Anonyme [1649], LA CVRIEVSE ET PLAISANTE GVERRE DES PLAIDEVRS EN VOGVE. , françaisRéférence RIM : M0_854. Cote locale : C_2_44.
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LA
CVRIEVSE
ET PLAISANTE
GVERRE
DES PLAIDEVRS
EN VOGVE.

EN VERS BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez IEAN DV CROCQ, au Mont Sainct
Hilaire, prés le Puits Certain.

M. DC. XLIX.

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LA CVRIEVSE ET PLAISANTE
guerre des Plaideurs en vogue,
en vers Burlesques.

 


Lors que Mars a quitté les armes,
Et qu’il a finy ses allarmes,
Voicy que la dissention,
La discorde & l’émotion,
Ont restably par la chicane,
Qui suit le mouuement de Diane,
Vne guerre entre les plaideurs,
Dont les violentes ardeurs,
Les portent tousiours à combatre,
De deux à deux de quatre à quatre,
Leurs bastons sont leurs coutelats,
Pour leur mousquet ont des vieux sacs,
Plein d’escriture vieille & fraische,
Qui leur sert de poudre & de mesche,
Leurs balles ne sont pas du plomb,
Du cuiure, d’airain, du leton,
Mais ce sont des bonnes pistolles,
Qu’ils lançent oyant les paroles
Sanglantes de leurs Procureurs,
Qui les appellent des resueurs,

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Lors que quelqu’vn de leur brigade,
Ne tire pas sa mousquetade,
Les Clercs leurs donnent le moyen,
De combatre & de tirer bien,
Afin d’emporter la victoire,
Ils leurs disent ils vous faut croire,
que pour gagner vostre procés,
Il vous faut faire vn peu d’excés,
Dans vos presens car vostre affaire,
Autrement ne vaudroit pas guere,
Vous voyez qu’apres nos escrits,
Il nous faut faire tant de cris,
Tant d’allées, & tant de venuës,
Nos peines vous sont incognuës,
Ainsi vous deuez commencer,
D’vn peu mieux nous recompencer,
Lors nos Plaideurs prennent leur cource,
Pour mettre la main dans leur bource,
D’où sortent quelques vieux ducats,
que les Clercs ne refusent pas,
Ils les prient sur toutes choses,
De tenir bien leurs bouches closes,
Car leurs Maistres ne veulent point,
Bien qu’ils ayent le plus grand soin,
qu’ils prennent des presens honnestes,
Pour vn peu s’esgayer les Festes,

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Lors les Plaideurs leur font serment,
De n’en parler aucunement,
Mais qu’ils les prient de leur rendre,
Ce bon office de deffendre,
Leur bon droit auec passion,
Les Clercs iurent sans fiction,
Qu’ils en auront vn soin extréme,
Comme si s’estoit pour eux-mesme,
Nos Plaideurs s’en vont bien contans,
Dans leurs maisons pour quelque temps,
Chacun à sa femme propose,
Qu’il croit de bien gaigner sa cause,
Lors ils concluent d’enuoyer,
A leurs Procureurs pour loyer,
Deux chapons gras & deux beccasses,
Afin d’auoir leurs bonnes graces,
Les Procureurs sans retarder,
Ne laissent pas de les mander,
Car leur presence est necessaire,
Pour le gain de leur propre affaire,
Voicy de retour nos Plaideurs,
Qui s’en vont voir leurs demandeurs,
Qui leurs exhibent des grands rooles,
Qui reuiennent à vingt pistolles,
Ils leur font voir au bout du doigt,
que pour bien maintenir leur droit,

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Il faut payer leurs escritures,
Ces demandes leurs sont bien dures,
Mais ils ne laissent pas pourtant,
De mettre la main à l’instant,
A leur bource pour satisfaire
Leur Procureur de leur salaire,
Ils commençent à regreter,
Leur argent & se depiter,
Ils voudroient bien finir leur guerre,
Auecque des grands coups de verre,
Mais alors leurs bons Aduocats,
Leurs disent qu’ils ne sçauroient pas
Terminer sans leur grand dommage,
Leurs affaires, & dauantage,
Soustiennent que dans peu de temps,
Les gagneront auec despens,
Cette belle & douce parole,
Nos pauures chicaneurs console,
Mais leur espoir n’est que du vent,
Car de mesme qu’auparauant,
On fait des grandes escritures,
Et de nouuelles procedures,
quelques mois estans escoulés,
Nos pauures Plaideurs desolés,
Sont mandez pour auoir encore,
Tout leur argent & leur moyen,

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Ils iurent en hommes de bien
qu’ayant satisfait à ce rolle,
Ils n’ont pas de reste vne obolle,
Leurs Procureurs voyant exprés
que dans le cours de leurs procés,
Ils ont bien fait de la despence,
Ils leurs disent qu’en conscience,
Il est temps qu’il faut s’accorder
Lors commencent de demander,
La demeure de leurs parties
Afin qu’estants bien aduerties,
Elles viennent dans le Palais
Où sont ces pauures desolets,
Voicy doncques nos aduersaires
Qui veulent finir leurs affaires,
Ayant finy tous leur argent
Leurs Procureurs sont diligents,
A les porter & les seduire
De faire promptement escrire
Le contract de leur bon accort
Par vn Notaire bien accort,
Ils voyent bien par la posture
De leurs plaideurs que la mesure
De leurs fraiz & de leurs despens
Est venuë au comble du temps,
Ils n’ont plus la bource fournie

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Et chacun credit leur dénie,
Leurs habits sont tous deschirez
Leurs biens sont tous desesperez,
Ils ont mis leurs meubles en gage
Et leur bestail est au pillage,
Ce desespoir rend les esprits
De leurs femmes tout entreprits,
Quelles ne sçauent plus que faire
Dans leur cœur gronde la colere,
Les latmes leurs tombent des yeux
Les procez sont tant ennuyeux
Qu’on les doit sans doute plus craindre
Que la mort qu’on nous peut dépeindre,
Parce qu’elle finit nos maux
Et les procez nos longs tombeaux,
Les prolongent & nos souffrances
Si l’on vit dans des esperances,
Apres on meurt de defespoir
Cette raison à le pouuoir,
De faire rompre comms vn verre
Entre les chiquaneurs la guerre,
Qu’ils ne pourroient plus maintenir
Parce qu’ils viennent de finir,
Leurs balles auecque leur poudre
Cela les porte à se resoudre
A faire vne transaction

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Auec plus grande affection,
Ils conuiennent de cette sorte
Qu’ils se quitteront à la porte,
Bons amis sans demander rien
Les vns aux autres de leur bien,
Leurs Procureurs n’en font que rire
Et ses gens-là sont au martyre,
Ils ont espuisé leurs tresors
Et ruiné leurs pauures corps,
Mais lors qu’ils ont quitté les armes
Voicy de nouuelles allarmes,
Que font les chiquaneurs nouueaux
Ils sont plus fiers que des gras veaux,
Et pour renouueller la guerre
De la chicane dans la terre,
Ne s’arment pas de pistolets
Ny des coutelats cizelets,
Mais bien de fort bonnes pistolles
Et de quantité de paroles,
Des papiers & de parchemins,
Sans qu’ils craignent les longs chemins,
Et les fatigues du voyage
Chacun d’eux a fort bon courage,
Ils se battent en rodomonts
Vous croyriez qu’ils sont des demons,
Mais lors que leurs bourses sont vuides

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Ils ne font plus des homicides,
Ils sont doux comme des agneaux
Parlent de creuser des tombeaux,
De leur procez afin de suiure
La paix qui montre de bien viure ;
Lors que ces pauures estourdis
Sont en repos, des plus hardis
Recommencent la mesme guerre
Et sentent le mesme tonnerre,
Qui les met aussi bien à bas
Que les premiers dans les combats,
Concluons qu’vn homme est vn Asne
Qui se plaist de viure en chicane.
Ceste guerre perdroit son cours
Si l’on ostoit de nos discours
Deux seuls mots qui la font renaistre,
Quand on la faite disparoistre
Ces deux dictions tien es mien
Sont la semence & le moyen,
Qui produisent dessus la terre
Cette perpetuelle guerre,
Certainement les chicaneurs
Sont fort semblables aux veneurs
Qui perdent bien souuent leur peine
Et n’ont qu’vne esperance vaine,
Qui les font encor retourner

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Parmy les bois se promener,
Ainsi nos chicaneurs en France
Se nourrissent d’vne esperance,
Qui leur fait plusieurs fois leur bien
Multiplier en vn beau rien,
Si les plaideurs croyoient mon dire
Ils ne chercheroient point leur pire
Mais ils viuroient dans le repos
Entre les verres & les pots.

 

FIN.

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