Le Solitaire [signé] = Arnauld d'Andilly, Robert [?] [1649], ADVIS D’ESTAT A LA REYNE, Sur le gouuernement de sa Regence. , françaisRéférence RIM : M0_498. Cote locale : A_2_16.
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ADVIS D’ESTAT
A LA REYNE,
Sur le gouuernement de sa Regence.

M. DC. XLIX.

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ADVIS D’ESTAT A LA REYNE,
sur le gouuernement de sa Regence.

MADAME,

L’estat des affaires presentes est tel, qu’il oste le
moyen à ceux qui s’adressent à Vostre Majesté pour
l’en informer, d’vser de longues prefaces enrichies
des beautez que l’art de bien dire fournit aux personnes
disertes & eloquentes. Et V. M. excusera celuy qui prend
la hardiesse de luy adresser cette lettre, si estant pressé par la mauuaise
constitution du temps, il obmet ces discours estendus, &
remplis pour l’ordinaire de paroles qui ne concluent rien. Ils ne sont
bons que pour preparer l’esprit de ceux à qui l’on s’adresse, & dans
l’affaire dont il s’agit, V. M. est plus que preparée à considerer à quel
poinct est presentement reduite cette Monarchie. Il n’est plus question
d’aduertir V. M. qu’elle éuite le precipice, dautant qu’elle s’y
trouue aujourd’huy ; mais seulement de trouuer les expediens, pour
ne pas tomber iusques dans les abysmes d’vne derniere desolation.
V. M. doit à sa qualité ce soin & cette diligence. Elle est veufue &
mere de Roys de France, & le fruict qu’elle doit se proposer de recueillir
pendant sa Regence, est la gloire d’auoir conserué au Roy
son fils son Estat, & de le luy rendre entier entre ses mains au temps
de sa majorité. Les Conseillers dont elle s’est seruie, ont esté obligez
par l’honneur qu’ils ont receu d’elle, & par toutes les autres raisons
de leur deuoir, de conspirer à vne si heureuse & honorable fin.
Et s’ils ont diuerty les bonnes & sainctes resolutions de V. M. & si
leurs conseils artificieux luy font perdre la gloire qu’ils deuoient
procurer de tout leur pouuoir, & qu’ils ayent terny le lustre de
vostre Regence ; ils ne pourront iamais éuiter parmy les gens de bien

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le iuste reproche d’ingratitude, & de trahison ; quoy que peut estre la
clemence de V. M. veüille les espargner à l’aduenir, & ne repeter
point sur eux ce qu’ils auront rauy par de si detestables crimes. Lors
que le Roy defunct (d’heureuse memoire) deceda, & que le Parlemẽt
de Paris declara V. M. seule Regente, sans l’obliger aux conditions
portées par le testament du feu Roy, cet Estat se trouuoit engagé
dans vne guerre estrangere, la plus longue & la plus fascheuse qu’il
ait iamais supportée, & l’on peut ad jouster, la plus ruineuse de toutes
les precedentes ; quoy qu’en apparence nos prosperitez ayent esté
extraordinaires, & nos aduantages plus grands, que tous ceux que
nos Roys auoient cy deuant remportez sur leurs ennemis. V. M. sçait
les motifs du Cardinal de Richelieu qui l’a émeüe, fomentée par
plusieurs traitez pour la rendre eternelle, & continuée de propos
deliberé iusques à sa mort ; dont l’embrasement a esté tel, & s’est
estendu si loin, que non seulement toute la France, mais toute l’Europe
en demeureront défigurées dans la suite de plusieurs siecles.
Nous auons veu V. M. dans la premiere année de sa Regence enuoyer
des Ambassadeurs à Munster, auec plein pouuoir de conclure la
paix. Nul ne doute de la sincerité des intentions de V. M, & que
son dessein ne fust de faire reüssir cette negotiation à vne seure & honorable
paix pour cet Estat. L’on esperoit aussi que ceux du ministere
desquels elle se seruoit par deçà, contribueroient leur affection
& leurs soins pour conduire cette affaire tant desirée à vn entier
accomplissement, & l’on a creu quelque temps qu’ils secondoient
les pieuses pensées & le sainct propos de V. M. Cependant le
progrez de cette Conference, & les diuerses rencontres contre lesquelles
on a souuent fait eschoüer nos esperances, ont remply de
confusion tous les esprits, qui auec indignation ont veu que l’on
trompoit effrontément la France, & toute la Chrestienté. Le Cardinal
Mazarin, MADAME, qui seul a eu en ses mains le secret de cette
negotiation, & par les ordres duquel toutes les demandes & propositions
ont esté faites à Munster, a paru souhaiter la paix, & de proceder
sincerement en la conduite d’vne affaire si importante, pendant
que l’on a traicté les preliminaires, & que les parties interessées instruisoient
l’Assemblée & les Mediateurs des interests qu’ils auoient
à conseruer dans le Traicté general. Les longueurs qu’il a affectées à
dessein, par les incidens iettez à la trauerse pendant ce temps-là

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n’estoient point mal interpretées. Mais lors que l’on a veu qu’à
l’exemple des chicaneurs de mauuaise foy il a si souuent mis hors
d’estat d’vne tant desirée conclusion ce traicté de paix, & par de nouuelles
demandes de choses inutiles à ce Royaume, & sans lesquelles
il subsistoit seurement dans ses aduantages, il a esloigné nostre repos,
& celuy de toute la Chrestienté ; il n’y a eu aucun de vos subjets,
MADAME, qui n’ait gemy & souspiré, voyant l’Estat abandonné à la
conduite d’vn esprit ennemy capital de la tranquillité publique.
Que si neantmoins par vne bonne conduite il eust sceu conseruer le
dedans du Royaume en pouuoir de continuer la guerre, toute la
France auroit attendu patiemment la majorité du Roy, & se seroit
consolée de l’esperance, que maniant luy-mesme ses affaires, il auroit
recogneu le besoin que tous ses subjets, languissans sous le faix
des charges & impositions, ont de ioüir d’vn peu de tranquillité &
de repos, pour guarir les playes qu’ils ont receües de la verge de
l’exacteur. Ie ne doute point, MADAME, que s’il eust pleu à Dieu de
prolonger les iours du feu Roy, apres qu’il l’eut deliuré de la tyrannie
du Cardinal de Richelieu, vsurpateur de l’authorité Royale
sous le beau nom de premier Ministre, que sa Majesté n’eust trauaillé
puissamment à donner la paix à ses peuples, & à laisser au Roy son
fils & successeur l’Estat pacifié tant au dedans qu’au dehors. Il préuoyoit
que par son indisposition & sa santé presque déplorée le
Royaume estoit prest de tomber entre les mains d’vn Roy mineur,
pour lequel asseurer & la Monarchie contre les euenemens douteux
d’vne longue guerre, & pour soulager V. M. des peines & des
soins qu’elle luy cause, & aussi pour donner loisir aux peuples de
respirer & reprendre de nouuelles forces, il auroit mis fin à la guerre,
& aux desordres qu’elle a introduits entre nous. V. M. n’ignore
pas auec quelle prudence les deux plus grands Monarques de l’Europe,
ayeuls de vos Majestez, conclurent la paix de Veruins en l’an
1598. Le Roy Henry le Grand, apres auoir par sa valeur & prudence
incomparables restably cette monarchie, qu’vne longue guerre
auoit esbranlée, estant redouté de toute l’Europe, Maistre absolu
dans vn Estat plein d’hommes & d’argent, & en puissance (apres
auoir recouuré le sien) d’estendre encores ses conquestes sur le païs
de ses ennemis, prefera prudemment la paix à la continuation de la
guerre, afin d’establir l’ordre dans son Estat, l’affermir & soulager

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ses peuples. Et Philippes Roy d’Espagne, Prince tres-sage & prudent,
preuoyant que sa vie ne pouuoit estre de longue durée, voulut
laisser son fils (bien qu’il fust majeur) en paix auec ses voisins. Que
si tels & si grands Princes, dont la prudence a esté admirée de toute
l’Europe, ont donné la paix à leurs Royaumes en ces temps-là, dont
chacun sçait les conjonctures, il estoit bien plus necessaire à l’estat
present des affaires de ce Royaume, de la rechercher serieusement,
& la conclure honorablement, comme le Cardinal Mazarin l’a pû
faire. Certainement, MADAME, si V. M. fait quelque petite reflexion
sur la conduite de ce Ministre d’Estat, elle cognoistra clairement
qu’elle n’en a receu aucun bon ny fidele seruice, qu’il a abusé
de sa bonté, & qu’il n’a eu pour fin dans toute son administration,
que de satisfaire à ses passions & à son interest particulier. Toute
l’Italie l’a publié, & le publie encores, qui transportée d’étonnement
de voir cét homme tenir le timon de cét Empire, regarde auec mépris
& indignation les mouuemens déreglez de son esprit, incompatibles
auec la prudence & la sagesse. Les contradictions & contrarietez
dans lesquelles il est tombé apres l’élection du Pape Innocent
X. sont si publiques, & si bien recogneües de tout le monde,
que mal-aisement peuuent-elles estre excusées par le plus fin &
delié compilateur de Panegyriques. Il a dans le commencement,
& de tout son pouuoir, diffamé cette election, comme faite par des
voyes de simonie & pratiques deshonnestes. Il a au mesme temps
deshonoré par écrit public le Cardinal Antoine Barberin, & il a noircy
sa reputation, l’accusant de trahison & de perfidie. Mais comme
cet esprit, qui n’est ny graue ny serieux, n’a pas plus de soin de sa
reputation que de celle d’autruy, il fait rechercher le Pape aussi legerement
qu’il l’auoit offensé, & malicieusement deshonoré comme
simoniaque. Il donne au Cardinal Pamfilio l’Abbaye de S. Pierre de
Corbie, & fait pratiquer la Signora Olympia belle-sœur du Pape ; le
tout afin d’obtenir de sa Saincteté le chapeau de Cardinal pour son
frere, Moine Dominicain. Cette negociation luy manqua, & reussit
tres-mal, tant à cause qu’il auoit offensé le Pape, voulant mettre la
validité de son élection en doute, qu’aussi par la mauuaise conduite
de son frere, qui poussé d’vne furieuse & enragée ambition, fut si
imprudent & temeraire de dire tout haut dans l’anti-chambre de sa
S. qu’elle seroit reduite, contre son gré mesme, à le faire Cardinal ;

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dautant que le Turc entrant en Italie, comme l’on apprehendoit
qu’il ne fist alors, la France ne donneroit aucun secours contre les
ennemis de la Foy, s’il n’estoit compris dans la premiere promotion.
Cette façon d’agir des deux freres irrita tellement l’esprit du Pape,
qu’il declara hautement aux Ministres du Roy qu’il ne le feroit point
Cardinal. V. M. peut se ressouuenir auec quelle effronterie & impudence,
& contre la verité, ce Moine donnoit asseurance par les
lettres qu’il escriuoit au Cardinal son frere, que le Pape estoit entierement
disposé à luy donner le Chapeau, moyennant qu’il pleust
à V. M. de le nommer à sa Saincteté, & luy enuoyer des lettres de recommandation.
Fourberie par luy prattiquée pour engager V. M.
dans vne affaire de si haute importance, où la reputation & le credit
du Roy doiuẽt estre ménagez sans les hazarder. En quoy le Cardinal
Mazarin s’est monstré tres-imprudent, d’auoir creu si legerement à
son frere, de la prud’hommie & bonne conduite duquel il se défioit,
& que mesme il mesestimoit entierement. Ce refus du Pape
excita vne passion dans l’esprit du Cardinal Mazarin telle, qu’il se resolut
de venger l’affront qu’il auoit receu, & il commença de nouueau
à faire ses pratiques, & renoüer l’intelligence auec les Cardinaux
Barberins. Il leur offrit la protection du Roy, pour les garentir
des recherches que sa Saincteté faisoit contr’eux, accusez d’auoir
abusé de l’authorité du Pape Vrbain VIII. leur oncle dans l’administration
de l’Estat de l’Eglise. Il les reçoit en France, il les fait venir à
la Cour, & contracte alliance auec ceux qu’il auoit declarez ennemis
de l’Estat. Il est tres-difficile, MADAME, que Monsieur le Cardinal
Mazarin puisse faire approuuer par les sages l’inégalité de son humeur,
qui luy a fait faire en si peu de temps des choses si contraires
les vnes aux autres ; & telle legereté d’esprit en chose de si haute importance
n’est pas compatible auec le bon sens que doit auoir vn
premier Ministre d’Estat. Les Princes d’Italie, dont le moindre
n’auroit pas voulu se seruir de luy pour Intendant de ses affaires domestiques,
bien loin de luy donner l’administration de son Estat,
ont jusques icy consideré la France auec estonnement ; & n’ont encores
pû comprendre comment V. M. & les Princes du sang auiez
confié la conduite de l’Estat à ce Ministre, par eux tenu trop foible
pour soustenir le faix d’vne si grande Monarchie. Ie supplie aussi
tres-humblement V. M. de considerer la suite des actions du Cardinal

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Mazarin, & de ses entreprises en Italie. Non content d’auoir
arresté le cours des poursuites du Pape contre les Cardinaux Barberins,
il voulut en l’année 1646. luy faire peur par l’approche des
armées du Roy aux frontieres de l’Estat de l’Eglise. Il se propose
donc la conqueste des places maritimes de la Toscane, occupées
par les Espagnols, & il fit commencer le Prince Thomas par le siege
d’Orbitelle. Les plus sages Politiques d’Italie, aussi bien que les
nostres, ne pouuoient comprendre quelle vtilité la France receuoit
de telles entreprises, qui luy faisoient abandonner la Catalogne, &
ses autres plus importantes affaires ; & les plus calir-voyans, qui connoissoient
la vanité & la legerete de cet homme, ne trouuoient point
d’autres motifs de cette impertinente entreprise, qu’vn dessein du
Cardinal de monstrer à toute l’Italie qu’il estoit tout-puissant en
France, & qu’il estoit en son pouuoir de joüer à trois dez la bonne
fortune de cette Monarchie. Ainsi donc pour donner de la terreur
au Pape, il se conduisit en cette expedition auec autant d’imprudence
& manque de jugement, qu’il en auoit conceu l’idée. Deux
mois deuant le siege d’Orbitelle, toute l’Italie sçauoit que les armées
de France y deuoient venir ; ce qui donna le temps & le moyen
aux Espagnols de s’apprester pour les y receuoir. Et il ne faut pas que
V. M. s’estonne, si le Cardinal Mazarin a tenu ses affaires si peu secrettes,
veu qu’ayant tout le fort de ses pratiques & de ses intelligences
dans Rome, il y entretient grand nombre de pensionnaires Italiens,
ausquels il se confie trop facilement, sans faire reflexion sur la façon
de viure du païs, & du mestier qui s’y fait, que luy-mesme a exercé,
de seruir d’espies pour les Patrons qui regnent. Et de cette profession
les trois quarts de la ville de Rome tirent leur subsistance ; &
ils croiroient manquer à leur deuoir, trahir leur fortune, & ruiner
les pretensions qu’ils ont aux dignitez du pais, s’ils ne rendoient
plustost seruice au Cardinal Patron, qui les paye en qualité d’espions,
& les nourrit dans leurs esperances, que d’estre fideles à vn
amy & bien-faicteur. Peut-estre que l’on ne se trompera pas de dire,
que le Moine Mazarin ayant eu participation du secret de cette
affaire par quelqu’vn de ses amis François & domestique du Cardinal
son frere, & son confident intrinseque, l’aura publié pour estonner
le Pape, & par sa promotion au Cardinalat, l’obliger à preuenir
& conjurer cette tempeste trop voisine de ses Estats. Que V. M.

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considere encores, s’il luy plaist, le peu de iugement de son Ministre
dans la poursuite de cette entreprise. L’armée n’arriua à Orbitelle
qu’enuiron la my-May, saison de l’année dans laquelle commencent
les grandes chaleurs delà les Monts, & l’air des costes
maritimes de Sienne deuient entierement pestiferé ; de sorte que
c’estoit enuoyer à vne mort inéuitable toute cette milice. Dans cette
armée, mise sur pied auec des sommes immenses d’argent, il y auoit
manquement des choses principales, & plus necessaires, ce qui rendit
inutile toute cette despense. Et encores que le Cardinal Mazarin
eût fait des remises de grandes sommes de deniers à Florence & à
Sienne, il est tres-vray que l’armée fut mal payée, & que les finances
de V. M. furent diuerties ailleurs. En fin la France, reduite à répandre
son sang, & la substance de ses peuples, pour satisfaire à la folle
passion d’vn estranger, receut vn signalé affront abandonnant le siege
d’Orbitelle, & retirant son armée, qui fut peu apres consumée par les
maladies contractées dans l’air pestilentieux de ces costes maritimes.
Elle souffrit les reproches des Venitiens assaillis par le Turc,
qui se plaignirent que par cette entreprise temerairement formée &
mal conduite, ils se trouuoient frustrez du secours des galeres de
Monsieur le Grand Duc, & des leuées de gens de guerre, qu’ils eussent
pû faire sur les Estats de quelques Princes d’Italie. Le Cardinal
Mazarin, qui n’a iamais eu pour veritable fin de toutes ses actions
que l’exaltation de sa gloire & de son nom, & principalement dans
l’Italie, ne voulut pas en demeurer là. Il fallut que la France fist encores
vn effort, & remist vne armée nauale en estat. Il est vray que ce
second dessein reussit mieux que le premier, par les conquestes de
Piombin & Portolongone, mais certes peu vtiles à la France, & qui
donnerent le moyen aux Espagnols de sauuer Lerida, & d’y faire
perir vne armée conduite par Monsieur le Comte d’Harcourt. Iusques
à present l’on ne s’est point apperceu que ces conquestes ayent
empesché le commerce de l’Espagne auec l’Italie, & les hommes &
l’argent passent aussi commodément de Cartagene & de Cadis dans
les costes de Naple & de Genes, que si nous n’estions point les maistres
de ces deux places, qui coustent beaucoup d’hommes & d’argent
à entretenir, & dont le Cardinal s’est seruy tres-peu vtilement
dans les secours enuoyez à contre-temps aux Napolitains pendant
les derniers tumultes. Ie ne veux pas examiner en ce lieu le traité

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fait auec Monsieur de Modene l’an 1647. non plus que les raisons
qui porterent ce Prince à accepter le Generalat de l’armée de Vostre
Majesté, ny aussi s’il est veritable, que les autres Princes d’Italie approuuerent
son action, pour se deliurer de la crainte qu’ils auoient de
l’enuoy d’vn General François, tel que Monsieur le Prince ou Monsieur
le Comte d’Harcourt, qui eussent agy à leur façon accoustumée.
Ie ne veux remarquer autre chose que la démarche des trouppes,
que l’on fit sortir en campagne, au temps qu’elles deuoient entrer
dans les quartiers d’hyuer. Ce fut au mois d’Octobre qu’elles commencerent
à marcher ; saison de l’année pendant laquelle les pluyes
ont accoustumé d’inonder la Lombardie, dont le terrain, qui est
gras, estant destrempé, deuient vne boüe, dans la quelle les hommes
& les cheuaux demeurent enseuelis. L’effet de cette expedition fut
si peu de chose, que vostre armée n’occupa qu’vn petit quartier du
pays ennemy vers Casal major ; & ce qui y resta de trouppes pour
conseruer ce poste, fut contraint de tirer sa subsistance du Mantoüan,
Plaisantin, & Modenois, aux despens de vos finances, & non du
pays ennemy. Mais que dira-t’on, MADAME, du siege de Cremone,
où l’on a consumé & perdu vne campagne, vne armée, & qui pis est,
la reputation des armes du Roy. Monsieur le Cardinal ne doit pas,
pour se descharger de ce blasme, attribuer la cause à Monsieur de
Modene, ou à Monsieur le Mareschal du Plessis-Praslin, estant indubitable
qu’ils n’ont agy que selon ses ordres precis ; la mode
estant venuë en France depuis l’erection en tiltre d’Office de premier,
ou plustost vnique Ministre, Que les Generaux d’armées, fussent-ils
outre-mer, doiuent attendre ses ordres pour executer ce que les occasions
offrent, voire les plus pressantes, quand mesmes il s’agiroit du salut de tout
l’Estat, & que le retardement en causeroit la perte entiere, nonobstant que le
Ministre soit absent, & qu’il ne puisse iuger, ny bien entendre ce qu’il conuient
faire. Qu’il vous plaise aussi, MADAME, de ietter les yeux sur
vne autre action de ce Ministre estranger ; & si V. M. veut penetrer
dans ses pratiques & menées, elle verra que pour obtenir le chapeau
de Cardinal à son frere, il a employé quatre cent mille liures de vos
Finances. Elle sçaura qu’il fit porter parole au Pape, que moyennant
la promotion de son frere, il ne feroit plus aucune instance à sa
Saincteté pour les Collations & Bulles des benefices de Portugal &
de Catalogne, encores que les sieges Episcopaux de ces deux Prouinces

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soient quasi tous vaquans, & que par ce moyen la Religion, &
tout l’ordre Ecclesiastique y souffrent vn détriment notable. C’est là
la fidelité, auec laquelle il conserue les interests de l’Eglise & de la
Religion, ceux de Vostre Majesté & des alliez de cette Couronne.

 

Combien peu, MADAME, a-t’il iusques icy reconnu les obligations
qu’il a à Vostre Majesté, & à tout cet Estat, pour les prodigieux
biens faits & aduantages qu’il en a receus ? S’il eust agy par les motifs
de l’honneur, & qu’il eust eu dans l’ame quelque semence de vertu
& principe de generosité, il ne deuoit se proposer autre fin de ses
actions & de son ministere, que la conseruation de cet Estat, acheminant
la paix à vne heureuse perfection, afin de faire ioüir vos peuples
de quelque tranquilité. Mais il paroist euidemment que le dessein
de cet homme a tousiours esté d’en retarder l’accomplissement,
s’estant imaginé qu’il deuiendroit inutile à la France, & qu’estãt déja
à charge à toute nostre nation, il ne pourroit subsister plus long tẽps.
Que n’a-t’il point fait pour en eluder la conclusion ? V. M. qui se
reposoit sur sa conduite pour la direction generale de toutes les
affaires, ne sçait peut-estre pas qu’vsant d’vne fourberie indigne
d’vn Ministre d’vn si grand Estat comme celuy-cy, apres auoir proposé
toutes les demandes que faisoit la France, & voyant que les
Imperiaux & les Espagnols les accordoient toutes contre son attente,
pour empescher l’accomplissement du Traité, il adjousta de
nouuelles propositions & demandes. Façon d’agir qui ne conuient
qu’à vn trompeur, ou à vn ignorant, qui n’entend pas les affaires
qu’il manie. Apres auoir fait declarer aux Princes d’Italie par les
Ministres de Vostre Majesté, que la France restitueroit pleinement
Casal à Monsieur de Mantoüe apres la ratification du Traité de
Munster, il s’aduisa d’vn moyen pour d’autant plus esloigner la paix ;
qui fut de leur faire dire, Que la France desiroit garder cette place à
tout le moins l’espace de dix ans. Proposition qui fut tres-mal receüe
par ces Princes, qui iugerent alors que la France estoit gouuernée
par vn Ministre ennemy iuré de la tranquilité publique. Il en adjousta
depuis vn autre, que l’on peut dire estre vne des plus impertinentes
& extrauagantes productions de son esprit. Il fit demander au
Pape, aux Venitiẽs, à Mõsieur le Grand Duc, & autres, Qu’ils se rendissent
les cautions du Traité de paix d’entre l’Empire, la France, &
l’Espagne ; comme si ces Princes eussent eu entre les mains des gages,

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ou qu’il eust esté en leur pouuoir de le faire obseruer. Aussi cette
proposition estoit si ridicule, que les Ministres de V. M. n’ont iamais
pû en auoir response, quelque instance qu’ils en ayent faite. L’on adjoustera
à ces remarques vne autre toute recente, qui est, Que ce
Ministre ayant esté contraint, pour ne se pas descouurir entierement,
de consentir conjointement auec la Suede au traité de l’Empire
(laquelle l’auroit conclu separément à l’imitation des Hollandois) &
continuant neantmoins dans le pernicieux dessein de fomenter la
guerre, il a enuoyé vne ratification de vos Majestez defectueuse en
plusieurs poincts, & il a escrit & fait escrire à Monsieur de Turenne,
qu’il recherchast tous les moyens d’empescher l’execution du traité
de peur que nous ne fussions obligez de receuoir les Allemands de
son armée au deçà du Rhin, & de leur donner des quartiers en France.
Il a pû éuiter cet inconuenient qu’il allegue, concluant en mesme
temps la paix auec l’Espagne, & satisfaisant & licentiant ces trouppes
estrangeres apres l’execution. Certainement sa presomption l’aueugle
& le rend insensé, s’il croit que les François reçoiuent en payement
vne si mauuaise monnoye, sur laquelle l’on voit manifestement
imprimé le coin de sa fausse & erronée politique. Que V. M. considere
serieusement toutes les actions de cet homme, & elle connoistra clairement,
qu’elle n’a point vn plus capital ennemy de son repos, & de
celuy de ses peuples, que luy. Sa mauuaise conduitte a tellement
aliené les Hollandois, & les brauades importunes de ceux dont il s’est
seruy chez ces peuples libres les ont tellement irritez, qu’ils protesterent
ne vouloir plus traiter d’affaires auec luy, qui attentoit de
les manier comme ses esclaues & qu’ils estoient prests de se rapporter
au jugement du Parlement de Paris touchant la justice de leur
proceder, & les raisons qu’ils auoient de faire la paix separément
d’auec la France, nonobstant la garentie, puis que son premier Ministre
vouloit la continuation de la guerre, quoy qu’il pust faire vne
paix tres-honorable & tres-aduantageuse. Vostre Majesté se peut
aussi ressouuenir, que sur la fin de l’année 1647. le Cardinal Mazarin
fit venir au Palais Royal Messieurs le Nonce du Pape & l’Ambassadeur
de Venise deuant V. M. & les gens de son Conseil, afin
de se justifier deuant eux, & les persuader que vostre Conseil, dont
luy seul a le secret & la disposition, auoit tousiours souhaité ardemment
la Paix de la Chrestienté, & que toute l’Europe en pouuoit

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rendre tesmoignage. Qu’au contraire, les Espagnols auoient par
leurs artifices destourné jusques icy la conclusion d’vn si bon œuure,
& que V. M. s’estoit en fin resoluë de relascher de ses propres
interests, pour paruenir à vne asseurée vnion & concorde des Princes
Chrestiens, & rendre le repos à tous les peuples. Que les Espagnols
& Mr de Lorraine insistoient opiniastrément sur la restitution
de Nancy, que la France ne pouuoit rendre en l’estat qu’il se trouue
à present, veu que ce Prince estoit si auant engagé dans les interests
de la Maison d’Austriche. Vostre Majesté se peut aussi ressouuenir
de la réponse que fit Mr le Nonce à ce discours du Cardinal ; Que
l’on ne pouuoit pas dire ny croire que le Roy d’Espagne refusast la
paix, veu qu’il accordoit toutes les demandes de vos Majestez ; & que
les Mediateurs & toutes les parties interessées, qui sont à Munster,
en estoient tesmoins. Cette franche & non feinte repartie troubla
l’esprit du Cardinal Mazarin de telle sorte, que le dépit qu’il en
conceut parut sur son visage. Mõsieur Nani, Ambassadeur de Venise,
s’estant apperceu que Mr le Nonce par la verité de sa response auoit
offensé le Cardinal, se contenta de repartir sur la difficulté proposée
touchant la restitution de Nancy, & fit ouuerture d’vn expedient,
qui fut, Que le Roy estant Maistre de la ville de Nancy, il
pouuoit en démolir la fortification, & la rendre en l’estat qu’elle se
trouueroit lors de l’execution des articles du Traité. Que la Seigneurie
de Venise en auoit vsé de la sorte au temps de la derniere
guerre contre le Pape Vrbain VIII. qui auoit basty des forts à Lagoscuro
aux frontieres de la Republique, & par elle occupez pendant
le cours de la guerre. Preuoyant donc que par la conclusion de
la paix il faudroit restituer ces places à sa Saincteté, la Seigneurie les
fit démolir & raser, pendant qu’elle en estoit en possession, n’estant
pas à propos pour son bien & aduantage qu’elles subsistassent, &
comme le Pape se contenta de les receuoir démolies, Mr de Lorraine
seroit obligé de mesme à reprendre la ville de Nancy en l’estat
qu’il auroit pleu au Roy la reduire au temps qu’il l’a eüe sous sa
domination. Est-il pas vray, MADAME, que s’il eust fidelement
seruy V. M. il auroit pû éuiter les inconueniens qu’il a tousiours
opposez à la paix, & qu’en vous donnant des conseils pacifiques, il
auroit rendu vostre Regence autant glorieuse & triomphante que
les plus heureux regnes des Rois majeurs deuanciers de vos Majestez.

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Au nom de Dieu, MADAME, qu’il vous plaise de faire reflexion
sur la conduite d’vn homme, qui est, ou tres-meschant, ou
tres-ignorant, s’il n’est l’vn & l’autre ensemble. Apres l’auoir representée
à V. M. touchant les affaires qu’il a negociées chez les
estrangers, ie viendray, sous son bon plaisir, à celles du dedans, qui
se trouuent reduites à vn déplorable poinct. Qu’il plaise à la diuine
bonté d’enuoyer à vostre Majesté des inspirations & des lumieres
si fortes, qu’elles penetrent au trauers des nuages des infideles &
pernicieux conseils, & de la fausse & damnable politique, dont on a
obscurcir son entendement & sa bonté naturelle ; afin que ces
tenebres d’erreur estant dissipées, dans lesquelles les malins l’ont
voulu faire cheminer, & la precipiter en suite dans vne ruine inéuitable
pour sauuer leurs interests particuliers, elle cognoisse que le
Roy & Vous estes trahis par ceux qui sous le specieux pretexte
de conseruer son authorité la ruinent entierement. Mais il est necessaire
de décrire premierement à V. M. les choses passées touchant
le Cardinal Mazarin, & luy remettre deuant les yeux le progrez
de sa fortune. Vostre Majesté l’a veu venir à la Cour, & elle
sçait que le Cardinal de Richelieu est celuy qui l’a premierement
introduit, & a esté autheur de son auancement ; Qui estant homme
tres-entendu aux intrigues du cabinet, & tres-expert en l’art de regner
par la fourberie & la violence, dépensoit largement en espions,
& corrompoit par argent tous ceux qu’il pouuoit, afin de penetrer
jusques dans les plus secrets cabinets de ceux qui luy estoient suspects.
Le Sr Mazarin (car ainsi s’appelloit-il lors) ayant esté donné
pour Secretaire à Mr Pancirole, Nonce de sa Saincteté vers feu
Mr de Sauoye Charles Emanuel, pendant les guerres du Montferrat,
vendit à ce Prince le chiffre de son Patron ; & par cette insigne
trahison se concilia la bien-veillance de toute la maison de Sauoye,
& deuint plus considerable qu’il n’estoit auparauant. Le credit
que le Sr Mazarin s’estoit acquis chez ces Princes, conuia le
Cardinal de Richelieu de noüer intelligence auec luy, afin de s’en
seruir aupres de Mr de Sauoye, selon le besoin qu’il en auroit. Et
depuis ayant gousté son esprit, & jugé qu’il estoit vn instrument
propre à le seruir dans ses fourberies continuelles, il l’attacha entierement
à ses interests, & luy promit de faire sa fortune. Outre la
conformité de leurs esprits en cette qualité, il y auoit vne autre

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sympathie entr’eux pour les bagatelles & badineries, ausquelles
l’esprit du Cardinal de Richelieu estoit sujet par interualles. Le sieur
Mazarin, par les bouffonneries naturelles à sa nation, née pour la
Comedie ridicule, a souuent donné du plaisir au Cardinal de Richelieu,
pour le diuertir dans les fascheux retours de sa melancholie,
que luy causoient les vapeurs hypocondriaques. Ayant donc resolu
d’auancer le Sr Mazarin jusques aux premiers honneurs de la Cour
de Rome, afin de l’employer dans les intrigues qui s’y passent, il
veut luy acheter la charge d’Auditeur de la Chambre, & le mettre
par ce moyen dans le chemin le plus seur pour obtenir le Chapeau.
Neantmoins, quelques offres que l’on pust faire alors, il n’y eut pas
moyen de surmonter les difficultez que le Cardinal Barberin y opposa.
Ce coup ayant manqué, il luy procura vne Nonciature extraordinaire
en France, en laquelle le Sr Mazarin se comporta plustost
en domestique du Cardinal de Richelieu, qu’en Nonce du Pape.
Il s’habilla en dueil lors de la mort de Madame la Mareschalle
de Brezé, sœur du Cardinal. Ses entretiens & occupations n’estoient
pour l’ordinaire qu’à joüer dans l’anti-chambre, & s’y entretenir
auec les autres courtisans & creatures de ce Ministre. Cette Nonciature
finit sans que le sieur Mazarin en recueillist l’auantage qu’il
en auoit esperé ; au contraire, il n’en remporta que la malveillance
du Pape, qui se tenoit offensé de la maniere dont il auoit vescu. Le
Cardinal de Richelieu procuroit au mesme temps d’exalter à cette
supreme dignité de l’Eglise le P. Ioseph Capucin, que le Roy auoit
nommé à sa Saincteté, qui pourtant ne pût iamais se resoudre d’adopter
ce bon Religieux dans le sacré College, bien qu’il fust le plus
celebre & le plus fourbe Capucin qui ait vescu hors de son Ordre
depuis qu’il est institué. Ces deux pretendans se nuisoient l’vn à l’autre ;
& encores que l’vn y aspirast comme National, & l’autre comme
Italien, le Pape n’ignoroit pas qu’ils dépendoient d’vn mesme Maistre.
La mort subite du Pere Ioseph, arriuée au mois de Decembre
1638. fit changer de face à cette affaire, & le sieur Mazarin fut nõmé
au Pape, pour estre promeu en qualité de Cardinal National. Quelque
temps apres il retourna en France, & finalement au mois de
Decembre 1641. il fut compris dans la promotion. Vostre Majesté
sans doute se peut ressouuenir des intrigues qui estoient lors à la
Cour, & de la part qu’elle y auoit, ensemble ce qui se passa dans le

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voyage du Roy à Perpignan. Le Cardinal de Richelieu se trouuoit
lors dans la conjoncture la plus difficile qu’il ait rencontrée
en sa vie ; en mesme temps malade, & combatu par vn party
contraire, assez puissant pour le défaire, si ceux qui en estoient
les chefs n’eussent point imprudemment recherché l’appuy des
estrangers, auec lesquels on est encores en guerre ouuerte. Et V.
M. sçait que les innocens, bien intentionnez pour son seruice jusques
à la mort, se trouuerent enueloppez dans la mesme ruine que
les coupables à la funeste catastrophe de telles intrigues. Le Cardinal
de Richelieu assailly de la sorte, jugea qu’il auoit besoin de
l’assistance de tous ses amis, & il retint le Cardinal Mazarin, qui
estoit prest de partir de la Cour pour s’en aller à Rome. Vostre Majesté
peut aussi rappeler dans sa memoire, ce qui se passa tout le reste
de l’année, jusques au retour du Cardinal de Richelieu à Paris, de
la visite dont elle l’honora, & des complimens qu’elle receut de luy.
Elle sçait aussi, que depuis qu’il eut pleu à Dieu luy donner des enfans,
le dessein du Cardinal de Richelieu, basty sur l’incertaine &
debile santé du Roy, qu’il a tousiours esperé de suruiure, estoit de
s’emparer de la Regence du Royaume, au prejudice de V. M. & des
Princes de la Maison Royale ; & cette pensée l’a accompagnée jusques
à la mort. Mais sur les derniers iours de sa vie, se trouuant extraordinairement
extenué par vne longue maladie, la peur de mourir
a quelques fois interrompu les pensées de ce qu’il auoit projetté
de long-temps ; & ses soins se tournerent à donner ordre à la conseruation
des siens apres son depart, & à les mettre sous la protection
d’vne de ses creatures. C’est pourquoy il recommanda au feu
Roy le Cardinal Mazarin, afin qu’il s’en seruist, & le fist chef de son
Conseil. Ne croyez pas, MADAME, que le Cardinal de Richelieu
rendist au Cardinal Mazarin ces offices aupres du Roy, pour auoir
recogneu en luy la suffisance & la capacité necessaires à la conduite
d’vn si grand Estat. C’estoit l’interest particulier de sa maison & des
siens, qu’il vouloit asseurer contre les euenemens ordinaires, qui
suiuent le changement de Ministres à la Cour, & principalement
lors qu’ils ont esté odieux. Il est impossible de s’imaginer que ce
personnage, qui auoit vne cognoissance exacte des affaires de cet
Estat, acquise par l’experience de plusieurs années, ait creu qu’vn
estranger, ignorant la forme interieure & les maximes de la

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France, qui ne s’apprennent parfaitement que par les naturels François,
pût jamais estre vn bon instrument pour sa conduite. L’on
peut dire que le Cardinal de Richelieu a eu cette pensée, Qu’ayant
peruerty & renuersé la forme ancienne du gouuernement, & changé
les maximes de la Monarchie legitime en celles de la tyrannie,
pour se conseruer dans son vsurpation, il s’est persuadé que l’establissement
de cette violente & tyrannique domination estoit tellement
affermy, qu’il ne se trouueroit plus personne en France qui
eust assez de courage & de generosité pour s’opposer & la contredire,
& qui fust poussé de zele & d’affection pour conseruer & releuer
l’authorité Royale & sa patrie, abbatuës par l’aneantissement des
loix : & qu’ainsi toutes choses dépendant du caprice & des mouuemens
de ce premier Ministre, il n’estoit plus necessaire de sçauoir les
loix & maximes fondamentales de l’Estat ; Qu’vn estranger, fut-il
Italien, fut-il Arabe ou Turc, estoit assez fort pour soustenir le faix
d’vne telle charge. Mais quoy qu’il en soit, il n’a eu pour visée
que la manutention des siens en establissant le Cardinal Mazarin.
Ceux qui estoient demeurez dans le ministere apres la mort du Cardinal
de Richelieu, le consideroient comme creature de leur maistre
& homme de leur faction ; & par les considerations de leur interest
particulier ils l’authoriserent pres du Roy ; Le faisant subsister,
ils ont esperé deux choses ; la premiere, qu’estant estably en cette
place, ils tenoient exclus pour l’aduenir tous ceux qui pouuoient
leur donner de l’apprehension ; la seconde, que luy ne sçachant pas
les ordres ny les constitutions du dedans, & estant incapable de les
apprendre, tant à cause de son humeur & inclination, que de son
aage, ils en gouuerneroient & manieroient les affaires auec vn pouuoir
absolu, pendant qu’il s’occuperoit aux affaires du dehors, & à
ses intrigues de Rome. MADAME, si le personnage à qui V. M. demanda
au temps de la mort du feu Roy, si elle se pouuoit seruit vtilement
du ministere du Cardinal Mazarin, eust esté autant fidele
seruiteur comme elle croid encores, & qu’il eust eu autant d’affection
au bien & seruice de V. M. comme il auoit peur de blesser son
interest particulier, en heurtant vos sentimens qu’il voyoit se porter
à retenir le Cardinal : il auroit aduerty vostre Majesté auec respect,
mais auec franchise & generosité, qu’elle ne pouuoit se seruir
vtilement d’vn tel homme au dedans de l’Estat. Que c’estoit vne

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chose non seulement contraire aux Loix du Royaume, mais aussi de
tres-perilleuse consequence : Que c’estoit témoigner vn mépris de
toute la nation Françoise, comme si elle eust manqué de subjets capables
de seruir le Roy & l’Estat : Que ce mépris ne pouuoit que diminuer
l’affection, & irriter les personnes nées pour aspirer aux premieres
charges & dignitez du Royaume, par le droict de leur naissance
& de leur suffisance : Que ceux qui auoient embrassé les interests
de vostre Majesté pendant ses souffrances, luy seroient plus
fideles & plus affectionnez à son seruice & au bien de l’Estat, que
ceux qui l’auoient violemment persecutée. Ie veux croire que le
Roy defunct jugea que le Cardinal Mazarin seroit vn sujet propre
à le seruir dans ses affaires ; & bien que le Cardinal de Richelieu luy
fust deuenu insupportable, pour auoir vsurpé & attiré à soy toute
l’authorité Royale, il eut toutefois esgard à sa recommandation, ne
penetrant pas ses intentions, & ne s’arrestant qu’à la superficie &
vaine apparence de l’esprit du Cardinal Mazarin, qu’il fit entrer dans
ses Conseils ; & par la suggestion de ceux qui fabriquerent cet instrument
testamentaire de Regence si in jurieux à vostre Majesté, le
Roy luy donna tant de part au gouuernement du Royaume, que peu
s’en falut qu’il ne fust proclamé Patriarche. Mais, MADAME, la
suite du temps eust bien tost détrompé le feu Roy, dont les inclinations
alloient à la paix ; & il eust banny de son Conseil & de ses affaires
cet ignorant & malicieux broüillon : Et vostre Majesté experimente
auiourd’huy par tant de malheureux euenemens, quel est
le talent du Cardinal Mazarin, & que sa politique renfermée dans
la fourberie continuelle & inexecution de toutes choses, n’est que
pure charlatanerie ; par laquelle si vostre Majesté ne le préuient, il
rendra le Trosne de la Royauté vn Theatre de charlatan, & conuertira
les Conseillers & Ministres d’Estat en bouffons ; Et finalement
vos pauures subjets spectateurs de telle infamie, ne la pouuant plus
supporter, exciteront vn tel murmure & clameur, qu’il en pourra
reussir de tres-grands scandales. MADAME, permettez-moy que ie
supplie tres-humblement V. M. de considerer la conduite que ce
personnage a tenuë, depuis qu’il a pleu à vostre Majesté l’honorer
d’vn employ, dont il s’est monstré entierement indigne. Il a
esloigné du maniement & du secret des affaires les plus habiles &
experimentez, mesme ceux de sa faction, qui eussent pû par leur intelligence

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& experience luy donner des aduis & conseils tres-vtiles,
& il leur a substitué des subjets qui se font cognoistre par leurs ouurages,
ne paroissant en leurs escrits aucun traict digne de la Majesté
Royale. Il a appellé à la direction des Finances vn homme corrõpu
& de long-temps diffamé pour ses fripponneries & débauches,
voleur infame, qui auoit éuité le gibet, qu’il auoit merité pour vn
larrecin commis en l’exercice de la charge de l’Argenterie. Ses plus
familiers & ses emissaires sont cogneus à toute la terre par leur sceleratesse
& corruption de mœurs ; contre laquelle les plus sages Legislateurs
ne pourroient trouuer de preseruatif qu’en retrenchant
telles pestes de la societé ciuile. Le Cardinal Mazarin sçait bien que
feu Monsieur le Duc d’Atri Comte de Chasteau-Villain, l’a aduerty
qu’il se concilioit beaucoup de haine & d’enuie, ayant pour familiers
& amis plus privez, les plus meschans & les scelerats
qui soient en France, & qu’il luy seroit tres-expedient pour son
honneur & sa reputation de les esloigner de sa personne. Il ne repliqua
autre chose, sinon qu’il les auoit trouuez en cette place ; raison
tres-friuole, & qui persuade pourtant qu’il symbolise auec eux
en ses mœurs & inclinations. Cependant, MADAME, l’on peut
asseurer à V. M. que ses familiers & camarades, meschans & infideles,
rusez & mocqueurs, font des risées de luy & de ses actions, iusques
à le traiter de fat & de badin. Ils l’ont souuent ouy parler d’affaires
importantes dans le ieu ; tirant vne carte de prime il s’est expliqué
sur des resolutions qu’il prenoit sur l’heure, combien que
telles affaires ne peuuent estre tenuës trop secrettes. Plusieurs fois
il a fait ses lettres & ses dépesches sur vne table, cependant que
dans la mesme chambre l’on ioüoit sur vne autre. Ses diuertissemens
ordinaires sont le berlan & ieux de hazard. Il applique son
esprit à faire commerce de pierreries, se seruant de l’Abbé Mondin
pour son censal & couratier qui en fait la vente. Et comme bien instruit
dans le negoce, qu’il a appris pendant qu’il tenoit la caisse d’vn
Banquier à Milan, il a depuis deux ans fait acheter en Portugal
pour quatre cent mil escus de diamans, dont le plus estimé n’en
vaut pas mil, afin d’en pouuoir faire plus facilement le debit. Il
les reuend cherement à V. M. lors qu’elle veut faire quelque present
aux estrangers : ainsi il oste aux Orfevers & Ioalliers de Paris le
moyen de faire quelque profit de leur art & negoce ; & en mesme

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temps il se rend odieux, faisant vn trafic indigne de sa profession.
De plus, il les donne pour argent comptant à ceux à qui il est deû
des voyages, & autres dépenses qui se payent à l’Espargne ; d’où il
recouure le payement sur des ordonnances, au double & au triple
de la valeur des diamants qu’il a donnez, faisant vn gain deshonneste
sur vos subjets & sur vos finances. Dans la distribution mesme
des Benefices, il fait vn trafic iusques icy non pratiqué, ne donnant
les Eueschez qu’à ceux dont il peut tirer quelque Abbaye, pour en
disposer en faueur des estrangers ; & ainsi il oste à plusieurs de nos
Prelats les moyens de soustenir leur dignité. Vous estonnerez-vous,
MADAME, du peu de soin & d’attention qu’il apporte à l’expedition
des affaires ? puis qu’outre qu’il est ignorant & timide, & en suite
irresolu, il n’a l’esprit attaché qu’aux bagatelles & choses basses.
Il n’est ny graue ny serieux, grand parleur, & pourtant homme sans
parole. Il est sans foy & sans honneur, & iusques icy il n’a tenu sans
promesses à qui que ce soit ; & sans considerer meurement les paroles
qu’il donne, il s’est engagé en mesme temps à trois differentes
personnes de haute condition, par la promesse faite en particulier
à chacun du gouuernement d’Alsace. Il est nay si enclin à la fourberie,
qu’il ne se contente pas d’en tromper vn seul ; & il auroit creu
mal employer ses artifices, s’il n’auoit pris les trois dans vn mesme
coup de rets. De ces mauuais principes sortent du matin au soir les
ordres contraires sur vne mesme affaire, & toutes se perdent malheureusement.
Les Ministres de V. M. aux païs estrangers, attendent
plusieurs mois responses à leurs depesches & ses resolutions.
Les armées perissent par defaut de payement, pendant qu’il ioüe les
millions, ou qu’il desseigne l’emmeublement d’vne chambre, la disposition
d’vn buste ou d’vn cabinet d’Allemagne, ou l’ordre d’vne
cheminée, qu’il a fait refaire iusques à quatre fois sur quatre differens
desseins qu’il a forgez, pour se faire croire aussi excellent Architecte
que Politique. Cependant le Royaume est tombé dans la
confusion que nous voyons auec horreur, & nous tremblons de iuste
crainte & apprehension, nous representant le bouluersement general
de l’Estat qui peut s’ensuiure. Plus vostre Majesté examinera
la mauuaise & pernicieuse conduite de ce Cardinal, plus elle la
blasmera sans doute, & la detestera tout ensemble. L’origine de la
guerre ciuile qui s’allume dans ce Royaume, si V. M. par sa prudence

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& bonté n’y apporte bien tost le remede, vient de la dissipation
prodigieuse des Finances, dont il y a eu des sommes immenses
maniées par Cantarini Banquier ordinaire du Cardinal Mazarin,
& Italien comme luy ; les papiers duquel font foy, qu’il en a disposé
iusques à vingt-sept millions de liures portez en dépense pour les
affaires de V. M. & autres sept millions, dont le Cardinal a disposé,
& les a fait passer en Italie. Chose inoüye, & desordre abominable,
qu’vn estranger qui n’a presté aucun serment au Roy ny à ses Officiers,
ait la disposition de ses finances. Ce qui ne peut auoir esté fait
que par la collusion du sieur d’Emery, qui outre ce desordre en a
continué encore vn autre depuis quelques années, mettant les Tailles
en party, & donnant vn benefice de remise excessiue au Partisan
son associé ; lequel sous le pretexte d’auances imaginaires, a encore
exigé des interests & vsures si exorbitantes, que les Finances qui reuiennent
liquides dans les coffres de V. M. ont esté reduites de cent
à cinquante-cinq tout au plus, le Partizan ayant gagné quarante-cinq
& plus pour cent. Ce desordre introduit lors que les Tailles
ont esté mises en party a ruiné les villes & la campagne, dautant
que les Intendans, la pluspart pensionnaires des Maltostiers, &
leurs Secretaires Greffiers des commissions ont exigé, sous pretexte
des frais & de dépenses, des sommes peu moindres que la Taille, &
les compagnies de Fuzeliers ont desolé & deserté la campagne. Ainsi
les subjets de V. M. reduits à la derniere misere, sont hors d’estat de
pouuoir vous secourir, & en mesme temps les plus clairs & liquides
deniers de vostre Espargue sont consumez par les vsures des Partisans.
Il se presente icy aux yeux de toute la France vn monstre prodigieux.
D’Emery, pour se garentir de la recherche & punition de
ses crimes de peculat & dissipation des finances, a fait ses complices
les principaux de la Cour, qui allechez par le gain de quinze pour
cent par an ( & pour vser des termes d’vn Courtisan vsurier, de trente
pour cent à ceux qui approchent les Dieux, c’est à dire les Ministres)
se sont laschement & vilement abandonnez à cét infame crime d’vsure.
L’on ne doit pas s’estonner si plusieurs harpies de la Cour, gens
éleuez de la boüe & de la lie du peuple, commettent des actions conuenables
& proportionnées à leur extraction ; mais qui peut voir, sans
s’estonner & sans gemir, que ceux que leur naissance deuroit esleuer
à des pensées nobles & genereuses, prostituent leur noblesse & leur

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honneur pour l’appetit d’vn gain deshonneste ? Vostre Majesté a entendu
les tres-humbles remonstrances qui luy ont esté faites sur cet
enorme desordre par son Parlement de Paris, qui ayant mis au
iour la dissipation & la volerie commise dans vos Finances, & découuert
la turpitude de ces vsuriers, les a reduits au desespoir ; Car ils
craignent de perdre tout ce qu’ils ont à present dans ces prests, & apprehendent
de ne pouuoir à l’aduenir continuer le brigandage public,
authorisé & exercé par les Ministres, qui ne pouuant iustifier
leur administration, veulent oster aux Magistrats la connoissance de
leurs crimes. C’est la cause de la haine mortelle qu’ils ont conceüe
contre vostre Parlement, auquel, & à vostre bonne ville de Paris, ils
ont fait declarer la guerre par V. M. qu’ils ont malicieusement fait
tomber dans le piege. Quand il luy plaira faire à loisir reflexion sur
le pernicieux conseil auquel elle s’est laissée surprendre, souffrant
que de nuict honteusement & furtiuement l’on l’enleuast auec le
Roy, elle cognoistra que le Cardinal Mazarin & les autres Ministres
ses complices l’ont perfidement trahie. Elle verra clairement &
iusques au fond de l’ame de ceux de son Parlement les bonnes intentions
qu’ils ont eües, en proscriuant par leur Arrest l’autheur de
nos desordres, & l’incendiaire qui veut embrazer ce Royaume par
les feux d’vne guerre ciuile. Elle luy sçaura bon gré quelque iour, &
aux Princes & grands Seigneurs qui se sont rendus chefs des armes
pour faire executer cet Arrest, de ce qu’ils se seront opposez au
cours de la violence & du brigandage public, & de ce qu’ils auront
conserué les veritables interests du Roy & du Royaume contre celuy
des particuliers, qui ont accumulé des richesses prodigieuses
aux dépens de l’Estat, & qui veulent auiourd’huy faire courre risque
au Royaume, & vous obliger de le mettre au hazard de se perdre
pour les conseruer. C’est icy, MADAME, qu’il faut representer à V. M.
ses veritables interests, & les distinguer de ceux du Cardinal
Mazarin & de ses Partisans. La conseruation de la Monarchie est le
seul & vnique interest du Roy ; elle dépend de la bonne correspondance
entre le Souuerain & les subjets ; celle-cy se maintient par
l’obseruation des loix, lors que l’authorité supreme s’employe à
leur faire rendre la justice, & les defendre de l’oppression, & les retenant
dans l’obeïssance, les conserue en sorte qu’ils puissent secourir
l’Estat, & que par leur assistance & concours auec le Prince, ils

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seruent à garentir le Royaume contre les assauts de la mauuaise fortune.
L’interest du Roy consiste à ne point subuertir les anciens ordres,
& à maintenir les loix fondamentales de son Empire, estant
indubitable & infaillible que la Monarchie ayant esté fondée &
subsistant sur ces vieilles maximes, il faut ne s’en point departir pour
la faire durer. Et c’est vne erreur de croire qu’vn Prince legitime &
bien reconnu par ses subjets, releue son authorité en destruisant les
establissemens anciens, qui ont fait subsister ses predecesseurs. Il importe
aussi pour la conseruation de l’authorité Royale d’en bien vser,
& ne la point faire seruir à se destruire soy-mesme. Cette authorité
Royale se maintient principalemẽt en son lustre par le soin qu’apportent
les Magistrats, & sur tout les Parlemens, à la faire reuerer par les
plus grands & plus puissans Seigneurs, aussi-bien que par le peuple :
& leur authorité souueraine, emanée de celle du Roy, regle tous les
differens, assoupit les guerres ciuiles, & tient tous les subjets dans
leur deuoir. Pour expliquer à V. M. la difference de ces veritables
interests de l’authorité Royale & de ceux d’vn vsurpateur, ie luy representeray
icy la forme du gouuernemẽt introduite par le Cardinal
de Richelieu, & les moyens dõt il s’est seruy pour y paruenir, qui sont
les mesmes que ceux que les vsurpateurs ont tousiours employez
pour s’establir, & ruiner l’authorité legitime. Il auoit perdu tout respect
pour les loix diuines & humaines, & par vne nouuelle Theologie
digne du precurseur de l’Antichrist, il auoit par surprise persuade
le Roy defunct de demander vn Bref au Pape Vrbain VIII. par lequel
il luy fust permis sans blesser sa conscience de faire mourir ceux
qu’il croiroit estre coupables, sans les ouyr, & sans aucune forme ny
figure de procez. Le Cardinal de Bagni, bien qu’à regret, le demanda
à sa Saincteté, qui le refusa, déplorant la misere des François
tombez sous la tyrannique domination de ce Cardinal. Tous les ennemis
duquel, & tous ceux qui gemissoient sous son oppression, se
fussent trouuez enueloppez dans le crime, & eussent esté massacrez
dans les cachots & les prisons par les bourreaux domestiques de ce
furieux. Il ne trouuoit rien de si contraire au cours impetueux de
son ambition, que les anciens establissemens de la Monarchie ; c’est
pourquoy il a fait tous ses efforts pour les renuerser, & sur tout l’authorité
des Parlemens luy estoit suspecte, dautant qu’il sçauoit que
ces illustres Compagnies s’estoient tousiours opposées aux vsurpateurs,

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pour conseruer les Rois legitimes. Qu’estans les depositaires
des Ordonnances & des Loix de nos Souuerains, ils auoient aussi
empesché les innouations que les Ministres d’Estat corrompus ont
voulu introduire au prejudice du Roy, de la conseruation de son
Royaume, & de ses subjets. Pour executer son dessein contre les Parlemens,
il s’est seruy de toutes les voyes de faict & de violence que
l’on a veües. Il a traduit au Conseil Priué toutes les affaires, pour
monstrer à tout le monde, & aux Grands principalement, que l’on
pouuoit se passer d’eux, & que c’estoient des corps inutiles ; lequel
pernicieux establissement a renuersé toute la iustice, & a causé de
tres-grandes ruines & desordres entre les subjets du Roy. Il les a interdits,
& est passé iusques à tel excez de fureur que de declarer illegitime
la Regence de la feüe Reyne Mere Marie, ayant par Lettres
patentes publié que le Parlement s’estoit attribué vn pouuoir
qu’il n’auoit pas de la declarer Regente. Vôtre Majesté sçait l’interest
qu’elle a de faire cõdamner telle fausse maxime, contraire à nos loix,
à la iustice, & à ce qui a esté pratiqué. Son intẽtion estoit d’vsurper sur
vous la Regence, & éloigner les Princes de la maison Royale de l’administration
de l’Estat. Neust-il pas l’audace d’en faire exclurre le
premier par acte public enuoyé au Parlement ? Et ce Prince peut-il
s’asseurer qu’il en fust demeuré là, & qu’il ne l’eust point en suite
fait de declarer incapable de la Couronne ? Il a violé la foy publique
autant de fois qu’il a fait contracter le Roy auec ses subjets. Il a diuerty
& volé le fonds du payement des rentes constituées par nos
Rois aux particuliers, qui perdent leur principal & leur reuenu. Il
a rauy les gages de tous les Officiers, & leur a osté la fonction de
leurs charges par des commissions extraordinaires, & comme vn
vsurpateur declaré qui aspire à la souueraineté, il a ruiné les villes
& la campagne, pour demeurer seul la force à la main. Pour
cela aussi s’estoit-il rendu le maistre des places fortes, de l’Artillerie,
des Armes & des Finances. En fin pour ruiner & abbatre
tout ce qui pouuoit s’opposer en France au dessein qu’il auoit d’establir
sur le throsne Royal quelqu’vn de sa posterité, il traicta à Narbonne
auec le Mareschal Hom pour l’entretien d’vne armée de
vingt cinq mille estrangers, dont ce Suedois deuoit estre le General,
& pour l’armement desquels iusques au nombre de trente mille, il
auoit fait vn magazin dans sainct Martin des Champs, dont on a

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trouué les restes en cette derniere occasion. Et ne doutez point,
MADAME, que cet esprit vaste & ambitieux n’ait eu les pensées de
Charles Martel, ayant tant de facilité & de moyens pour l’execution
d’vn tel dessein. Vous pouuez croire asseurement, MADAME,
que le Cardinal de Richelieu a eu cette pensée, ne luy restant que le
titre de la Royauté à vsurper, en ayant desia tout l’effect, & ayant
aneanty & abbatu tous les Princes qui demeuroient denuez de
moyens pour luy resister. Il auroit pratiqué alors le conseil qu’il
auoit voulu donner à Monsieur l’Electeur de Saxe en l’année 1630.
qui fut reietté par ce Prince sagement & genereusement. V. M. ie
m’asseure, n’aura pas desagreable d’entendre quelle estoit cette proposition.
Le Cardinal de Richelieu enuoya le Marquis de Feuquieres,
allié du Pere Ioseph, vers ce Prince, pour negotier auec luy, &
dans l’instruction qui luy donna l’vn des principaux poincts estoit,
de persuader à Monsieur l’Electeur, qu’il ne comparust point à la
Diete de Ratisbonne, & qu’il empeschast par ce moyen l’Election
du Roy des Romains ; qu’il deuoit pretendre à se faire Roy de Germanie,
abolissant le tiltre & la qualité d’Empereur, & ruinant la
maison d’Austriche ; & que pour luy rendre facile l’execution d’vn
si haut dessein, le Roy, dont il cognoissoit les forces, l’aideroit
puissamment à le rendre maistre absolu de l’Allemagne, & à cette
fin l’assisteroit pour ruiner tous les Princes, & les anciens establissemens
de l’Empire. L’Electeur receut cette proposition chimerique
auec des ressentimens d’indignation, & il dit au Marquis de Feuquieres
qu’il ne croiroit iamais que le Roy en fust l’autheur, veu
qu’elle estoit si detestable, & que certainement elle ne pouuoit venir
que de ce meschant & scelerat Cardinal de Richelieu. Qu’il estoit
si esloigné de penser à aucune innouation des anciens establissemens
qui sont dans l’Empire, qu’il auoit tousiours detesté Iules Cæsar, qui
auoit renuersé l’Estat de la Republ que Romaine, & tyrannisé sa
patrie. Qu’il vouloit employer tous ses soins pour la manutention
de l’Estat Politique estably depuis tant d’années, & qui duroit iusques
alors. Qu’il sçauoit bien que telles innouations ne pouuoient
se faire sans la totale ruine de tous les membres de l’Empire, dont
il estoit l’vn des principaux, & qu’il se contentoit d’estre ce que Dieu
l’auoit fait naistre. Il adiousta, transporté de colere & d’indignation,
que sans estre Roy de Germanie il s’estimoit autant que le Roy de

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France, dautant qu’il pouuoit estre Empereur. Qui peut douter,
MADAME, que le Cardinal de Richelieu ayant renuersé tous les
ordres, & ruiné toutes les maximes fondamentales du gouuernement
de cet Estat ; n’ait eû le dessein de bastir sur ces ruines vne nouuelle
domination, d’vsurper la Royauté, & de la transmettre aux
siens ? Ainsi, MADAME, les Ministres de la qualité du feu Cardinal
de Richelieu, vsurpateur de l’authorité Royale, veritable autheur
de nos desordres & confusions, & son imitateur le Cardinal Mazarin,
trop foible en esprit & en moyens pour perpetuer la tyrannie de
son Maistre, ont des interests entierement opposez & contraires à
ceux du Prince & de sa conseruation. Ils sont vsurpateurs de cette
authorité, & comme tels, pour regner selon leur passion, ils veulent
renuerser tous les anciens ordres de l’Estat. Ils s’efforcent d’abbatre
les principaux soustiens de l’authorité Royale, qui sont les Parlemens.
Ils veulent ruiner ceux qu’ils soupçonnent de ne pas fauoriser
leurs desseins, & ne le pouuant legitimement faire ny de droict, ils
subuertissent les formes ordinaires de la iustice, ils introduisent vne
nouuelle iurisprudence, pour rauir impunément les biens du public
& des particuliers. Contre les Loix & les Ordonnances ils retiennent
les innocens plusieurs années prisonniers, leurs passions & leurs
caprices sont les seules loix qu’ils veulent establir. Pour toucher
quelques poincts des affaires presentes, ie diray franchement & auec
respect à V. M. que ce n’est pas l’interest du Roy d’auoir au grand
preiudice de ses Finances racheté des rentes pour plusieurs millions
au denier quatorze, qui ont esté acquises au denier trois des pauures
particuliers par des gens puissans en authorité, & qui ont receu des
deniers du Roy le quintuple & plus du prix de leur achat. Si le
Cardinal eust eu de la probité, & de l’affection au bien du Roy & de
son Royaume, & qu’il eust esté capable d’affaires, il auroit fait tourner
au profit de sa Majesté ces remboursemens de rentes, qui ont
causé vn preiudice tres-notable aux affaires de l’Estat. Les vsures
illegitimes & damnables qui ont reduit les subjects du Roy à mendicité,
& ont espuisé ses finances, sont-elles vtiles à la manutention
de l’authorité Royale ? & pour maintenir ceux qui les ont exercées,
voudroit-on faire la guerre ? Ce n’est point exalter l’authorité du
Roy que de traduire des accusez d’vn Parlement à des Commissaires,
n’y d’en choisir pour faire leurs procez ; ç’a esté pour establir celle

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du Cardinal de Richelieu, qui vouloit les faire perir par les suffrages
de Iuges choisis à sa poste. Et depuis peu la déreglée & mauuaise
procedure tenuë contre Monsieur le Mareschal de la Mothe-Houdancourt
n’estoit à autre fin, que pour satisfaire à la passion de vengeance
du Cardinal & de ses creatures & partisans, & non pour conseruer
l’authorite Royale. Les illusions continuelles qui se font à la
iustice dans le Conseil priué, d’où il sort sur vne mesme affaire deux
Arrests differens du soir au matin, ne fortifient point l’authorité du
Prince, ouy bien celle que le Chancelier veut iniquement vsurper,
qui pour son interest particulier, & pour s’agrandir à la foule & oppression
des subjects du Roy, abuse des euocations, retient au Conseil
la cognoissance d’affaires entre particuliers, qui de droict appartient
aux compagnies reglées. D’vne compagnie illustre, autrefois
composée de ceux qui auoient esté employez dans les Ambassades,
& aux affaires les plus importantes au dedans & au dehors, il en a
faict vne cohuë, dans laquelle il a admis toutes sortes de gens, iusques
à ses Academistes. De cette sorte il a auili vne qualité que nos
Roys donnoient pour de grandes recompenses. Distinguez, s’il vous
plaist, MADAME, les interests du Cardinal Mazarin, du Chancelier,
& de tous les vsuriers Partisans qui obsedent V. M. d’auec ceux du
Roy vostre fils. Ne perdez pas son Royaume pour vouloir sauuer par
l’authorité Royale ceux qui en abusant iournellement la ruinent,
Considerez vos propres interests, & que V. M. ne demeure point
ferme dans la resolution de retenir le Cardinal Mazarin, quand mesme
il auroit bien seruy, & fait le contraire de ce que nous sçauons. Il
est non seulement inutile à V. M. mais tres-nuisible. Il ne dépend
plus d’elle, mais de Monsieur le Prince, qui a entrepris sa protection
pour se rẽdre le Maistre de toute la Cour, & qui chassera le Cardinal
lors que son interest le voudra. Cependant ce Ministre sera obligé de
consentir à toutes ses pretentions & demandes, & V. M. sera forcée
de s’y accommoder. Vous sçauez que l’esprit actif & ambitieux d’vn
grand Prince peut se proposer de grandes choses, & que le desir de
commander fait faire d’estranges projects. Le plus grand honneur
que V. M. peut remporter de sa Regence, & le plus asseuré establissement
qu’elle puisse faire pour sa manutention, est de rendre le
Royaume entier & en paix au Roy son fils. Que V. M. ne donne
point su jet à ceux qui l’approcheront apres sa majorité de luy rendre

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de mauuais offices, ny des pretextes d’aliener son esprit de vous ;
ce qu’ils pourroient faire, luy monstrant que V. M. a eu les interests
de ses seruiteurs infideles en plus grande recommandation que les
siens propres & de son Royaume. Pensez serieusement, MADAME,
aux reproches que le Roy pourroit vous faire estant majeur, si pour
soustenir vn homme detesté de tout le monde, vous donnez commencement
à la ruine de la Monarchie. Iettez encore les yeux,
MADAME, sur les presents deportemens du Cardinal, & V. M. découurira
que cette guerre ne se fait point pour la conseruation de la
Majesté Royale, mais pour la personne de cet homme desesperé, &
pour faire subsister les restes de la faction du Cardinal de Richelieu,
puis que les principaux postes d’autour de cette ville sont commis à
la garde de ceux qui ont esté ses esclaues, ou qui se sont engagez par
alliance dans ses interests. Il se confie seulement aux Italiens, Polonnois,
& Allemans, qui ruinent l’heritage du Roy, & il esloigne
les François, ausquels, & auec raison, il ne peut prendre confiance,
estant vray semblable que la patience de la meilleure & plus saine
partie de ceux qui iusques icy l’ont suiuy, se conuertira en fureur
contre luy, ne pouuans sans blesser leur conscience consentir plus
long temps à la ruine de leur patrie pour les interests particuliers
d’vn si pernicieux homme. Au reste, MADAME, la guere ciuile
dans laquelle nous nous engageons insensiblement, n’est plus la querelle
particuliere du Parlement & de la ville de Paris ; elle est commune
à tous les Parlemens du Royaume, à tous les peuples, & à
la plus grande partie des Princes & grands Seigneurs. Si V. M. neglige
d’esteindre ce feu dans sa naissance, il ne sera plus en son pouuoir
de l’estouffer. Il suruiendra cent accidens qui à la verité feront changer
de face à cette affaire, mais qui la perpetueront. Il est encore au
pouuoir de V. M. de preuenir tant de malheurs & de desastres ; & en
retenant la violence & l’effort du mauuais genie qui s’efforce de ruiner
cette Monarchie, vous rendrez vostre Regence d’autant plus illustre,
que par vn coup de prudence extraordinaire V. M. monstrera
qu’elle est la plus digne Regente qui ait encores gouuerné cet Estat.
Que V. M. ne se laisse point surprendre aux fausses relations des flatteurs,
qui n’ayant plus de resource qu’en la ruine & bouleversement
du Royaume, luy representent les choses tout autrement qu’elles
ne sont, afin de l’embarrasser dans vne funeste guerre. Les Princes,

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les Parlemens, les grands Seigneurs, & les peuples sont vnis & en
bonne intelligence & concorde. Paris est en estat de se defendre contre
l’armée des vsuriers Partisans, & leur Generalissime le Cardinal
Mazarin. Nostre defense est iuste & legitime ; nous demandons
nostre Roy que l’on nous a rauy de nuict, & nous sommes armez pour
sa conseruation & celle de son authorité. V. M. ne void-elle pas les
precipices qui l’enuironnent, & dans l’abysme desquels elle ne peut
éuiter de tomber, si elle ne retourne dans le chemin d’vne bonne &
seure pacification ? Nous sommes en guerre ouuerte auec les estrangers,
ausquels nos diuisions ouuriront les portes de vos villes, &
l’entrée de vos Prouinces, V. M. doit auoir l’affection de mere pour
le Roy, & de Reyne Regente pour l’Estat ; elle est obligée d’abandonner
toutes les autres choses pour celles-cy. Nous ne pouuons
croire que V. M. voulust suiure les abominables Conseils que l’on
nous asseure auoir esté pris par le Cardinal Mazarin, & que pour
ruiner l’heritage du Roy vostre fils, vous eussiez la pensée d’abandonner
aux ennemis les aduantages que nous auons remportez sur
eux au prix de tant de sang & d’argent. Nous estimõs V. M. trop bonne
& pieuse mere & sage Reyne, pour croire qu’elle soit susceptible
de telles impressions & si funestes conseils, ny qu’elle voulust faire
perdre au Roy par vn infame traicté ce que l’on a pû conseruer par
vne paix honorable à la France. Il n’y a qu’vn moyen de restablir les
choses ; Que V. M. renuoye le Cardinal Mazarin en Italie, où il a
fait transporter plusieurs millions de vos Finances, & de celles de
vos peuples ; qu’il ioüisse des delices & des voluptez aux despens
de la France, de laquelle il a tant tiré de sang & de larmes pendant
son ministere. Qu’elle s’establisse vn conseil de personnes experimentées,
vertueuses & genereuses, esloignées de l’auarice & de
la rapacité ; non violentes, mais fermes pour prendre des deliberations
salutaires à l’Estat. Qu’ils soient hommes plus attachez aux interests
du Royaume, qu’aux leurs propres. Qu’elle banisse de la
Cour & du Conseil le nom & la fonction de premier, ou plustost
vnique ministre ; veu que c’est vn establissement qui conduit à la tyrannie,
qui ouure le chemin aux vsurpateurs, & qui a déthrosné la
premiere race de nos Roys, les premiers & vniques ministres ayant
esté suiuis par les peuples, & esleuez à la Royauté à cause de la nonchalance
des Princes. Qu’elle extermine de la Cour cette race de

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gens qui y fomentent la corruption. La Politique du Cardinal de
Richelieu (autant vtile à la verité à vn vsurpateur, que pernicieuse
à vn Prince legitime) & de toute sa faction qui a reduit les choses en
ce malheureux estat, doit estre abolie, & sa memoire condamnée. La
France ne manque pas de subjets capables, quoy que publient les
Disciples & Partisans du Cardinal de Richelieu, qui accoustumez à
tyranniser vos peuples voudroient perpetuer leur regne. Ces gens-là
nourris dans les maximes corrompuës de leur maistre, n’apprehendent
rien plus que de voir dans vostre conseil & dans le maniement
des affaires des hommes de vertu & de probité, & qui soient
vrayement genereux. Qu’il plaise à la diuine Bonté, MADAME, illuminer
V. M. par les rayons d’vn saincte inspiration, & recompenser
sa pieté & deuotion en la confirmant dans vn bon & ferme propos
de remedier à nos desordres, afin que vostre Regence reüssisse glorieuse
& triomphante. Ce sont les souhaits de celuy qui est,

 

MADAME,

De Vostre Majesté le tres-humble, & tres-obeïssant
subjet & seruiteur, LE SOLITAIRE.

Du Desert, le 1.
Fevrier 1649.

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Le Solitaire [signé] = Arnauld d'Andilly, Robert [?] [1649], ADVIS D’ESTAT A LA REYNE, Sur le gouuernement de sa Regence. , françaisRéférence RIM : M0_498. Cote locale : A_2_16.