuaise veüe,
D’vne cheminée & d’vn huis,
Regardez plustost d’où ie suis,
C’est, ie croy, la porte cochere,
Et si ie ne me trompe guere,
Ie le connois c’est le logis,
Où les cycloppes font leur nids,
Ou de donner on nous commande,
Nostre rameau d’or à l’offrande.
Ce dit, ils marchent à grands pas,
Vn cheual ne les suiuroit pas,
Non pas mesme s’il alloit l’amble,
Deux Cordeliers qui vont ensemble,
Quand on commence le soupper,
Ne les pourroient pas attrapper,
(I’entends ceux qui sont en la ruë,
Quand on a sonné la repuë.)

 

 


Ils vont comme Freres Mineurs,
A la maison de ces forgeurs :
Æneas à la porte aduance,
Où Virgille dit qu’il commence
A prendre auec qu’il commence
A prendre auec deuotion,
De l’eau fraische, beniste, ou non,
Pour moy ie ne vais pas si viste,
Mais si ce ne fut eau beniste,
Il meritoit bien que c’en fut,
Dans cette pieté qu’il eut.

 

 


Ayans procedé de la sorte,
Il ficha sa branche à la porte,
De là le gaillard fit vn saut,
Pour auoir fait tout ce qu’il faut,
Et comme si cette gambade,
Qu’il auoit fait par boutade,
En d’autres païs l’eut mené,
Il se trouue bien estonné,
Quand il cõtemple vn vaste Empire,
Où tout semble creuer de rire ;
Des grandes plaines, de beaux prez,
Que la Nature a chamarez
Des fontaines & des cascades,
Des canaux bordez de Nayades,
Il vit comme il auoit bon nez,
Que c’estoient les lieux fortunez :
Vn air guay, que mesme vn Zephyre
N’oseroit troubler, s’y respire ;
Le iour y semble estre fardé,
Ou qu’il se soit accommodé,
Pour receuoir le sieur Enée,
Ou qu’en cette illustre iournée,
Il ait emprunté des rubis,
Ou qu’il ait loüé des habits,
Les plus beaux de la Fripperie,
Auec le plus de broderie :
Son teint est plus blanc qu’vn satin,
Il a la fraischeur du matin,

-- 39 --


Auec sa riante paupiere,
Il a midy la lumiere ;
Et du midy la lumiere ;
Et du soir les montans éclairs,
Qu’alors il respand dans les airs ;
Aussi cette terre nouuelle,
Connoist vn Soleil fait pour elle,
Et ces agreables quartiers,
Ont leurs Astres particuliers.
Là sont les ames bien heureuses,
En repos plus qu’en des Chartreuses,
En masque, en jeu, festin, ou bal,
Dans vn eternel carnaual,
Car tous les iours y sont de mesme,
Et les iours gras sont sans Caresme,
Les vns s’amusent à lutter,
D’autres se plaisent à sauter,
Certains dancent la Boisuinette,
Quelques-vns lisent la Gazette :
D’autres se mocquent de Marron,
Rendu sot par Monsieur Scarron.
En ce lieu le bon homme Orphée,
D’vne robe assez estoffée,
Semble balier le paué ;
Là maintefois il s’est trouué,
Auec l’archet & sa viole,
Tandis qu’vn autre capriole,
Donner vn air de sa façon,
Et ce d’vn melodieux son.

 

 


Là du grand Teucer la lignée,
Qui s’estoit si loin prouignée,
Heros nez durant la saison,
Qu’on auoit du tout à foison,
Qu’à Troye on faisoit bonne vie,
Qu’on n’y parloit point d’Italie,
Que les Peuples estoient contents,
Bref, ce n’estoit pas en ce temps ;
Ilus, & le braue Assarace,
Et Dardan l’Autheur de sa race,
D’où sont descendus les Troyens,
En ce lieu regorgent de biens.
On voit leurs armes qui se roüillent,
Et leurs charrettes qui se moüillent :
Leurs Lampons du siege d’Arras,
Leurs bottes où nichent les rats
On voit tant que porte la veuë
Cheuaux paistre à bride abbattuë :
Tous les mesmes plaisirs qu’auoient
Ces esprits au temps qu’ils viuoient,
Les vns de rouler en carrosse,
D’autres de chercher playe & bosse,
Et d’essayer des pistolets ;
Certains d’estriller des mulets,
(Des cheuaux, dit le grand Virgille)
Ie pense comme il fut habile,
Qu’il cuida les mulets damnez,
Pour auoir fait les obstinez :
Les mesmes dit ce grand Genie,
Sont là leurs plaisirs qu’en la vie,
Il voit aussi de tous costez,
Des banquets sur l’herbe apprestez,
Des esprits qui font la débauche,
Qui boiuent à droit comme à gauche,
Et font rubis dessus le nez,
Apres six verres entonnez :
Ils chantoient des chansons à boire,
Entre autres, branslons la machoire,
Sous des Lauriers, où l’Eridan,
Qui roule depuis plus d’vn an,
Fait vne agreable cascade,
Où ces esprits à la friscade,
Peuuent quand tel est leur plaisir,
Faire du Burlesque à loisir.

 

 


Vn essein d’esprits s’y promeine,
Qui n’ont laissé manger leur laine,
Qui comme cocqs sur leurs fumiers,
Ont sçeu defendre leurs foyers,
Et percez plus à iour qu’vn crible,
Ont rendu leur pays paisible :
Les Prestres qui se sont chastrez,
Et ceux qui se sont sequestrez,
Des femmes & du mariage,
Y sont eux & leur pucelage.
Y pretendez-vous vostre part,
Messieurs les Abbez gras à lard ?
Chappõs du Mans, Prieurs, Chanoines ?
En general vous autres Moines,
Ma foy pour ceux que i’ay connus,
Ils en sont desia reuenus,
Et leur froc aux champs Elysées,
Pourroit exciter des risées.

 

 


Ceux qui mieux ont sçeu rafiner,
Sur le mestier de deuiner,

-- 40 --


D’Apollon les vrais interpretes,
Qui n’ont pas conté des sornettes,
Comme fait souuent Iean Petit,
En ce pays ont grand credit.

 

 


Ceux là qui par leur diligence,
Ont inuenté quelque science,
Les Maistres de tous les mestiers,
Arracheurs de dents, Maltoutiers,
Les autheurs de la plaidoyerie,
Les vsuriers & leurs voirie,
(Mon dessein n’est que de conter,
Ceux dont on ne se peut douter.)

 

 


On y voit aussi des personnes,
Pour auoir basty des Sorbonnes ;
I’entends que qui fut liberal,
Passe parmy le general :
Et ceux dont la liste i’ay faite,
Bridez d’vne blanche cornette,
Ayant au front vn bandeau fin,
Mais entre eux point de Ma...
Tous plus propres qu’vne poupée ;
De qui la guide enueloppée,
Parle en ces termes à celuy,
Qui voudra le prendre pour luy.
Entr’autres vn nommé Musée,
Encore plus long qu’vne fusée,
Pourroit dite en leuant les bras,
Messieurs, que faites vous là bas ?
Tous les autres prés de sa taille,
Ne semblent que de la canaille ;
A luy cõme au plus grand Seigneur,
La guide parle en tout honneur,
Mes bonnes gens ie suis bien lasse,
Et vous, tres haut Monsieur, de grace,
Enseignez nous par quel endroit
Nous pourrons aller le plus droit,
Au deuant de Monsieur Anchise ;
Nous n’auons besoin de méprise,
Pour luy nous venons de fort loin,
Nous auons passé vos eaux : foin
De ce maudit pelerinage,
Ie n’y reuiens pas dauantage ;
Ie pense qu’elle alloit pester,
Quand cét homme vint l’arrester :
Prenez, luy dit-il, patience,
Ie ne vois pas qu’on vous offence :
Pour nous, non plus que les Hurons,
Ne sçauons où nous coucherons :
Le Ciel est nostre couuerture,
Tout nostre lict c’est la verdure,
Que tantost nous prenons au bois,
Sur le bord de l’eau quelquefois,
Dans de beaux prez quand bons nous
Or iamais nostre lit ne trẽble.
Mais si vous trouuez bon & beau, sẽble,
S’il vous plaist passer ce cotteau,
Ie vous feray voir vne routte,
Qu’on pourroit suiure sans voir goutte.
Ce dit, il monta le premier,
Bien que ce fut sur son fumier,
Et faisant vne reuerence,
Aima mieux par obeïssance,
Suiuant le compliment commun,
Se rendre inciuil, qu’importun :
Il ne fit que trop de grimace,
Mon cher Monsieur passez de grace,
Pour moy ie demeure confus ;
Ma foy ie n’y reuiendray plus :
C’est vne inciuilité haute,
Ie ne seray point cette faute :
Vous m’y feriez plustost coucher,
Il se mit pourtant à marcher,
Leur fit voir vne belle plaine :
Æneasconfus de sa peine,
Le conjura de retourner,
Et se remit à cheminer.

 

 


Cependant le bon pere Anchise,
Dont la guide s’estoit enquise,
Par ses doigts ou par ses boutons,
Comme des trou peaux de moutons,
Contoit des innombrables sommes,
Des esprits qui deuoient estre hõmes,
Et ie crois qu’il passoit son temps,
A regarder ses descendants,
Dans vn lieu fermé de montagnes,
Où ces ames ont leurs compagnes,
Leurs horoscopes il tiroit,
Pour sçauoir quel vn tel seroit,
Et dans quel temps il pourroit estre,
Lors qu’Æneas vient à paroistre.
Anchise qui le voit venir,
D’aise ne peut pas se tenir,

-- 41 --


Ce bon vieillard bat de la queuë,
Il tend les bras d’vn quart de lieuë,
Les larmes plus grosses que pois,
De ses yeux tombent trois à trois :
Et marmottant seul sans attendre,
Que son fils soit prés pour l’entendre,
Il semble auoir perdu l’esprit.
Bref, la ioye au point le surprit :
Que ses gestes auec son dire,
Firent creuer son fils de rire.

 

 


Mon cher fils que i’ay tant pleuré,
Vous n’estes donc point demeuré,
Puis que ie vois vostre arriuée,
Et vostre addresse s’est treuuée
Bastante à descendre en ces lieux,
Dessein encor plus glorieux,
Pour estre de plus grande peine,
Qu’à sortir du bois de Vincenne,
Vous auez vaincu le danger,
Qui se rencontre à s’y ranger :
Apres vne si longue absence,
Ie puis vous tenir hors de France,
Comme de tout autre pays,
Mes yeux en sont tout ébays :
Ie puis parler & vous respondre,
Mais non, car ie me sens confondre :
Ie m’estonne sans m’estonner,
D’auoir pû si bien deuiner,
Et si bien chausser mes lunettes,
Quand ie vous preuis où vous estes,
Par quelle tempeste ietté,
Par quelles secousses porté,
Par quel chemin, par quelle corde,
Cy descendu, l’on m’accorde,
De voir ce que i’ayme le plus ?
Quels dangers n’auez-vous courus ?
Dieux que i’auois d’inquietudes,
Que vous n’en eussiez de plus rudes,
Pour les doux attraits de Didon ;
Et qu’amour auec son brandon,
Ne vous estrillât à Carthage,
Et qu’il vous fit perdre courage.
A quoy son fils : vos mandemens,
Dit-il, vos aduertissemens,
Vostre ombre que i’ay souuent veuë,
Sont causes de ma bien venuë,
Tous mes vaisseaux se portent bien,
Ils sont sur le bord Tyrien ?
De grace touchez-là, mon pere,
Ne vous retirez pas arriere ;
Attendez-moy pour vous baiser,
Pouuez-vous me le refuser ?
Pourquoy donc comme vne écreuice
Reculer ? est-ce par caprice ?
Ce disant, ce fils genereux,
Disoit fort bien, & pleuroit mieux,
Soit qu’il crût faire violence,
Il fit trois fois circonference,
De ses deux bras autour du cou
D’Anchise, qui dit qu’il est fou :
Ie tiens mon pere par la teste,
Dit le fils, que vous estes beste,
Dit le pere en se releuant ?
Car vous ne tenez que du vent,
Cependant dans vne valée,
Où la multitude d’alée,
En donne à chacun pour sa part,
Il voit vn grand bois à l’écart,
Où l’eau de Lethé qui serpente,
Semble mener vne courante,
Et dire à Messire Æneas,
Est-ce que soif vous n’auez pas ?
Au bord de ce fleuue qui coule,
Des esprits arriuent en foule,
Et de tous costez à foison,
Comme si l’on tiroit l’oison.
Les abeilles vn iour de feste,
Qui vont dans les prez à la queste,
(I’entens quelque beau iour d’Esté,
Qui seul est chez elles f[1 lettre ill.]sté,)
Quand les fleurs elles ont treuuées,
Ne sont pas plus grandes huées ;
Ny le menu peuple amassé,
Autour d’vn tonneau defoncé,
Ou d’eau benitte à la déroute,
La veille de la Pentecoute.

 

 


Æneas demeure interdit,
De ce troupeau qui s’agrandit,
Demande, si c’est à son pere,
Vn esprit qu’on aille de faire,
Quel est ce beau fleuue qu’il voit,
Que fait tout ce monde qui boit ?

-- 42 --


Ces gens, respondit maistre Anchise,
Sont ceux qui porteront chemise,
Et qui prendront vn second corps,
Ces esprits exprez sur ces bords,
Sont pour aualer vne tasse,
De ce fleuue Lethé qui passe :
Dont l’eau prise fait si grand bien,
Qu’on ne le souuient plus de rien.
Ce les sont tous, mon fils Enée,
Et depuis plus d’vne iournée,
Ie brusle d’vn ardent desir,
De vous y monstrer à loisir,
Ceux qui descendus de ma race,
Tiendront à leur tour vostre place :
A fin qu’vn iour quand vous serez
Au Royaume que vous aurez,
Vous y puissiez créuer de rire,
Des choses que ie vais vous dire.
Adonc le bon fils repartit,
Iamais mon pere ne mentit,
Mais que i’estime que l’enuie,
Les puisse prendre de la vie :
Pardonnez-moy pour cette fois,
Ils sont plus heureux que des Rois :
De penser qu’à moins qu’il soit yure,
Vn seul d’entr’eux veüille reuiure,
Ie n’ay pas l’esprit assez fort,
Et crois que Monsieur de Beau....
Pourroit auecque moins de peine,
Retourner au bois de Vincenne.

 

 


Anchise, qui craint en son cœur,
De passer icy pour menteur,
Demande à son fils audience,
Pour plus expresse connoissance,
Et luy dit vous verrez au bout,
Que ie vous ay dit vray par tout.

 

 


L’Air mobile, maison des Gruës,
La Mer le Palais des Moluës,
La terre le giste des veaux,
Le Ciel des Almanachs nouueaux,
(Entendez celuy de la Lune)
Les Estoiles, sans que pas vne
En soit exempte par escrit,
Furent pleines du mesme esprit ;
Ce mesme esprit qui les anime,
Qu’éloquemment Platon exprime,
Fait mouuoir par diuers ressorts,
De l’Vniuers tout le grand Corps :
Et s’insinuant dans ses veines,
Roule ces horribles Baleines.
De là les hommes sont venus,
Et cent animaux inconnus,
Les aquatiles, volatiles,
Iusques au moindre des reptiles,
Tous doüez de force & vertu,
Tant que l’esprit soit abatu,
Et que sortant d’vn lieu celeste,
Il treuue vn corps qui le moleste :
Corps dont les organes diuers,
Mettent le pauuret à l’enuers,
Et qui plus au carcan l’attache,
Que l’esprit leue la moustache,
(Tesmoin celuy-là de Scarron,
Pris par le col comme vn larron)
Corps qui bien qu’auec mille peines,
L’empesche de faire des siennes ;
Et qui luy cause la douleur,
Le desir, la ioye & la peur :
Corps enfin qui rend dessus terre,
Cét esprit prisonnier de guerre ;
Esprit qui mesme deliuré,
Et bien que la mort l’ait sevré,
Iamais n’en sortit si bien quite,
Qu’auec tache grande ou petite,
Et qu’il n’en demeurât soüillé,
Salle, vilain, ou barboüillé.
C’est le sujet qu’on le vergete,
Qu’on l’assomme, qu’õ le mal-traite,
Tant qu’il soit plus net qu’vn denier,
Et plus blanc que n’est vn Meusnier.
L’vn en l’air pendu se déroüille,
L’autre vit auec la grenoüille ;
L’autre sert de tison au feu,
Et c’est ce qui me plairoit peu ;
Auant qu’estre en cette contrée,
Où peu de gens treuuent entrée,
Ie sommes battus tous de rang,
Du plus petit iusqu’au plus grand :
L’on nous en donne auecques rage,
Tout nostre saoul & dauantage.
Pour celles-cy quãd fort long temps
Elles ont suby les tourments,

-- 43 --


On en fait venir vne trouppe,
Boire de ce fleuue vne couppe,
Laquelle a bien cette vertu,
Qu’vn esprit vient d’estre batu,
Qu’il pert tous ses coups sur la place,
Elle fait outre qu’elle efface,
Ce qui seroit peu se passer,
Vouloir encore trépasser ;
Car soit que l’esprit elle enyure,
Il demande aussi-tost à viure.

 

 


Anchise aduance en acheuant,
Et meine son fils fort auant,
Sur vn lieu fait à l’aduantage,
Pour voir ces ames au visage,
Puis il dit, mon fils Æneas,
Morbieu ne m’interrompez pas,
Puisque ie vais vous faire entendre,
Ceux qui de nous doiuent descendre,
La belle gloire qu’ils auront,
Et vostre nom qu’ils porteront,
Enfin ie veux si ce temps dure,
Vous dire la bonne auanture,
Tenez ce garçon si courtois,
Panché sur sa lance de bois,
Le destin veut auec la chance,
Qu’il moine le premier la dance :
C’est Syluie Albain, qui naistra,
Et qui vers les quinze ans croistra,
Le sang de Troye & d’Italie,
Aux derniers iours de vostre vie,
De ce fils vous fera present ;
Et ne treuuez vous pas plaisant,
Qu’estant né sans qu’aucun le sçache,
Dans les endroits où paist la Vache,
On le viendra prendre en vn bois,
Pour Roy, qui laissera des Rois :
Auec sa mere Lauinie,
Dont sera liesse infinie :
Et nostre sang doit par ses mains,
Gouuerner long-temps les Albains.

 

 


Le moins esloigné de Syluie,
N’est pas le plus loin de la vie,
Il se doit appeller Procas,
Et sera cét homme en tout cas,
L’ornement de la gent Troyenne,
Dont l’hõneur merite vne Antienne.

 

 


Cettuy-là Capys se dira,
Numiter luy succedera,
Cettuy-cy c’est Syluie Enée,
Belle ame pour les armes née ;
Luy seul portera vostre nom,
Vostre cœur, & vostre renom,
Il viuera comme les Apostres,
Et vaudra mieux qu’aucun des autres,
Qui deuant qu’il y soit mandé,
Auront dans Albe commandé ;
Desquels iugez par les espaules ;
Quels serõt tous ces maistres drosles.

 

 


Pour ceux-là qu’auant estre nez,
Vous voyez desia couronnez,
Auecques des feüilles de chesnes,
Dame, ils vous bastiront Fidennes,
Sur les montagnes vn Chasteau,
Dit Collatin, Castre Nouueau,
Bole, Nomente, Pometie,
Core, & la ville de Gabie :
Ces noms Burlesques Eneas,
Surprendre ne vous doiuent pas,
Tous ces mots deuiendront vulgaires
Dans les moindres Dictionnaires.

 

 


Vous auez bien veu Numitor.
Romulus, plus braue qu’Hector,
Protegera ce sien grand pere ;
Romulus qu’Ilia sa mere,
Ie croy du sang d’Assaracus,
(Maudit soit qui s’en souuient plus)
Qu’Ilia, dis-je, du fait pleine
De Mars, ce vaillant Capitaine,
Suiuant le destin produira,
Quoy que Vestale elle sera ;
Et partant luy du costé gauche,
Mais quand c’est vn Dieu qui débauche,
On le peut faire auec honneur ;
Il sera tres-homme de cœur,
Voyez comme il porte sa creste,
Voyez comme il leue la teste,
Regardez il a le toupet,
Et c’est son pere Mars tout a fait ;
Desia deuant luy l’on dit gare,
Signe que c’est vn homme rare,
Ioint qu’õ m’a dit que dans les Cieux,
Mars le marquoit au coin des Dieux.

 

-- 44 --

 


Mon fils, c’est de ce galand hõme,
Qu’enfin doit venir cette Rome,
Dont l’oracle n’a point menty,
Dans ce qu’il en a pressenty ;
Car ce sera plus grande ville,
Qu’encor ne dit Monsieur Virgille,
Et ie treuue ayant bien cherché,
Que ce doit estre vn Euesché.
Elle embrassera sept collines,
Qui luy seruiront de courtines,
Ses murailles iront bien loin,
Encor qu’elle n’en ait besoin,
Elle aura des belles lignées,
Plus qu’on n’en prend en deux poignées,
Qui nous donner ont des Heros,
De quoy chanter plus à propos
Le Te Deum que [1 mot ill.],
Qui pour s’estre trouuée enceinte,
De trois ou quatre meschans Dieux,
Se fait respecter en tous lieux ;
Et caquetant comme vne Pie,
De tous costez dans la Phrygie,
Se fait traisner sur vn beau char,
Disant qu’on face des feux, car
I’ay fait moy quis suis ieune encore,
Plus d’vn cent de Dieux qu’on adore,
A quoy quelqu’vn a respondu,
Il faut qu’elle les ayt pondu.
A present chaussez vos lunettes,
Et plus attentif que vous n’estes,
Contez hardiment par vos mains,
Ce qui va passer de Romains,
C’est Cesar, & toute la suite,
Que le sang d’Iule a produite,
Tremblez deuant celuy qui suit,
Dont les Deuins font tant de bruit,
C’est mon fils, c’est le grand’Auguste,
Né des Dieux, c’est celuy tout iuste,
Dont vous disiez auparauant,
Qu’autant en emportoit le vent :
C’est le sujet que la Sibylle,
Prit de ses vers en plus de mille :
C’est celuy seul, qui doit encor
Vous ramener le siecle d’or,
Et qui sans conter l’Italie,
Qui n’est qu’vne terre iolie,
Que pour legitime il aura,
Par tout le monde regnera,
Aux Hurons, à la Martinique,
Dans l’Asie, & dans Amerique,
Par tout où le Soleil a cours,
Antipodes Topinambours,
Tant d’autres regions nommées,
Chez les Athlas & Ptolomées,
Qui seroient recits superflus,
Il aura tout le monde, & plus.
Desia la plus grande partie,
Du menu peuple de Scythie,
Le redoute dans son esprit,
Comme vous feriez l’Antechrist.
L’autre iour le Nil par sa bouche
Dit qu’il apprehendoit la touche,
Mais plustost il en ouurit sept ;
Pour dire la peur qu’il luy fait.
C’est vn vaillant trotin qu’Alcide,
Auec sa biche Eripide,
Que corps à corps il attrappa,
Et son Sanglier qu’il frappa,
Duquel coup la beste mourante,
Purgea la forest d’Erimante ;
Auguste l’auroit bien berné,
Quoy qu’il ait fait trembler Lerné,
Que Bacchus auec sa broüette
Nous vienne icy conter goguette,
Qu’auec ses Tygres il yra,
Au diable quand il luy plaira :
Qu’il coure la terre, mon Prince
Aura tousiours quelque Prouince,
Où Bacchus n’aura point esté :
Et nous aurons encor douté,
De faire malgré la tempeste,
Vn pot cassé de nostre teste,
Plustost que de ceder vn droit,
Sur cét Empire qu’on nous doit ?
Quitter ces belles esperances,
Pour quelques legeres souffrances !
Non, il faut que creue Æneas,
Ou qu’Anchise ne mente pas.

 

 


Pour celuy qui là bas arriue,
Tenans vne branche d’Oliue,
(Ie crois qu’il lit vne oraison)
Ie connois bien ce poil grison :

-- 45 --


C’est vn Roy qui Numa se nomme,
Qui le premier fera dans Rome
Lire le Code & le Cuias,
Gouuernant en paix ses Estats :
Et qui venu du Bailliage
De Cures, vn chetif village,
Mettra dans Rome vn Parlement,
Pour iuger souuerainement.
L’autre ce grand traisneur de brette,
Nous fera sonner la trompette,
C’est Tullus qui nous vient broüiller ;
Ce Roy hastera bien d’aller,
Le peuple deuenu molasse,
Dieux comme il donnera la chasse
A Messieurs les enfarinez ?
Que i’en voy desia d’échinez ?
Et que l’effect de ses conquestes,
Fera mettre à bas de ces testes ?
L’autre le plus prés est Ancus,
Qui pour n’en auoir tant vaincus,
Ne voudra pas moins qu’on le traitte,
Comme vn grãd casseur de raquette.
Mais de ces Messieurs les fendans,
Belle pochette, & rien dedans :
Il aimera la voix publique,
Ie le vois desia qui s’applique,
Aux moyens d’estre dorlotté,
D’estre loüé, d’estre flatté,
Et que cela le fera rire,
Lors que quelqu’vn luy dira Sire.

 

 


Voulez-vous voir les deux Tarquins ?
Et le bedeau de ces faquins,
Brutus qui les mit à la porte,
Qui leur sceptre à Rome rapporte,
Ce vangeur de nos libertez,
Lors que les Roys seront flutez ;
Ce premier fleau des Monarques,
De Consul portera les marques,
Ce Brutus destructeur des Rois,
L’inébranlable appuy des loix,
Donnera credit au Digeste,
Et dans vn rencontre funeste,
Iuge de ses deux propres fils,
Atteins d’auoir formé partis,
Il souffrira qu’on les immolle,
Pour son cher pays à Barthole ;
Pauures enfans que ie plains fort,
D’auoir pour pere vn esprit fort.

 

 


Voulez-vous voir les deux Decies,
Qui creueront comme vessies.
Ie vois passer les deux Drusus,
Et leurs ennemis décousus.
Voulez-vous encore vn Stoïque,
Qui fera pour la Republique,
Nommer vn de Messieurs ses fils,
Ambassadeur en ce pays ?
C’est Torquat qui dans vn vacarme,
Où son fils aura pris vne arme,
Signera de ses propres mains,
Qu’il n’a pour fils que les Romains,
Pauure enfant, funeste peinture,
Où l’on poignarde la nature,
Diable i’enuoy rois bien au grat,
Vn pere fait comme Torquat.

 

 


Tenez, regardez bien Camille,
Il sera plus braue que mille,
Les François par quelque hazard,
Luy pourront prendre vn estendart,
Mais ie voy ce cœur tout de flame,
Le rapporter de nostre Dame.

 

 


Ces deux esprits deuant vos yeux,
Portans mesmes armes tous deux,
Icy comme larrons en foire,
S’entendent, mais qui pourra croire,
Que dés qu’au monde ils seront mis,
Ce seront deux grands ennemis ?
S’ils ne se font icy malice,
C’est qu’on y rend bonne Iustice,
Et sur ma foy ie sçay d’vn tel,
Qu’ils se sont desia fait appel,
Pour se harper en l’autre vie,
Et qu’ils en ont tres grande enuie :
Mon cher fils nous sommes certains,
Qu’estans nez vn de ces matins,
Ce ne sera pas vne guerre,
Mais vne boucherie en terre ;
L’vn des Alpes amenera,
Toutes les forces qu’il pourra,
Et contre son pere le gendre,
Tout l’Orient fera descendre :
Ie préuois les sanglants défis,
Du beau-pere contre le fils.

-- 46 --


En dépit de vostre patrie,
Ieunes gens qui sans cesse crie,
Dites nous, auez vous fait vœus,
De vous assommer comme bœufs ?
Quoy, les Cesars & les Pompées,
A present plus doux que poupées,
Seront dans vn an ou dans trois,
Plus cruels que des Hiroquois ?
Encore si bon ils le treuuent,
Qu’ils se battent & qu’ils se creuuent,
Mais qu’ils espargnent leur pays,
Peut-il-mais qu’ils se soient hays ?
Pourquoy déchirer ses entrailles ?
Si ie me fasche, ces canailles,
Ie leur iray pocher les yeux,
Monsieur Cesar, vous le plus vieux,
Monstrez-vous aussi le plus sage,
Quittez vn peu vostre aduantage.
Vn Seigneur qui vous vaut bien da,
Le quitta deuant Lerida.
Mais i’ay beau hausser les espaules,
Ils n’en feront pas moins les drolles,
Abandonnons ces furieux,
Qu’ils se mangent le blanc des yeux ;
Celuy-cy fera rude esclandre,
Aux Grecs qui le voudront attendre,
Ie le vois qui s’en vient bouffant,
D’orgueil à Rome & triomphant,
D’auoir tout pillé dans Corinthe,
Dont s’ensuiura tres grande plainte,
De cuisiniers & de voisins,
De n’en auoir plus de raisins.
Celuy-là mettra sans démordre,
La pauure Argos en mauuais ordre,
Il fera fuïr le morfondu
Pyrrhus, d’Achille descendu,
Et durant le sac de Mycenne,
Qu’il mettra de Bourgeois en peine ?
Enfin ie vois traitter en chiens,
Tous les ennemis des Troyens ;
Chacun à son tour la diuise,
Le dit en la maison de Guise.

 

 


Quand i’y songe que diroit on,
Si i’oubliois Cosse ou Caton ?
L’on connoistra si la famille
Des Gracches nous est inutile :
Nous aurons les deux Scipions,
Freres & braues Champions,
Qui tiendront en bride Carthage,
Si vous en voulez dauantage,
On vous donne Fabricius,
Lequel dira qu’il n’en veut plus ?
Ce grand hõme qu’on vous propose,
Estant content de peu de chose.
Prenez, si vous voulez, Serrant,
Que vous trouuerez labourant ;
On garde pour la bonne bouche,
Vn qu’on ne croit pas qu’il y touche,
Ce sera le grand Fabius,
Qui, comme rapporte Ennius,
Sans faire crier, tuë, tuë,
N’auançant qu’à pas de Tortuë,
(Vous sçauez qui va piano,
Que d’ordinaire il va sano,)
De ce marcher melancolique,
Il sauuera la Republique.

 

 


Laissons les autres Nations,
Parler de leurs inuentions,
Que leurs gens sçauent la graueure,
Les Astres & l’Architecture,
Qu’ils ont de meilleurs Aduocats,
Tout cela n’est pas vn grand cas :
Passe, qu’ils parlent à la mode,
Qu’ils entendent fort bien le Code,
Soient plus diserts que Ciceron,
Facent mieux des vers que Scarron,
Des Almanachs que Saincte Marthe,
Sçachent mieux que Sanson la carte,
Les Romains la sçauront broüiller,
Laissons les autres trauailler.
Mais pour la nation Romaine,
Elle est faite pour le domaine,
De Loix elle n’en veut que deux,
L’vne, de rosser l’orgueilleux,
L’autre est, de baiser à la iouë,
Ceux dont la fortune se iouë,
Ou dans leurs boüillantes ardeurs,
Qui feront comme les fondeurs.

 

 


Lors se moucha le bon Anchise,
Qui fut cause de sa reprise,
Il falloit que pour se moucher,
Il prit son temps, ou pour cracher :

-- 47 --


Ce qu’ayant fait il recommence,
Voyez-vous quelle contenance
Tient ce grand manche de balet,
Marcel, plus chargé qu’vn mulet,
De toutes sortes de despoüilles,
Ce n’est pas pour luy chãter poüilles :
Mais il est vray qu’il a du cœur,
A mesure de sa hauteur :
Qu’il maintiendra la Republique,
En vn danger tres-autentique,
Deffera les Carthaginois,
Et qu’ayant pris des Polonnois,
Pour punir les François rebelles,
Il sçaura leur rogner les aisles,
C’est le troisiesme au Dieu Quirin,
Qui consacrera son butin.

 

 


Le bon Anchise alloit s’estendre,
Quand son fils petillant d’apprendre,
Quel estoit vn ieune muguet,
Vestu seulement de droguet,
Mais auec tant de marchandise,
Le point de Genne à sa chemise,
Le bas si proprement plicé,
Le chappeau si bien retroussé,
Le baudrier en broderie,
Et les boucles d’orfevrerie :
Luy dit, Ie voudrois bien sçauoir,
Qui sera ce panache noir,
Dont la perruque est bien peignée,
Pourquoy sa mine renfrognée ?
Pourquoy vis à vis de Marcel ?
Pourquoy ce bruit vniuersel,
Dés qu’il paroist dans vne ruë,
Tout tremble quand il se remuë.
Comme il le porte à la grandeur !
Est-ce vn Prince, est-ce vn Empereur ?
Et pourquoy dessus son visage,
Le deüil y peint-il vn nuage ?
Lors Anchise en pleurs esbouffant,
Luy dit, Æneas, mon enfant,
Quel dessein auez vous d’apprendre,
Vn mal-heur qui vous feroit pendre,
N’estoit que vous estes Chrestien,
Espargnez-moy cét entretien ;
Helas ! c’est vn de vostre race,
A qui le destin dira passe,
Et plus viste que Godenot,
Le serrera sans dire mot.
S’il vous monstre son nez en terre,
C’est comme vn esclair du tonnerre,
Et les Dieux deuiendroient ialoux,
S’il estoit long-temps auec vous.
Rien que pour vous en faire enuie,
Ils ne luy donneront la vie,
Que de cheueux de toutes parts,
Arrachez dans le champ de Mars ?
Quels cris, quels regrets, quels vacarmes,
Quel horrible torrẽt de larmes ?
Quand le Tibre rendu plus gros,
Viendra pleurer dessus ses os.
Mon fils pensez-vous qu’il s’en face.
Des douzaines dans vostre race ?
Ce sont pour vous parler sans fard,
Les Deputez de Vaugirard.
C’est vn tres-bel vn ce me semble,
Troye & Rome iointes ensemble,
Auec peine en fourniront deux,
Romains, luy disant vos adieux,
Souuenez vous qu’on trousse enballes,
Des vertus les trois principales ;
L’Esperance, la Charité,
La Foy, que le tout est flusté.
Par tout où luira sa rapiere,
Le sage tournera visiere,
Et le sot se presentera,
De tous les costez qu’il ira,
A pied, pourueu qu’il ait sa lance,
A cheual, s’il vient en presence,
Ie voy l’ennemy débandé,
Comme pour le ieune Condé ;
Vrayment s’il bride son courage,
Et qu’on le baptise auec l’âge,
Il s’appellera Marcellus,
Mais s’il meurt il ne viura plus :
Et quoy qu’il meure ou qu’il vieillisse,
Ie luy prepare vn beau seruice,
Ramassons le boucquet de fleurs,
Nous donnerons bien tost les pleurs

 

 


Le pere & le fils ce me semble,
Dans le deuis qu’ils ont ensemble,
Où l’vn ny l’autre ne s’assied,
Deuoient bien dancer sur vn pied :

-- 48 --


Il est d’vne assez longue haleine,
Pour meriter qu’on se promeine ;
Anchise le conduit par tout,
A trauers champ de bout en bout,
Enfin de sa gloire future,
Il luy charbonne vne peinture,
N’allez, dit-il, faire faux bon,
A tous ces Messieurs de renom :
A moins que vostre cœur responde,
Ils vous iront rosser au monde ?
N’allez pas faire vn pas de clerc,
Tous nos discours seroient en l’air,
Veüillez aussi vaillant paroistre,
Que ces enfants qui sont à naistre ;
Aprés il l’enseigne comment
Faire en certain euenement
Les embuscades, les batailles,
Les assauts liurez aux murailles,
Toutes les guerres de Turnus,
Tant qu’Æneas n’en veüille plus,

 

 


En ce pays on void deux portes,
Qui ie croy doiuent estre fortes,
Quoy que Virgille ne l’ayt dit,
Mais on peut rimer à credit :
Il dit que là passent les songes,
Qui sont vrays ou qui sont mẽsonges,
S’ils sont vrays qu’on les fait passer,
Deux à deux & sans se presser,
Par la porte faite de corne :
Si quelquefois l’oreille corne
Que ce ne soient qu’illusions,
Que fantosmes, que visions,
Ceux-là par la porte d’yuoire,
Viennent embroüiller la memoire,
Et ce fut par ce dernier huis,
Qu’Anchise ramena son fils,
Il ne dit point comme ils sortirent,
Ny les compliments qu’ils se firent :
Encor que n’en parle l’autheur,
Tu peux penser, amy Lecteur,
Qu’adieu mon fils, adieu mon pere,
Ce fut leur parole derniere.
On lit que le bon Æneas,
S’en alla le plus viste au pas,
Dire qu’en mer on se remette,
Qu’il fit cingler droit à Gayette,
Qu’on ietta l’anchre du vaisseau.

 

 


Et moy qui treuue qu’il fait beau,
Las d’estre tousiours sur des chaises,
I’ay voulu pour prendre mes aises,
Ietter la plume de la main,
Adieu Lecteur iusqu’à demain.

 

FIN.

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Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], L’ENFER BVRLESQVE, OV LE SIXIESME DE L’ENEIDE TRAVESTIE, ET DEDIÉE A MADAMOISELLE DE CHEVREVSE. Le tout accommodé à l’Histoire du Temps. , françaisRéférence RIM : M0_1216. Cote locale : C_4_3.