Anonyme [1649], SVITTE DES MAXIMES MORALES ET CHRESTIENNES. , françaisRéférence RIM : M0_2427. Cote locale : C_6_7.
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SVITTE
DES
MAXIMES
MORALES ET
CHRESTIENNES.

L’experience funeste de nos iours, ne nous
fait que trop cognoistre à nos despens, quand
d’ailleurs nous ne le sçaurions pas, qu’il est
des maladies des Estats, comme de celles des
corps naturels. Que celles qui sont legeres, ou ausquelles
on pouruoit auec soing dés le commencement, sont
faciles à guerir ; mais si elles sont violentes, ou que par
negligence, on ait souffert que le cancer, ou la gangrene
se soient formez, les cures en ce cas passent pour
miraculeuses, & il arriue bien souuent que les remedes
que l’on applique ne seruent que pour augmenter la
douleur, & irritant le mal auancer les iours du malade
& le porter plus promptement au tombeau ; D’où sont
venus les Prouerbes, Prenez garde au commencement, de

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crainte que la medecine ne vienne à tard ; Et qu’aux extremes
maux, il faut des remedes extremes.

 

Si la France eust fait reflexion il y a sixans, sur la conduitte
du Cardinal Mazarin. Si le Parlement à la veuë
de son ambition & de son auarice, eust appliqué les remedes
dont il se sert à present, l’Estat ne seroit pas dans
la crise ou nous le voyons. Nous ne verrions point les
torches allumées dans toutes les Prouinces. Nous ne
verrions point les Estrangers à la solde de l’ambition &
du despit, afin de sapper le Royaume par ses fondements.
L’interest & la passion n’ayant pas pris les racines
quelles ont fait, nous ne verrions pas les diuisions
entre les parens & les amis comme nous faisons. Et
bien esloignez de ce malheur, qui faict voir la difference
des Chrestiens d’auec les impies, & des bons François
d’auec les meschants, nous ioüirions dans la tranquilité
de la paix, du repos, dont des Subjets fidelles deuroient
ioüir sous vn Prince tres-innocent comme tres-Chrestien.

Voila l’estat ou la France se trouue par vne trop grande,
ie ne veux pas dire negligence, mais bien prudence
ou condescendance, & auquel les lenitifs & les anodins
sont à present inutiles. Il faut de puissants purgatifs pour
chasser ces humeurs malignes, qui se sont comme changées
en nature. Et c’est de là, que les armes, qui iusques
à maintenant n’ont esté que sur la defensiue, n’ont
de rien seruy, pour mettre les ennemis du Roy & de
son Estat dans leur deuoir : & que tout ce qu’on a peu
escrire pour la conscience, a esté trop foible, pour toucher
le cœur, de ceux qui par leur obstination à persecuter

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les innocents, font manifestement cognoistre qu’ils
sont du nombre des reprouuez.

 

On a donné cy-deuant au public, quelques Maximes
Chrestiennes, qui, selon l’Euangile, marquent tous les
deuoirs tant de corps que d’esprit, des Subjets à l’endroit
de leurs Souuerains : dans la creance que l’on
auoit, que les Princes & les Ministres qui nous persecutent ;
iugeant du sentiment de nos cœurs par la confession
de nos bouches, & de la verité de nos seruices par
la publication de nostre deuoir ; arresteroient le cours de
cette furie, dans laquelle en cherchant nostre perte, ils
trouuent celle de leur conscience, & de leur honneur.
Mais la protestation de nos obligations, n’ayant pas esté
assez puissante pour les toucher, nous nous trouuons
obligez de leur montrer leur estat, apres auoir professé
le nostre ; & leur enseigner quels sont les deuoirs des
grands à l’endroit de leurs Sujets : afin que du moins ils
cessent de nous faire du mal, par la crainte du chastiment
qu’ils ne peuuent éuiter de la Iustice de Dieu, s’ils
ne s’acquittent des charges qu’il à annexées à leur authorité.

I.

La premiere Maxime, & qui seruira de fondement
aux autres, est : Que le Souuerain auec ses peuples ne
font ensemble qu’vn Corps d’Estat, dont il est le chef &
ses sujets les autres parties qui le composent, chacune
suiuant sa dependance, sa place, sa dignité & son employ.
Car comme dans le corps, chaque membre à sa
structure, sa situation, & ses fonctions differentes de celles
des autres, sous la direction, & les influances du cerueau :

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Ainsi dans vn Estat, la difference des conditions,
& des exercices, fait cette agreable œconomie qui le
compose, & l’harmonie charmante qui le maintient, sous
l’authorité, & la conduitte du Roy qui en est le Chef,
& la partie plus noble, & dominante. Cette comparaison
est si excellente, que S. Paul n’en a pas trouué vne
plus facile ny plus à propos, pour exprimer l’estat de l’Eglise,
& dans laquelle les Roys trouuent l’original de
cette grandeur, dont ils sont les plus parfaites copies.
Car si comme Chrestiens, ils sont membres de Iesus-Christ,
Chef inuisible de son Estat : Comme Roys, ils sont
ses Lieutenans, & Chefs visibles de l’Estat temporel,
comme le Pape l’est du spirituel. Ainsi, & par proportion,
ils ne font qu’vn corps auec leurs peuples, comme
Iesus-Christ n’en fait qu’vn auec son Eglise.

 

II.

De cét exemple, lequel, comme disoit nostre Seigneur,
comprend la Loy & les Prophetes : c’est à dire,
l’Vnion & l’Estat du Prince auec ses Sujets, & des Sujets
auec leur Prince, il n’y a personne, à moins de n’auoir
pas le sens commun, qui ne voye la suitte de cette
seconde maxime. Que le Souuerain pour se conseruer &
son Estat, dans l’ordre & la perfection d’vn corps politique,
est obligé de faire à l’endroit de ses peuples ce que
fait la teste à l’endroit des autres parties de nostre corps.
La teste est pour conduire les autres parties, non pas
pour les precipiter ; Le Roy est pour la direction de ses
Sujets, non pas pour leur ruyne, & leur aneantissement.
Dans la teste est l’origine des nerfs, pour le mouuement
de tous les membres : Dans l’autorité du Roy reside la

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source de toutes les puissances necessaires au dessous de
luy, pour l’administration de son Estat. La teste par l’entremise
des nerfs distribuë les esprits animaux, pour les
actions de toutes les parties en general, & de chacune
en particulier : Le Roy par la diuersité des Magistrats, &
des Officiers, doit faire la distribution de ce qui est necessaire,
tant pour la dignité de leurs charges, que pour
le support, & la liberté de tous les peuples, chacun dans
le repos de sa famille, dans la possession de son bien,
& dans l’exercice de son art & de sa profession. le laisse
toutes les autres fonctions de la teste, qui seruent d’exemple
à ceux qui commandent, parce qu’elles sont notoires,
& que chacun par son experience propre en peut
facilement faire l’application ; pour representer seulement
quel desreglement cest dans vn corps, lors que le
cerueau n’est pas dans son veritable temperamment ;
lors qu’il a plus de chaleur que sa disposition naturelle
ne requiert, d’où viennent les folies ; lors qu’il retient
chez soy tous les esprits animaux, d’où viennent les letargies :
ou qu’il ne les communique qu’à quelques-vns
des nerfs, non point aux autres, d’où viennent les paralisies.
Et que dans le grand, aussi bien que dans le petit
monde, le Prouerbe n’est que trop veritable, que lors
que la teste est malade, tous les autres membres participent à la
douleur.

 

III.

En suitte & pour demeurer dans la mesme comparaison :
les Roys, les Souuerains, les Grands, & toute
sorte de personnes qui sont preposees à la conduite des
autres, iusqu’aux Peres dans leurs familles, ne doiuent

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point proceder dans leur direction auec vne authorité
ou commandement despotique. Il n’y a que Dieu qui
puisse agir de cette sorte, de laquelle mesme il ne se sert
point, dans les actions qui regardent sa gloire & l’interest
de nostre salut. Les grands ne sont point independents,
ny impeccables pour ioüir de ce priuilege. Il faut
qu’ils consultent les loix diuines & humaines, la raison,
les dispositions, les consequences & les euenements des
choses auant que de les ordonner. Sainct Paul ne veut
pas que les Peres par trop de seuerité prouoquent les
enfans à la colere. Quand les grands ordonnent auec
trop de violence, les Sujets n’obeyssent qu’auec contrainte,
& à regret. Nous n’auons iamais veu, n’y leu
dans l’vne & l’autre Histoire, & sacrée, & prophane, de
bons succez, ny de durée, de ces dominations seueres,
& de ces obeyssances forcées. Nous voyons au contraire,
& lisons les desordres, les malheurs, & les ruynes, iusqu’à
la dissipation des Royaumes qui en sont arriuez. Et
la seule histoire de Roboam par l’ordre de la Iustice de
Dieu, deuroit faire trembler tous les Souuerains, lors
qu’il est question de mettre quelque fardeau sur les espaules
de leurs Sujets : comme elle leur apprẽd, la difference
qu’il y a, des conseils des Vieux Senateurs, & personnes
consommées dans les affaires, & de probité ; d’auec ceux
des ieunes testes & sans experience, qui ne cherchent que
l’establissement de leur fortune dans l’excez de leur ambition.
Qui en voudra sçauoir toutes les circonstances, n’a
qu’à lire le douziesme Chapitre, du troisiesme liure des
Roys, où dans le succez de l’Estat de Roboam, il apprendra
quel fust celuy d’Aduram, Surintendant de ses Finances.

 

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IV.

Et d’autant que pour vne bonne direction, les exemples,
comme dit S. Gregoire, sont bien plus puissants que
les paroles, & qu’vne action d’vn momẽt persuadera plus
viuement, qu’vne Harangue de trois heures. L’vne des
principales obligations d’vn bon Prince, est l’exemple
de sa vie, pour la conduite de ses Sujets. La raison
principale, parmy vne infinité qui confirment cette maxime,
est qu’ils sont l’idée & l’original, sur lequel les peuples
s’estudient de se former ; soit par ce qu’ils se figurent
que tout ce que leurs superieurs font est bien fait, soit
que par vn esprit de complaisance ils croyent ne leur
pouuoir estre plus agreables qu’en les imitant. Nous
auons dans l’Escriture Saincte les Histoires de deux grands
Capitaines, qui pour animer leurs soldats n’auoient pour
toute harangue que ces paroles, Voyez & faites comme
moy. Or dans cette obligation d’exemple, il faut obseruer,
que les Loix qui commandent ou defendent quelque
chose, sont naturelles, diuins, ou humaines : &
pour les humaines, elles sont ou Ecclesiastiques, ou Politiques :
c’est à dire, qui dependent de l’Eglise, ou des
Princes. Pour les naturelles, diuines & Ecclesiastiques,
il est sans doute, que les Roys y sont obligez, selon leur
condition, comme le moindre des Chrestiens dans la
sienne : & c’est vn abus de croire, que la qualité de grand
porte de soy, sans autre consideration, aucun priuilege
contre toutes ces Loix. Ainsi ils sont obligez d’aymer
Dieu, & d’honnorer leurs parens : de ieusner & pratiquer
les abstinences de l’Eglise, comme les autres fideles :

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il leur est defendu de iurer, blasphemer, tuer, yurogner,
rauir les biens d’autruy, paillarder, sous mesmes
peines qu’aux autres, & peut estre plus grandes à cause
de la plus grande enormité de leur crime, tirée de l’eminence
de leur condition, & de l’exemple qu’ils doiuent
donner. Il n’en est pas de mesme, pour ce qui
concerne les Loix Politiques, soient qu’ils les ayent
establies, ou qu’elles l’ayent esté par leurs Predecesseurs.
Car tous conuiennent, qu’ils ne sont pas obligez
à leur obseruance, par la voye que nous appellons de
contrainte, dont le defaut porte crime deuant Dieu,
& punition deuant les hommes. Neantmoins cela n’empesche
pas que tous ne demeurent d’accord, qu’ils y
sont tenus par cette voye que nous appellons de direction,
c’est à dire, par la force de l’exemple qu’ils sont
obligez de donner à ceux qui viuent sous leur Iurisdiction.
C’est par cette raison qu’Aristote, dit : Que toute
sorte de Superieurs ont plus d’obligation de pratiquer
la Vertu, que n’en ont pas ceux qui dependent
de leur auctorité, dautant que ceux-cy n’y estant obligez,
que par le seul motif de la mesme vertu, les autres,
outre ce deuoir qui leur est commun auec eux,
ont encore celuy de l’exemple, qu’ils sont necessairement
& indispensablement obligez de leur donner en
vertu de leur qualité, & de leur condition. Toute cette
Theologie est Euangelique, & confirmée par l’exemple
de nostre Seigneur, & ie souhaitterois de tout mon
cœur, que les Confesseurs s’en excitassent le souuenir,
lors qu’ils ont les grands à leurs pieds, dans le Sacrement
de Penitence. Nous verrions vne autre vie, &

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& d’autres exemples, & plus Chrestiens que nous ne
voyons pas.

 

V.

Mais pour entrer plus particulierement dans le detail
des deuoirs du Souuerain, ie dis pour cinquiesme
maxime, qu’il est obligé d’employer tous ses soins, &
vacquer à la conseruation de la Religion Chrestienne,
Catholique, Apostolique, & Romaine. C’est l’vn des
plus importans de ses employs, & comme l’Ame est
plus que le corps, & le Createur que la creature, le
premier, & le plus necessaire de tous, dont il fait le
serment de fidelité à Dieu au iour de son sacre, entre les
mains de l’Euesque deputé de sa part, pour le receuoir.
Ce seroit manquer de iugement de demander la raison
de cette verité, qui se tire de la source, & du principe
de leur grandeur, d’autant que la tenant de Iesus
Christ, & estant ses Officiers immediats, pour les
fonctions de sa Souueraineté, ils doiuent commencer
par ce qui le touche de plus pres, & trauailler auec plus
de soin, que pour toute autre chose, pour le maintien
de la Religion, qu’il a establie par ses peines, cimentée
de son sang, & confirmée par sa mort. C’est pour vn si
digne sujet que nos Roys portent le tiltre de Tres-Chrestiens,
& de premiers nays de l’Eglise : que le Pape Honoire
III. les appelles les Murs inesbranlables de la Chrestienté :
Vrbain IV. les Soldats inuincibles de Iesus-Christ,
& les Protecteurs inexpugnables de la Religion Catholique :
Et Gregoire IX. le Carquois de Iesus-Christ, d’où
il tire les flesches infaillibles pour sousmettre les Peuples
à la Foy : & que depuis douze siecles, que nos Princes
ont commencé d’estre Catholiques en Clouis, la
Couronne de France n’a peu compatir auec l’heresie,

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Ie ne traitte point la question, si vn Roy, parmy nous,
peut estre heretiqué ; & s’il est obligé de ne souffrir point
l’heresie dans son estat : Ce sont des matieres hors de
saison, & qui demandent plus de loisir pour les discuter.
Suffit pour maintenant, que nous demeurions dans
cette maxime constante, que le premier, & plus digne
employ de nos Souuerains, doit estre pour conseruer
la foy de celuy qui leur à mis la Couronne sur la teste.
Ainsi ie diray franchement, que quelque sujet qu’ayent
eu nos Roys de permettre ou tolerer la liberté de conscience,
& la profession de l’heresie dans leur estat : Ie
n’en voy point, ny de raison legitime, par laquelle ils puissent
sans peché, non pas permettre, mais souffrir, qu’vn
homme qui aura fait profession de la foy Catholique, luy
fasse banqueroute, pour embrasser l’heresie, sans punition.

 

VI.

Que si les Roys sont obligez de trauailler pour la manutention
de l’Eglise en ce qui concerne sa foy, Ils le
sont aussi également & par proportion pour ce qui touche
ses libertez, ses priuileges & ses franchises. Il faudroit
qu’ils ne fussent point enfans de l’Eglise, pour donner
lieu à aucun doute sur cette verité. Ie ne parle point
de ces priuileges que nous appelons de l’Eglise Gallicane,
qui ne regardent que la Iurisdiction de Rome, ie
parle de ceux du Clergé à l’esgard des Princes temporels,
dont les vns sont attachez aux personnes, les autres à la
iurisdiction, & les autres aux biens, sur tous lesquels les
Souuerains n’ont aucun droit, ny n’en peuuent exiger
sans violence & iniustice. Comme tant les personnes
que les biens sont tirez de la condition prophane, s’il
faut ainsi parler, & politique & faits spirituels par leur dedicace

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au culte Diuin, ils sont par la mesme voye soustraits
de la puissance & iurisdiction temporelle. Et pour
ne rien dire des priuileges qui concernent les personnes
ou la iurisdiction, Ie ne sçaurois m’empescher de témoigner
vn peu de fiel, contre cette maxime impie &
digne de ses autheurs, qui depuis quelques années, a
commencé de prendre cours. Que les biens de l’Eglise
appartenoient également au Roy, comme ceux de ses
autres Suiets : qu’il pouuoit y mettre des taxes, des impositions,
& en prendre, auec vne égale liberté sur les vns
que sur les autres. Car outre qu’il est tres faux que le
Roy ayt pleine authorité sur les biens de ses Suiets, Il
ne s’ensuit pas, quand cela seroit, qu’il ayt le mesme pouuoir
sur ceux de l’Eglise, qui sont choses sacrées & destinées
à d’autres vsages. Au contraire comme il n’a aucun
droit d’y mettre la main, non plus qu’Antiochus sur le
tresor du Temple, il a obligation de le conseruer, aussi
bien que les personnes consacrées au ministere de l’Autel,
auec leur iurisdiction, appartenances & dependances.
Et ce priuilege est si autentique & naturel, que non
seulement parmy les Iuifs durant la Synagogue, mais
mesmes parmy les prophanes, ceux qui estoient destinez
pour les sacrifices, estoient dispensez des loix, ausquelles
le reste des peuples estoient tenus d’obeïr. Et
c’est en vertu de ce deuoir, que nos Roys ne se sont pas
contentez de maintenir les droits & les libertez de l’Eglise
dans leur estat : Mais en toutes sortes de rencontres
ont leué de grandes armées & passé les Alpes, pour aller
en Italie deffendre les droits & les immunitez de sainct
Pierre, contre les Princes & les Empereurs, qui s’efforçoient

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de les vsurper ou les diminuer.

 

VII.

Apres les interests de Dieu par la religion, & ceux de
l’Eglise dans ses immunitez & ses priuileges, viennent
ceux des peuples, tant pour ce qui regarde la liberté de
leurs personnes, que pour celle du commerce public, &
la ioüissance paisible de leurs facultez, pour tous en general
& chacun en particulier ; Et pour cet effet, les Roys
sont obligez sous peine de peché & de peché mortel, &
qui traisne auec soy vne necessité absoluë de restitution
de tous les torts & dommages qui leur sont faits, par leur
science, tolerance ou conniuence, comme ie diray & le
prouueray cy apres par vne autre maxime Euangelique.
Ils sont, dis ie, obligez de les deffendre & proteger de la
violence & incursion de tous estrangers, qui par quelque
voye que ce soit, d’hostilité ou autrement, voudroient
vsurper, ou tout, ou partie de l’Estat, soit Prouinces, Villes,
terres, facultez ou personnes & les soûmettre sous
leur domination. Car il y a vne connexité si forte entre
le Roy & ses Suiets, que ie ne feindray point de dire, que
comme il n’est pas permis à vn pere de desheriter ses
enfans, sinon en certains cas de des-obeïssance prescripts
par les loix, & si extraordinaires, qu’ils arriuent
moins frequemment que les Eclipses du Soleil ; Ainsi il
n’est pas mesme au pouuoir legitime du Souuerain, de
transferer ses prouinces ou ses peuples, sous la domination
d’vn autre sans leur consentement, si la felonnie
ne les rend dignes de ce chastiment. C’est le Domaine le
plus proche & le plus naturel de la Couronne, & par ainsi
inalienable selon la Iurisprudence : De maniere que

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comme il y a obligation dans les Suiets d’employer
corps & biens, pour la conseruation de la personne du
Roy & de son Estat ; il y a aussi obligation reciproque
dans le Prince, d’employer non seulemeut ses soins,
mais mesmes iusqu’à sa personne pour le repos de ses
peuples, touchant leurs biens & leurs personnes, contre
toute sorte d’incursions estrangeres. De là il est bien
aisé de iuger, combien grand & enorme est le defaut, non
seulement en soy, mais en outre dans ses suites, de ceux
qui au lieu de conseruer leurs Suiets, les tourmentent &
les persecutent, & au lieu de leur seruir de bouclier pour
leur defense, les liurent à l’estranger ou l’appellent pour
les rauager & les ruiner. C’est vne matiere qui dans ce
temps, ne demande que des larmes non pas des paroles.

 

VIII.

Mais ce n’est pas assez au Roy, de mettre ses Suiets à
l’abry des estrangers par la voye des armes, lors que les
autres moyens ne sont pas suffisants, Ils doiuent en suitte
& par la mesme loy, essentiellement annexée à leur
Souueraineté, les defendre des internes & domestiques
par celle de la Iustice. C’est pour cela qu’ils ont
l’espée en vne main & la balance en l’autre, afin de resister
aux estrangers par les armes & punir les Suiets discoles
par la Iustice. C’est ce qui conserue la paix & l’vnion
entre les peuples : C’est ce qui entretient la fidelité dans
le commerce, ce qui met la vie en seureté dans la campagne,
qui empesche les vols, les meurtres & les assassins ;
En vn mot, qui establit & conserue le repos dans
la societé ; puisque tout l’Estat n’estant composé que
de bons ou de meschants, les bons se maintiennent dans
leur deuoir, par les principes de la religion & la beauté

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mesme de la Vertu, & les meschants sont forcez-d’y demeurer,
par la crainte & la seuerité du chastiment. De
ceste sorte l’Estat Ecclesiastique & Politique ne sont que
deux parties qui composent celuy de Dieu, dont chacune
a ses supplices differens, l’Eglise ses censures, le Roy
ses tortures C’est l’explication que donne vn des saincts
Euesques de nostre France S. Hildebert, aux deux glaiues
qui se trouuerent parmy les Apostres au temps de
la Passion de nostre Seigneur. Nosti gladium Regis ; nosti
gladium Sacerdotis ; Gladius regis censura Curiæ, gladius
sacerdotis ecclesiasticæ rigor disciplinæ. Il appelle celuy du
Roy, censure de la Cour, faisant allusion à nostre prattique,
parce que c’est principalement par les Arrests des
Cours Souueraines, entre les mains desquelles le Roy
a mis en depost son autorité, & par lesquelles il exerce
sa Iustice vindicatiue, que les meschants trouuent la
porte fermée à leurs fuittes, & les supplices conformes à
la grandeur & à la qualité de leurs crimes.

 

IX.

De là s’ensuit, que les crimes enormes & publics, &
dont la Religion ou l’Estat, sont notablement scandalisez
ou offensez, doiuent estre necessairement punis &
le scandale osté & reparé. Car encore que personne ne
reuoque en doute la puissance des Roys, & que comme
Lieutenants de Dieu, ils n’ayent droit de vie & de mort
sur leurs Suiets, ou en leur faisant grace ou en les punissant
quand ils l’ont merité : Neantmoins comme ils sont
attachez aux ordres de ce Souuerain supreme, & qu’il y
a des crimes, dont le pardon emporte vne suitte d’inconueniens
& de maux dans le public, soit pour la Religion

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ou pour l’Estat, quelque authorité de vie qu’ayent les
Souuerains, ils ont obligation de les punir, afin de s’opposer
aux desordres d’vn exemple pernicieux. Ainsi S.
Louis prist la main de Iustice pour apprendre aux blasphemateurs,
aux libertins, aux impies & aux sacrileges,
à n’attendre point de misericorde de sa part, non plus
que de demeure dans sa Cour. Ainsi les plus grands
Princes & les plus portez à la clemence, qui est la plus
noble vertu des grands, se sont fait violence, pour exercer
la Iustice, iusques sur les personnes de leurs fauoris, à
l’imitation de Dieu, lequel comme parle Saluian, vse
enuers soy-mesme d’vne espece de contrainte, afin de
punir les défauts & les dereglements de nostre vie. Exacerbamus
Deum peccatis nostris & ad puniendum nos trahimus
inuitum. L’Histoire saincte est pleine d’exemples de
cette conduitte par l’ordre mesme de Dieu, & celle de
France en peut fournir bon nombre sur des personnes
de toutes sortes de conditions & de qualitez.

 

X.

Suiuant les mesmes principes & les loix de l’Euangile,
les Grands sont obligez d’escouter les plaintes & les
remonstrances de leurs Suiets. Ie dis suiuant les mesmes
principes : Parce que tenant la place de Dieu, ils doiuent
à son imitation auoir les yeux & les oreilles ouuertes
à la souffrance & aux clameurs des miserables. Et i’ay
adiousté les loix de l’Euangile, parce qu’il n’y a rien qui
nous y soit si fortement recommãdé, comme la compassion,
ny que Nostre Seigneur ayt confirmé par tant d’exemples,
dans toute la suite de sa vie mortelle, qu’il a
toute passée parmy les pauures, afin de voir leurs necessitez.

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Les prophanes ont esté dans ce sentiment sans
estre éclairez d’autre lumiere que celle de la raison.
Vne femme se presenta vn iour à Cesar, luy demandant
audience, à quoy ayant répondu qu’il n’auoit
pas le loisir. Cessez donc (repartit-elle) d’estre Empereur.
En effet, ce seroit vne chose monstrueuse &
qui rendroit vn pere barbare, s’il n’auoit point d’oreilles
pour écouter les prieres de ses enfans. Que deuiendroit
tout vn peuple dans les oppressions, si son Prince luy refusoit
sa protection ? A qui aura t’il recours contre la violence
des Puissants, l’iniustice des Magistrats, la rapine
des Partisans & de toutes sortes de sang-suës, si celuy
qui a la supreme authorité ferme l’oreille à ses plaintes ?
Faudra t’il instruire vn procez & obseruer toutes les formalitez
de Iustice, toutesfois & quantes qu’vn peuple
fera mis au pressoir ? & en cest estat mesme qui en sera le
Iuge si le Souuerain ne l’est pas ? Qui iamais a oüy parler
de la cruelle Theologie de certains Predicateurs, lesquels
(par quel esprit Dieu le sçait) ont eu, à ce qu’on dit,
la hardiesse de prophaner la sainteté de la Chaire, & attẽter
à la pieté naturelle de la Reyne, en luy voulãt persuader,
qu’elle n’estoit pas obligée d’entẽdre par elle mesme
les clameurs des peuples, & que ses oreilles ne doiuent
point estre ouuertes à toutes sortes de plaintes, quoy que
publiques ? A quoy donc seront-elles ouuertes ? A qui ?
A la flaterie & aux tyrans, afin que n’ayant iamais de connoissance
des oppressions des miserables, son cœur ne
soit point touché de compassion, & qu’à la moindre remonstrance,
on les luy represente comme rebelles. Ah
non Iesus-Christ nous apprend vne autre conduite ; Et

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les Grands qui doiuẽt rendre compte à sa Iustice, de l’administration
de cette eminente qualité, qu’il leur a donnée
par dessus leurs freres, deuroient souhaitter, s’il se
pouuoit faire, que leurs yeux fussent comme ceux de
Dieu, ausquels rien ne peut estre caché, non pas mesme
les pensées les plus secrettes de nos cœurs.

 

XI.

Mais ce n’est pas assez d’escouter les remonstrances &
les plaintes, il y a en suite obligation d’y mettre ordre &
de trauailler au soulagement. Vn Medecin ne seroit pas
beaucoup à rechercher ny à estimer, qui apres auoir
escouté vn malade dans le recit de ses douleurs, & luy
auoir fait cent demandes sur les accidents diuers de son
indisposition, s’en retourneroit sans luy rien ordonner.
Il se trouueroit peu de seruiteurs qui voulussent s’engager
dans vne maison, dont le pere de famille au lieu de
leur donner du pain, ne s’opposeroit pas à ceux qui le
leur rauiroient, où mesme permettroit de le leur rauir.
On peut former mille autres comparaisons, tirées
des diuerses conditions des hommes qui portent
superiorité, & qui sont toutes assemblées, vnies & confonduës,
dans la Royale & souueraine. De cela nous
auons vn beau document dans l’Escriture Sainte, lors
que les familles dans leurs necessitez ayant besoin d’vn
Roy, & choisissant entr’elles, celuy quelles iugeoient
le plus digne de cette grandeur, il leur respond en cette
sorte, Ie ne suis pas Medecin, il n’y a point de pain
dans ma maison, faites élection de quelque autre pour
vostre Roy. Monstrant par cette façon de parler, que
comme vn Medecin doit donner des remedes aux malades,

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& vn pere de famille la nourriture à ses enfans &
à ses seruiteurs, Vn Prince par proportion doit faire l’vn
& l’autre, à l’endroit de ceux que Dieu a soumis sous sa
conduitte & sa Iurisdiction. Ainsi quand au lieu de les
guerir on les blesse, lors qu’au lieu de leur donner du
pain on le leur oste, ou que pour du pain, comme dit
l’Euangile, on leur presente vn scorpion, il n’y a personne
si priué de sens commun, qui ne voye, qu’elle est la
grandeur du crime & l’enormité du peché.

 

XII.

Les Roys sont dans l’Estat, ce qu’est le premier mobile
dans le Ciel, qui par son impression agite tous les
cercles inferieurs, & leur donne les mouuements diuers
dont chacun a besoin, afin de conseruer l’ordre que
Dieu a estably pour la perfection de l’Vniuers Ils sont
à l’égard de leurs peuples, ce qu’est le Soleil à l’égard
des autres Planettes, & de toutes les choses sublunaires,
ausquelles communiquant sa lumiere & ses influences,
sans les refuser à aucune, iusqu’au centre de la
terre, il ne les distribuë pas pourtant par proportion
arithmetique & auec vne égale profusion, mais selon la
portée & la condition de chacune en particulier. Et cet
ordre, que le premier mobile & le Soleil obseruent inuiolablement
sous celuy de Dieu, apprend aux Souuerains
celuy qu’ils doiuent tenir, s’ils ne veulent point pecher
dans la distribution des charges & des Offices ; qui
est de les donner aux personnes, dont la science & les
mœurs répondent à cette qualité. Que l’on voye dans
l’Escriture Saincte la regle que Dieu donna à Moyse
pour l’élection des Magistrats, & les qualitez dont ils

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doiuent estre ornez, pour estre esleués à ce degré desuperiorité,
& l’on cognoistra facilement les maux & les desordres,
ausquels la venalité des charges a ouuert la porte dãs
l’Estat. Et il est bien estrange, qu’on veuille demãder plus
d’âge, de merite & d’experience à vn Iuge, afin de donner
son suffrage, lors qu’il ne s’agist que du bien temporel
des peuples contre la violence des sang-suës ; que l’on
n’en exige pas, lors qu’il est question de luy donner la
puissance sur le sang & la vie des hommes. Si les charges
& les offices estoient donnés gratuitemẽt & au merite,
le Roy seroit mieux seruy dans son Conseil & dans sa
Maison : La Iustice seroit administrée auec plus d’integrité
quelle n’est pas : Les peuples ne seroient pas exposez
à la torture qu’ils endurent ; & les Roys ne seroient
pas responsables, comme ils sont, à la Iustice de Dieu, de
tous les maux qui par cette occasion se commettent
dans leur Estat.

 

XIII.

Ce que nous venons de dire, touchãt les charges & les
Offices, il en faut dire de mesme & dauantage s’il se pouuoit,
pour ce qui concerne les Benefices. Car comme
le seruice de Dieu est le premier & le plus important de
tous les deuoirs, aussi y a-t’il plus d’obligation de n’admettre
à ce ministere, que des personnes qui par leur
merite puissent s’en acquitter dignement, & par la probité
de leurs mœurs, seruir d’exemple d’vne vie veritament
Chrestienne. Et ie ne le dissimuleray point, ny
ne me tairay iamais dans cette rencontre, puisque la
gloire de Dieu & le salut de mon Roy y sont interessez :
Quelque droit & autorité qu’ayent nos Roys de conferer

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les Benefices, il n’est pas en leur pouuoir, sans pecher
mortellement, de les donner à des personnes incapables,
(soit par faute d’aage ou de merite) d’en acquitter
tous les deuoirs, ainsi que Dieu le demande pour
leur salut. Le Pape mesme, ny les Euesques, ne peuuent
pas en bonne conscience en disposer autrement : Durant
le temps des élections publiques, ceux qui auoient droit
de suffrage estoient obligez d’obseruer cette Loy. Et ie
n’estime pas qu’il y ayt personne, qui osast soustenir,
sans passer pour ridicule, que la puissance des Roys dans
la collation des Benefices, soit plus grande que celle des
Papes, des Euesques, & des peuples lors qu’ils auoient le
droict de choisir des Ministres pour l’Autel. Nous apprenons
de la vieille Loy, que le déreglement de ceux
qui estoient ordonnez pour les Sacrifices, fust cause d’vne
infinité de malheurs dont les peuples furent affligez.
Que sçauons nous, si la iustice de Dieu n’est pas irritée
contre la France, pour le mesme subiet ? N’est-il pas honteux,
pour ne dire dauantage, de voir les Benefices, aussi
familiers que les biens patrimoniaux ? Les Ecclesiastiques
prendre le titre de leur maison non pas celuy de
leurs Benefices ? Des Prelats chargez de mitres & de crosses,
sans faire aucune fonction pastorale ? Des Abbez frisez,
poudrez, le visage couuert de mouches, estre tous les
iours dans vn habit de libertin, parmy les cajoleries des
cours & des tuilleries, pour ne point parler des suittes
malheureuses, d’vne vie si insolente & si libertine. Et
tout cela par les liberalitez d’vn Roy tres Chrestien, d’vne
Regente toute confite dans la vertu, & dans vn ministeriat,
tout Ecclesiastique, & tout Religieux.

 

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XIV.

Il y a encore vne chose à cõsiderer dans l’estat des Souuerains,
qui n’est pas de moindre consideration ny importance,
pour le repos de leurs Sujets & la seureté de
leur conscience, qui est, qu’ils ne peuuent auancer qui
que ce soit, ny en biens ny en dignitez, au detriment ny
au preiudice d’autruy. Cette Maxime est de logue estenduë
à qui en voudroit faire l’anatomie selon toutes ses
parties : car elle comprend tout ce qu’on pourroit proposer
touchant l’aduancement des Fauoris, le changement
& la mutation des charges, offices & Benefices, la disposition
des Gouuernemens des Prouinces, & des conduites
militaires Ie diray seulement, que comme tous les biens
sont biens de grace, de corps, ou de fortune ; Pour les biens
de grace ils ne sont pas en la disposition des Roys. Pour
ceux du corps, quelque autorité qu’ils ayent sur eux, ils ne
peuuent pas oster la vie, ny mettre en captiuité vne personne,
afin de satisfaire à la passion d’vn Fauory, ou aux
troubles d’vn songe ou d’vne imagination. C’est vne
Theologie qui ressent trop du Machiauelisme pour auoir
passeport parmy des Chrestiens. Et pour ce qui regarde
ceux de fortune, qui consistent, ou en possessions, ou en
offices, il n’est pas moins certain qu’ils ne peuuent les
oster aux vns pour les donner aux autres, quelque pretexte
qu’on puisse prendre, s’il n’y a de la maluersation
ou de la forfaicture. Toutes ces veritez sont notoires par
elles mesmes. Il n’y a que les flateurs ou les impies qui
osent dire, que le Roy peut, quand il luy plaist, oster
les biens, les charges, les Offices, & les Benefices à
ceux qui les possedent, pour les faire passer en d’autres

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mains, si par quelque crime notable ils n’ont point merité
cette punition. Ce sont des artifices de la faueur, &
qui n’ont cours parmy nous que depuis quelques années,
afin de s’aduancer & de se maintenir, mais qui sont contraires
à l’Euangile & qui damnent les Souuerains, sous
vne apparence flateuse, de puissance & d’autorité.

 

XV.

Ie passe sous silence quantité d’autres deuoirs, inseparables
de la grandeur, & dont l’induction feroit la matiere
d’vn gros volume, pour dire, Que les Princes & les
Souuerains, sont estroittement liez & obligez à toutes
ces fonctions par vne double loy, Sçauoir, la Naturelle
& la Diuine. Pour ce qui concerne la loy Diuine il
est sans difficulté, puis qu’estant establis de la part de
Dieu & exerçant sa puissance sur les hommes, ils ne peuuent
point sans peché, passer les limites qu’il leur a prescriptes.
Mais pour ce qui regarde la loy naturelle, dautant
qu’il y peut auoir de la difficulté, cela merite quelque
explication. Ie n’entends pas, par cette façon de parler,
que l’Escriture de la Royauté soit de droict naturel,
l’Escriture improuue cette imagination ; Mais ie pretends
& veux dire, que posé qu’il y ait des Roys & des
Souuerains, de quelque source que vienne l’origine de
leur institution, ils sont par vn principe naturel & par vne
loy inseparable de leur autorité, obligez sous peine de
crime, à tous les deuoirs, fonctions & exercices, que Dieu
a annexez à cette suprême grandeur. Comme vn pere est
obligé par la loy naturelle de pouruoir à l’education de
ses enfans. Comme vn Maistre par la mesme loy doibt

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nourrir & recognoistre ses domestiques. Comme vn
Pasteur par le mesme principe est tenu de veiller à la
Garde de son troupeau ; Vn Medecin d’obseruer ce qui
est necessaire pour le soulagement de son malade ; & le
Capitaine pour la conduitte de ses Soldats : Vn Roy
qui à toutes ces qualitez ioinctes ensemble, & essentiellement
vnies à sa couronne, doit apprendre de tous
ces exemples, que si sa grandeur par les charmes de
l’authorité luy flatte les sens, les perils qui se rencontrent
dans vne administration de si grande estenduë, &
dans l’enciclopedie de tãt de deuoirs, le doiuent extremement
humilier aux pieds de nostre Seigneur & l’obliger
de luy demander les graces puissantes & necessaires,
pour ne pas succomber soubs vn si pesant fardeau.

 

XVI.

Toutes ces obligations d’vn Prince enuers ses peuples,
durant le temps de la plenitude de sa puissance,
passent dans les personnes des Regents ou Regentes
durant celuy de sa Minorité. Ie veux dire, que tout ce
qu’vn Roy est obligé de faire selon Dieu, pour la conduitte
& la conseruation de son Estat ; Les Regents ou
Regentes sont tenus par les mesmes loix, diuine & naturelle,
& soubs les mesmes peines de le pratiquer à
l’endroit du general & du particulier. Cette Maxime
ne demande point de preuue. La qualité de Tuteur &
d’Administrateur d’vn pupile porte auec soy l’explicatiõ
& l’intelligence toute entiere. Et pour nous seruir de
l’exemple present, si sa Majesté Regente, se sent obligée
pour le maintien de l’authorité du Roy, de faire violence

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à sa pieté naturelle, & vser de seuerité sur vn peuple
innocent, seduitte qu’elle est par vn conseil interesse :
A quoy n’est elle pas obligée & que ne doit-elle pas
faire, pour la descharge de sa conscience deuant Dieu,
& le repos de son salut eternel ? Estant certain par principe
Euangelique, Chrestien & naturel, que tous les pechez
qu’vn Prince peut commettre contre son deuoir
en l’administration de son Estat, les Regents qui representent
sa personne les commettent, s’ils ne s’acquittent
des mesmes deuoirs.

 

XVII.

De ces Maximes generales & vniuerselles, i’en tireray
quelques particulieres, pour l’esclaircissement & le
repos de la conscience de la Reyne Regente, dans les
occasions deplorables de nos iours, & que nous auons
de la peine à croire, encore que nous les voyons & les
souffrions, tant elles sont extraordinaires & sans exemple.
Premierement : Que sa Majesté est obligée à la
iustice de Dieu, pour ne point parler de celle du Roy,
d’esloigner le Cardinal Mazarin, de sa presence, de
son Conseil, de sa Cour, & de son Estat. Toutes les
loix conspirent ensemble pour ce subject. Toute l’Europe
n’a qu’vn cœur & qu’vne langue pour demander
cét acte de iustice. La guerre & la diuision des Royaumes,
l’exige pour son Vnion & pour la Paix. La misere
dans laquelle les peuples gemissent, à peine peut par
autre voye trouuer son soulagement. L’Auersion Vniuerselle
des grands & des petits, sans excepter les Officiers
de leurs Majestez, ny ceux mesme qui semblent
luy estre les plus fauorables & ses propres Domestiques,

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est vne marque infaillible de l’enormité de ses
defauts irreparables par vn moindre chastiment. Les
abus dans les charges, Offices & Benefices ; L’experience
deplorable de sa mauuaise conduitte ; L’excez
prodigieux de ses despences & de ses richesses en si peu
de temps ; Les inuentions criminelles, dont il s’est seruy,
pour esleuer sa fortune sur les ruines de la France ;
Les Arrests prononcez contre ses attentats sa crileges ;
Le scandale actif & passif, qui estonne tout le monde,
par la resolution constante, que sa Majesté tesmoigne
à le retenir ; sont autant de demonstrations sensibles, de
l’obligation qu’elle à de l’esloigner, soubs peine de peché
mortel, sans en pouuoir receuoir l’absolution, tant
qu’elle le retiendra dans sa Cour & dans l’Estat du
Roy. Et quelque accommodement que l’on puisse faire,
cela n’est bon qu’à l’esgard des hommes, mais à l’esgard
de Dieu, le scanda le seul demande cela de sa iustice, sur
laquelle les hommes n’ont point de pouuoir. N’y a-il
pas assez de testes Françoises & mieux timbrées que la
sienne pour le Conseil ? N’y a-il pas des mains plus fortes
que les siennes pour l’execution ? qui a-il donc, qui puisse
contre l’auersion du Ciel & de la terre (s’il faut ainsi
parler) obliger de retenir vn Estranger, auec le peril
mesme de l’Estat, qu’vn attachement d’esprit, suiuy dautant
de pechez pour sa Majesté, qu’il cause de mal-heurs
sur les peuples & de perils en vn Estat, qui ne luy appartiennent
point en propre, & à la conseruation desquels
elle doit particulierement trauailler par le deuoir
de son administration.

 

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XVIII.

Mais ce n’est pas assez, pour la descharge de la conscience
de sa Majesté, de l’esloigner de l’Estat, qui n’est
qu’vne reformation presente, ou vne precaution & seureté,
pour l’aduenir. Elle est encore obligée, soubs peine
de respondre au Tribunal de Dieu de tous les crimes
commis & à commettre, de faire cesser les violences &
les excez qui se cõmettent à cette occasion : & en outre
de restituer tous les vols & les pillages, & reparer tous
les torts, les outrages & les desordres, qui ont esté causez
à Paris & aux enuirons, tant en general qu’en particulier,
depuis le depart du Roy, la nuict de la Feste des
Roys. Ceste Maxime qui semble dure à ceux qui ne sont
point versez dans la Theologie, est l’vne des plus vniuersellement
recogneuës dans la Morale Chrestienne.
Il n’est pas permis sans subject legitime, de faire aucun
tort à autruy. Et quand mesme il y auroit quelque subject,
Dieu nous a donné la iustice pour en auoir la reparation,
on nous ordonne de pardonner & de luy en
laisser la vengeance. Et comme le bien d’autruy, n’est
pas à nous, & qu’il n’y a point de puissance dans la terre
qui puisse dispenser de la restitution : Sa Majesté peut
iuger de la, si elle veut ouurir les oreilles à la verité, en
quel Estat se trouue sa conscience parmy tous ces malheurs ?
De rendre aux Eglises les ornements, les Croix,
les Calices & les Ciboires qu’on à sacrilegement en leuez,
elle le peut auec facilité. De satisfaire tant à ceux de
la Ville que de la campagne, pour les dommages qu’ils
ont receus en leurs facultez, cela se peut aysement,
puis qu’il n’y va que du bien, ou l’on peut remedier par

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vne infinité de moyens : Mais de satisfaire à Iesus-Christ
pour les outrages qu’il à receus en
sa personne au Sacrement Adorable de son
Corps, arquebuzé & foulé aux pieds : & de
rendre aux filles la pudicité, qui leur a esté rauie
auec tant d’insolence, en la presence mesme
de celuy qui doit estre le Iuge & le vengeur
d’vne injure si atroce ; Ie demande auec
qu’elle monnoye on peut s’en acquitter, &
quelle penitence, suiuant les Canons de l’Eglise
& l’ordre du Concile de Trente, peut
recompenser ces defauts, dont le simple recit
faict horreur & ne peut estre escouté, qu’auec
douleur ? O Dieu ! O Sauueur ! Vn rayon
de cette lumiere dont la chaleur change les
cœurs.

 

FIN.

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PERMISSION.

La Cour a permis à Cardin Besongne d’imprimer, vendre &
debiter le present Liure intitulé, La suitte des Maximes Morales &
Chrestiennes. Et deffenses à tous autres de l’imprimer, sur peine
de confiscation des Exemplaires contre-faits. Fait à Paris le 22.
Mars mil six cents quarante-neuf.

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Anonyme [1649], SVITTE DES MAXIMES MORALES ET CHRESTIENNES. , françaisRéférence RIM : M0_2427. Cote locale : C_6_7.