Anonyme [1652], ADVIS IMPORTANT ET NECESSAIRE aux Corps de Ville, Bourgeois & Citoyens de la Ville de Paris, sur la prochaine élection d’vn Preuost des Marchands ; Par lequel, par de grandes & importantes raisons, il leur est monstré que pour le bien & salut de la Ville, il est necessaire de proceder à l’élection d’vn Preuost des Marchands, suiuant les anciens Droicts & Vsages, & comme il à esté pratiqué dans l’élection de Monsieur de Broussel Conseiller en Parlement, sans plus receuoir Ordre ny Lettre de Cachet de la Cour, ny d’vne autre Puissance, comme contraire aux Ordonnances. , françaisRéférence RIM : M0_522. Cote locale : B_19_20.
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ADVIS IMPORTANT
& necessaire aux Corps de Ville, Bourgeois
& Citoyens de la Ville de Paris,
Sur la prochaine élection d’vn Preuost
des Marchands ; Par lequel, par de grandes
& importantes raisons, il leur est
monstré que pour le bien & salut de la
Ville, il est necessaire de proceder à l’élection
d’vn Preuost des Marchands, suiuant
les anciens Droicts & Vsages, &
comme il a esté pratiqué dan ; l’Election
de Monsieur de Broussel Conseiller en
Parlement sans plus receuoir Ordre ny
Lettre de Cachet de la Cour, ny d’vne
autre Puissance, comme contraire aux
Ordonnances. Auec la Response anx Objections
contraires, & les moyens pour se
restablir dans cét ancien Droict d’Election.

COMME la puissance des Rois s’est augmentée
de temps en temps, leurs Fauoris
& premiers Ministres qui ont abusé de leur authorité,

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ne se sont pas contentez pour auoir le
gouuernement de l’Estat, de disposer des principales
charges du Royaume ; dans la Iustice,
Finances & Guerre : Ils ont encores voulu se
rendre Maistres des Villes, & pour y paruenir ils
ont creu ne pouuoir mieux faire que d’entreprendre
sur leur liberté dans le choix de leurs
Magistrats municipaux, & cõme ils ont regardé
la Ville de Paris, comme la capitale du Royaume,
& celle qui donne le mouuement à toutes
les autres, leur principal soin a esté de luy oster
sa liberté dans l’élection d’vn Preuost des Marchands,
qui est le chef de ces Magistrats municipaux,
& de luy en donner vn à leur deuotion,
s’estant persuadez que s’asseurans de cette Ville
parce moyen, ils s’asseuroient en mesme temps,
& par vn mesme coup de toutes les autres. Mais
craignans qu’vne opression si violente & odieuse,
ne causast vne iuste indignation, capable d’alienner
le cœur de ses Habitans de l’amour qu’ils
ont naturellement pour les Rois, en la priuant
de ce Droict legitime d’Election, il luy en ont
laissé les anciennes formes : Car quoy qu’elle ne
soit plus libre en son choix, neantmoins comme
si elle auoit encore cette liberté, dans cette
occasion les Ministres se seruans du nom du Roy
ne font que proposer à l’Assemblée par la Lettr,
de Cachet du Roy qu’ils y enuoyent par forme

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de recommandation, celuy qu’ils desirent introduire
en cette place, comme digne de leur suffrage ;
mais on sçait que cette recommandation
doit auoir son effet, comme auoit celle dés Empereurs
Romains pour le Consulat. De sorte que
quoy qu’on continuë d’obseruer les anciens vsages,
de donner sa voix aussi bien à celuy que les
Ministres presentent pour le Preuost des Marchands
qu’aux Escheuins, neantmoins l’Assemblée
n’ose pas en nommer vn autre, sçachant
bien que cette nomination n’auroit pas lieu, &
que les Ministres employeroient la violence
pour la faire casser, & substituer en sa place celuy
qu’ils auroient proposé.

 

Cette vsurpation sur le droict qu’auoit la Ville
de Paris d’élire vn Preuost des Marchands, a
commancé en l’année mil cinq cens quatre-vingts
quatorze, cét abus c’est ensuite estendu
dans les Prouinces, dans lesquelles les Gouuerneurs,
comme ils sont tousiours à la deuotion des
Ministres, aussi pour leur interest, & par leur
conseil ils ont employé leur authorité pour faire
donner ces charges à leurs creatures, principalement
dans les Villes Capitalles, de leur Gouuernement,
afin de pouuoir par ce moyen disposer
facilement de toute la Prouince, ce qui a principalement
éclaté dans les Prouinces de Guyenne
& Prouence, où les Villes ont esté forcée de

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receuoir pour leurs Chefs ceux qui leur ont esté
presentez par les Gouuerneurs, lesquels pour authoriser
cette iniustice & oppression, ont extorqué
des Lettres de Cachet du Roy, par lesquelles
ils ont fait nommer ceux de leur faction.

 

Les Villes ont long-temps souffertes cette contrainte,
ne voyant pas que la Iustice fust assez
forte ny vigoureuse pour les en déliurer, mais
comme cét attentat contre le droict naturel des
peuples a esté suiuy de plusieurs actions de violances
& oppressions contre le seruice du Roy, &
bien de l’Estat, & des peuples au preiudice des
loix fondamentalles du Royaume, que les premiers
Ministres ont commis pour contenter leur
ambition & auarice, ainsi que nous auons veu &
éprouué mal-heureusement pendant le Ministere
du deffunt C. de Richelieu, & apres son deceds
celuy du Cardinal Mazarin, le Parlement a qui il
appartient de maintenir les Loix de l’Estat, &
reformer les abus qui si sont glissez, ne pouuant
plus souffrir les desordres du Ministere, qui allant
d’estruire l’ancien Gouuernement & les
Principes de la Monarchie Françoise, à tant fait
par ses soings & credit qu’il a obtenu du Roy,
cette celebre Declaration du mois d’Octobre
1648. laquelle sert de barriere aux viollances du
Ministere, & remet les anciennes Loix en leur

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vigueur, les peuples en ayant eu cognoissance,
plusieurs Villes des Prouinces, & entr’autres de
Guyenne & Prouence, en execution d’icelle se
sont pourueus contre ses innouations, & procedé
dans ses élections suiuant leurs anciens
droicts & vsages, par le support des Parlements,
lesquels reprenans leur premiere authorité ont
mieux fait valloir la Iustice qu’ils n’auoient fait
auparauant.

 

Ces exemples doiuent exiter la Ville de Paris
d’en vser de mesme pour l’élection d’vn Preuost
des Marchands, elle le doit plus que les autres
Villes, parce que comme elle est doüée de grand
nombre de priuileges, franchises & immunitez,
tant à cause de sa qualité de premiere de l’Empire
Frãçois, que des signalez seruices qu’elle a renduë
au Rois dans les plus vrgentes necessitez de
l’Estat, & que depuis cette violance on a enfraint
impunément ses priuileges, que la corruption, la
violance & le Monopole y ont causé d’horribles
desordres, & que presentement elle doit craindre
plus que iamais la vengeance du Ministere, à
cause de l’assistance qu’elle a donnée à la Iustice
du Parlement, le seul moyen qu’elle a pour sa
seureté, garantir ses priuileges d’vne perte toute
entire, faire reparer le dommage qu’elle a souffert
en iceux, trouuer son soulagement & le remede
à ses maux ; Est de se restablir dans la coustume

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en laquelle elle a vescu pendant tant de Siecles,
de se choisir vn Preuost des Marchands, à
quoy elle est d’autant plus obligée, qu’outre son
interest particulier elle en a vn autre general qui
lui doit estre aussi cher qui est celui du payemẽt
des Rentes constituées sur l’Hostel de Ville, dans
lequel tout le Royaume est interessé, & elle n’aura
iamais vne occasion plus fauorable pour reüssir
dans ce glorieux dessein, que celle qui s’offre
presentremẽt, & ce d’autant plus que par le choix
libre qui vient d’estre fait suiuant les anciennes
formes de Monsieur de Broussel pour Preuost
des Marchands sur la demission de Monsieur le
Febvre, elle à commancé à secoüer le joug qu’on
lui auoit imposé, & est rentrée en ses anciens
droicts ; de sorte qu’il ne luy reste plus maintenant
qu’à continüer dans cét vsage immemorial,
& se maintenir vne liberté qu’elle a recouuert,
laquelle luy ramenera tous les biens que luy
a osté cette contrainte, & déliurera des maux
& inconueniens qu’elle luy a causez, ainsi qu’il
est aisé de faire voir en peu de paroles.

 

Le droict des villes en France, sans parler de
celles des autres Royaumes & pays, de s’eslire
des Magistrats est aussi ancien que leur fondation :
car dés le moment que les peuples se sont
assemblez en diuers lieux pour y bastir des villes
afin de viure en societé. La premiere pensée

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qu’ils ont eu, a esté de se choisir parmy eux certain
nombre de personnes de la plus haute vertu
suffisance & fidelité, & ceux qu’ils ont estimé
estre les plus zelez, pour auoir la garde & gouuernement
des villes ; & soit qu’elles se soient
establies par la permission des anciens Seigneurs
des Gaulles, ausquels elles se sont soubmises ;
soit que depuis leur establissement, elles se
soient rãgeés sous leurs Seigneuries ; ça tousiours
esté auec cette condition, que le droict de s’eslire
des Officiers de ville leur demeureroit.

 

Mais entre les villes de France, les villes Capitalles
des Prouinces, & sur toutes les villes, celles
de Paris, Capitalle du Royaume, a eu vne
grande passion pour ce droict d’élection. Ces
Magistrats ont eu diuers noms en France, suiuant
les diuerses Prouinces, & ont esté diuersement
instituez, à Thoulouze, ils ont le nom
de Capitouls, à Bordeaux on les appelle Iurats
dans les autres villes de la Guyenne & Languedoc,
& en toute la Prouence on les nomme
Consuls, Et dans les autres Prouinces on leur
baille la qualité d’Escheuins ; En quelques Villes
on a estably sur eux vn premier Officier, lequel
en quelques-vnes est nommé le Maire, & en
d’autres on luy a donné vn autre tiltre, dans la
ville de Paris ; ce premier Officier a la qualité
de Preuost des Marchands.

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Les villes se sont maintenuës dans la liberté
de les eslire pendant vn temps immemorial ; car
sous la domination des anciens Seigneurs des
Gaulles, celle des Romains, & depuis eux sous
le Regne des deux premieres Races de nos Rois,
& bien auant dans la troisiéme, elles sont demeurées
en cette pocession, sans qu’aucune de
ces puissances les ait troublées en ce droict : Et
la premiere fois que les Ministres de nos Rois
ont voulu l’entreprendre, toutes les villes ; &
principalement celle de Paris s’y sont vigoureusement
opposées, & n’ont point craint d’en porter
leurs plaintes aux Estats generaux de France
assemblez à Blois, sur lesquelles il a esté ordonné
par l’art. 373. en termes exprés. Que toutes les
élections de Preuost des Marchands, Maires, Escheuins,
Capitouls, Iurats, Consuls, Conseillers &
Gouuerneurs des Villes se fassent librement ; &
que ceux, qui par autres voyes entreront eu telles
charges en soient ostez, & leurs noms rayez des
Registres.

Les villes dans leur fondation ont eu plusieurs
grandes & importantes raisons pour ce
constituer cette loy d’élection : La premiere &
principale, qu’estans nées libres, elles ne pouuoient
mieux marquer leur liberté, & la rendre
perpetuelle qu’en se donnant l’authorité de
s’eslire des Magistrats : La seconde, que pour

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leur seureté, deffense & police, faire obseruer
les conditions de leur establissement, & maintenir
leurs priuileges, trauailler à leur vtilité &
gloire, entretenir leur commerce, & mesme
l’augmenter, il leur estoit necessaire d’estre gouuernées
par des Officiers ausquels ils peussent
prendre vne entiere confiance, qu’ils ne pouuoient
la trouuer, si leurs Officiers n’auoiẽt vne
probité singuliere, vn courage inuinsible dans
les temps difficiles, & vne rare fidelité, qu’ils
ne pouuoient rencontrer des personnes auec ces
qualitez, que par le choix qu’elles en feroient
parmy leurs Citoyens, tant parce que les Citoyens
estoient obligez au bien & salut de
leur ville, par leur naissance & fortune ; Que
parce qu’elles auoient vne parfaite cognoissance
de leurs vies & mœurs : La troisiéme, que s’agissant
de leur gouuernement particulier, personne
ne deuoit s’en mesler, Que ceux lesquels y
auoient interest, qui sont les Citoyens, toutes
autres personnes leurs deuant estre suspectes.
D’ailleurs elles ont consideré, que ce droict
d’élection leur estoit d’autant plus necessaire,
que pouuant estre trompées dans le choix de
leurs Magistrats par la duplicité de leur cœur,
elles deuoiẽt auoit le pouuoir de destituer ceux
qui trahiroient leur cause, & manqueroient à
leur deuoir, qu’elles ne pouuoient pretendre ce

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droict de destitution s’ils n’auoient celuy d’élection ;
Que ces Magistrats estans l’ouurage
de leurs suffrages, ils se sentiroient obligez de
respondre à la bonne estime qu’on auoit euë de
leur vertu par leurs deportemens. Que pour entretenir
vne vnion & intelligence parfaite entre
les Citoyens ; & principalement vne obeïssance
des inferieurs enuers les superieurs, elles
deuoient s’eslire ceux qui auroient le commandement,
ne pouuans auoir de l’amour ny du
respect pour ceux qui n’auoient pas choisis
dans leur cœur. Que ce droict d’élection leur
estant necessaire, ils ne deuoient point heziter
de le prendre, parce que leurs Seigneurs pouuoient
seuls s’y opposer pour leurs interests :
mais que ne voulans l’establir contre leurs seruices,
mais seulement pour veiller à leur bien
& seureté, ils ne pouuoient blasmer ny se tenir
offensez d’vn aduantage qui appartenoit à des
gens d’vne condition libre : Bien dauantage,
que non seulement ce droict ne choqueroit
point les interests de leurs Seigneurs, mais leur
seroit aduantageux, parce que les villes remplissans
ces charges de gons de bien par le choix
qu’elles en feroient, leurs Seigneurs pourroient
s’asseurer qu’elles ne manqueroient iamais à la
fidelité & obeïssance qu’elles leurs deuoient ; &
que d’ailleurs donnans leur consentement à cet

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vsage, ils feroient cesser les partialitez des villes
dãgereuses à vn Estat, & se consiliroient l’amour
des peuples. Que tout au contraire s’estoit exposer
& mettre en danger leurs vies & biens
auec leurs priuileges, que de souffrir que leurs
Officiers leurs fussent donnez par des mains
estrangeres, ouurir la porte des maisons & Hotels
de villes à la corruption, & y donner entrée
à des personnes suspectes qui abandonneroient
les interests de la chose publique pour leur profit
particulier, introduire dans l’enceinte de
leurs murailles, la discorde & les diuisions,
mettre en cõmerce leurs personnes & fortunes ;
enfin perdre leurs libertez & deuenir esclaues.

 

Outre ces raisons generales, les villes Capitales
des Prouinces en ont eu de particulieres pour ce
constituer cette loy, elles ont iugé que les autres
villes du pays se formans à leur modelle suiuroient
leur exemple ; ce qui entretiendroit
vne vnion parfaite entre elles pour leur bien
commun. En second lieu, elles ont veu qu’estans
obligées de veiller, non seulement à leur
deffense & salut, mais aussi à celuy de toute la
Prouince, à cause de l’estroite liaison qu’il y
auoit de leurs interests auec ceux des autres villes
du Territoire ; ayans des Magistrats de la
qualité requise, ils soustiendroient non seulement
leur cause, mais celle de toute la Prouince ;

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C’est par ces raisons que la ville de Paris, Capitalle
du Royaume par dessus toutes les autres villes,
a voulu auoir ce droict par prerogatiue.
Mais si les villes ont eu de puissantes considerations
pour establir ce droict d’élection, elles en
ont eu de plus puissantes pour le conseruer & s’y
maintenir, principalement sous le Regne de
nos derniers Roys, pendant lequel les Ministres
ont vsurpé l’authorité Royale, dans la crainte
qu’elles ont eu qu’ils n’entreprissent sur cette liberté :
En effet mesurans leurs passions par la
puissance de leurs Maistres, ils ont attaqué ce
droict d’élection, & violenté les villes en plusieurs
Prouinces, mesme la ville de Paris, dans
le choix de leurs Officiers, & quoy qu’elles
ayent inutillement resisté à cette force majeure,
neantmoins elles n’ont iamais abandonné cét
aduantage ; & les Prouinces de Prouence &
Guyenne n’ont laisse passer aucune occasion de
reclamer contre cette vsurpation.

 

Les peuples n’ont pas esté trompez dans les
esperances qu’ils auoient conceuës de ce droict
d’élection, car pendant le temps que les villes
en ont jouy, elles n’ont souffertes aucune diminution
dans leurs priuileges, & la puissance redoutable
du Ministere n’a point eu d’entrée
dans leurs murailles, l’authorité des Ministres,
leurs promesses ny leurs menaces, & la corruption

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du monopole n’ont pû ébranler le courage,
ny corompre l’integrité de ceux ausquels
les libres suffrages des peuples ont donné ces
charges publiques, comme nous en auons la
preuue dans nos Histoires ; Tout au contraire,
aussi-tost que les Ministres se sont ingerez de
mettre dans ces places des personnes à leur deuotion,
elles ont receuës de grandes pertes en
leurs priuileges, & esté exposées aux passions
des fauoris & brigandage du monopole. La raison
de cette difference est, que les villes, pendant
le temps qu’elles ont esté en possession de
ce droict, ont tousiours choisi pour leurs Magistrats
les plus gens de bien & les mieux intentionnez
de leurs Citoyens ; de sorte que leurs
choix a esté la marque de leur vertu. Et les
Ministres au contraire, comme ils ne subsistent
que par la violence, & ne s’agrandissent que dans
l’oppression des peuples, ils ont rempli ces charges
de personnes corompuës de leur faction &
caballe ; de sorte que leur establissement a esté
le signe de leur corruption.

 

La ville de Paris a éprouué plus que pas vne
autre cette verité, lors que la charge de Preuost
des Marchands a esté dans la disposition des
Bourgeois de la ville, elle est demeurée florissante
dans l’obseruation de ses priuileges & immunitez,
& le monopole n’y a pû introduire

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aucun droict sur son commerce & ses denrées ;
mais depuis qu’elle est tombée dans le pouuoir
du ministere, principalement depuis celuy du
deffunct Cardinal de Richelieu, on a donné
attainte à ses priuileges & immunitez, la corruption,
la violence & le monopole y ont regné
absolument, & la police a esté negligée ou
abandonnée. Premierement, non seulement
la contagion du ministere a attaqué le Chef des
Officiers de cette ville ; mais tout le Corps, les
élections des Escheuins, & des autres Officiers
n’ont plus esté que des pratiques contre les bonnes
mœurs, & on n’a plus veu ses charges remplies
de l’eslite des gens de bien comme auparauant.
Pour ce qui est de la violence. C’est dans
cette ville, que ces trois tirans, les deffuncts Mareschal
d’Ancre, &c. de Richelieu, & presentement
le Cardinal Mazarin ont fait arrester
les Princes du Sang, & les plus grãds du Royaume ;
c’est dans cette mesme ville en laquelle la
seureté publique doit estre toute entiere, pour
les Prouinciaux qui s’y rendent pour leurs affaires
& commerce, qu’ils ont esté violamment
emprisonnez par les emissaires des Partizãs pour
des taxes solidaires ; le monopole n’y a pas moins
fait de rauage que la violence : On ne s’est pas
contenté d’augmenter les anciens droicts d’entrée
sur toutes les marchandises, on en a estably

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de nouueaux, les denrées qui auoient esté iusques
à present exemptes de la maltote y ont esté
sujetes ; on a erigé en tiltre d’Office formé les
menus Offices de la police qui auoient toûjours
esté en la main & à la nomination du Preuost
des Marchands, auec attribution de nouueaux
droicts sur le public ; & on en a créez de nouueaux
ausquels on a accordé les mesmes droicts :
Bien dauantage la ville de Paris a esté plus mal
traittée que celles qui payent la taille ; on a veu
ses Bourgeois liurez à la haine, rage & malice
des Partizans par des taxes d’aisez qu’ils ont fait
payer auec des rigueurs & cruautez insupportables,
comprenans dans leurs roolles, non seulemẽt
ceux qui en estoient capables, mais beaucoup
d’autres, comme leurs ennemis pour s’en
vẽger ou les gens de bien pour les opprimer Ce
n’a pas esté assez de violer les priuileges de cette
ville, d’imposer de nouuelles charges sur les denrées
& marchandises à la foulle du public, d’obliger
les Prouinciaux, ceux qui y estoiẽt presẽts
d’en sortir, & les autres de ny pas venir ; soit pour
éuiter leur emprisonnement, soit pour ne pouuoir
supporter la chereté des viures, & des autres
choses necessaires à la vie ; on a encore entrepris
de rauir aux Bourgeois de cette ville le
meilleur de leur bien, le monopole par la lascheté
des Officiers de la Ville, a impunément retranché

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des quartiers des rentes sur toute sorte
de nature, & de ceux desquels on a mis le fond
entre les mains des payeurs ; ces payeurs, ou
plustost voleurs des rentes, par leur artifice &
malice n’en ont payé qu’vne partie, & ce auec
les plus mauuaises especes qu’ils ont peu trouuer
comme si ces deniers estoient à eux, & qu’ils en
fissent vne aumosne charitable aux Rentiers,
les Rentiers qui se sont plaints de ces maluersations,
n’ont peu en auoir raison, ou s’ils en ont
eu aucune, ç’a esté auec de si grandes longueurs
& auec si peu de profit, qu’ils ont perdu l’enuie
de faire plus aucune poursuitte, ce qui marque
quelque intelligence secrete & criminelle
qu’ils ont eus auec eux pour la ruïne des rentes,
& on sçait ce qu’elles seroient deuenuës, si
on n’eut point estably des Scindicqs pour leur
conseruation, en quoy ces Officiers sont d’autant
plus coupables que toute la France à interest
au payement des rentes, & s’en repose sur leurs
soings & integrité ayans esté proposez pour
veiller à leurs seureté & payement ; le manque
de police a fait autant de prejudice que le monopole,
les taxes pour le prix du bois, charbon
& autres marchandises & d’enrées qui arriuent
par eau n’ont point esté obseruées par la coniuance
de ces Officiers ; les Marchands de bois
& de charbon, & autres ont exigé publiquement

-- 19 --

en la presence des Officiers de la police
des Bourgeois de plus grandes sommes qu’ils ne
doiuent prendre par les Reglemens ; & ces Officiers
de police, desquels le deuoir est de
tenir la main à l’execution d’iceux, au lieu
de s’en acquiter, ils ont pris eux mesmes des
droicts qui ne leurs sont pas deubs par des
voyes rigoureuses ; L’Hostel de ville a sçeu &
cogneu ce brigandage & l’a toleré, & si on s’en
est plaint, & qu’on luy ait demandé iustice de
ces voleries, les longueurs & la difficulté qu’il a
apporté à la rendre sont cause qu’on a mieux aime
laisser cette exaction entre les mains de ces
voleurs, que d’en poursuiure la restitution ; tous
ces maux & desordres ne seroient pas arriués, si
la ville de Paris fust demeurée en sa liberté de
s’eslire vn Preuost des Marchands, car cette
charge n’estant plus dans sa dependance, mais
dans celle des Ministres, ceux qui y sont mis
de leur main pour estre continuez dans cét employ,
les deux ans passez, suiuent aueuglement
leurs passions : De sorte que leur continuation
n’est plus la recompense des seruices qu’ils ont
rendus à la chose publique, mais à ces Ministres.

 

Ces raisons vous doiuent exciter braues & illustres
Citoyens & Bourgeois de la ville de Paris,
descendus du Sang de ces genereux Francs,
qui n’ont rien tant cheri au monde que leur

-- 20 --

liberté de vous conseruer vn ancien droict de
liberté naturelle, dans lequel vous estes rentrés ;
c’est pour cette querelle iuste & legitime
que vous deuez plus volontiers exposer vos vies
& vos biens que pour l’expultion du Cardinal
Mazarin : car quoy que son retour ait ramené
vne grande calamité, & soit dangereux pour
la ville de Paris, neantmoins cette misere
n’est pas comparable à celle que vous souffrirez,
si les Ministres continuent à vous donner vn
Preuost des Marchands, car le mal de ce rappel
peut finir, ou par le deceds de ce Tiran, ou en
perdant les bonnes graces de la Reyne, & ne
peut regarder que vos personnes & biens presens ;
mais la continuation de cette vsurpation
sera vn mal perpetuel, lequel s’augmentant tous
les iours passera à vostre posterité ? Aurez vous
moins de courage & de generosité que vos peres,
qui ont establi ce droict pour leur honneur,
leur bien & salut l’ont si fortement deffendu,
pendant vn si long temps contre les entreprises
qu’on a faites pour le suprimer, & n’en
ont quitté la possession qu’auec vne sensible
douleur & protestation d’y r’entrer dés le moment
que la violence n’auroit plus son cours ?
Ferez vous difficulté de maintenir vn aduantage
que la nature vous a donné, que les Roys vous
ont laissé, & qui vous a esté confirmé par les

-- 21 --

Estats de Blois ? Heriterez vous à vous declarer
pour vne cause en laquelle il ne s’agist de rien
moins que de choisir la vie ou la mort, le bien
ou le mal, vne felicité perpetuelle pour vous &
vos enfans, ou vne calamité eternelle pour vous
& eux ; enfin la liberté ou l’esclauage, car c’est
redeuenir libres que de ce conseruer ce droict,
puis qu’il ne vous reste plus que cette marque de
vostre ancien ne liberté naturelle ; & c’est retomber
dans l’esclauage que de souffrir la continuation
de cette contrainte ! ha, si l’amour de vostre
liberté, de vos vies & biens vous est cher,
comme il doit estre, si vous aimez vos enfans,
& si vous auez encore quelque honneur
& courage, & n’auez point degeneré de la vertu
millitaire de ces anciens Parisiens, ne permettez
pas qu’on charge de nouueau vos mains des fers
que vous auez brisez ; Mais si vous prenez cette
resolution comme vous la deuez prendre, c’est
maintenant qu’il faut l’executer, vous n’en n’aurez
iamais vne occasion plus propice ny fauorable,
car c’est dans le temps present que la violence
est abbatuë aux pieds de la iustice, & que le
monopole a perdu ses forces, & on ne sçait pas
de quelle durée sera ce bon heur, parce que le
C. Mazarin pretend en se restablissant restablir
à main armée la tyrannie & le monopole : Enfin
c’est maintenant que Monsieur le Duc d’Orleans

-- 22 --

a esté declaré Lieutenant General du Roy
pendant sa detention par le C. Mazarin, & vous
deuez esperer de sa bonté & iustice toute sorte
de contentement.

 

On vous pourra dire pour ralentir ces bons
desseins, que depuis l’année 1594. la ville de Paris
a tousiours souffert que les Rois luy ayẽt propose
vn Preuost des Marchands ; & qu’ayant
consenty à cét vsage, quoy que nouueau elle a
perdu son droict, ayant cessé d’en jouïr pendant
ce temps, & ne peut reclamer contre cette nouuelle
pratique sans offencer l’authorité du Roy,
& encourir son indignation.

Mais cette objection ne doit pas estre considerée,
parce qu’outre que ce temps n’est pas suffisant
pour acquerir vne prescription contre
vne communauté à celuy qui n’a point de droict ;
D’ailleurs, il est notoire que ce nouueau vsage
est vne violente vsurpation sur vn droict
naturel, public & commun, contre lequel on ne
peur prescrite par quelque temps que ce soit, &
il ne faut pas prendre ce changement pour la
volonté des Roys, mais pour celle de leurs Ministres
qui se seruent de leur nom pour leurs desseins,
ainsi ce ne sera point offencer le Roy, ny
blesser son authorité, que de se restablir dans
vne prerogatiue que la naissance vous donne, &
laquelle ils n’ont point voulu vous oster. Quoy

-- 23 --

que s’en soit, vne lettre de cachet ne peut pas preualoir
sur les Ordonnances du Royaume, & on n’est
point obligé d’y defferer au prejudice des loix fondamentales
de l’Estat ; c’est pour cela que ce droict
d’élection estant né auec vous, approuué par les
Roys, confirmé par les Estats generaux du Royaume,
il ne peut estre destruit par lettres de cacher sous
le nom du Roy, extorquées par de mauuais Ministres
contre ses intentiõs, lesquelles on doit tousiours presumer
estre point contraires aux loix de l’Estat & à
la [1 mot ill.]

 

Le moyen de ce conseruer ce droict, est qu’il se
[1 mot ill.] presentement vne Assemblée generale en la
Maison & Hostel de ville la plus solemnelle qui se
puisse faire, dans laquelle il sera déliberé sar les
moyens propres & necessaires pour rentrer pleinement
& entierement dans ce droict d’élection, & s’y
maintenir contre les entreprises des Ministres ; on
peut proposer celuy qui s’ensuit comme tres propre ;
Sçauoir que deputation sera faite incessamment
vers le Roy, & maintenant vers Monsieur le Duc
d’Orleans son Lieutenant General, pour le prier de
laisser jouïr la ville de Paris de son droict d’vne libre
élection de Preuost des Marchands comme il en
jouïssoit auparauant l’année 1594. & qu’il ne sera
plus enuoyé lettres de cachet sur ce sujet ; & afin que
cét establissement soit stable & ferme, que le Roy,
& maintenant Monsieur le Duc d’Orleans representant
sa personne, sera prié d’enuoyer vne Declaration,

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par laquelle en tant que besoin est ou seroit,
on confirmera cét ancien droict d’élection, & lettres
de cachet ne seront plus enuoyées à l’Assemblée
sur le choix d’vn Preuost des Marchands ; & cependant
qu’on ne receura point de lettres de cacher du
Roy pour la prochaine élection, comme contraires
aux Loix & Ordonnances du Royaume, mais sera
procedé comme il a esté fait dans celle de Monsieur
de Broussel, & que cette deliberation sera confirmée
par Arrest du Parlement.

 

On pourra prendre dans l’Assemblée d’autres
moyens pour se maintenir dans cette liberté, laquelle
fera cesser les miseres que souffre la ville de Paris,
reparera ses dommages, restablira les choses dans
l’Estat qu’elles estoient auparauant le ministere du
deffunct C. de Richelieu, & produira à cette ville,
mais à toute la France, les biens que l’on doit attẽdre
de l’administration des gens de bien qui n’auront
point d’autres interests que ceux du bien public ;
& on se doit promettre que les moyens qui seront
pris dans l’Assemblée reüssiront, parce que
Monsieur le Duc d’Orleans ayant tesmoigné tant
de zele pour le soulagement des peuples, & fait paroistre
vne si grande aduersion contre la violence
des Ministres & l’oppression des Partizans, il ne
manquera pas dans vne occasion si importante au
bien de cette ville de luy rendre iustice, & donner
sa protection pour meriter entierement son amitié
& le cœur des peuples.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1652], ADVIS IMPORTANT ET NECESSAIRE aux Corps de Ville, Bourgeois & Citoyens de la Ville de Paris, sur la prochaine élection d’vn Preuost des Marchands ; Par lequel, par de grandes & importantes raisons, il leur est monstré que pour le bien & salut de la Ville, il est necessaire de proceder à l’élection d’vn Preuost des Marchands, suiuant les anciens Droicts & Vsages, & comme il à esté pratiqué dans l’élection de Monsieur de Broussel Conseiller en Parlement, sans plus receuoir Ordre ny Lettre de Cachet de la Cour, ny d’vne autre Puissance, comme contraire aux Ordonnances. , françaisRéférence RIM : M0_522. Cote locale : B_19_20.