S. D. S. M. / Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], PROCEZ BVRLESQVE ENTRE MR LE PRINCE ET MADAME LA DVCHESSE D’ESGVILLON, AVEC LES PLAIDOYERS. Par le S. D. S. M. , françaisRéférence RIM : M0_2884. Cote locale : C_8_37.
SubSect précédent(e)

PROCEZ
BVRLESQVE
ENTRE
MR LE PRINCE
ET MADAME
LA DVCHESSE
D’ESGVILLON.

 


PAVL fils de Paul, ce bon Apostre,
A toy plustost qu’a pas vn autre,
Ie veux par inclination
Donner vne relation,
Qui sera bonne ou bien mauuaise,
Si bonne elle est, j’en suis bien aise,
Si mauuaise au contraire elle est,
Il ne m’en plaist ne m’en desplaist :
Mais qu’elle soit mauuaise ou bonne,
Telle qu’elle est ie te la donne.

 

 


Elle contient ce qui passé,
Fut au Palais le mois passé,
Que May depuis long-temps on nomme
Aussi bien icy comme à Romme
(Non pas en ce Palais Royal
Qui fut autrefois Cardinal)

-- 6 --


Ains dans le Palais, où Iustice
A ceux qui droict ont est propice,
Et qui condamne rudement
Ceux qui litigent follement.

 

 


Or comme tu fais sentinelle
Chez toy dedans chaize eternelle,
Et qu’ainsi ie n’ay le bon-heur,
(Vn courtisan diroit l’honneur)
D’estre admls dans ta connoissance,
Dont i’ay moult grande déplaisance :
Ce nouueau sujet i’ay trouué,
(Apres auoir beaucoup resué)
Pour pouuoir visite te rendre,
Et par ce mien escript t’apprendre,
Ce que ne t’a permis ton mal
De voir en son original ;
Car la foule dedans ta biere
T’eust reduit en grande misere :
Rondement donc ie t’escriray,
Et point ou peu ne mesdiray.

 

 


Desia t’auoir dit quelque chose,
Quelqu’vn aura pû de la cause
Du testament riche, & fameux,
Où ne mit aucuns legs pieux,
Celuy qui n’aguere en ce monde,
Commanda terre, & brida l’onde,
Faisant regner en cet Estat
Son souuerain Cardinalat :
Aussi croy que ne l’aimoient mie
Beaucoup de Gents de l’Italie,
Non plus que le peuple Lorrain,
A cause de son Souuerain,
Que cet Armand espouuantable
A mis en estat deplorable ;
L’ayant hors de Nancy ietté,
Et s’il l’eust pris, l’eust etesté :

-- 7 --


Il fit piece pourtant bien sotte
Alors qu’il luy rendit la Mothe ;
Car depuis ce temps Champenois
Gaulez ont esté comme noix ;
Cliquot remportant maint bagage
Que sur eux il prend par pillage :
Maintes gents aussi dans Paris
(Si ce n’estoient ses fauoris)
Parloient mal de cette Eminence,
Sans espargner sa continence :
Mais soudain les vns exiloit
Autres à son ire immoloit.
Tu sçais s’il se monstra seuere,
Quand Paul l’aisné, ton deffunt pere
Desquilla du trosne des Lois,
Et fit planter choux prés de Blois ?
(S’il deuoit reuenir en vie,
D’en parler n’en aurois enuie,
Ny d’en dire ny bien ny mal ;
Crainte que comme vn Mareschal
Voir ne me fist fossez de ville,
Au trauers d’vne verte grille)
Mais adonc puis qu’estant passé
Plus ne reuient vn trespassé ;
Il me permettra de te dire,
Ce que seras aise de lire ;
Car point tu n’as de fondement
D’en auoir mescontentement.

 

 


Donc d’Auril le vingt huictiesme,
Ou plustost l’antepenultiesme,
Ou trois iours parauant le mois
Que Rossignolet chante au bois,
Dans la Salle ie veids Duchesse
Ouïr fort deuotement Messe,
Tenant en sa main Chapelet :
Autrefois le sieur Combalet

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Eust l’honneur de l’auoir pour femme ;
Mais quand la mort dessous la lame
Eust reduit ce pauure Monsieur,
Cousin de I’ancienne faueur,
De cil, si trouuer rime en ourpre
Pouuois, ie dirois que le pourpre,
Deuant Montauban emporta,
Dont beaucoup on ne s’attrista

 

 


Cette Dame se voyant vefue
Sentit vne douleur griefue ;
Et quoy que sa grande beauté,
Iointe auec sa pudicité,
Donnast de l’amour à grands Princes,
(Comme à Gouuerneurs de Prouinces)
Voulut viure en viduité,
Voüant à Dieu virginité ;
D’où vient qu’elle a fait mettre en bosse,
Au derriere de son carosse,
Auec admirable fasson
D’vne pucelle l’escusson :
Aussi sa deffunte Eminence,
Luy porta telle bien-veillance,
Que peu d’amour luy ressembloit,
Car tous les iours il redoubloit.

 

 


Cette prudente & sage Dame
Peu de soin n’auoit dedans l’ame ;
Et quoy que sa deuotion
Luy fit auoir attention,
A ce sainct & sacré mystere
Que celebroit vn fort bon Pere :
Quand voyoit quelque Conseiller
Vers la grande Chambre driller,
(I’entends ceux-là de qui les testes
Sont blanches sortans des Enquestes,
Cathedrez sur les fleurs de Lys,
Où nos Monarques sont assis)

-- 9 --


Lors se leuoit en diligence ;
Pour luy faire la reuerence,
Et recommander le bon droit,
D’important procez qu’elle auoit,
To chant la volonté derniere,
De l’empourpré Frere à sa Mere :
Et quand President paroissoit,
Humblement elle s’abaissoit,
Rendant fort grande defference,
A souueraine Presidence.
Troupe fort belle la suiuoit,
Qui la mine tres-bonne auoit,
Gentils-hommes, ou Damoiselles,
Ou bien femmes, ou bien pucelles ;
Pucelles pourtant que ie croy,
Et si tu demande pourquoy ?
C’est que cette Dame estant fille
N’en voudroit d’autre en sa famille ;
Cette troupe n’auoit bon teint ;
Mais c’est que trop matin l’on vint,
(Telles Dames ayant coustume,
Se leuer tard crainte du rume)
Mais laissons la complimenter,
Et ses raisons representer,
Pendant que puissant Prince arriue ;
(Ie croy que sans que le descriue
Trop bien sçauez desia qui c’est ;
Mais comme ie croy qu’il te plaist,
Rendre il te faut obeïssance)
C’est le premier Prince de France,
Chef de la Maison de Bourbon,
Sage, vaillant, sçauant, & bon ;
Où si tu veux que ie m’explique,
C’est de Condé Prince heroïque.

 

 


Il conduisoit à son costé
Vne ieune & tendre beauté,

-- 10 --


C’estoit Madame la Duchesse,
Que Mariage a fait Princesse,
Niepce du deffunct Cardinal,
Et fille du grand Mareschal
De Brezé, famille ancienne,
Plus noble que tienne ny mienne ;
Car de l’ancien sang de Maillé,
Tousiours boüillant iamais caillé,
Ce puissant Officier de France,
Fist naistre Madame Clemence :
Aussi le deffunct eust l’honneur
Alors qu’il luy bailla sa sœur.

 

 


Or auoit vne belle suite
De Filles de tres-grand merite,
Entr’autres, la belle Strossy,
Que ie connois & nomme aussi,
Fille de Dame bonne & sage,
Qui maintenant est en veufuage,
Si les autres ie connoissois,
Volontiers vous les nommerois ;
Mais puis que n’en ay cognoissance,
Ie les passeray sous silence.
Ils entrerent par le Parquet,
Quand leué l’on eut le loquet,
Et qu’Huissiers, auec leur baguette,
(Que maint, & maint homme bonnette)
Eurent fait retirer les gents :
Alors ils entrerent leans,
Et de là, dedans la grand Chambre,
Où plus chaud faisoit qu’en Decembre.

 

 


Pour te dire ce qu’on y fit,
Personne ne me la point dit,
Et si n’estois là ie te iure
Pour en remarquer la figure :
Trop bien sçay, qu’apres qu’enchambrez,
Furent pourprez, & non pourprez,

-- 11 --


D’Esguillon la noble Duchesse,
Soit qu’elle apprehendast la presse,
Soit qu’elle n’eust assez dormy,
Hors Palais en aller ie vy ;
Dont i’eust tres grande desplaisance,
Croyant la voir à l’audiance,
Pour voir soustenir le bon droit,
Qu aux Iuges auoit dit qu’elle auoit :
Seulement cette bonne Dame,
(Que plus que deu[1 lettre ill.]t zele enflame)
Aumosnier pour elle y laissa,
En qui grande fiance elle a ;
Aussi là si fut demeurée,
Cette grandeur tant admirée,
Qu’autresfois dans l’estat elle eust,
Par trop sousmise elle se fust.

 

 


Lors afin de retenir place,
I’abandonnay la populace,
Et sans m’engager au caquet,
Ie trauersay par le parquet ;
Non pas celuy de l’Huisserie,
Qui conduit à la plaidoirie,
Ains par celuy des Gens du Roy,
Sçauans en matiere de Loy,
Prenans en main cause publique,
Dans Palatine Republique.
(Messieurs appeller on les doit,
Mais le vers par trop long seroit,
Si bien que si ie fais vn crime,
Faut le pardonner à la rime.)

 

 


Par là ie coulay doucement,
Sans marcher par trop biusquement,
Et puis i’enfilay la montée,
Qui n’est gueres souuent frotée ;
(C’est le degré par où pisser
Viennent Messieurs.) Là pour passer,

-- 12 --


Il me fallut liurer bataille
Contre honnestes gens & canaille ;
Car Conseillers & Aduocats,
Procureurs, petits Magistrats,
Clercs, & soliciteurs à gage,
Occupoient ce puant passage.
Nous n’estions pas pourtant trop mal,
Pour entrer au moindre signal :
Ce que fismes, mais en grand foule,
Conseiller, sur le Clec se roule,
Le Procureur, sur l’Aduocat ;
Vn chacun pour place se bat,
Et pour plus aisément entendre,
Ce qu’on occupe, on veut deffendre.

 

 


Mais ie voy Messieurs arriuer,
Sans qu’on s’empesche d’estriuer.
Desia premier President monte,
Et de faire bruit n’auons honte ;
Apres luy suit Monsieur Potier,
Digne President au Mortier,
De Nouion l’on le surnomme,
Et dit on que c’est vn preud’homme ;
Monsieur de Mesme est apres luy,
Des doctes le puissant appuy,
De deffunct Roissi fils tres-digne,
En sçauoir grandement insigne,
Dont le frere est dedans Munster,
Pour trefue ou paix nous apporter,
De l’Espagne auec que la France,
De quoy la deffunte Eminence,
Eust pû deuenir enragé,
Si la mort ne l’eust vendangé ;
Et par triomphante voiture,
Conduit dedans la sepulture.

 

 


Apres, suiuent les Senateurs,
De la Iustice protecteurs,

-- 13 --


Lais, & non lais, vieilles personnes,
Ayans consciences fort bonnes ;
Estans montez ; l’Huissier premier,
Ou si voulez, Premier Huissier,
Auecqu’vn maintien fort honneste,
Vn beau bonnet ayant en teste,
Tout couuert de toille d’argent,
Meilleur que celuy d’vn Regent ;
Vn tour ayant de perles fines,
Et le dedans fourré d’hermines,
Il dit que l’on ne fasse bruit,
Et cela ne fut pas sans fruit ;
Puis qu’aussi tost murmure cesse,
Et la rumeur enfin s’abaisse :
Luy se leue, ostant son bonnet,
Plus doux que casque à Lansquenet,
Et dit auecques voix tremblante,
Ouurez, (& l’on diroit qu’il chante.)
Aussi tost vn Huissier accourt,
Il ouure, & tout le monde court,
Vers les Barreaux, pour prendre place,
L’vn dedans l’autre s’embarasse,
L’vn dit, qu’on luy romp le costé ;
L’autre, qu’il est acrauanté.

 

 


Apres qu’on eut dit qu’on se baisse,
Alors le Prince & la Princesse,
Vis audiance demander,
Pour faire leur cause plaider ;
Ce que refuser on n’eust garde,
Aussi premier Huissier ne tarde,
Cette grande cause appeller ;
Et le placet articuler,
D’vne voix presque musicale
(Dont retentit toute la Salle)
Il se rompt presque le gosier,
Nommant le Procureur Mazier,

-- 14 --


Bourdon, pareillement il nomme,
Quoy que Procureur honneste homme,
Et tient pour insigne bon-heur,
D’estre du Prince Procureur ;
Le Mazier est pour la Duchesse,
Qui jadis fut plus que Princesse,
Bourdon appelle l’Aduocat
Gaultier, à qui faut maint ducat,
Pour faire plaider vne cause,
Car peu d’argent ne l’y dispose ;
Aussi beaucoup cét homme vaut,
A ses Cliens qui point ne faut,
Et s’il prend auec allegresse,
Il les deffend auec addresse,
D’où vient que Monsieur de Condé,
De le prendre n’a marchandé.

 

 


Le Mazier d’appeller Hilaire,
S’esgosille, & se desespere :
Aduocat grandement sçauant,
Grandes causes plaide souuent,
Tres-excellent Iurisconsulte,
Et que force monde consulte,
Que Dame au petit Luxembourg,
Chez la Reyne ayant le tabour,
A choisi pour son droict deffendre,
Et le faire aux Iuges entendre.

 

 


Quand la presse ils eurent fendu,
Et respect à la Cour rendu.
Gaultier son plaidoyer commence,
D’esprit auec grande presence,
Dit que renonciation,
Qu’a fait à la succession,
Par son contract de mariage,
La Princesse n’estant en aage,
Est nulle ; aussi que promptement,
Auoit protesté hautement,

-- 15 --


Contre la grande violence
Qu’elle souffrit de l’Eminence
(Elle n’y pouuant resister,
Ny l’ozant sur rien contester)

 

 


Qu’au testament, ou codicille,
Quoy que le deffunct fut habille,
Nullitez sont au nombre sept,
Que par ordre en sa cause il met.
Et commençant par la premiere,
Point d’heritier, point d’heritiere,
(Comme requiert le droict escrit,
Que dans Narbonne l’on prescrit.)

 

 


Et pour la nullité seconde,
Sur laquelle Gaultier se fonde,
C’est que tesmoins, n’ont cachetté
Testament par eux attesté.

 

 


En suitte il dit pour la troisiesme,
Que pour le tesmoin huitiesme,
Falconis le Tabellion
Aposer n’auoit pû son nom,
(Fonction faisant de Notaire,
En cet acte plein de mystere.)

 

 


La quatriesme nullité,
Est (si ie n’ay mal escouté,
Et si i’ay memoire aussi bonne,
Que ie l’auois deuant l’Automne)
Que cet acte, vno contextu
Auoir esté parfait, n’a pû.

 

 


Pour ce qui touche la cinquiesme,
Ou bien l’antepenultiesme ;
C’est que n’estans point appellez,
Tous les tesmoins y sont allez.

 

 


La sixiesme, que ie pense,
Est, que sa deffunte Eminence,
Fist signer indifferemment,
Domestiques au testament.

 

-- 16 --

 


Et pour la nullité derniere,
Visible comme la premiere :
Point n’est d’interpellation,
De mettre sa soubscription
(Ainsi que le veut l’ordonnance)
Dont nons faisons grande obseruance,
Celle d’Orleans, & de Blois,
Qui nous sont prescrites pour Lois.

 

 


Apres il dit que la Duchesse
Estoit bien pleine de finesse,
Qu’elle auoit par suggestion,
Fait vne forte impression,
Dans cette puissante ceruelle,
Sousmis l’ayant à sa tutelle,
La comparant à Dalila,
Qui de Samson cœur affola.

 

 


Mais l’heure coupa sa parole,
(Dont il faut que l’on se console ;
Puis que l’heure sonnante, helas !
De plus parler permis n’est pas)
Ce qui fist que Cour souueraine,
La cause remit à huictaine ;
C’est pourquoy le cinquiesme May,
Au Palais retournay tout gay,
Afin d’estre instruit de la suitte,
De l’histoire que ie recite.

 

 


As sçeu desia par cy-deuant,
(Et tu dois en estre sçauant)
L’estat auquel estoit la Dame,
Depuis que Iustice reclame,
(C’est à dire attendant Messieurs,
Et leur rendant de grands honneurs)
Dequoy ne prenoit pas la peine,
Lors que regnoit faueur hautaine ;
Car vn des siens, au Parlement,
Enuoyoit souuerainement.

 

-- 17 --

 


Ie fus comme la fois premiere,
(Ainsi que ie t’ay dit naguere)
Pour me placer commodement,
Huissiers caressant souplement.

 

 


I’entray donc sans beaucoup de peine,
Comme ie fis l’autre semaine,
Et dans le parquet me placay,
Où pas vn peu ne me lassay :
Car à mon aise n’estois guere,
Et sus boys en grande misere,
Genoüils miens ne se dilatoyent,
Ny gigots, estendus estoyent
Si que i’eus grande lassitude
Pour du monde la multitude.

 

 


Quand Messieurs furent arangez,
Et que barreaux furent chargez,
Apres ouuerture de porte,
Alors, Gaultier, d’vne voix forte ;
Reprenant son huictain discours,
Conclud apres quelques destours,
Contre la volonté derniere ;
Ace qu’Arrest, iuste, & seuere,
Cassant renonciation,
Suiuant la protestation :
Au temps faite de mariage,
Ordonnast qu’on seroit partage.

 

 


Aussi despens il demanda,
Finissant sa cause par là,
Qu’il appartenoit à Iustice,
Et qu’il estoit de son office,
D’empescher que tous ces thresors,
Qui sont dans la France, & dehors,
A la Combalet appartiennent,
Et que les Vignerots les prennent ;
Mais qu’il faut auec raison,
Que ceux de Royale Maison,

-- 18 --


Illustres dedans leur naissance,
Et presque de diuine essence,
Tel qu’est Monsieur le Duc d’Enguien,
Prennent bonne part dans ce bien ;
Ainsi que dans son origine,
Et dedans sa source pristine,
Ce grand auoir retournera,
Et que public content sera,

 

 


Quand à moy i’oserois bien dire,
Maintenant qu’vn peu l’on respire,
Que Gaultier, raison bonne auoit.
Car on sçait que cil qui mouuoit,
A son desir, toute la France,
N’a pas gagné tant de cheuance,
Par le grand trauail de son corps,
Ains, qu’il a ioüé tous ressors,
Sans donner repos à son ame.
Ny se soucier d’aucun blasme,
Pour amasser biens, & honneurs,
Pour deposseder gouuerneurs,
Et pour mettre dans sa Famille,
Plus d’or que n’en a la Castille :
Illustres chefs faisant couper,
Pour leurs dignitez vsurper.

 

 


Mais trop ie fais le Politique,
Et ie sors de mon ecliptique,
Pour sur le passé raisonner,
Dequoy l’on me pourroit berner.

 

 


Voyons plustost le graue Hilaire,
Manifester sa mine austere,
Et commencer sa cause ainsi :
Puis qu’on nous a conduits icy ;
D’Eguillon la noble Duchesse,
Deuant vous tous, Messieurs, confesse,
Que perdre l’on ne la veut pas ;
Car ce seroit estrange cas,

-- 19 --


Que dedans la grande puissance,
Que Monsieur le Prince a en France,
(Estant premier Prince du sang,
Y tenant le troisiesme rang)
S’il vouloit contr’elle entreprendre,
Tous ses grands biens il pourroit prendre :
Citant Ioseph l’historien,
Et le passage Herodien ;
(Lors que deuant le grand Auguste,
Herodes des Iuifs Prince iniuste,
Ses deux enfans fit amener,
Pour les y faire condamner.)

 

 


Puis refutant d’ardeur extrême,
Et faisant passer pour problême,
Ce que l’on auoit opposé,
Dit que l’on auoit abusé
De Souueraine patience,
Lors de la derniere audiance.

 

 


Il par la fort elegamment,
Citant aussi pertinemment,
Tres à propos à sa matiere,
Du testament, la Loy derniere,
La Loy Hac consultissima,
Que grand Iustinian forma,
Pour apporter regle certaine
A volonté derniere humaine :
Aussi sçauant Tribonian,
Ne ceddant à Papinian,
La fit inserer dans le Code,
Afin de seruir de methode,
Pour bien composer testament,
Et cettes il fit sagement.
Aussi cita forces passages
Beaux & bons comme des Adages,
La Loy Lucius Titius,
Auec la Loy Domitius ;

-- 20 --


Par où soustenoit, que Notaire
Tesmoin peut-estre en ce mystere,
Et que la protestation
Contre renonciation,
Ne pouuoit point auoir de force,
Quoy que de le dire on s’efforce.

 

 


Apres quelques lettres il leut,
Dequoy fort bien passé se fut,
Et de dire quelqu’autre chose
Que repeter certes ie n’ose :
Et ie m’estonne fort comment
Il parla tant ouuertement,
Car quand à moy, ie vous assure
Que dans vne telle aduanture,
Ie m’en fusse fort bien gardé,
Crainte d’estre bastonnadé,
Et faire rude penitence,
D’vn discours de telle importance.

 

 


Mais comme l’horloge sonna,
Chacun chez soy s’en retourna,
En attendant à la huictaine,
Qu’on se donna bien de la peine
Pour ne rien entendre du tout,
Hilaire n’estant point debout ;
Ains en son lict gisant malade,
Où peut-estre estant à l’estrade ;
Car pris auoit medicament,
Et mesme quelque lauement,
Qui l’empescha faire sortie,
Et de plaider pour sa partie :
Si qu’au vingt-trois cause on remit,
Dequoy fasché le monde on veid.

 

 


Donc arriuant cette journée
A ce plaidoyer destinée,
Chacun y vinst de grand matin,
Pour ne point prendre peine en vain.

 

-- 21 --

 


Apres qu’on eust fait ouuerture,
Et que cessé fut le murmure,
L’Aduocat recapitula,
Et iusqu’à dix heures parla
Auec ardeur, de la prudence,
Ensemble de l’experience,
Du Cardinal de Richelieu,
Descendu de tres-noble lieu ;
Car dit-on, de race Royalle,
Fut cette Eminence Ducalle,
Du costé de Louys le Gros,
Dont à sainct Denys sont les os.
(Ce qui n’est vray, la flatterie
Ayant fait cette menterie.)
Aussi dit il, qu’absolument
Auoit pû faire testament,
Sans qu’il encourut de censure,
Ny qu’on y trouuast d’ouuerture.
Pour disputer à ses parens
Ses biens, quoy que trop apparens.

 

 


Le lendemain vingt quatriesme,
Il parla presque tout de mesme,
Et dit pour sa conclusion,
Que lettres de rescision
Ne peuuent pas estre valables,
Que demandeurs non receuables,
Estans à l’entherinement ;
Il conclud au déboutement.

 

 


Apres quoy le ventru Rozée,
Auec sa voix organizée,
Crotesquement emperruqué ;
Qui le sur-taux a pratiqué,
Depuis multitudes d’années,
Soit pour parroisses abonnées,
Ou celuy qui trop rudement
Taxé, requiert soulagement,

-- 22 --


(Ou bien pour Asséeurs des tailles,
Collecteurs, & telles canailles ;)
En cette souueraine Cour,
Des procez d’Aydes le sejour.

 

 


Ce bon homme dans cette cause,
Parla tousiours fort bien en Prose,
Pour Monsieur du Pont de Courlé,
Du deffunct Nepueu signalé,
Fameux General des Galaires,
Quoy que sur Mer il ne fut gueres ;
Car des Mers le Surintendant,
Craignoit pour luy quelque accident.

 

 


Il se plaignit, qu’vne Memoire,
Qui doit estre auant dans l’Histoire ;
Que le nom du feu Cardinal,
Qui fit tout à bien, rien à mal,
Taxé soit en sa renommée,
Qu’on a hautement diffamée ;
Immo vero, a demandé,
Primo, qu’il luy fust accordé,
Que du Roolle de medisance,
La Cour rayast son Eminence.

 

 


Secundo, que ce testament,
Fait auecques grand Iugement,
Demeurast dans sa subsistance ;
Remonstrant auec l’éloquence,
Dont ordinairement se sert
Cét homme en taille fort expert,
Que Marquis du Pont sa partie,
Estoit si plein de modestie,
Que quoy qu’il fust des-herité,
Il ne s’estoit point irrité :
Et tant reueroit la Memoire,
De son Oncle remply de gloire,
Que pas ne vouloit contester,
Mais bien plutost executer

-- 23 --


Du deffunct volonté derniere,
A quoy librement obtempere ;
Comme doit faire son nepueu,
Ayant l’ame assize en haut lieu.

 

 


Puis cita forces beaux passages,
Dont fit merueilleux assemblages :
D’Autheurs cogneus & non cogneus,
Et pour rares hommes tenus ;
Dont au Palais quoy qu’ancienne,
Iamais ne par la langue sienne,
Dequoy le monde estonné fut ;
Car sans l’oüyr, creu l’on ne l’eust.

 

 


Apres qu’il eut conclud, Bataille
(Qui ne plaide plus pour la Taille,
Ainsi que jadis il faisoit,
Pour ceux que trop on cottisoit,
Parauant que son éloquence
Le fist Aduocat d’importance,
Parla pour le Duc de Bresé,
Qui ne doit estre mesprisé ;
Car de Dame d’Anguien est Frere,
De Pere, aussi bien que de Mere ;
De la France Grand Admiral,
Vaillant, courtois, & liberal :
Il dit, quoy que la Cour pourprine
De ce testament determine,
Son Client n’a point d’interest,
De quelle façon soit l’Arrest ;
Ainsi qu’à la Cour se rapporte,
Et de contester se deporte.

 

 


Pour la Sorbonne, Montelon
Fit son plaidoyer par trop long,
Gaultier consentant deliurance,
De son Legat par preference.
Pucelle pour la Mission,

-- 24 --


Eut mesme composition.
Quand d’Aduocats cette traisnée ;
Euit cette cause fredonnée ;
Lors Gaultier repliquer voulut,
Dont licence aisément il eut.

 

 


Alors commencea sa replique,
Par ce qu’on veoid dans la chronique,
Qu’homme de grande qualité,
Ayant eu la temerité,
De parler auecqu’insolence
A Prince de haute naissance,
Il fut par son gosier pendu,
Demeurant en l’air morfondu.
Celuy-là ioüoit de la gripe,
Lors que regnoit le beau Philippe ;
Mais il fut assez impudent
Encore que Sur-Intendant,
Et de Longueuille fut Comte,
Ce Prince luy demandant compte,
De luy donner vn desmenty,
Dont tost suiuit le repenty :
L’histoire Marigny le nomme,
Qui dit qu’il n’estoit Gentilhomme.
Qu’autre pour le mesme sujet,
Quoy que venu de pere abject,
Eust les espaules fustigées,
Et les oreilles abrogées,
Ce que dans Montferrand l’on vid,
Où naissance ce galand prit.
Il gouuerna Loys vnziesme,
Et souffrit sous Charles huictiesme.
Doyac cet homme se nommoit,
Que Louys cherement aymoit.

 

 


Ie confesse que j’eus croyance
Qu’on concluroit à l’audiance,

-- 25 --


A ce qu’Hilaire on estranglast,
De verges Rozée on sanglast,
Et qu’ainsi l’Aduocasserie
S’en allast par la penderie,
Et les plus huppez du barreau,
Deuinssent gibier du bourreau :
Il est vray que dedans leurs causes,
Ils auoient dit d’estranges choses,
Dequoy le Prince de Condé,
Eust fort bien raison demandé ;
Mais non pas à ce que ie pense,
Pour les attacher à potence,
Non plus que les essoriller,
Ny de verges les estriller.
Aussi vis ie en grande colere,
Hilaire ne se pouuant taire,
Disant que memoires auoit,
Sur lesquels plaider il pouuoit.

 

 


Assez long-temps dura la noise ;
Mais premier President l’accoise,
Disant, qu’ils plaidassent leurs faits,
Et qu’ils remissent leurs bonnets.
Ainsi s’assoupit leur querelle,
(Et Gaultier parlant auec zele)
La violence exagera,
Et le pouuoir rememora,
Dont abusoit durant sa vie,
Ce grand angouleur d’Abaye :
Mais par trop parler, soif il eut,
Parquoy fit pose, & puis il beut,
Ou vin, ou bien eau, ne m’importe,
Tant est qu’il eut la voix plus forte.

 

 


Aussi parla-il d’action,
Soustenant que l’extraction
Des Vignerots n’auoit noblesse

-- 26 --


Pour tant priser cette Duchesse :
Qu’elle venoit d’vn Chastelain,
Qui ne fut autre que vilain,
(I’entends d’vn Iuge de village)
Qui valoit bien moins qu’vn Bailliage :
Aussi Curé son oncle estoit,
Ainsi que l’Aduocat cottoit,
Du village de Bressuïre,
(Ce que l’on ne peut contredire)
Village scis dans le Poictou,
Où iamais n’allay peu ny prou ;
De sorte que n’estoit de race
Qui put meriter cette grace,
(Le tout estant bien recherché)
De posseder vne Duché,
Qui porre titre de Pairie,
En France grande Seigneurie ;
Car ayant cette qualité,
L[illisible] peut estre manifesté,
S[illisible] Fleurs de Lys Parlemantaires,
Au dessus de tous ces bons Peres,
Rendans iugemens souuerains
Auec leurs habits purpurains :
Ce qui ne conuient à Pucelle,
Qui mesme n’est pas Damoiselle ;
Pourquoy le Prince de Condé,
Sçachant comme on a procedé,
Dans le Chastelet à la vente
D’vne terre tant apparente,
Appel auoit interjetté
De ce decret precipité :
Aussi Madame la Duchesse,
Ne doit point estre la maistresse,
De ce beau Duché d’Aiguillon,
Les siens payans taille & taillon.

 

-- 27 --

 


De moy pour mon sentiment dire,
Non que ie pretende mesdire,
Mais tant seulement raisonner
Sans pour ce passionner,
Quand Lieutenance Magistrale,
Et Iustice Presidiale,
De gens tenans le Chastelet
(Non trop loin de la pierre au laict)
Eurent d’adjuger la puissance,
Ce Duché dans leur Audiance ;
Ils deuoient bien se souuenir,
Que toute grace il faut bannir,
Alors que l’on rend la Iustice :
Qu’il ne faut suiure le caprice
Des puissans, ny de la faueur,
Et que tout homme ayant grand cœur,
Au pauure, aussi bien comme au riche
D’equité ne doit estre chiche :
Que si Monsieur le Lieutenant,
En ce temps le Siege tenant,
Eust bien consideré l’affaire,
De tous il eust receu l’enchere,
Et sans precipitation,
Eust fait l’adjudication ;
Par ainsi, toutes les personnes
Dont les debtes estoient fort bonnes,
Eussent receu contentement,
De leur deub ayant payement :
Mais l’authorité Cardinale
Forçea pour lors la Magistrale,
Chacun aussi sçait bien comment,
Falloit obeir promptement.
Quand Gaultier eut fait sa replique,
Qui n’estoit mal satyrique,
Suruint l’Aduocat Chenuot,
Qui ne boit pas si bien qu’Huot.

-- 28 --


Natif il est de Bray sur Seine,
De Nogent ville assez prochaine.
Iadis plaida pour Medecins,
Qui rendent les malades sains
Contre l’Intendant de Gazette,
Ayant de nez force disette.
Pour vn homme il interuenoit,
Et le testament soustenoit,
L’auoir nommé pour legataire,
Et que la volonté derniere,
De gages luy laissoit six ans,
Pour auoir aux nobles enfans,
Qui du Cardinal estoient pages,
Sortis de releuez lignages,
Les Mathematiques monstré,
Ainsi qu’il estoit registré
Au nombre de ses domestiques,
Comme Maistre à Mathematiques.

 

 


Mais Hilaire dit hautement,
Que c’estoit impertinemment,
Que cet homme Maistre de dance,
De legs demandoit deliurance,
N’estant point couché sur l’Estat.
De cet Eminent Potentat.

 

 


Cette interuention finie,
Dont on ne se soucia mie,
Les deux Aduocats arcboutans,
L’vn de l’autre pas trop contens,
Se donnerent force estocades,
Dont la pluspart estoient bien fades
(I entens estocades du bec)
Car, soit à cause du respec
Qu’a la Cour l’vn & l’autre porte,
Ou pour quelque cause plus forte,
Garde n’eurent de se gourmer ;
Car sans qu’on eust fait informer,

-- 29 --


Ces Messieurs de la Chambre grande,
Leur eussent fait payer l’amende ;
Ioint qu’ils n’estoient auoisinez,
Pour se donner des casse nez :
On les fit toutesfois bien taire,
Puis auec visage severe,
Monsieur le premier President,
Fut opinions demandant,
Et quand sa place il eut reprise,
Au lendemain fit la remise ;
Quoy qu’il restast beaucoup de temps,
Dont faschez feurent maintes gens.

 

 


Lors premier Huissier de son roolle
Où maintes causes l’on enroolle,
Vn coup frapa sur son bureau ;
Puis on s’en alla bien & beau,
Premier Huissier pourtant rechine,
Et d’vne mine bien chagrine,
Dit qu’affaires point ne se font,
Ny qu’escus en ses mains ne vont :
Mais il a tort d’estre en colere,
Puis que pour cette grande affaire,
Il sera tant recompensé,
Qu’il n’en sera plus courroucé.

 

 


Ainsi la foule desempare,
Et de reuenir se prepare
Au lendemain de bon matin,
Ou peuple du pays Latin,
Du Marais, de Place Royalle,
Detous quartiers, mesmes de Halle,
Toutes sortes de nations,
Et de toutes conditions,
Se rangerent proche la porte,
Composant puissante cohorte.

 

 


I’y remarquay des Courtisans,
I’y veids mesme des Paysans,

-- 30 --


S’y fourroient aussi des Chanoines,
Des Prestres, auecque des Moynes,
Moynes froquez, & non froquez,
Dont les goussets n’estoient musquez ;
Enfin, tout le monde s’y range,
Et l’on s’y presse plus qu’au Change,
Pour ne perdre l’occasion
D’entendre la conclusion.

 

 


Montmort guindé dessus sa beste,
Partit pour venir à la Feste,
Et quoy que l’on n’y disna point,
I’y veids le moule à son pourpoint.

 

 


Auant que derniere iournée,
Soit dans cét escrit terminée,
Ne veux sous silence passer,
Que noble Dame fit dresser
De recusation Requeste,
Vne ou plusieurs, ne m’en enqueste,
Non pas mesme, en quel iour ce fut,
Que dans grande Chambre on les leut :
(A vous, à moy, cela n’importe)
Quoy que ce soit, requeste auorte ;
Ainsi, ceux qui sont recusez,
(Sinon qu’ils s’en soient excusez)
N’ont laissé de demeurer Iuges,
Nonobstant tous les subterfuges
De la Duchesse d’Aiguillon,
Dont sur la iouë eust vermillòn.

 

 


Pour reuenir ; ma destinée
Me logea vers la cheminée.
Apres que porte ouuerte on eust,
Et que tout le monde entré feust ;
A moy comme aussi plusieurs autres
Fusmes dessus les jambes nostres
Tant que le Plaidoyer dura,
Dont ma bouche ne murmura,

-- 31 --


Me disposant à patience,
Pour entendre cette audiance.

 

 


Silence fait, Monsieur Briquet,
L’vn des trois Astres du parquet,
Pour le Roy portant la parolle,
Ne dit rien du tout de friuolle ;
Car puissamment il raisonna,
Et tout le droict examina,
Que pouuoit auoir la Duchesse,
Par disposition expresse
De Monseigneur le Cardinal,
(Nom qu’il perdit au iour final ;
Qu’il laissa pour la sepulture,
Son corps remply de pourriture)
Car depuis cet heureux moment
A cessé ce haut compliment ;
Et Monsieur, à peine on le nomme
Estant mort ainsi qu’vn autre homme.

 

 


De ces nullitez il parla,
Que Gautier articulez a,
Pour ce grand testament destruire,
Où ne trouua guere à redire,
Puis a loüanges estallé,
Et tous les beaux faits enfilé,
De celuy-là, qui la Sorbonne,
De vieille a faite belle & bonne ;
Beaux faits desquels il se seruit
Et par où tant d’or il rauit
Sous ombre d’enuahir l’Espagne,
Desolant toute la campagne
Par imposts & tributs nouueaux,
Faisant passer François pour veaux.
Il reuinst à Monsieur le Prince,
Seigneur qui n’est poirt du tout mince,
Puis le Duc d’Anguien loüangea,
Sans que point du tout mensongea,

-- 32 --


Mesme blasma son Eminence
De ce qu’il eut bien l’arrogance
Se seruir d’vn Prince si grand,
Qui du Roy Sainct Louys descend,
Pour estanconner sa famille,
Qui par trop dans la France brille ;
Le comparant au charpentier,
Qui prenant dedans son chantier
Bois pour soustenir vne vouste,
Tout aussi-tost qu’elle est absoute,
Et que pierres tiennent si bien
Que besoin n’ont plus de soustien,
Et que point n’en viendra de faute
Lors le charpentier le bois oste,
Et n’en fait plus estat aucun
Pour peu le donnant à quelqu’vn :
Ainsi l’oncle de la Duchesse
Craignant que faueur piperesse
Ne luy donnast du pied au cu,
Si bien que d’honneurs fut descheu,
Cette recherche a pratiquée
Et si l’a si bien fabriquée
Qu’enfin à bout en est venu,
Si que mariage faict fut,
Dont il eut grande soustenance,
Car tout chacun a connoissance,
Qu’en bransle dans Narbonne estant,
Son bagage alloit aprestant,
Pour fuir la faueur naissante,
Et de vitesse diligente
Dans Auignon se retirer,
Et ses ioyaux y transferer.
Alors ce Prince magnanime
Dont on doit faire grande estime,
Contre la crainte l’asseura,
Et suport sien se declara,

-- 33 --


Dont le Cardinal prit courage,
Si que fit esclater sa rage,
Contre deux pauures mal heureux,
A qui ce cœur point genereux,
A Lyon fit couper les testes,
Qu’il creut arrester ses conquestes,
Mais rien que leur mal-heureux sort,
Ne les conduisit à la mort,
Parquoy l’on plaint leur infortune,
Laquelle ne fut point commune :
Car si lors l’eussent éuité,
Fuyant deuant la cruauté,
De cét homme plein de vengeance,
Et de pardon n’ayant science,
Leurs testes sur leurs cous seroient,
Et leurs carrosses trotteroient,
Comme ceux de maintes personnes,
Qu’on n’a point estimé poltronnes,
D’auoir éuité sa fureur,
Dont tout le monde auoit horreur,
Finissans leur pelerinage,
Si tost qu’il eut plié bagage,
Et que sur Pont-Neuf eut passé,
Comme la bien Rondeau pensé,
Mais comme il fut en asseurance,
Du Prince il n’eut plus souciance,
Et mesme la desherité,
Ce qui procez a suscité ;

 

 


Puis dit que bruit de populace,
Ne doit auoir telle efficace,
Qu’il puisse le persuader,
De confiscation demander,
De l’inumerable cheuance,
Dont il auoit grande abondance,
Ce qu’on ne peut sans que procez,
Soit fait au corps pourry d’abcez,

-- 34 --


Et que memoire soit damnée,
De l’Eminence condamnée,

 

 


En apres prit conclusion,
Disant n’estre de lesion,
Et que clause estoit authentique,
Faite en forme fort iuridique,
Par laquelle dans le contract,
Par homme fait n’estant grain fat,
La Princesse auoit à l’hoirie,
Renoncé quoy que l’on en die,
Puis demanda commission,
Et d’auoir la permission,
Pour exacte recherche faire,
Des deniers que par la misere,
Des peuples, deffunct Cardinal,
Soit sous le tiltre d’Admiral,
Ou bien sous quelque pretexte autre,
Auoit pris du mien & du vostre,
Et qu’à l’Estat l’argent seruit,
Qu’à l’Estat autresfois rauit ;
Ainsi dans l’Espargne Royale,
Que l’on mette somme totale.

 

 


Quand tout dit il eut, il se teut,
Et ie croy que d’vn Substitut,
Luy fut fort bien venu l’vsage,
Pour vn peu frotter son visage,
Car ayant parlé long-temps hault,
Il ne pouuoit que moult n’eust chault ;

 

 


Adonc il se sied & s’essuïe,
Et pendant que le monde bruïe.
Monsieur le Premier President,
Opinions va demandant,
A tous les Conseillers d’Eglise,
Portans au menton barbe grise,
Puis à Messieurs Conseillers Lais,
Anciens Iusticiers du Palais.

-- 35 --


Cependant l’on dit sa sentence,
Et chacun dit ce qu’il en pense,
Quelqu’vn dit, que Monsieur Briquet,
Parlé n’a point en Perroquet ;
Mais qu’a conduit son eloquence,
Auec que grande suffisance ;
Autres sont estonnez comment,
Conclud il n’auoit autrement ;
Autres disent, que son langage,
Estoit remply de courage,
Et que dignement a requis,
L’argent que l’on auoit mal pris.
Vn autre d’esprit plus critique,
Dit, que c’est la cause publique,
Et que l’Aduocat General,
Auec son discours Doctoral,
A parlé comme vn sçauant homme,
Et qu’il a fort bien fait en somme ;
Mais que non seulement l’argent,
Pris sur riche, & sur indigent,
Ains aussi terres, & domaine,
Dont sa succession est pleine,
Deuoit pour le Roy requerir,
Pour ce grand Estat secourir.

 

 


Cependant pour cesser tumulte,
Huissier de sa baguette insulte,
Sur les non parlans & parlans,
Et les plaidoyers controollans.
Il dit que l’on fasse silence,
Afin d’auoir intelligence,
De ce que portera l’Arrest,
Où plusieurs prennent interest.

 

 


Monsieur Molé reprend sa place,
Et prononce de bonne grace,
Ayant pris aduis tour à tour ;
Sur l’appel au Conseil, la Cour,

-- 36 --


A les parties appointées ;
Et tant sur lettres presentées,
Que sur les interuentions,
En droict auec que ionctions.

 

 


Alors Gaultier leuant la creste,
A fait iudiciaire requeste,
Et le sequestre a demandé,
Tant que le procez soit vuidé :
Mais la requeste l’on appointe,
Et comme le reste elle est jointe.

 

 


Là dessus se leue la Cour,
Et laisse le doré sejour,
De cette Chambre lambrissée,
Où Iustice est bien dispensée,
Apres la foule s’en alla,
Et tout le peuple s’escoula :

 

 


Ie croy que toutes les parties,
Apres qu’elles furent sorties,
Tant demandeurs, que deffendeurs,
Remercier furent Messieurs :
Car touchant la noble Duchesse,
Que disposition expresse,
A colloquée vtilement,
Dedans ce fameux testament,
Elle sçait que trop bien son monde,
Et de trop de sagesse abonde,
Pour s’oublier de son deuoir,
A quoy ne la faut esmouuoir.

 

 


Quand à moy, faut que ie te die,
Que pendant cette tragedie,
Chaleur m’auoit tant alteré,
Que ma foy ie fusse expiré,
Si i’eusse esté long-temps sans boire ;
(Aussi n’eus-je escrit cette Histoire,)
Ie te diray donc nettement,
Que ie m’en allay joliment,

-- 37 --


Dedans Palatine Beuuette,
Ou i’aualay ma chopinette,
Et mangeay de beus vn morceau
Auec qu’vn ieune iouuenceau.

 

 


De la cause voila la suite,
Que si bien ie ne l’ay deduite
C est que comprise ie l’ay mal.
Mais comme es vn homme legal,
Excuse moy ie t’en supplie,
Si non ne m’en fascheray mie ;
Si pourrant ne m’excuse pas
Ce sera pour moy piteux cas,
D’autant qu’en matiere de carmes,
Tu pipes beaucoup mieux qu’aux armes :
Toutefois m’en consoleray,
Et plus qu’en prose n’escriray.

 

FIN.

-- 38 --

LA Cour a permis à la Veufue Theodore Pepingué,
& Estienne Maucroy, d’imprimer, vendre & debiter
le Liure intitulé Procez Burlesque entre Monsieur le Prince &
Madame la Duchesse d’Esguillon, & deffences à tous autres
de l’imprimer. Fait le 25. Mars 1649.

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S. D. S. M. / Laffemas, abbé Laurent de [?] [1649], PROCEZ BVRLESQVE ENTRE MR LE PRINCE ET MADAME LA DVCHESSE D’ESGVILLON, AVEC LES PLAIDOYERS. Par le S. D. S. M. , françaisRéférence RIM : M0_2884. Cote locale : C_8_37.