Anonyme [1649 [?]], DISCOVRS SVR LA DEPVTATION DV PARLEMENT, A Mr le Prince de Condé. , françaisRéférence RIM : M0_1147. Cote locale : D_2_31.
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DISCOVRS
SVR LA DEPVTATION
DV PARLEMENT,
A Mr le Prince de Condé.

I’AVOIS eû de la peine a adiouster foy à la nouuelle
qu’on m’auoit escrite de Paris, que le Parlement auoit deputé
vers Monsieur le Prince, pour luy tesmoigner la ioye
que la Compagnie auoit de son retour, & l’asseurer en mesme
temps de ses soubmissions, & de ses respects : mais cette
nouuelle m’ayant esté depuis confirmée. I’auouë que i’ay
esté saisi d’estonnement, & d’indignation tout ensemble,
d’apprendre que cette Compagnie autresfois si Auguste, &
si Genereuse, se soit abbaissée à vne si prodigieuse lâcheté.

Car sans parler qu’il n’y a point d’exemple dans les Registres
que le Parlement de Paris ayt iamais fait en vne pareille
occasion, des semblables complimens vers des Princes
du sang, qui sont suiects du Roy aussi bien que nous, qui
sont sousmis aux mesmes loix qui nous lient, & n’ont autre
aduantage que d’estre les premiers Gentils-Hommes du
Royaume ; on ne pouuoit point d’ailleurs tirer en exemple la
Deputation qui auoit este faicte vers Monsieur le Duc d’Orleans,
lequel estant fils de France, Oncle du Roy, & Lieutenant
General de la Couronne, est infiniment esleué au dessus
d’vn Prince du Sang, & merite partant des honneurs singuliers ;
& le Parlement a fait sans doute vne iniure tres sensible
à son Altesse Royalle de luy auoir esgalé vn homme qui ne
luy parle que le chapeau à la main.

Mais quand ie fais reflexion sur les choses qui sont passées
depuis trois mois, quand ie me represente deuant les yeux

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les Images encores toutes fraisches des cruautes horribles
que ce Prince a fait exercer, quand ie me résouuiens des recits
funestes qu’on m’a fait, des actes d’hostilité qu’il a commandées,
de la desolation des Villes, & des Villages, du violement
des femmes, & des filles, de la profanation des Eglises,
sans respecter le Mystere Adorable de nos Autels, quand
ie treuue icy depuis tantost huict iours que i’y suis ariué, les
marques des traictemens Barbares que ce Prince a fait souffrir
à tant de personnes innocentes ; Mais quand ie songe au
dessein furieux qu’il auoit entrepris de faire perir par le fer,
& par le feu cette grande Ville, la commune patrie de tous
les François ie ne puis supporter que le Parlement auquel il
doit conte de ses actiõs & de sa vie, le soit aller trouuer pour
luy faire, auec vne bassesse indigne, vne espece de remerciement
des maux horribles qu’il a causez. N’estoit ce pas assez
qu’il fut libre de reuenir à Paris, & qu’on perdist le souuenir
des mouuemens de hayne & d’auersion qu’on auoit conçeu
si iustemẽt contre luy ? Falloit-il en cor le receuoir auec pompe
dans nos murailles, & qu’il y soit entré plus glorieux que
s’il y fust entré par la bréche ? Car qu’auroit-il fait autre chose
dãs vne victoire sanglante, que de faire nager son cheual,
pour vser de ses termes, dans le sang des Parisiens, & triompher
ainsi de nos vies, de nos biens, & de nos corps ? Mais
toutes ces choses estoient suiettes par leur condition à l’Empire
de la Fortune : nous pouuons perdre auec courage ces
faux biens qui nous sont estrangers, & quand l’iniustice ou
la violence nous les ostent, nous ne perdons rien qui soit à
nous, selon les sentimens mesmes des Philosophes Payens.

 

Il n’y a que l’amour de la patrie & de la liberté auquel il
n’est pas permis aux gens de bien de pouuoir renoncer, c’est
vn bien qui nous appartient proprement, que l’vsurpation
des tyrans ne nous peut rauir ; & que la nature & la raison qui
sont les deux puissances legitimes ausquelles nous deuons
nos premiers respects, nous ont confirmée, comme vn depost
sacré qu’elle nous obligent de garder, & de deffendre
iusques à la mort. Celuy qui par foiblesse ou par interest

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pert le desir de conseruer sa liberté, il manque en premier
lieu par son pernicieux exemple, contre le deuoir qui l’attache
à la societé ciuille, il se trahit soy-mesme, & efface en
quelque sorte ce rayon d’independance que Dieu a graué
dans nos ames en nous formant à son Image, de ne recognoistre
point de Souuerain sur la terre en la conduitte de nostre
raison, & de nos pensees.

 

Mais quand ceux qui sont establis dans le gouuernement
d’vn Estat pour estre les protecteurs de la liberté publique,
s’abandonnent tous les premiers aux tyrans qui les veut opprimer :
Qu’elle esperance peut-il rester de se pouuoir conseruer,
si ceux qui en doiuent estre les plus fermes appuis, la
vendent & la trahisse ? Nous apprenons des Histoires que la
puissance des Empereurs Romains ne seroit iamais montée
au comble de l’insolence où elle a esté, si la lâcheté du Senat
n’eust fortifié par ses cõplimens infames les progrez de la tyrannie :
Et sur quoy il est important que les Officiers du Parlement
fassent vne serieuse reflexion. Ils doiuent prendre
garde que leur institution estant aussi ancienne que la Monarchie,
ils sont les dépositaires des loix fondamentales
de l’Estat, & sont obligez en leurs consciences, & par le deuoir
de leurs charges, de s’opposer aux entreprises des
Ministres & des Fauoris, & de renoncer plustost à leurs
dignitez que de souffrir que les loix soient violées, Il
n’appartient pas à la verité à des personnes priuées d’examiner
la conduite des Souuerains, mais pour ceux que
la necessité de leur employ engage de veiller à la seureté des
peuples. Qu’ils se souuiennent qu’ils respondront deuant
Dieu de la negligence qu’ils y apportent, & que toutes les
oppressions qui s’authorisent par leur tolerance criminelle
leur seront quelque iour imputées. Si le Parlement eut fait
quelque reflexion sur ces deuoirs ; il n’auroit pas sans doute
deputé vers Monsieur le Prince : car puisque ces marques
d’honneur ne se rendent qu’à la qualité des personnes, ou
bien à leur vertu ; Il a esté desia obserué qu’il n’y auoit point
d’exemple qui l’obligeast à cette ceremonie, puis qu’on ne

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l’auoit iamais pratiquée enuers des Princes du Sang. D’ailleurs,
le traittement cruel que Paris a receu de ce Prince, ne
luy auoit pas merité cét honneur. Certes, il n’estoit pas iuste
qu’il receut des tesmoignages de nostre amour, & de nostre
estime, pour auoir entrepris de perdre la Ville Capitale
du Royaume, que l’Histoire marquera sans doute auec vn
reproche eternel contre sa memoire. Ouy, ce dessein furieux
flestrit cette haute reputation qu’il auoit acquise, & comme
la gloire des batailles gagnées se partage auec la conduite
des Chefs, la valeur des soldats, & auec la fortune qui y preside
le plus souuent, la posterité iugera sans doute des
moyens & des qualitez de ce Prince, par l’action la plus remarquable
de sa vie. Et quand elle verra que pendant la minorité
de son Roy il a voulu ruiner Paris, qui est non seulement
l’ornement, mais l’abregé de tout le Royaume ; elle
lira auec horreur vne entreprise si detestable, & considerera
ce Prince comme vn Monstre, né pour la ruine & la desolation
de son Païs.

 

Mais quelle honte sera-ce au Parlement, dont on sçait que
le soing se doit employer à punir les violences publiques,
d’auoir non seulement dissimulé par leur silence ce qui seroit
encor tolerable pour le bien de la Paix, mais d’auoir honoré
l’Autheur de tant de maux d’vne Deputation qui ne
luy estoit point deuë, quand il seroit mesme reuenu tout
couuert de Lauriers gaignés sur les anciens Ennemis de cette
Couronne ? n’est-ce pas decerner le Triomphe à celuy qui
n’a pas esté le vainqueur ? mais le flambeau fatal d’vne guerre
Ciuille qu’il auoit allumée, & cette prostitution ne marque
elle pas la foiblesse d’vn corps qu’il falloit par prudence
cacher à ceux qui ne cherchent que l’occasion d’abbattre ce
qui luy reste d’authorité ?

Les Peuples voisins loüoient autresfois le gouuernement
de la Frãce, parce que la puissance Royalle, disoient ils, y est
temperée par l’authorité des Parlemens, lesquels encor bien
qu’ils tirent leur pouuoir de celuy que le Roy leur communique,
tout ainsi que les Astres empruntent leur lumiere de

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celle du Soleil. Neantmoins on peut dire que comme les
Philosophes nous enseignent que les Astres ont vne lumiere
qui leur est propre, d’autant que la lumiere est vne qualité
du Ciel. Les Parlemens aussi, & entre autre celuy de
Paris a vne authorité non participée selon les loix fondamentales
de la Monarchie, soit parce qu’il a vn establissement
aussi ancien que celuy de la Royauté, ainsi qu’il a esté
desia obserué, soit enfin que les Roys luy ayent confié
comme en depost le soin & la conseruation des loix, ausquelles
ils ont bien voulu eux mesmes s’assuiettir à l’exemple de
Dieu, qui dans la conduitte de l’Vniuers, selon la pensée d’vn
Pere de l’Eglise, a commandé vne seule fois pour obeïr toujours.

 

Que si le Parlement doit apporter le temperament si necessaire
aux entreprises continuelles des Ministres & des Fauoris,
qui abusent de la puissance Royale, ne luy peut on
pas faire à present vn iuste reproche, qu’il pert par sa faute
vn aduantage si vtile au public, & si glorieux à luy mesme ?
car encor qu’on ne doiue pas peut estre approuuer tout ce
qu’il a fait depuis vn an, puisque l’on en reçoit si peu de fruit,
& qu’il soit assez manifeste par l’euenement & la lascheté
honteuse de quelques-vns que ceux qui ont fait le plus d’esclat
dans la Compagnie, n’ont esté animez que par des interests
de famille, & par des mouuemens de caprice, sans aucun
dessein du bien public. Ceux qui estoient bien intentionez
deuoient songer qu’il falloit tousiours faire vne retraitte
honorable, & laisser la terreur, & la crainte à ceux qui les
auoient attaquez : que le Parlement n’auoit pas fait ses derniers
efforts, afin de retenir & d’empescher les Ministres de
ne rien entreprendre de nouueau à l’aduenir.

Et tout au contraire, n’a t’on pas veu des Conseillers de
la Cour dans l’anti-chambre du Cardinal Mazarin se presser
en foule pour luy demander pardon des choses qui s’estoient
passées, & luy tesmoigner le desplaisir qu’il leur restoit
d’auoir esté gens de bien ? Ie ne me plains tant de ces
actions priuées qui montrent bien à la verité la bassesse de

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quelques particuliers, mais qu’il soit dit que le Parlement
ait deputé vers Monsieur le Prince, que la posterité lise que
Monsieur le Prince a receu compliment pour auoir assiegé
Paris, desole la campagne à dix lieuës à la ronde, abandonné
à l’insolence barbare des soldats estrangers, non seulement
tant de femmes innocentes, mais le Sanctuaire mesme du
Dieu viuant, qu’on a prophané par des sacrileges horribles ;
c’est ce que ie trouue insupportable à des François, qui
estans nais libres par leur condition, deuroient plustost mourir
que commettre ces lâchetez !

 

Dauantage, comme les Princes ne souffrent ordinairement
pour punition de leur excez, que la haine des peuples qu’ils
affligent, qui est sans doute vne punition plus grande qu’ils
ne pensent, s’ils y faisoient reflexion : Estoit-il iuste, mais
estoit-il à propos de rendre à Monsieur le Prince cét honneur
qu’il ne meritoit point ? ne falloit il pas qu’il reconnust
la faute qu’il auoit commise par les marques de nostre mespris
& de nostre auersion ?

Mais qui ne sçait dailleurs les desseins ambitieux, que l’esprit
de ce Prince medite depuis quelque temps, & la demande
qu’il auoit faite, & qu’on luy auoit accordée, des places
de Clermont, Stenay, & Iamets, en Souueraineté ; ne faitelle
pas voir qu’il souffre auec quelque impatience la qualité
de Subjet ? Tous les Princes, disoit vn de nos Roys, aspirent
à l’independance de là naissent tant de remuëmens &
tant de guerres ciuiles que nous esprouuons ; & c’est pourquoy
il est important de les abbaisser, & qu’ils croyent qu’il
leur est impossible de faire reüssir leurs entreprises pernicieuses :
Or comme le Parlement de Paris peut seul empescher les
factions naissantes ; il est de son deuoir, principalement dans
la minorité du Roy, de ne plus souffrir qu’il s’esleue quelqu’vn
qui puisse faire vn party dans le Royaume, & il doit
employer ses soins d’en ruiner tous les pretextes, & les causes
mesmes les plus esloignées ; & par cette raison, il est de la
prudence du Parlement de tesmoigner courage & fermeté à
vn Prince, qui a fait voir par cette derniere entreprise que

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son esprit remuant n’en demeurera pas là, & que c’est vn
fleau que Dieu nous prepare pour affliger ce Royaume.

 

Mais la derniere, & la plus importante raison pour laquelle
le Parlement a eû tort de faire cette Deputation, & que
cét estrange abbaissement qui n’estoit pas dailleurs necessaire,
confirme en premier lieu les sentimens des Peuples,
dans le mauuais bruit qu’on a fait courir que les Deputez
du Parlement auoient esté corrompus dans les negotiations
de la Paix, & qu’ils ont plié dans vn temps où il y
auoit suject desperer quelque soulagement dans les miseseres
publiques, soit par l’acheminement de la Paix generalle
qui nous estoit offerte, soit par le changement du Ministeriat,
qui estoit vn point sur lequel il semble qu’il ne falloit
point conclure. Or comme la fin perpetuelle des Ministres
a esté de des-vnir les Peuples dans les Parlements, ils
ne manquent pas sans doute de profiter de cette occasion,
& comme ils se persuadent auoir suject d’abbattre leur authorité,
& de restablir ce gouuernement absolu qu’ils ont
pratiqué depuis quelque années. Ie ne doute pas qu’ils ne
reprennent bien tost leurs conseils violens, & que la bassesse
de cœur qu’ils ont recognuë par cette Deputation, ne leur
donne esperance de pouuoir ruyner facilement cette Compagnie
qui les auoit retenu iusques icy dans les bornes de
quelque moderation.

Il n’est pas tres difficile de conceuoir ce qu’ils feront, par
ce qu’ils ont des ja entrepris : on a veu trois iours apres la publication
de la Paix vn Arrest du Conseil d’Enhaut éuoquer
les appellations comme d’abus, & casser vn Arrest du Parlement
qui en auoit retenu la cognoissance. On a des ja veu
les Commissions Souueraines de l’Hostel restablies. On entend
tous les iours les plaintes des cruautés horribles, que
les gens de Guerre commettent dans les pays du Mayne, &
d’Anjou, & aux enuirons de Sens, pour s’estre declarez en
faueur de Paris & du Parlement ; ce qui est manifestement
violer la derniere Declaration. Et cependant le Parlement
est dans le silence, & souffre vne extreme ingratitude qu’on

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mal-traite ceux qui ont attiré sur eux les maux qu’on leur
fait endurer pour auoir embrassé sa querelle. Il permet que
l’on viole à ses yeux les articles d’vne Paix si solemnellement
iurée, & il se persuade cependant que la tempeste ne retombera
pas dessus luy, comme si les Ministres ne conseruoient
pas dans leur cœur vne haine enragée contre vne
Compagnie qui est capable d’estre vn obstacle perpetuel à
leur dessein, & qui les auroit perdus en cette derniere occasion,
si elle eust poussé auec vigueur le conseil qu’elle auoit si
genereusement projetté. C’est dailleurs vn aueuglement
prodigieux, que de s’imaginer que quand la tyrannie des
Ministres sera establie, qu’ils ne se ressouuiennent plus que
le Parlement a eû des Princes Generaux d’armée, qui ont
commandé sous ses Ordres ; car outre que s’il faut iuger de
l’aduenir par le passé, nous auons veu que les Ministres ne
sont pas si sages pour oublier leurs ressentimens de vengeance
qu’ils ont des-ja de la peine de dissimuler, (ce qui fait voir
en passant la foiblesse de leur esprit, & de leur conduitte d’estre
touchez des passions vulgaires) dont celuy qui se mesle
du gouuernement doit estre exempt selon les regles de la
Politique.

 

Mais quand les Ministres oublieroient le passé, ce que ie
ne crois pas, c’est encor vne remarque fondée sur des exemples
des histoires anciennes que le gouuernement violent &
tyrannique, exerce ses premiers efforts sur ceux qui luy sont
plus proches, & qui ont plus de droict & de pouuoir de luy
resister. La raison est, que cette sorte de gouuernement ne se
peut establir parfaittement, tant qu’il reste quelqu’vn qui a
droict de resister au progrez du mal, parce que cette puissance
illegitime est retardée ou par la pudeur, ou par la crainte,
qu’elle ne le destruise par des entreprises trop hardies. C’est
donc pour cela qu’elle n’a point de sujet de souffrir qu’il y
ait quelque obstacle qu’on puisse opposer à ses excez.

Qui peut douter donc apres cela, qu’en fort peu de temps
le Parlement ne soit l’object de la persecution des Ministres,
& qu’ayant destaché les peuples, s’il leur est possible, de l’amour

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& de l’vnion parfaite qu’ils ont iusques-icy gardée
auec cét illustre Corps, qu’ils n’en abbattent l’authorité, ou
par la prescription de tous les gens de bien, ou par quelque
creation nouuelle, comme on commence desia de nous en
menasser. Que si cela arriue, qui ne void qu’il ne restera plus
de rempart pour la liberté publique ? qu’il n’y aura plus d’azile
qui soit inuiolable pour conseruer les innocens, & les
opprimer ? que les Prouinces seront de nouueau exposées à
l’auidité insatiable des Partisans. En vain on reclamera l’authorité
des Loix, elles seront trop impuissantes pour secourir
les foibles, & l’honneur des femmes, la pudicité des Vierges,
nos biens & nos vies, seront la proye du Tyran qui s’éleue,
& des complices qui fauorisent ses desseins.

 

Il ne faut point douter que toutes ces choses n’arriuent, si
le Parlement est vne fois opprimé ; Et quand ie songe à cette
lâche Deputation ; il me semble desia qu’elles sõt arriuées ;
mais d’autre-part, lors que ie fais reflexion que cette Deputation
n’a pas esté l’ouurage de tout le Parlement, que le
plus grand nombre y a contredit, & que la plus part des Enquestes,
& des deux Chambres des Requestes du Palais, ont
refusé genereusement de deputer. Quand ie me ressouuiens
que ce n’a pas tant esté vne Deputation du Parlement de Paris,
qu’vne Caballe formée de quelques particuliers, corrompus,
timides, esclaues, & despendans de la Cour, ie sens
mes esperances renaistre, & ie me fortifie dans cette creance,
qu’il reste encor des gens de bien dans la Compagnie,
qui n’ont pas flechy le genoüil deuant Baal, & qu’on n’a pas
veu à Sainct Germain, aller à l’adoration infame du Cardinal ;
que le plus grand nombre ayme le public, & ne souffrira
point que la liberté soit opprimée. On ne peut pas leur
reprocher la Paix qu’ils ont consentie, elle estoit en quelque
façon necessaire pour le bien de l’Estat & de Paris, & pour
ne pas tomber dans la puissance de quelques Generaux qui
ont trahy vne si bonne cause, par les intelligences secrettes
qu’ils ont tousiours conseruée auec la Cour, par le mauuais
vsage, pour ne pas dire honteux, ou le larcin de nos deniers,

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& par la lâcheté d’auoir laissé prendre tous nos postes sans
resistance.

 

Qu’on ne reproche donc point au Parlement vne Paix
qu’il a creuë necessaire. Il faut que les peuples se confient
à la protection de cette Compagnie Illustre, qui est disposée
plus que iamais de s’opposer auec vigueur, aux entreprises
des Ministres, qui n’a autre but dans ses conseils que le soulagement
des peuples, & qui faisant gloire de mespriser ses
propres interests, ne sera point diuertie d’vne si iuste resolution,
ny par la foiblesse des Chefs, ny par la corruption des
pensionnaires, ny par la crainte de perdre leurs Charges &
leurs emploits C’est à quoy le Parlement se trouue engagé
par le zele du bien public, par la necessité de son institution,
par l’exemple de ses predecesseurs, & par le deuoir de la dignité
de la Compagnie qui se trouue si fort engagée.

Et vous, Prince mal heureux, qui estiez n’agueres l’object
de nos plus cheres affections, & pour qui nous auons fait
tant de vœux & tant de prieres, & qui estant à present le suject
de nos haynes les plus mortelles, que nous regardons
comme nostre ennemy irreconciliable, & comme le fleau
dont Dieu menasse encor ce Royaume ; ne tirez point de
vanités s’il vous plaist, de cette Deputation qui vous flatte,
ce n’est point vne Deputation du Parlement, puis qu’elle n’a
esté, ny deliberée, ny arrestée par l’aduis de la Compagnie,
c’est vne visite de quelque particuliers, & qui vous est plus
iniurieuse qu’elle ne vous est honnorable, puis que la plus
saine partie du Parlement a resisté auec courage à vn abbaissement
si honteux, mais sçachez que vous estes hay de tous
les François, que vostre nom est en abomination dans les
Prouinces, & que les Parisiens ne vous voyent qu’auec mépris,
& vne horreur secrette qui produira en temps & lieu
des effets plus estranges que vous ne pensez pas. N’est-ce
point vne punition visible de Dieu sur les desordres de vôtre
vie, & ces impietés sacrileges, dont vous estes coupable,
qu’ayant pû estre arbitre à vostre retour de Flandres des
differends du Parlement & du Ministeriat, ayant pû decider

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glorieusement vne querelle si importãte, par l’authorité que
le succez de vos armes vous auoit acquise dans les esprits des
vns & des autres, vous auez par vn aueuglement prodigieux
choisi le plus mauuais party, & au lieu d’aspirer à la gloire
du liberateur de la France, au lieu de vous maintenir dans
l’amour des Peuples en procurant quelque addoucissement
à leur misere, vous auez protegé vn Estranger, seruy d’instrument
à sa vengeance, & entrepris de ruyner vostre patrie,
si Dieu n’eust dissipé par sa prouidence la rage & la fureur
de vos conseils. Mais prenez garde qu’il n’exerce encor
sur vous des chastimens plus rigoureux, le temps viendra
sans doute, que vous aurez besoin de reclamer la protection
du Parlement que vous auez voulu opprimer, & le premier
Fauory nous vẽgera des maux & des cruautés que vous auez
causées. Ce sera lors que vous implorerez en vain l’ordonnance
de la seureté publique que vous auez violée, & ce
Peuple innocent que vous auez voulu faire perir par la faim,
se rira de vostre disgrace, & escoutera auec ioye, ou tout au
moins auec indifference, la nouuelle de vostre prison, & le
traictement rigoureux que l’on vous fera ressentir.

 

FIN.

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