Anonyme [1650], LA TROISIESME LETTRE DV CHEVALIER GEORGES A MONSIEVR LE PRINCE. , français, latinRéférence RIM : M0_2099. Cote locale : E_1_32.
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LA TROISIESME LETTRE DV CHEVALIER
Georges, à Monsieur le Prince.

MONSEIGNEVR ;

I’auois creu que ma premiere lettre feroit
quelque impression sur l’esprit de vostre Altesse,
non pas à la verité par la force de l’eloquence,
mais par celle du raisonnement. Ie ne
vous ay pas dit de belles choses, mais ie vous en
ay dit de tres bonnes, mes pensées n’estoient
pas delicates, mais elles estoient iustes, & si mes
paroles n’estoient pas douces, elles estoient veritables.
Ie ne me suis pas voulu rebuter par ce
mauuais succez. & comme i’ay tousiours la mesme
affection pour ma patrie, & le mesme respect
pour vostre personne, i’ay repris la plume,
quand i’ay veu que vous ne quittiez point l’épee,
& i’ay voulu vous faire de secondes prieres,
quand i’ay veu la continuation de vos premieres
entreprises. Certes, Monseigneur, si dans le
commencement de ces troubles, i’auois quelque
raison de vouloir dissuader vostre Altesse
de ces violens desseins qui vous ont armé contre
vous mesme, i’en ay maintenant beaucoup
dauantage, puisqu’alors vous auez suiet d’esperer

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toutes choses, & qu’a present vous auez
suiet de les craindre.

 

Vous estiez en ce temps la dans l’abus qui
a esté commun à toute la Cour, que dans trois
marchez Paris seroit affamé, que le pauure
demanderoit du pain au riche, de la mesme sorte
que le volleur demande la bourse au passant,
que le peuple regarde le Parlement
comme son bourreau, & qu’enfin il vous le
liureroit pour vostre vengeance & pour la sienne ;
mais voila douze marchez passez, & Paris
subsiste, le pauure demande, & reçoit
l’ausmosne comme autrefois, le peuple regarde
le Parlement comme son Pere, loin de
vous le vouloir mettre entre les mains, il
exposeroit mille vies pour luy & feroit des vœux
pour vostre perte, si elle estoit necessaire à sa
conseruation. Quoy, Monseigneur, vostre
Altesse ne sçait elle pas que ce sont les biens-faits,
& non pas les mauuais offices qui gaignent
les volontez, le peuple n’est pas extremement
esclairé ; mais il est sensible, il n’est
point si stupide qu’il ne sçache faire le discernement
que les bestes mesmes-font entre ceux
qui leurs donnent à manger, & ceux qui les battent.
Vous euez vne armée de brigands, & de sacrileges,
& le Parlement en a vne de gens qui
payent, & qui ne font du mal qu’aux ennemis.
Vous auez vne armée ou il y a quantité d’estrangers,

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& celle du Roy est toute composee de
bons François. L’esperance du butin & l’impunité
des crimes ont engagé & retien nent vos
soldats. Le seruice du Roy, l’amour du Pays &
la discipline sont les chaisnes des nostres : Mais
certes, il falloit bien que ceux qui composent
les deux armees eussent du rapport auec les
personnes pour qui ils combatent, vostre armee
combat pour vn volleur & pour vn estranger,
& la nostre pour ceux qui font le procez
aux voleurs, & qui sont les Peres de la patrie.
Vous direz que ce n’est point Mazarin pour qui
Vous auez pris les armes, que c’est pour le seruice
du Roy, & pour la manutention de son
authorite, contre vn Parlement rebelle : Mais
comment le pouuez vous qualifier de ce nom
puis qu’il ne demande que le retour de son Prince,
que ces Astres de la France ne peuuent
souffrir qu’auec regret l’Eclypse de leur Soleil
Bien loing de tomber dans les espouuentables
sentimens de l’Angleterre, ces Messieurs ne
voudroiont tenir leur Roy à Paris, que pour
luy rendre les adorations qui luy sont deuës
Quand on leur enuoya dire qu’ils s’en allassent à
Montargis, n’estoit ce pas la mesme chose, que
si la hautesse qui n’est pas Plus infidelle que
l’Eminence, eut commandé à ses suiets de luy
enuoyer leurs testes ! O que Mazarin estoit mal-habille,

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s’il a creu qu’ils le deussent faire ;
O le meschant s’il a creu qu’ils ne le feroient
pas, puis qu’il ne pouuoit ignorer que c’estoit
mettre le Royaume dans vn horrible combustion.
Pieust à Dieu que vous eussiez pris la
peine de lire de lire leur Apologie, aussi bien
que les libelles de la Cour, au lieu de l’artifice
& de la complaisance de ceux cy ; vous eussiez
veu dans celle la verité sans desguisement
& sans flatterie. C’est la que non seulement
les bons esprits comme vous, mais encore les
mediocres ont peu voir laquelle des deux armées
combat pour le seruice du Roy, & pour
l’affermissement de son Auctorité, quoy que
toutes deux, & c’est vne verité connuë d’elle
mesme que le motif de l’vne, n’est que le
pretexte de l’autre, elles crient toutes deux
viue le Roy, mais si i’estois de la vostre, i’aymerois
autant dire, viue Mazarin. Car, Monseigneur
n’est il pas vray qu’estre Roy, n’est autre
chose qu’estre absolu, souuerain, independant,
& n’est il pas vray aussi que le Cardinal
l’est, si bien que la raison d’Estat, n’est
autre chose que son bon plaisir. Vostre Altesse
à l’esprit excelent, elle l’a cultiué par la Philosophie
& n’aura pas grand peine d’adiouster
la conclusion à ce Syllogisme. C’est dans cette
équiuoque que l’on peut dire que le Parlement

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a pris les armes contre le Roy, les ayant prises
contre Mazarin, il est vray qu’estant vsurpateur
il ne merité que le nom d’execrable & de Tyran
C’est contre son Authorité que nous auons pris
l’espée, & par consequent pour celle de nostre
Roy naturel, puis qu’on ne sçauroit ruiner l’Authorité
de l’vn sans affermer celle de l’autre. Encore
vne fois, Monsieur, ostez-vous le bandeau
de deuant les yeux, deffaites le charme, ne vous
laissez plus seduire aux illusions d’vne fausse
gloire, vous qui en auez tant acquis de veritable.
Il ne vous sera pas si aisé de vaincre vos compatriotes
que les estrangers, & quoy que l’honneur
accompagne ordinairement la difficulté, ils n’iroient
pas de compagnie en cette rencontre, reseruez
vostre courage & vos cinq campagnes
d’experience pour des victoires plus faciles, &
plus glorieuses. Nostre armée est plus grande
que la vostre, & quand elle seroit deffaite, nous
auons vne ressource de trois cent mille combattans
à qui il ne faut ny monstre ni subsistance :
les estrangers nous offrent du secours
que nous iugeons superflu, & vous auez trop
de lumiere pour ne pas iuger que l’Archiduc
Leopold seroit bien aise de voir son vainqueur
humilié. Ne luy donnez pas cette satisfaction,
Monseigneur, & quoy que la crainte de la
mort ne soit pas capable de vous faire changer

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le moindre de vos desseins, conseruez pourtant
vne vie si precieuse que la vostre, & pour
qui nous apprehenderons tousiours quand
vous l’exposerez contre d’autres que contre
nous. Ie concluray par vn vers qu’vn Orateur
addressoit à vn Prince ieune & ambitieux comme
vous. Nulla salus bello, pacem te posimus
omnes, & moy particulierement qui suis,

 

MONSEGNEVR.

Vostre tres humble & tres
obeyssant seruiteur, le Cheualier
GEORGES.

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