Anonyme [1649], DECISION DE LA QVESTION DV TEMPS. A LA REYNE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_871. Cote locale : C_7_3.
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DECISION
DE LA
QVESTION
DV TEMPS.

A LA REYNE REGENTE.

A PARIS,
Chez CARDIN BESONGNE, ruë
d’Escosse, prés S. Hilaire.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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Au R. P. Confesseur de la Reyne.

Mon Pere, dans la difficulté qu’il y a d’aborder
le Reine, ie vous addresse cette Lettre, afin de
le luy soit fidelement renduë, & qu’elle la lise auec
attention, puis qu’il y va de vostre conscience, aussi
bien que de la sienne, dont vous rendrez compte à
la Iustice de Dieu.

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DECISION
DE LA QVESTION
DV TEMPS.

A LA REYNE REGENTE.

MADAME,

Encore que je sçache bien que depuis quelque
temps V. M. se soit renduë inaccessible & inexorable aux remontrances
& aux prieres. Qu’elle ait non seulement fermé les oreilles,
mais mesme chassé de sa presence, & banni de la Cour tous
ceux, qui affectionnez au seruice du Roy, & au repos de la France,
ont par vn zele de charité Chrestienne, & vn cœur veritablement
François, essayé de luy representer l’estat deplorable, où se trouuent
reduits tous les peuples, par la mauuaise administration de
ceux qui regissent sous vostre authorité. Neantmoins comme la
soy m’apprend que les cœurs des Grands sont en la main de Dieu,
qu’il change leur dureté, & les amolist par sa misericorde quand il
luy plaist : Et que nostre Seigneur nous commande dans l’Euangile
de demander auec instance, ayant luy mesme accordé aux clameurs
importunes d’vne femme, ce qu’auparauant il auoit refusé à
sa priere auec injure. I’ay creu qu’en fin Dieu toucheroit le cœur
de vostre Majesté ; qu’il ne permettroit pas que les larmes de tant

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d’innocens fussent inutilement respanduës : que les vœux qu’ils
font incessamment prosternez à ses pieds deuant l’Autel seroient
exaucez : qu’il romproit les charmes, dont ses ennemis & ceux de
l’Estat ont enchanté vostre Majesté, & osteroit ces cataractes funestes
de dessus vos yeux, afin de faire voir à vostre Majesté auec
horreur, la condition mal-heureuse, & pire que celle des chiens,
où sont reduits les Sujets du Roy & les siens.

 

Personne, Madame, n’a iamais douté de la pieté de vostre Majesté :
Elle en a donné & donne incessamment des tesmoignages
trop sensibles : Nous sçauons qu’elle a la conscience timorée : que
la seule ombre du peché veniel luy fait peur : Et par ainsi que ces
extremes mal-heurs qui commencent auec tant de barbarie, & qui
ne sont pas prests de prendre fin, si Dieu par sa misericorde n’y
met la main, ne sçauroient prendre leur source dans le cœur tout
deuot de vostre Majesté, que de la mauuaise impression que luy
en peuuent auoir fait des Theologiens Mahumetans non pas
Euangeliques.

On le dit, Madame, & nous le tenons comme article de creance,
tant nous sommes affermis dans les bons sentimens que nous
auons de ceux de vostre Majesté ; qu’il s’est trouué des personnes si
esloignées des loix du Christianisme, & si peruerties de iugement,
qu’elles ont bien osé luy persuader, que non seulemẽt elle pouuoit,
mais qu’elle deuoit traitter Paris, le Parlement, & toute la France,
auec la rigueur sans exemple, dont nous voyons les estranges
commencemens : qu’il y alloit de son honneur & de sa conscience,
aussi bien que de la grandeur du Roy, dont elle doit maintenir
& conseruer l’authorité ; que c’estoit vne rebellion formée qu’il
falloit punir, à peine d’en estre responsable deuant Dieu & deuant
les hommes : Et que dans l’excez & la suitte de cette vangeance, il
n’y auoit pas pour vostre Majeste, matiere de peché veniel.

O Dieu ! ô Sauueur ! ô Sang adorable respandu en la Croix ! ô
Corps Sacré immolé tous les iours sur nos Autels ! Se peut-il bien
faire que parmi ceux qui sont destinez au ministere d’vn si auguste
Sacrifice, il s’en trouue, dont les pensées soient si sacrileges ? qu’apres
vous auoir presté leurs mains ; & leur bouche pour offrir vostre
Corps en victime agreable à vostre Pere, ils les prestent en suitte
à Satan, pour se faire des victimes sanglantes de vos enfans ?
Que la mesme langue qui vous a serui d’instrument pour former

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vostre corps, serue d’instrument au Demon, pour inspirer dans
l’esprit d’vne si vertueuse Princesse des sentimens si barbares ? Et
que vostre chair viuante, & vostre sang tout boüillant, puissent
compatir auec eux, dans vn mesme cœur, des Maximes si cruelles
& si inoüyes ?

 

Que vostre Majesté, Madame, pardonne ce transport à me
douleur, c’est pour son interest, & non pour le mien, que je me
sens animé : l’honneur qu’elle me fait de m’escouter quelquesfois,
& de me communiquer auec confiance de ses actions de pieté,
ne permet pas que je souffre auec silence, l’outrage signalé que l’on
fait en ce poinct, & à sa conscience, & à son honneur. Il faut que
je crie, & que je fasse violence, pour la garentir des mains de ces
harpies, qui s’efforcent par ces malheureux dogmes de sacrifier
son ame aux Enfers, & sa reputation à vne infamie eternelle. Oüy,
Madame, c’est leur but, & non pas le repos de vostre cœur. Ils tachent,
comme Satan fit à nostre Seigneur, de seduire vostre creance
sous le manteau de la vertu, sçachant bien qu’ils n’en viendroient
pas à bout sous celuy du vice ; & apres, mais en vain, auoir
employé tous leurs efforts, pour rendre vos mains sacrileges en les
armant contre le Sanctuaire ; ils les arment contre le peuple sans
distinction de sexe, d’âge, ny de profession ; afin qu’ils fassent par
cette voye ce qu’ils n’ont pû faire par l’autre ; & que le sang des enfans
à la mammelle meslé auec celuy de leurs meres, celuy des
Prestres parmy celuy des Laïques ; & celuy des Vierges consacrées
à Dieu auec celuy des autres filles ; ils dressent vne hecatombe
aux Demons, du corps, du sang & de la vie des innocens, & de
l’ame de vostre Majesté.

Ie ne doute point, Madame, que ces paroles ne vous touchent ;
je sçay que vostre Majesté ne les pourra lire sans fremir, & qu’elles
luy glaceront le cœur : mais la preuue luy en fera connoistre la
verité, à la confusion de ces faux Prophetes ; à la gloire de Dieu ;
au bien du Roy, & de ses sujets, & à sa propre consolation. Les
Parisiens, dit-on, sont rebelles, il les faut punir, & les exterminer ; il
n’y a point de peché, au contraire il y a obligation, a fin de maintenir
l’authorité du Roy, à quoy vostre Majesté s’est engagée par
serment, lots qu’elle a accepté la Regence. Ainsi, Madame, s’ils
sont rebelles, vous auez raison ; mais s’ils ne sont point rebelles,
mais au contraire fideles Sujets & seruiteurs, il faut que vostre

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Majesté auouë qu’elle est homicide de tant d’ames qui perissent, &
responsable à la Iustice de Dieu & à celle du Roy, de toutes les
cruautez, les vols, les viols, & les sacrileges qui ont esté exercez,
& qui continuent sous vostre authorité. Ainsi toute la difficulté
consiste à sçauoir s’ils sont rebelles ou obeïssans ; ce qui ne se peut
mieux connoistre qu’en examinant ce que c’est que Rebellion, &
quels sont ses effets.

 

On appelle Rebellion, vne desobeïssance des sujets aux Loix &
aux Ordonnances justes & legitimes de leur Souuerain. Vn souleuement
des peuples contre leur Prince, qui a main armée attentent
à sa personne sacrée, ou troublent le repos de son Estat. Qui
se cantonnent dans les Prouinces, pour y establir vne Republique.
Qui appellent l’Estranger à leurs secours en se mettant sous sa
protection, ou luy liurent entre les mains les Villes & les Prouinces,
en le reconnoissant pour leur Roy, au prejudice de celuy que
Dieu leur a donné, & auquel ils sont tenus d’obeyr. On appelle
Rebellion, lors qu’on ferme les portes de la Ville à son Roy ; qu’on
le chasse de son Palais ; qu’on le poursuit à main armée ; qu’on se
laisse corrompre par l’Estranger ; & esleuant ses enseignes au milieu
du peuple, on employe & vie & biens pour son seruice.

Voila, Madame, le tableau au naturel de la rebellion ; voila sa
naïfve peinture auec ses veritables couleurs. Que vostre Majesté
maintenant les considere l’vne apres l’autre, & auec la force de cét
esprit, dont elle a coustume d’vser au jugement des choses de cette
importance, elle voye s’il y en a quelqu’vne, dont elle puisse faire
reproche au Parlement, ny aux Parisiens ? Où sont les Loix & les
Ordonnances, dont ils se soient rendus refractaires ? Au contraire,
on les veut faire criminels de ce qu’ils en demandent l’execution,
pour l’honneur & le bien du Roy, & celuy de tous ses Sujets.

Quel attentat ont-ils commis contre la personne Sacrée du
Roy ? Ont-ils de l’auersion pour ce Prince si parfait & de corps &
d’esprit ? Ils le demandent auec soûpirs. L’ont ils chassé de son Palais ?
Ils se plaignent de son enleuement. Ont-ils refusé de contribuer
aux necessitez de la guerre ? Ils se sont espuisez & reduits
à la besace pour y subuenir. Ont-ils fait des ligues pour perdre
l’Estat ? Ils ne font que des remontrances pour sa conseruation
contre ceux qui le ruinent. Enfin, se sont-ils armez pour l’Estranger ?
Luy ont-ils fourny à sous-main des hommes, de l’argent

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ou des viures ? L’ont-ils appellé à leur secours ? Se sont-ils donnez
à luy ? A present qu’on les poursuit, qu’on les persecute, qu’on les
traitte auec plus de cruauté, que ne feroit pas le Turc, s’il estoit aux
portes de Paris : L’appellent-ils ? se donnent-ils à luy ? Et parmy les
Courriers qu’on a arrestez, a-on intercepté des lettres que le Parlement
ait escrites en Espagne, en Flandres, en Hollande, ou en
Angleterre, afin d’auoir des forces pour sa protection ?

 

Les Parisiens ont-ils fait comme les Catalans ? Ont-ils renoncé
à la domination de France, pour se mettre sous celle d’Espagne, &
en auoir vn Viceroy ? A-on veu Paris, pour vne imposition de
neant, remply de sang & de carnage comme Naples ? & à son imitation,
tuer, massacrer, & chasser tous les fideles seruiteurs du Roy,
comme ont fait les Neapolitains ? Ie ne parle point de la furie enragée
des Anglois, qui par vn execrable regicide, ont fait vn original
effroyable à la posterité, sur lequel les plus detestables rebelles
puissent tirer des copies.

Qu’ont-ils donc fait qui les fasse rebelles, & qui merite le sacrifice
de toutes les vies iusqu’à celles des enfans ? Qui oblige vostre
Majesté d’attirer les forces des places frontieres, & de prouoquer
iusques aux Enfers, afin de causer le sac de cette ville incomparable,
l’abregé du monde, & les merueilles de l’Vniuers ? Depuis
vingt-cinq ans ils sont auec le reste de l’Estat chargez & surchargez
de toute sorte de subsides. Il n’y a point eu d’année qu’on n’ait
fait de nouuelles impositions. On a multiplié les Officiers sans
nõbre. Il n’a pas esté jusqu’aux bouës, dont on n’ait trouué l’inuention
de tirer de l’or & de l’argent. Les noms ont plustost manqué
au pretexte des leuées à ceux qui les imposoient, que le payement.
Parmy tous ces fardeaux, insupportables à d’autres espaules qu’à
celles des François : On a toûjours patienté auec douceu: On s’est
laissé non pas tondre, mais escorcher. L’exemple des Estrangers
n’a jamais fait d’impression dans les cœurs, contre le deuoir de
vrais Chrestiens & de veritables Sujets. On s’est laissé ouurir les
veines, & espuiser le sans g sans dire mot ; Et comme on en est venu
jusqu’à l’extremité & à la défaillance, qu’a-t’on encore fait ? On a
pleuré, on a gemy, on a prié, on a supplié ; on a eu recours à vostre
Majesté, auec des humiliations plus profondes, que l’on n’en tesmoigne
pas à Dieu, auec des gemissemens de cœur plus amers, que
l’on demande pour le Sacrement de Penitence. Enfin le cœur de

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vostre Majesté, Madame, qui est de ceux que Dieu demande pour
soy dans l’Escriture, c’est à dire de chair, non pas de bronze, ou de
diamant, en a esté touché. Les larmes publiques ont esté accompagnées
des vostres. Vos soûpirs par en Echo sacré, ont respondu
à ceux de tout le peuple ; vostre Majesté a fait tout ce qu’elle pouuoit
pour le soulagement des miserables dans la conjoncture pressante
des affaires : elle a fait vne Declaration, qui portoit quelque
relache à tant de souffrances : On l’a receuë comme venant de la
main de Dieu ; on a fait des feux de joye, & chantẽ des Te Deum
d’actions de graces. Mais en mesme temps, ô malheur ! ceux qui
abusent du Nom du Roy & de vostre authorité, ont changé nos
joyes en larmes, & nos Cantiques en gemissemens. La premiere
Declaration estoit encore moite de l’impression, qu’on en a veu
vne seconde, qui reduisoit les choses en pire estat qu’elles n’estoiẽt
auparauant ; qui remettant les Tailles en party, remettoit le peuple
sous la barbarie des Partisans ; qui renouuellant les prests auec vne
nouuelle methode, establissoit vne nouuelle sorte d’vsure, infame
& tyrannique, inoüye jusqu’à present ; contraire à l’Euangile, à
l’vsage de l’Eglise, & à ses Canons : & pour vne saignée du bras
que l’on faisoit auparauant au peuple, donnoit la liberté à ces
voleurs publics, de leur couper auec impunité la veine jugulaire.

 

Ah ! Madame ! ah Madame, que je dirois de grandes choses à
vostre Majesté, si j’osois rappeler le passé, sans crainte de luy blesser
le cœur. Qu’il y a long-temps que les François auroient eu juste
sujet de se soûleuer, & qu’ils l’auroient pû, ne manquant point de
cœur, ny de forces pour se maintenir, s’ils estoient Machiauelistes ;
Et pour dire tout, s’ils estoient Italiens & non point François, je demanderois
à vostre Majesté, quels sentimens elle auoit de l’estat
des peuples, sous la conduite du Cardinal de Richelieu, du viuant
du feu Roy ? Ie la supplierois de rappeler sa memoire, pour se souuenir
combien de fois elle en a pleuré ? & jugeant des miseres, dont
le peuple estoit opprimé, par ce qu’elle souffroit en sa personne
propre, n’estimoit-elle pas la condition des François, plus dure &
moins suportable que celle des esclaues ? Et neantmoins, Madame,
j’ose dire à vostre Majesté, que ce n’estoit que l’ombre de ce dont
à present nous voyons la verité. Ce n’estoit que la peinture de ce
dont la realité fait dans nos jours horreur au Ciel & à la terre. Et
ce qui est plus estrange durant la regence d’vne Princesse, de vertu

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incomparable, comme tout le monde reconnoist & admire vostre
Majesté. On ne voyoit pas pour lors, comme on fait à present,
les gens de guerre, destinez pour la defense de l’Estat contre les
ennemis, employez pour estre les Sergens des Partisans, afin de
piller & ruïner le peuple. Nous n’auions iamais appris en France,
qu’il fallust des fuzillers pour leuer la taille. Cette race maudite
est trop execrable, pour auoir son inuention parmy les peuples,
qui se disent Chrestiens. On les a veus oster le pain aux meres, &
le laict aux enfans ; rauir les brebis, & laisser les agneaux dans la
neige : renfermer les troupeaux dans les estables, sans souffrir
qu’on leur donnast à manger, afin qu’ils y perissent de faim. On
les a veus auec blasphemes, prendre les Prestres à la barbe, battre,
blesser, tuer, brusler, sans qu’on ait osé se plaindre, à cause de
la protection qu’ils auoient aupres des Intendans. On a veu les
prisons pleines de miserables pour raison de la taille, où ils ont demeuré
les deux & les trois années, cependant que leurs enfans demandant
l’aumosne, ne trouuoient point de pain pour se nourrir.
On a veu des brigands voler & assassiner les Marchands en pleine
campagne, & au milieu du Royaume, sous pretexte de traitte foraine,
sans qu’on en ait peu auoir raison, mesme dans le Conseil
Priué du Roy. On a veu dans la plus grande fertilité des années,
les pauures Païsans manger l’herbe, & qui eussent creu d’estre à la
nopce, ayant du pain que l’on donne aux chiens, parce qu’ils n’auoient
pas vn sol pour en achepter. Et pour ne proposer point des
exemples esloignez, combien de fois vostre Majesté, Madame, a
elle esté importunée des clameurs & des plaintes de toute sorte de
personnes, & de toutes conditions, dedans & dehors de Paris, sans
qu’elles ayent receu aucun soulagement, parce que vostre Majesté
obsedée, a tousiours esté diuertie, de l’inclination naturelle qu’elle
a à la compassion, sous des pretextes impies & cruels, que l’on qualifie
du nom de Politiques.

 

Parmy tant & de si rudes traittemens, & durant tant d’années,
qu’a-on dit ? qu’a on fait ? L’Eglise & la Noblesse ont esté dans l’oppression
comme les autres, qu’elle émotion a on fait pour cela ?
a-on fait ligue ? s’est-on soûleué ? a-on pris les armes, encore qu’il y
en eust iuste sujet, contre ces sangsuës humaines, qui de laquais &
banqueroutiers, sont deuenus grands Seigneurs, & possedent des
biens immenses, qu’ils ont volé auec impunité, & ruiné l’Estat sous

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le nom du Roy, & vostre authorité ?

 

Mais on les a prises ? Oüy. Mais quand ? Lors qu’on s’est veu
assailly par le fer, le feu, le sang & la faim, les plus extraordinaires
& cruels ennemis de la vie des hommes. Lors qu’on
s’est veu assiegé de tous costez, par des demons, non par des
hommes. Lors qu’on a veu les Allemans & les Polonois voler,
violer, & piller plus cruellement qu’en vn païs de conqueste.
Lors qu’on a entendu publier les defenses, d’apporter à Paris
aucuns viures, sur peine de la vie. Lors qu’on a veu les villages
pillez & desolez, pour marque de ce que l’on preparoit
aux Parisiens. Mais encore qu’a on fait auec ces armes ? On a tasché
à se conseruer de la surprise, & d’vn pillage general. A se garentir
des coureurs, qui viennent voler iusques dedans les portes.
Et si l’on s’est auancé plus auant, ça esté pour aller chercher du
pain, afin que les pauures ne mourussent pas de faim ; encore ne
l’a on pû auoir qu’au prix de beaucoup de sang. Et voila, Madame,
ce que ces sçauans en la Theologie de Machiauel, veulent faire
passer dans l’esprit de vostre Majesté pour rebellion, dont Dieu,
qui voit tout, & qui penettre les cœurs, sera en fin le Iuge, & prendra
le party de la Iustice ; comme non seulement Paris, mais toute
la France l’en supplie, auec des larmes & des gemissemens.

Mais si le Parlement, si Paris, est rebelle, qu’est-ce que les habitans
de la campagne, ont fait à vostre Majesté ? De quoy sont coulpables
les pauures villageois, que l’on a mis en chemise & à la besace,
ne leur laissant pas seulement de la paille pour coucher, ny
des portes à leurs maisons pour se defendre de la rigueur de l’Hyuer ?
Hé l’oseray-ie dire à vostre Majesté ? & le pourra-elle bien
entendre sans mourir de douleur ? De quel crime estoient coulpables,
les femmes & les filles des vilages conuoisins, que pour
l’expier, il ait fallut les exposer à la barbarie des Soldats, pour estre
violées. Qu’on les aye veu rauies d’entre les bras de leur Pasteur,
où elles s’estoient refugiées, trainées dans l’Eglise ; & là leur pudeur
& leur virginité prostituée, en la presence de Iesus-Christ au S.
Sacrement de l’Autel ; afin de ioindre le sacrilege, au rauissement,
& faire voir qu’on n’est pas moins ennemy de Dieu que des
hommes ? Oseray-je encore faire vne demande ? Quel tort
auoit receu : vostre Majesté des Eglises, pour en punition
estre exposées au pillage ; iusqu’aux nappes, aux Croix, aux

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Calices, & au Ciboire où repose le Corps de Iesus-Christ ? sans
parler des autres prophanations insolentes, & sa crileges, qui y ont
esté commises ? Et puis l’on dira que cela est iuste ! Et puis l’on
asseurera vostre Majesté, qu’il n’y a point matiere de peché
veniel ! Va flateuse, mais sacrilege & abominable Theologie ! Allez
esprits de tenebres, instrumens d’Enfer, demons déguisez,
Athées execrables. Si l’on va au Ciel par cette voye, quel chemin
faut-il tenir pour aller en Enfer ? Si l’on opere son salut parmy
les vols, les meurtres, les viols, les rauages, les sacrileges ;
quelles actions faut-il faire, pour fabriquer sa torture, & trauailler
à sa damnation ? Si c’est la conduite qu’il faut tenir, pour viure
auec les Anges & les Bien heureux ; Enseignez nous celle, qui
rend les hommes compagnons des Diables, afin que nous taschions
de l’éuiter ?

 

Mais il semble, Madame, que ie voy vostre Majesté rougir, &
d’vn mouuement de colere, respondre, qu’elle ne participe point à
tous ces crimes, ausquels elle ne voudroit pas mesme penser : qu’elle
ne les a point commandez, au contraire, qu’elle les improuue,
& les deteste. Ie ne doute point qu’il ne soit ainsi ; mais mon souhait
seroit, que cette excuse, quoy que veritable, fust legitime deuant
Dieu, pour le repos & la décharge de vostre conscience. Oüy
Madame ! Et plust à Dieu que ce fust assez pour satisfaire à cette
supréme Iustice, deuant laquelle les Rois ne sont pas plus fauorable
ment traittez que les autres hommes.

Mais vostre Majesté est mieux instruite que cela, elle sçait trop
bien, & ses Directeurs ne peuuent pas dire le contraire, que les fautes
des seruiteurs sont imputées au Maistre, lors qu’illes peut corriger,
qu’il le doit & ne le fait pas. Qu’Heli dans l’Escriture mourut
malheureusement, pour auoir toleré les crimes de ses enfans.
Que les loix Diuines & humaines, punissent les Capitaines, pour
les outrages causez par leurs Soldats, encore qu’ils ne soient pas
commis en leur presence, qu’ils les desendent, & qu’ils en ayent
du déplaisir. Que les Princes sont responsables, de toutes les fautes
de ceux qui agissent sous leur conduite. Et encore qu’ils n’ayent
point de Superieur, de la Iustice duquel ils releuent, & dont ils apprehendent
les chastimens, leur condition en cela en est dautant
plus dangereuse, plus à craindre & plus à plaindre, qu’ils ont pour
Iuge de leurs actions celuy qui en est le tesmoin. Que le mesme

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Dieu, qui voit & lit iusqu’au centre de leur cœur, est le Souuerain
incorruptible, qui prononcera l’Arrest dont il n’y aura point d’appel.
Ainsi, Madame, & suiuant la maxime, que nous faisons nous
mesme, ce que nous faisons par les mains d’autruy. Ie le diray,
mais auec larmes & le respect que ie dois à vostre Majesté : Que c’est
elle qui fait tous ces outrages, & qui cause tous ces maux : C’est elle
qui vole : c’est elle qui pille, qui tuë, qui meurtrit, qui assassine, &
par vne inuention du Demon, contre la Nature & la possibilité de
son sexe, qui rauit la pudeur aux femmes, & aux filles la virginité.
Et parmy tous ces desordres incroyables, il ne se trouuera pas vn
peché veniel ?

 

Hé quoy ! piller les Eglises, prophaner les choses Sainctes,
faire de la maison de Dieu, non seulement vne retraitte de voleurs,
mais vn lieu infame pour la prostitution & le rauissement
de la pudicité des Vierges Françoises, par la rage des Polonois
& des Allemans, passera pour vne action legitime ? Si les vols, les
viols, les sacrileges, les cruautez, les barbaries sont permises sous
vn pretexte de guerre, pourquoy blasmons nous les Turcs & les
Heretiques, dans les ruines dont nous voyons encore fumer les
vestiges ? Les Sarrasins & les Barbares, qui tiennent les Chrestiens
à la chaisne, par l’auersion qu’ils ont à nostre Religion &
au Sauueur que nous adorons, les traittent-ils auec la seuerité,
pour ne dire la cruauté, auec laquelle vostre Majesté soufre,
que l’on traitte les Sujets du Roy & les en fans de Iesus-Christ,
tous nuds dans les plus aspres rigueurs de l’Hyuer, à S Germain
dans vn tripot, ou au bois de Vincenne dans vne caue : où trois cens
sans paille, n’ont autre chaleur que celle de la puanteur des excremens,
que la nature les contraint de se faire l’vn sur l’autre ? Sont-ce
les loix de la guerre, mesme entre les plus Barbares ? Et tout cela
est Chrestien ! Et tout cela d’vne Princesse qui entend tous les
iours la Messe, qui Communie souuent, qui frequente le Sacrement
de Penitence, & qui n’en est point touchée, & ne s’en confesse
point, parce qu’on l’a asseurée qu’il n’y auoit point de peché mesme
Veniel ! Et si l’on rendra compte à Dieu d’vne parole oiseuse,
& de laquelle personne n’est offencé, sera on canonizé pour auoir
versé le sang des innocens ? Iesus-Christ recompensera-il de sa
gloire au dernier iour, ceux qui auront fait perir par le fer, par le
feu & par la faim, les enfans qu’il à enfantez en la Croix, dans

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l’effort & l’excez de ses souffrances, luy qui proteste de precipiter
en Enfer, ceux qui leur auront refusé du pain en leur necessité ?

 

Ah ! Madame, ce ne sont pas les maximes de l’Euangile ! Et il
est bien estrange, qu’au mesme-temps, que tout Paris est prosterné
dans les Eglises, en la presence de Iesus-Christ, exposé sur les Autels,
pour demander à Dieu la conseruation de vostre Majesté,
& la prolongation de sa vie, vous defendiez sous peine de la vie,
de leur rien apporter ; afin que dans huict iours vous offriez à la
mort, vne Hostie de quatre cent mille vies ! Cependant qu’ils
crient à Dieu, du plus profond de leur ame, qu’il conserue le Roy,
vous prononcez l’Arrest pour la leur rauir, par le plus cruel Tyran
de la vie, qui est la faim, Vous demandez leur mort, cependant
qu’ils ne souspirent que pour vostre vie. Vous appellez les Estrangers
pour les opprimer, sçachant bien que les vrais François n’auroient
pas assez de cœur pour se souler du sang de leurs compatriottes,
auec tant d’inhumanité, cependant qu’ils prouocquent
les Anges de vous estre fauorables. Et vous mettez les armes en
la main de la colere, du despit, de la perfidie, de l’auarice & de
l’interest, pour couper les testes & les mains, qui sont éleuées vers
le Ciel, afin d’implorer son secours pour la santé du Roy, pour la
prosperité de ses armes contre ses ennemis, pour le repos & la tranquillité
de son Estat, & pour l’heureux succez de vostre Regence.
Ainsi faisant vn crime de leurs vœux, & vne impieté de leurs prieres,
vous changez les loüanges qu’ils meritent en injures, les recompenses
honorables en suplices : & comme si ce n’estoit pas assez
de leur oster la vie, vous voudriez leur rauir l’honneur & la
conscience si vous pouuiez, en les faisant passer pour rebelles &
factieux, & tout cela auec Iustice, & sans apprehension d’effencer,
non pas mesme veniellement.

Ie supplierois volontiers vostre Majesté, Madame, qu’elle demandast
à ces Casuistes admirables, l’explication & l’intelligence
de l’histoire tragique de Naboth ; qu’ils luy rapportassent auec fidelité,
quel en estoit le sujet, quels en furent les Acteurs, le commencement,
le progrez, la fin & la suitte, ainsi que nous l’apprenons
de l’Escriture saincte. Naboth auoit vne vigne qui luy appartenoit,
& non pas au Roy : Les François ont des biens qui leur
appartiennent, & non pas à leur Prince, quoy que veüillent dire
les faux Ministres, & le s perfides Partisans. Le Roy voulut auoir

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la vigne de Naboth, par le seul motif de ses plaisirs ; Les Ministres
sous l’authorité du Roy, ayant desia rauy plus des trois quarts, veulent
auoir le reste des facultez des peuples, pour assouuir leurs passions
& leurs auarices. Naboth fist des remontrances au Roy : Le
Parlement au Nom de tous les Sujets du Roy, en a fait & reïteré
plusieurs fois de tres-justes & tres importantes. Pour forcer Naboth,
à perdre la vie, auec sa vigne, on inuente faussement qu’il a
mal parlé du Roy : Pour rauir la vie aux François, auec leurs biens.
on suppose malicieusement qu’ils sont rebelles. Ie ne fais point
l’application du reste de l’histoire, sasse nostre Seigneur par sa
misericorde, qu’elle soit defectueuse pour nostre regard, & qu’elle
n’arriue iamais.

 

Ie laisse vostre Majesté dans ces pensées, mais entre les bras
de la Croix, & dans les playes du Crucifié, afin de les mieux digerer,
& d’en temperer les amertumes par le meslange de celles de
cét aymable Sauueur. C’est dans ce cœur sacré, Madame, dans ce
cabinet Royal, dãs cette fournaise de charité, que ie conjure vostre
Majesté, par tous les sentimens d’vne ame Chrestienne, & par elle
méme, de considerer auec attention, & peser auec le poids du sanctuaire,
le dessein, l’esprit & la conduitte, de ce Dieu misericordieux,
de ce Roy clement, de ce Pere benin & debonnaire Seigneur,
& d’en faire la comparaison auec les vostres. Cependant
que prosterné aux pieds de sa Croix, les larmes aux yeux, les sanglots
en la bouche, & les souspirs dans le cœur, ie ne me contenteray
pas de le supplier, mais ie le conjureray auec tous les fideles
François, par la vertu & les merites de son sang, de conseruer vostre
Majesté, dans l’eminence & l’esclat de la pieté & de la vertu,
necessaires à vne grande Princesse, qui par l’effet de deux Sacremens,
porte les tiltres glorieux, de Tres-Chrestienne & Tres-Catholique.
Qu’il luy remette par sa misericorde tous les meurtres,
les vols, les viols, les incendies & les sacrileges, qui ont esté commis
sous son authorité, & qu’elle a tollerez par vne conscience erronée,
formée par des Casuistes ignorans & malicieux Qu’il luy
interessez. Qu’il couronne sa Regence des benedictions du Ciel,
& des acclamations des peuples ; & qu’il la rende à iamais triomphante
dans son amour & dans l’histoire.

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PERMISSION.

La Cour a permis à Cardin Besongne d’imprimer,
vendre & de biter le present Liure intitulé, Decision de
la Question du temps, à la Reyne Regente. Et deffenses à
tous autres de l’imprimer, sur peine de confiscation des
Exemplaires contre-faits. Fait à Paris le 27. Fevrier mil
six cents quarante neuf.

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Anonyme [1649], DECISION DE LA QVESTION DV TEMPS. A LA REYNE REGENTE. , françaisRéférence RIM : M0_871. Cote locale : C_7_3.