Anonyme [1649], LE BRANSLE MAZARIN, Dansé au souper de quelques-vns de ce party-là, chez Monsieur Renard, où Monsieur Beaufort donna le Bal. , françaisRéférence RIM : M0_605. Cote locale : B_14_51.
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LE
BRANSLE
MAZARIN, Dansé au souper de quelques-vns
de ce party-là, chez Monsieur
Renard, où Monsieur Beaufort
donna le Bal.

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A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LE BRANSLE MAZARIN,
Dansé au souper de quelques-vns de ce party
là, chez Monsieur Renard, où Monsieur
de Beaufort donna le Bal.

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L’AFFRONT en est encore vne fois demeuré
aux Perturbateurs du repos public,
ie les nomme ainsi, puisqu’au milieu
du calme, & de la paix, ils resueillent
par leurs insolences & leurs discours iniurieux
vne querelle, où ils n’ont eu & n’auront jamais
que de la confusion.

Monsieur de Beaufort, ce Demon Tutelaire de
Paris, ce Pere du peuple, inaccessible aux offres
aduantageuses, inesbranlable dans les perils, &
moderé dans les victoires ; Ce Prince dis-je qui a dépoüillé
d’honneur les broüillons de l’Estat, en donnant
du pain à Paris, vient de soustenir l’honneur
de Paris en ostant le pain & quelque chose auec, à
ses broüillons.

Mais ie voudrois bien demander à ces Messieurs-là,
en quoy consiste l’honneur & la vertu, & quels
Generaux sont dignes de mespris, ou ceux de Paris,
ou ceux de saint Germain ?

Si nous raisonnons en Chrestiens sur ce fondement,
que la Charité est la Reyne des vertus, & le
niueau sur lequel tournent toutes les bonnes

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actions, nous trouuerons que les Generaux de Paris
en protegeant l’innocent & le foible, en donnant
du pain à des millions de personnes, en deffendant
les Autels & les Vierges contre l’insolence du soldat,
meritent bien plus d’honneur & de loüange,
que ceux de l’autre party, qui ont commis toutes
ces inhumanitez & ces barbaries.

 

Si nous passons des vertus Chrestiennes aux
Morales, y auoit-il rien de plus lasche parmy les
Payens, que d’abandonner la Patrie à l’esclauage &
à la Tyrannie ? y auoit-il rien de plus honteux de
preferer son interest particulier au bien public ? &
rien de plus infame que de renoncer à sa conscience
& à sa raison, pour suiure aueuglément les passions
d’autruy.

Mais pour iuger de la cause par les effects, qu’ont
fait ces Generaux de saint Germain ? ils ont exposé
l’authorité Royale, ils ont conceu vne montagne
& n’ont accouché que d’vne souris, ils ont pris
Charenton & Brie, ils ont forcé les cabanes des
pauures Villageois, & les Vierges desarmées, &
ont perdu tant d’honneur, qu’il ne leur en reste que
ce que nous leur en auons voulu laisser.

Les Generaux de Paris ont sauué l’authorité
Royale, protegé les Autels & la Iustice, soustenu
auec de mauuaises troupes, tous les efforts d’vne
armée Royale, & nourri Paris contre l’esperance
de nos ennemys mesme.

Nonobstant tout cela, il faut que ces Messieurs
raillent, & que par vne lasche ingratitude, ils mettent

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en compromis l’honneur de ceux qui leur ont
sauué & l’honneur & la vie. Ignorent-ils que c’est
à la moderation de nos Generaux & du Parlement,
qu’ils doiuent leur salut ? & que s’ils eussent eu le
moindre desir de vengeance tout estoit perdu pour
eux ? Mais il est temps de venir à nostre histoire, &
faisons voir comme la bonté a encore vne fois
triomphé de l’ingratitude, l’innocence de la calomnie,
la moderation de l’insolence, & Paris de
ses ennemis.

 

Monsieur de Beaufort ayant oüy dire que ces
Messieurs faisoient quelques petits discours de raillerie
des Frondeurs de Paris, comme ils les appellent,
qu’ils les mettoient sur le tapis dans leurs festins,
& aiguisoient leurs beaux esprits auec la chaleur
du vin, à inuenter des termes picquants & railleurs ;
pour contenter en quelque façon le despit
qu’ils ont d’auoir chié dans leur bonnet. Monsieur
de Beaufort sans s’esmouuoir beaucoup sur le
champ, apprit quelques iours apres qu’ils deuoient
souper splendidement chez renard, faisant semblant
d’aller au cours, (car la maison de renard
est scituée sur le chemin) Monsieur de Beaufort
demande, Qui soupe ceans ? on luy dit qu’il y auoit
Monsieur de Candale, Monsieur de Souuray, Monsieur
de Gerzé, Monsieur du Frottoir. Monsieur de
saint Maigrin, le Commandeur du Iars, Monsieur
Bautru & quelques autres qu’on ne pust nommer ;
Monsieur de Beaufort ayant recognu que sa cabale
estoit là, monte fort froidement accompagné de

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Monsieur le Duc de Retz, de Monsieur de la Motte
Houdancour, & de quelques autres Seigneurs
de marque. Entrez qu’ils furent dans la chambre,
Monsieur de Beaufort & les autres salüerent la
compagnie du costé qu’estoit assis Monsieur de
Candale, & à l’autre on remarqua que quatre ou
cinq ne se mirent point dans leur deuoir : cela ne fit
pas mal au dessein de Monsieur de Beaufort, que
la ciuilité auroit peut-estre détourné : il dit d’abord,
jettant les yeux premierement sur ces quatre Messieurs,
qui auoient peur d’engraisser leurs castors, &
puis vers Monsieur de Candale & les autres, Vous
auez-là quatre grands coquins à vostre table : ces
paroles prononcées d’vn ton Martial & d’vn air
menaçant, jetta la glace dans les entrailles de toute
la compagnie, quoy qu’échauffée de la bonne
chere & du vin puissant, chascun tascha de se saisir
de son espée ; & ce qui fit rire Monsieur de Beaufort,
fust l’empressement de du Frottoir, qui se saisit
d’vne espée, de mesme que s’il s’en pouuoit seruir.
Monsieur de Beaufort l’enuisageant d’vn soûris
dédaigneux & mesprisant ; Ma foy, tu aurois
meilleure grace à tenir vn cornet & piper le dé, comme
tu fais tous les iours, qu’à te saisir d’vne espée,
dont ie crois que tu aurois peine à te seruir.

 

Monsieur de Beaufort à qui la presence d’esprit
ne manque jamais, dit à Monsieur de la Motte-Houdancour,
Monsieur ie vous prie ayez soin de
mon cousin (c’estoit le Duc de Candale) ie suis
marry qu’il s’est rencontré en si mauuaise compagnie,

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ce n’est pas à luy que nous en voulons, cela
dit, il prit le coing de la nappe, qu’il ne renuersa
qu’à demy, soit qu’elle fust trop bien couuerte, ou
que le Prince se contenta de témoigner mediocrement
son mespris selon sa moderation ordinaire.
Pour moy ie veux croire qu’ils doiuent beaucoup
d’obligation à la presence de Monsieur de Candale.
D’autres disent que Monsieur de Beaufort les
railla assez plaisamment, & qu’il dit à Monsieur de
Candale & aux autres du party Ciuil, Messieurs ie
m’estonne que vous n’ayez pas icy les vingt-quatre
violons, vostre chere n’est pas complette ; mais en
voyla quatre ou cinq qui les valent bien. Ie croy
que ces Messieurs se fussent souhaitté bien loin de
là, & qu’ils eussent voulu n’auoir jamais raillé les
Frondeurs.

 

Monsieur de Beaufort se contenta de leur auoir
fait l’affront, & leur dit en se retirãt, Messieurs, vous
apprendrez vne autre sois à mieux parler : Cela leur
fit perdre l’appetit, toutes les viandes leur semblerent
mal assaisonnées, & ils deschargerent toute
leur mauuaise humeur sur le cuisinier, à qui ils
auoient donné des loüanges au premier seruice. Il y
en eût vn de la cõpagnie qui dit, qu’il n’y auoit pas
dequoy rire, & que ce n’estoit pas vn temps de s’amuser
à manger, que le procedé de Monsieur de
Beaufort ne leur promettoit rien de bon, que le
peuple qui estudie ses sentiments & qui espouse si
ardamment ses interests, pourroit changer la farce
dans vne tragedie, si cela venoit à leurs oreilles, &

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que Renard y pourroit bien perdre sa vaisselle d’argent,
& eux leurs oreilles. On approuua ce conseil,
& ces Messieurs sans plus tarder, se retirerent doucement
chez eux, & partirent le lendemain, quelques-vns
disent le soir mesme pour la Cour, pour
leur faire sçauoir, que quoy que les vingt-quatre
violons ne soient pas à Paris, on ne laisse pas d’y
faire tres-bien dancer la courante qu’on appelle la
Mazarine.

 

Monsieur de Beaufort alla coucher chez les
Preu-d’hommes, pour esteindre dans le bain la noble
chaleur que toute sa vertu auoit eu peine de
contenir à la presence de ces ennemis. Toute la
nuict trois Mareschaux de France firent la patroüille
par Paris, crainte qu’il n’arriuast quelque
desordre, & le lendemain le Preuost des Marchands
& quelques Escheuins furent chez Monsieur le
Chancelier, pour luy témoigner que les Bourgeois
ne faisoient que se rire de cela, que là où Monsieur
de Beaufort auroit de l’aduantage, il ne faut rien
craindre, mais qu’ils le prient de faire en sorte qu’on
recommande bien à la Cour, de ne point esueiller
cette grosse beste qui commence des-ja à s’assoupir,
en remonstrant que le moyen de la gagner,
c’est de la caresser, & non pas la picquoter à tout
moment.

FIN.

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Anonyme [1649], LE BRANSLE MAZARIN, Dansé au souper de quelques-vns de ce party-là, chez Monsieur Renard, où Monsieur Beaufort donna le Bal. , françaisRéférence RIM : M0_605. Cote locale : B_14_51.