Anonyme [1649], LA DECADANCE DES MAVVAIS MINISTRES D’ESTAT, ET LES FRVICTS QV’ILS ONT RECEVS POVR LEVRS SALAIRES. Dediée aux Amateurs de la Paix. , françaisRéférence RIM : M0_865. Cote locale : C_7_2.
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LA
DECADANCE
DES MAVVAIS MINISTRES
D’ESTAT.

ENTRE les actions qui nous lient d’affection auec
nostre prochain, il n’y en a point dont les chaisnes
soient plus fortes, & les liens plus indissolubles que
celles qui forment les biens faits, & qui sont naistre
les courtoisies : C’est par ses douces contraintes d’obligation
que le cœur se sentãt amoureusement détache de sa propre
place, passe tout entier en la personne de qui nous auons receu la
faueur. C’est cét esprit animant toutes choses, cet esprit d’amour &
de grace qui vnit les Estats, qui maintient les Couronnes, & qui
fait viure les peuples dans vne eternité de concorde.

Mais la souueraineté de nos desirs, qui peut estre bien moins bornée
dans nos cœurs, que les richesses ne le sont dans les Royaumes ;
cette flâme deuorante de l’ambition & de l’interest qui se répent
par tout où va sa cognoissance ; ce feu qui n’espargne pas mesme
la Majesté des Trônes opposez à cette vertu toute diuine, deux
Monstres ennemis du Ciel ; deux fleaux des habitans de la terre,
l’enuie & l’ingratitude, ses lasches ennemis osent se couurir de perfidie,
pour combattre la generosité, & veulent que les mécognoissances
soient sans exemple lors que les liberalitez sont sans comparaison,
ils ne veulent pas croire que l’amitié qui se forme entre les
semblables, se puisse rencontrer entre les Dieux & les hommes, à
cause que si les affections d’vne essence souueraine sont parfaitement
liberales, celles d’vne nature indigente ne peut qu’estre tres-interessée
en effet ; ses lasches esclaues de l’ambition & de l’interest,

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ses auortons de la Nature ; Mirmidons qui osent bien s’efforcer de
dépoüiller les Escussons de leurs Masses d’armes si tost qu’ils ont
pû, sans approcher ses ames de bouë indignes de la reflexion & de
l’Astre qui les éclaire, en ont à peine ressenty la chaleur & la benignité
qu’ils en detestent la puissance, ou du moins tel que la grenoüille,
ils creuent en s’efforçant de se leuer aussi haut que les trônes
qui les ont tiré du neant, & de la lie des peuples.

 

Les premiers siecles ont veu naistre ces Monstres à leur estonnement,
& ces derniers les voyent reuiure à leur ruïne & à la desolation
de l’Empire. Il est superflu d’appuyer cette verité par les
exemples anciens, puisque malgré le nom franc, la France a depuis
plusieurs siecles donné l’estre à tant de viperes esleuez à la confusion
de la Patrie, & pour obscurcir l’esclat de ce florissant Royaume.

De quelle couleur assez noire peut-on dépeindre la lascheté & la
perfidie de ce premier Chambellan de France Pierre de la Brosse,
qu’vne trop aueugle fortune esleua au Solstice des honneurs & dignitez
de cette Monarchie, ce perfide subjet, valet de chambre &
Chirurgien du Roy Philippe le Hardy, se voyant paruenu dans les
bonnes graces de son Souuerain, ne passa-t’il pas à tel point de felonnie
que d’attenter sur la personne sacrée de Louys de France,
frere aisné de Philippe le Bel, qu’il fit empoisonner l’an 1276.
puis en fit faussement tomber le soupçon sur la Reyne Marie de
Brabant seconde femme de sa Majesté, & belle-mere du Prince
deffunct ; ce calomniateur pensant ainsi s’emparer de l’authorité
Royale, & bastir les fondemens de son pouuoir sur la ruyne de ses
deux personnes Royales, fut mis en Iustice à l’instance de Iean
Duc de Brabant qui fit vn voyage exprés en France, où il offrit le
duel à celuy qui voudroit maintenir que la Reyne sa sœur eut commis
le crime qui luy estoit imposé : lors ce Monstre sorty de l’Enfer
pour persecuter les innocens, par vne sentẽce trop douce fut condamné
d’estre pendu, ce qui fut executé aux Halles de cette Ville.

Depuis sous le regne de Louys XI. Iean Balu, de simple Clerc &
Chappelain en l’Eglise d’Amiens, estant paruenu aux suprêmes dignitez
de sa profession, & ayant receu le Chapeau de Cardinal à la
faueur du Roy son Maistre, dont il s’estoit acquis la bien veillance ;
cét infame Fauory ne se porta-il pas en suite à trahir l’Estat, en negociant
secrettement auec le Duc de Bourgongné, capital ennemy
de la France ; ce qui força son bien-facteur à le confiner dans vne

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prison, d’où il ne fut retiré qu’apres dix années, par l’entremise de
Iean de Rouuer, Cardinal & Legat de Sixte quatriéme.

 

Mais l’exemple ne peut arrester ny changer les mauuaises inclinations,
l’ambition & la conuoitise sont des torrens qui ne rencontrent
point de digues ; l’appareil des supplices, & le chastiment des
crimes ne sert qu’à réueiller la fureur des criminels, la Iustice qu’on
rend à leurs semblables les touchent comme vne injure receuë, les
feux & les fers ne font qu’eschauffer dauantage, le desir de leur violence,
& le sang versé des coupables les rend plus alterez de celuy
des innocens.

Sous le regne de ce mesme Monarque, la France se vit oppressée
des concussions & des tyrannies de deux autres serpenteaux, deux
sangsuës nées dans la vase & le limon du Royaume, autres vilains
de marests qui eurent vn iour l’audace de refuser de l’eau aux enfans
des Dieux ; vn Chirurgien, & vn fils de Cordonnier Oliuier
le Diable, depuis appellé le Daim, & Iean Doriac tous deux comme
suscitez des Enfers pour le chastiment des trois Estats de France,
tous deux ennemis de la valeur, de la munificence des bonnes
Lettres & des Arts, & toutesfois tous deux biens voulus d’vn des
plus grands Monarques qui aye porté la Couronne des Lys, iamais
la licence ne trouua plus de prise dans des cœurs effeminez, la molesse
sembloit fortifier leur authorité, leur auarice passoit pour bonne
conduite, & les Courtisans ébloüis de leurs fortunes prenoit
leur lascheté pour vne prudence ; Mais quoy les iours sont suiuis
de tenebres, & la fortune toute de verre se dissout & se destruit dans
son ; plus grand esclat, les prodiges en presagent d’autres ; vn hibou
parut en plain iour pour annoncer la fortune d’Herodes à Agrippa,
& ce mesme oyseau mal-encontreux fut vne autrefois le Messager
de sa Mort, ainsi ses deux vilains abusans de la faueur Royale,
ses auortons de Fauoris apres auoir eu l’audace de mespriser les
Princes & la Noblesse, apres auoir eu l’audace de porter les Couronnes
de perles, & les tiltres de Gouuerneur de Prouince ; parmy
cét esclat de gloire & de pompe, ils se virent surpris par le coup inopiné
de ce bras qui punit seuerement les testes qui s’éleuent contre
son authorité, l’vn comme vn autre amant se vit esleuer sur le bois
qu’il auoit dressé contre le iuste ; Oliuier le Dainfut pendu par l’Arrest
du Parlement, & l’autre eut le nez & les oreilles couppées pour
seruir toute sa vie de risée à ceux sur le frõt desquels il auoit si long-temps
imprimé vn tyrannique respect ; Et comme Dauid ne fit pas

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mourir tous les ennemis de son Estat, en remettant le chastiment
entre les mains de son fils son successeur. Ainsi Charles VIII. fit
punir la déprauation des mauuais seruiteurs du Roy son pere.

 

Mais aujourd’huy les humeurs de l’Estat l’ont fait dégenerer en
de plus dangereuse maladie : Nous n’auions point en ce temps-là
fait encore de diuorce auecque cette fille immortelle qui a trouué
son berceau dans la hauteur des nuées ; la Iustice ne s’estoit point
encore retirée du commerce & de la conuersation des hommes ; les
Loix estoient encore en vigueur ; il estoit permis aux gens de bien
de dire leurs sentimens ; les Princes estoient maintenus dans leurs
authoritez, les Nobles dans leurs rangs ; les peuples dans leurs priuileges ;
en ce temps les Estrangers venoient chercher en France
des Souuerains & des Monarques, & ne trouuoient de la liberté
qu’en la suiettion qu’ils rendoient à cette Couronne : Mais depuis
que nous auons admis les Estrangers pour nous commander, & que
loin de nous seruir nous leur auons donné la hardiesse de marcher
à costé de nos Princes, ou se fortifiant de la minorité de nos Roys,
ils se sont insolemment emparez de la suprême authorité. Quels
déreiglemens dans l’Estat, & quelles mortelles flaistrissures a receu
cét Empire tousiours florissant : N’est ce pas en cét aage de fer que
l’on a commencé de voir naistre tant de gens armez pour leur propre
ruïne, que les Princes soient demy Dieux mortels, se sont veus
bannis de la Cour, le Ciel de leur demeure, pour y laisser regner le
Marquis d’Ancre, autre monstre sorty de Toscane : Soissons a seruy
d’azile à ces Herôs, tandis que ce lasche Tercite s’efforçoit d’exciter
vne guerre intestine dans le Royaume, pour s’enrichir de son
débris ; ce Conchino dont l’ambition ne peust estre bornée par le
Baston de Mareschal de France, ne portoit-il pas l’Estat dans sa
prochaine ruyne, si le Ciel nostre Protecteur n’eust arresté ce torrent
dans sa course, & n’eust fait tomber cét Idole qui se faisoit tous
les iours sacrifier tant d’innocẽtes victimes. Mais que dis-ie, cét hydre
pululle en ce dernier tẽps, & le sang empesté sorty de ce corps
sacrilege fait naistre vn successeur de son ambition, vn ennemy iuré
du repos public, vn Sicilien qui leue icy le bras pour y faire sonner
d’autres Vespres Siciliennes, vn serpent dont la rage animée
pour la perte des François, ne pouuãt plus alentir le feu de son impatience,
a pris vne saincte nuict pour faire vn larcin sacré de nostre
ieune Monarque : Mais quoy ce torrent impetueux va bien-tost trouuer
vne digue à son ambition dans les abysmes de sa perte ; il roule

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vers son precipice, & s’il fait encore du bruit en son cours, c’est qu’il
est dans le panchant de sa ruyne : le Mazarin n’est pas ingrat enuers
son Bien-faicteur comme on l’en vouloit blasmer n’agueres ; toutes
ses actions tournent à la gloire d’Armand de Richelieu ; aussi c’est vn
sang corrompu qui ne peut gaster celuy qu’vne plus pure & plus noble
extraction auoit fait naistre pour le Ministere ; L’vn fut fils d’vn
Cheualier du S. Esprit, vray François, & qui en a tousiours eu les sentimens ;
l’autre fils d’vn marchant banqueroutier, mauuais suiet de
son Prince le Roy d’Espagne, & que le fils c’estoit tousiours efforcé
de desseruir au temps de sa mauuaise fortune, comme il a faict son
cher bien-faicteur le Pape Vrbain VIII. & encore plus son successeur
Innocent, mais qui auiourd’huy a faict passer pres de
deux millions en son païs, tasche pour trouuer vn azile a ses crimes
de luy rendre quelque notable seruice ainsi qu’il paroist par le traicté
de paix qu’il veut faire conclurre au plus grand des-auantage que la
France pourroit receuoir si mesme elle auoit perdu vingt batailles.

 

Si le Cardinal Duc fut blasmable pour les deniers & subsides
qu’il leua dans l’estat a la foule & la ruine des peuples, au moins il en
acrut la monarchie, il rendit le Roy son maistre redoutable aux nations
les plus esloignées, il en fit subsister nos armées, il en fit viure
les gens de lettres tous les gens de sçauoir estoient ses pensionnaires
& peu auoient l’vsage d’escrire qui ne fussent obligez a soubscrire ses
loüanges.

Mais cette harpie estrangere n’a iamais eu en bonne odeur ny les
Sciences, ny les Arts, & bien loing de restaurer vne autre Sorbonne
comme a fait son predecesseur, il n’a iamais trauaillé qu’à l’establissement
de quelques ioüeurs de marrionnettes, le diuertissement des
faineans.

L’ambition d’Armand n’est pas moins blasmable que celle de
Iules, mais l’vne fut tousiours accompagnée de munificence & de liberalité,
l’autre tousiours d’auarice & de bassesse.

Toutes les vertus sont aymables, mais elles ne profitent pas à tout
le monde, quelques vnes ne seruent qu’à ceux qui les mettent en pratique,
mais la liberalité est auantageuse à ceux mesmes qui ne l’exercent
point.

Chacun ayme les liberaux, parce qu’ils donnent, & tous les craignent,
parce qu’ils sont puissans en grand nombre d’amis.

Ce mauuais Ministre pour déguiser son auarice d’vne fausse iustification,
publie qu’il s’est contenté de peu de Benefices, sans auoir

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voulu ny terres, ny Gouuernemens : Mais il n’auoit pas cette visée,
puisque loin de vouloir s’affermir en cette Monarchie, il n’a pensé
qu’à en écrouler les fondemẽs pour en butiner les ruïnes, & tel qu’vn
autre mauuais Enée, enrichir l’Italie des dépoüilles de l’Heritier de
Empire de Troye.

 

Il s’est attaché à la perte de tout le Parlement, n’ayant pû corrompre
l’integrité de cét Auguste Corps : mais ce méchant fait plaisir à
l’homme de bien quand sa malice le persecute, en le trauersant injustement,
il n’arreste point sa renommée ; bien loin de l’empescher de
voler, il semble luy donner des aisles ; plus la vertu trouue d’obstacles,
plus elle éclatte en son action, s’vnissant toute pour surmonter
ce qui s’oppose à son cours, & c’est vn arbre qui s’affermit en sa racine
par la secousse des vents contraires.

Les Violes, les Blancmesnils, & les Brousselles viuront à iamais
dans l’Histoire, & dans le cœur des bons François, & dautant plus
que leur ennemy les a pressez de la mort, voulant estouffer & noircir
leur memoire de crimes tous contraires à leur innocente integrité.

Il s’est armé contre l’innocent, mais il faut que bien-tost il abaisse
la teste sous le poids des supplices meritez : il ne luy suffit pas d’auoir
espuisé tous les tresors du Royaume, il nous veut encore soustraire
l’astre qui les produit : mais la France n’est pas sterile en Hercules
dompteurs des monstres estrangers, desia cette estonnante voix qui
se fait entendre par tant de bouches ; cét auguste Senat a donné la
chasse a ce Lyon rugissant ; toutes les villes sont armées contre ses
factions criminelles ; & tandis que le Royal sang de Bourbon son
Altesse le Prince de Conty prendra le soing de secourir l’estat dans
sa foiblesse, & qu’il sera secondé des incomparables Ducs de Longueuille,
d’Elbœuf, de Beaufort, de Boullon, de Cardonne, & la
Mothe-Haudancour ; tandis que ses Heros s’efforceront de releuer
ce Corps languissant de tant de seignées dont cette gloutonne Sansuë
le vient d’épuiser, les Peuples oppressez de ses tyrannies doiuẽt
r’appeller leurs esperances, & se promettre que Paris va bien-tost
donner le dernier coup a cette derniere teste que l’Italie a fait naistre
pour la desolation de la France, & que dans peu le Soleil de ce climat
le Roy desseichant nos larmes de son fauorable aspect dissipera tout
ensemble les tenebres que l’esloignement de sa Maiesté a causées en
cette Ville qui sera pour iamais le trône de sa gloire & l’image de
son authorité.

FIN.

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