Anonyme [1652 [?]], LA DISCVSSION DES QVATRE CONTROVERSES POLITIQVES. I. Si la puissance des Roys est de droict Diuin, & si elle est absoluë. II. Si les Roys sont par dessus les Loix. III. Si les Peuples ou Estats Generaux ont pouuoir de regler leur Puissance. IV. Si dans l’Estat où se trouuent maintenant les affaires, on peut faire vn Regent ou Lieutenant pour le Roy. , français, latinRéférence RIM : M0_1154. Cote locale : B_2_32.
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LA
DISCVSSION
DES QVATRE
CONTROVERSES
POLITIQVES.

I. Si la puissance des Roys est de droict Diuin, &
si elle est absoluë.

II. Si les Roys sont par dessus les Loix.

III. Si les Peuples ou Estats Generaux ont pouuoir de
regler leur Puissance.

IV. Si dans l’Estat où se trouuent maintenant les affaires,
on peut faire vn Regent ou Lieutenant pour
le Roy.

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LA
DISCVSSION
DES IV. CONTROVERSES
POLITIQVES.

I. Si la puissance des Roys est de droict Diuin, & si
elle est absoluë.

II. Si les Roys sont par dessus les Loix.

III. Si les Peuples ou Estats Generaux ont pouuoir
de Regler leur puissance.

IV. Si dans l’Estat ou se trouuent maintenant les affaires
on peut faire vn Regent ou Lieutenant pour
le Roy.

C’EST vne maxime tirée d’Aristore, que
celuy qui manque aux Principes est incapable
de receuoir aucune instruction, & mesme si
l’ont vient à se fouruoyer tant soit peu de ces veritez
fondamentales, on se trouue par aptes engagé
dans des grandes erreurs. Paruus error in principio

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est magnus in fine. Il y a veritablement dans les
sciences speculatiues plusieurs principes qui sont
generalement receus de tous les hommes qui peuuent
raisonner, comme que le tout est plus grand
que sa partie, qu’on peut dire de chaque chose
qu’elle est ou qu’elle n’est pas. La nature a planté
disent les Philosophes dans nos entendemens l’habitude
des premiers Principes, par laquelle il est
porté par vn instinct secret, à embrasser ces veritez
des aussi-tost qu’elles viennent à paroistre par
l’exposition des termes qui les couuroient comme
vn voile transparent, & bien delié. Mais dans
les sciences practiques, on ne trouue point tant
de ceruitude en leurs principes, à raison
que ces veritez ne sont pas si detachcées de la matiere
& dans la Politiques vn chacun s’attache à son
interest. Nous iugeons, dit Aristore, de la fin selon
que nous sommes disposez enuers-elle, qualis
vnusquisque est talis finis & videtur ej.

 

Par Exemple, si l’on met en controuerses quel
de trois Gouuernements legitimes est le meilleur,
où le Monarchique ou l’Aristocratique, ou le Democratique,
il n’y a point de doute que ceux qui
auront receu des faueurs de leur Prince, maintiendrõt
que l’Estat Monarchique est sans comparaison
le plus Noble, & ceux qui se trouueront dans
vn Senat posseder la dignité de Senateur, diront

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que l’Aristocratie qui donne le Gouuernement
aux plus sages & aux plus puissans est meilleure. Et
les Citoyens qui se trouueront libres comme de
Roys, diront qu’ils ne voudroient point changer
leur forme de Gouuernement pour vn autre. Ie
ne veux point icy traitter cette question, & quelque
desordre qui se trouue maintenant dans l’Estat ;
i’estime neantmoins que tous les Francois
en desirent la continuation, & en esperent la perpetuité,
& comme dit vn certain qui le descrie plus
que tous les autres ; il ne nous seroit pas moins penible
de nous laisser arracher le cœur que l’amour de la
Royauté

 

I. Mais la These que nous mettons en auant
est, si la Royauté est de droict Diuin. Sur quoy
nous auons à dire, à ceux qui ne se veulent pas mettre
en peine de toutes ces distinctions de droict,
qu’elle est de droict Canon, ce que ie preuue par
ces paroles qui se lisent sur les plus gros qui sont
dans l’Arsenal de Paris, ratio vltima regum. Mais
pour contenter les curieux, entre lesquels ils s’en
peust rencontrer de sçauans, ie diray que le droict
diuin se doit diuiser en droict diuin naturel, &
en droict diuin positif. I’appelle droict diuin naturel
celuy qui est émané de la nature des choses diuines
sans qu’il faille aucune institution expresse ;
comme par exemple, tout homme doit croire

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qu’il y a vn Dieu, & luy doit rendre honneur & hõmage,
le reconnoissant pour son principe & pour
sa dernier fin. I’appelle droict diuin positif, vn
droict lequel est fondé sur vne institutiõ expresse,
de laquelle Dieu est l’autheur, nous ayant fait connoistre
sa volõté par ses ministres, tels qu’ont esté
les Prophetes & les Apostres. Ainsi les ordõnances
qui sont dans le vieil & nouueau Testament touchant
la Religion, sont de droict diuin positif.

 

Cela estant supposé pour l’esclaircissement de
cette matiere. Ie dis que mettant en controuerse si
la Royauté est de droict diuin naturel ou positif
commencant par le dernier, nous deuons dire que
tous les Roys qui sont maintenant sur la terre, pretendent
auoir cette aduantage que leur authorité
soit de droict diuin positif. Le grand Seigneur
mesme se qualifie N. par la grace de Dieu, par les
Miracles de son Prophete Mahomet, & par son
espée inuincible, Roy des Roys, Seign. des Seign.
&c. Mais n’en desplaise aux puissances Souuerines,
s’il m’estoit permis de dire mon sentiment sur ce
suject, i’aduancerois qu’il n’y à maintenant sous le
Ciel aucun Royaume qui se puisse venter d’estre
de droit diuin positif. Ce priuilege n’a esté donné
qu’au Royaume d’Isaël, lequel Dieu a institué
apres auoir remonstré au Peuple par Samuël son
Prophete, la faute qu’ils auoit fait de demander vn

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Roy, l’Eternel, dit l’Escriture. 1. reg. 8. dit à Samuël
obey à la voix du Peuple en tout ce qu’ils te diront : car
ils ne t’ont point rejetté, mais ils m’ont rejetté afin que
ie ne regne point sur eux : toutesfois ne fais faute de leur
protester & declarer comment le Roy qui regnera sur
eux les traittera, &c.

 

En establissant le Royaume d’Israël, Dieu n’approuue
point l’intention du Peuple, laquelle il
condamne & dit qu’ils ont adiousté à leurs pechez
celuy là d’auoir demandé vn Roy, mais il les veut
rendre du tout inexcusables, se seruant mesme par
sa sagesse incomprehensible de cette occasiõ pour
establir le Royaume qu’il auoit promis à Abrahã,
Gen. 17. lequel deuoit estre le type ou la figure du
Royaume de Iesus Christ, & pour vous monstrer
que la Royauté n’a esté establie en Israël, que pour
estre la figure de celle de Iesus-Christ, & pour
rendre sa naissance temporelle plus illustre venant
de la race des Roys : ie n’ay qu’à vous representer
que Iesus estant venu au monde, il n’y a eu plus de
Roys legitimes en Israël. Ceux à qui il est permis
de lire l’Escriture pourront voir dans le mesme
ch. de Samuël, que ce qui porta le Peuple d’Israël à
demander vn Roy, fut que les Enfans de Samuël
qui auoient esté establis pour Iuges apres luy, se
destournoient apres le gain des honneste & prenoient
des dons & peruertissoient le droict.

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Que diroient maintenant ces Israëlites de nostre
Gouuernement, auquel ceux qui dispensent la Iustice,
ne prennent pas quelque don en cachette,
mais en font vn traficq ouuert, vendent en detail
ce qu’ils ont achepté en gros. L’Empereur Antonin,
surnommé le Pieux ou debonnaire, ne voulut
iamais receuoir de l’argent des Offices de Iudicare,
adjoustant que si l’on acheptoit de luy la Iustice,
on la pourroit vendre auec droict à ses sujects,
Emit quod quis enim vendere Iure potest.

Il doit donc demeurer pour constant que hormis
la Royauté d’Israël, les autres puissances Souueraines
ne sont point de droict diuin positif, c’est
à dire que leur institution ne se trouue point dans
le vieil ou nouueau Testament. Mais quand au
droict diuin naturel, il faut encore voir les sentiments
des Docteurs. Ceux qui disent que la dominatiõ
& prelature ont esté introduites par le droict
humain, tiennent asseurement que la Royauté n’est
pas de droict Diuin, car la Royauté est contenuë
sous la domination & prelature comme l’espece
sous le genre. Or non seulement plusieurs grands
Docteurs sont de cét aduis, comme le Cardinal
Bellarmin au liure contre Barklay le Pere Armoux
Binet & autres, Mais le Prince des Scholastiques
le Docteur Angelique 2. 2. q. 10. a. 10. disant, dominium
& prælatio introducta sunt iure humano.

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& q. 13. a 2. dominium introductum est iure gentium
quod est humanum. Outre l’authorité de ces Docteurs,
il faut peser les raisons qui peuuẽt appuyer
cette opinion qui sont. I. que le premier Roy qui
s’est esleué au monde fut Nembrod, lequel fut vn
grand chasseur & selon quelques interpretes sur le
Ch. 11. du genese vn grand voleur, lequel n’a
point receu sa vocation de Dieu, mais plustost du
diable, lequel est appellé dans l’Escriture le Prince
du Monde, & qui fit voir au Fils de Dieu tous
les Royaumes de la terre, & luy promit de le faire
Empereur s’il l’eust voulu adorer. 3. la plus part des
Empires & Royaumes, voire tous sont venus de
conqueste, vne nation ayant inondé l’autre ou vn
Prince picqué d’ambition ayant meu vne querelle
injuste à son voisin. Ainsi la premiere Monarchie
des Assyriens fut establie par Ninus, lequel comme
dit Iustin s’auisa de troubler le repos des hommes,
aucun ne songeoit à la guerre, & luy ayant
leué vne puissante armée surprit la Lybie, l’Assirie,
& mit le Siege de son Empire dans Babylonne
Sardanapale fut le dernier qui tint la Monarchie,
laquelle fut trans-ferée aux Medes, & des Medes
aux Perses, des Perses aux Macedoniens, par Alexandre
le grand, & enfin de Grecs aux Romains.
La plus part des Roys qui sont maintenant dans
l’Europe, ont vsurpé leurs Royaumes sur l’Empire

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Romain, ce n’est pas qu’ils vueillent dire que
leur possession ne soit aussi legitime que celle des
autres.

 

3. Il alleguent que les Empereurs & les Roys
ne sont esleués sur leurs Trosnes que par deux
voyes, par les degrés de la succession Hereditaire
ou par ceux de l’Election, qu’il n’y a point de reuelatiõ
en toute l’Escriture qui oblige vne nation
à suiure le Gouuernement Monarchique non plus
que l’Aristocratique ou Democratique, c’est pourquoy
ils se trouuent tous trois parmy les Chrestiens.

Mais nonobstant l’authorité & les raisons de ces
Docteurs, moy qui ne suis qu’vn Maistre d’Escole,
soustiens icy en faueur des Roys, que l’authorité
Royalle formaliter est de droict diuin naturel.
Ie le preuue la Royauté formaliter entant qu’oppoée
à la Tyrannie, est vne authorité souuerains
de dispenser les recompenses & les chastimens selon
le merite ou le demerite de ceux qui viuẽt dãs
vne mesme societé ciuile, laquelle authorité souueraine
reside dans vn seul. Or il est de droict diuin
naturel qu’il se trouue vne telle authorité souueraine,
ergo. La Majeure de mon argument est
cuidente puis que c’est la difinition du suject. La
Mineure se peut demonstrer ainsi.

Dieu estant l’autheur de toutes choses, & fin

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gulierement ayant creé l’homme à son Image &
semblance, la propagation du Genre humain, & la
societé ciuile sont des choses Diuines, Homo, dit
Aristote, natura est animal Politicum, l’homme de
sa nature, & par consequent diuinement s’il faut
ainsi parler pour me faire mieux entendre, est vn
animal sociable : Si donc la societé ciuile est diuine,
ce qui est necessaire pour l’entretien, est de
droict Diuin naturel, selon cette maxime des Physiciens.
naiura non dessicit in necessaris nec abundat in
super fluis.

 

Or pour entretenir cette societé ciuile, il est
necessaire qu’il y ait vne authorité Souueraine qui
reside dans quelque membre de cette societé pour
s’opposer à ce qui la veut rompre. Et ainsi pour
entretenir la societé ciuile, qui subsiste par la vie,
par les biens, & par l’honneur de ceux qui sont dãs
cette societé ; il faut qu’il y ait vne puissance Souueraine,
qui puisse faire perdre la vie, le bien &
l’honneur de ceux qui transgressent les Loix de
cette societé. Il demeure donc euident que cette
Auth. Souueraine est de droict Diuin, que si vous
adioustez à ce discours, que cette mesme Authorité
deuient Royalle quand elle reside dãs vn seul
Aristocratique quand elle se trouue en plusieurs,
& Democratique quand elle demeure en tout le
corps de la societé, vous serez entierement persuadé

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que l’authorité Royalle, formaliter est de droict
diuin naturel.

 

Pour accorder donc tous les deux partis, vous
pouuez vser de ces deux distinction de droict diuin
naturel & positif. Et de la Royauté selon sa forme
& ce qui luy est essentiel & selon sa matiere &
ce qui luy est accidentel, & ainsi vous respondrez
à l’authorité & au raisons sus alleguees & de mesme
à ceux qui vous apporteront des tesmoignages
ae l’Escriture, par lesquels Dieu nous commande
d’obeyr aux puissances Souueraines, cela se doit
expliquer de cette authorité souueraine qui dispense
auec Iustice les recompenses & les chastimens.
Ainsi les plus meschans Monarques comme
Neron & ses semblables auoient droict d’exiger
l’obeïssance de leurs subjects quand ils leur commandoient
d’obeyr aux Loix Romaines, & S. Paul
mesme dit qu’on y estoit obligé pour la conscience
& par consequent la chose commandée deuoit
estre iuste. Car d’obliger les hommes à faire vn
commandemẽt iniuste, & de faire croire que Dieu
l’y oblige, c’est faire Dieu complice de nos crimece
qui ne se peut penser sans sacrilege. Voyla pour
nostre premiere Controuerse.

Quand à la deuxiesme qui regarde la force de
la puissance Royalle dans laquelle on demande si
elle est absoluë & par dessus les Loix. I’ay à dire

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que l’authorité Royalle estant Souueraine elle est
absoluë, & qu’estant absoluë, elle est par dessus les
Loix. Ie parle icy de la Royauté formaliter. Ie veux
dire que le Monarque a vne puissance souueraine
& absoluë sur la vie, & sur les biens de ses sujects,
pour la conseruation de l’Estat, c’est à dire de la
societé ciuile. Ie ne veux pas dire que les Roys
ayent aucun legitime pouuoir sur la vie ou sur les
biens de leurs sujects hors le bien de l’Estat. Le
domaine arbitraite ne peust estre legitime, que sur
les bestes, aussi les serfs & les esclaues ne sõt point
sensez hommes par les Iurisconsultes, & cette sentence
d’Aristote, qui ne donne la domation qu’à
la Loy & à la raison, doit estre la deuise des honnestes
gens, Iustum est legem dominari non hominem.
La Royauté ne laisse pas d’estre absoluë, puis
qu’elle n’a aucune authorité par dessus elle, & les
volõtez du Monarque sont souueraines lors qu’elles
ont pour principe la raison & non les passions.
Quand ie dis que l’authorité Royale est vne puissance
absoluë, ie n’entend pas qu’elle soit tellement
detachée qu’elle n’aye aucun esgard, mais
ie veux dire qu’elle ne depend point d’vne autre,
quoy qu’elle ait vn esgard au bien de l’Estat qui
luy est essentiel. Ie parle aux Doctes & dis que
l’estre de la Royauté estant relatif & le terme de sa
relation estant le bien & la felicité des sujets, cette

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Souueraineté ne peust estre dispensee de l’esgard
qui la constituë : aussi les Politiques voulant definir
le Roy, disent que c’est celuy qui se sert de l’authorité
Souueraine pour le bien commun, c’est à dire
de tous les sujects, & le Tyran au contraire, celuy
qui s’en sert pour son bien propre ou pour le bien
de quelque particuliers. Nostre Louys XII auoit
apris du Ciel cette haute sagesse, qui luy fit respondre
à ceux qui luy donnoient conseil de leuer
de l’argent sur le Peuple pour suruenir aux frais de
la guerre qu’il deuoit faire pour recouurer le Royaume
de Naples. Mes Sujects, dit-il, ont bien affaire
que nous allions despenser leur bien pour acquerir ce
Royaume ?

 

Comme donc le caractere de la Tyrannie est
de ne chercher que le bien du Tyran, c’est à dire
de detacher ses interests de ceux du publiq, aussi
la Royauté les a communs & pour le soustien de
l’Estat, le Monarque a vne puissance absoluë sur
les biens & sur la vie des sujects. Ainsi nos vies &
nos biens sont au Roy Non qu’il en puisse disposer
comme bon luy semble ; mais pour le bien de
l’Estat, c’est à dire pour le bien de ceux qui ont
leurs vies & leurs biens entre ses mains puis qu’ils
composent cét Estat. Ainsi les Roys qui abusent
de leurs puissance se rendent criminels aussi bien
que les autres hommes. Dauid a esté vn meurtrier

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& adultere, ayant soüillé la couche d’Vrie & l’ayãt
fait exposer par loab au siege de Rabba pour le
faire tuër par les Assiegez. Certes si la vie & les
biens d’Vrie, suject de Dauid, eussent esté au Roy,
le Roy n’auroit esté n’y meurtrier n’y adultere. Et
ceux qui alleguent ces paroles du Pseaume de sa
Penitence, Tibi soli peccaui, les expliquant comme
si Dauid n’auoit offensé que Dieu seul, & non pas
Vrie, & les Israëlites se trompent dans leur exposition.
Le pecheur veritablement repentant n’extenuë
iamais son crime deuant Dieu, parce qu’il le
considere comme Pere plein de Misericorde, &
non comme Iuge. Ainsi ces paroles de Dauid, Tibi
soli peccaui, doiuent estre entenduës comme Agrauant
son peché, & non pas le diminuant, comme
s’il vouloit dire, les crimes que i’ay commis sont en
tous esgards des sacrileges.

 

Achab veut auoir la Vigne de Naboth, qui
ioignoit sa Maison Royale pour en faire vn Iardin.
Ie t’en bailleray, dit le Roy, vne meilleure, ou s’il te
semble mieux, ie te bailleray de l’argent autant qu’elle
vaut, mais Naboth respondit à Achab, Ia n’aduienne
de par l’Eternel que ie te baille l’heritage de mes Peres ;
le Roy demeure si fasché de ce refus, qu’il ne voulut
point manger. Mais sa femme Izebel luy dit, leue toy,
mange, ie te bailleray la vigne de Naboth Israelite, serois
tu maintenant Roy sur Israel ? Voylà Izebel qui

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pretend que ce soit vn droict de la Couronne de
pouuoir entrer en possessiõ de la vigne de Naboth :
Elle fait lapider ce pauure Innocent par les Anciẽs,
les Magistrats & le Peuple, ayant escrit des Lettres
au nom du Roy, seellees de son Cachet ou de son
Sceau. Mais le Prophete Elie fit entendre à Achab
& à Izebel, que tout ainsi que les chiens auoient
leché le sang de Naboth, ils lecheroient le leur propre,
& que Dieu racleroit du tout & retrancheroit
ce qui appartient à Achab.

 

Outre ces exemples tirez de l’Escriture, qui
nous sert de Reigle de nostre Foy, ie pourrois en
alleguer de l’Histoire Romaine, ou nous voyons
que la Puissance des Empereurs, quelque absoluë
ou Souueraine qu’elle fur, neantmoins elle ne regardoit
que le bien de la Republique. Trajan establissant
le General de ses Armées, lui dit en lui
donnant son espée, Ie te la mets entre les mains
afin que tu t’en serues pour moy tandis que ie procureray
la gloire des Romains, & contre moy si ie fais contre
la Republique. Pline aussi remarque dans le Panegyre
de cét Empereur, qu’il auoit commis au Senat
le iugement des causes qui se leueroient entre
lui & les sujets, & que le plus souuent il les perdoit,
& apres tesmoignoit de la ioye de les auoir
perduës.

Ce fut vne action lasche de Philippes II. Roy

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d’Espagne, d’auoir supprimé la Iustice d’Arragon,
ayant fait decoller dans son Carrosse Dom Pedro
de Lanusa, President de ce Parlement, il fit mettre
au bas de sa Statuë, Allano Arragon, comme si c’estoit
la plus belle action de sa vie : mais cette inscription
pourroit bien renuerser ses Statuts. Ses
Successeurs ont perdu le Portugal & le Comté de
Roussillon, parce qu’ils ont voulu traitter les sujets
en esclaues, & qu’ils vouloient introduire ce desordre
parmy les gens de Guerre, de viure par tout à
discretion.

 

II. De la Discussion de cette controuerse, nous
pouuons tirer aisément la Decision de la suiuante,
dans laquelle il est demandé si la Royauté est au
dessus des Loix. A quoy ie responds que la Royauté
estant vne puissance Souueraine, ayant pour fin
& pour object le bien de l’Estat, ie dis qu’elle est
par dessus les Loix, estant attachée à la premiere
Loy, qui est le salut du Public, comme il est dit
dans les douze Tables, Salus populi suprema lex. Ie
sçay bien que les plus sages Empereurs ont fait
gloire d’obeïr aux Loix. Gloriosius est, disoit Antonin,
legibus obedire quam hominibus imperare,
Il est plus glorieux d’obeïr aux Loix que de commander
aux hommes. Mais on peut dire que cette
obeïssance estoit de bien seance, & non pas vn deuoir.
Disons aussi que la Iurisprudence reconnoist

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trois sortes de Loix, dont les vnes sont naturelles
les autres Politiques & Ciuiles, & les autres Penales.
Et que les Roys ne sont point suiects aux
Loix Ciuiles & Penales, mais bien aux Loix naturelles
ou à celles qui concernent le bien de tout
l’Estat en general. La Loy n’estant autre chose
que la raison qui monstre ce que l’on doit faire,
tant sans faut que ce soit affoiblir la Royauté que
de l’assuiettir aux Loix, qu’au contraire c’est autant
outrager le Prince que les suiects, que de maintenir
qu’il n’est Souuerain que lors qu’il est irraisonnable,
& que ceux cy pour estre des bõs suiets
doiuent rendre vne obeissance aueugle, & se laisser
mener comme de bestes. Vn Roy Chrestien ne
peut penser qu’il soit par dessus la Loy de Dieu.
Nous ne voulons point assuiettir sa Maiesté à
d’autres Loix, qu’à celles que Dieu a escript de ses
doigts sur les deux Tables. Nous dirons apres
Sainct Augustin, qu’il fasse tout ce qu’il lui plaira,
& qu’il aime Dieu, Deum ama & fac quod volueris.
Que si cette Theologie n’est pas la bien venuë à
la Cour, & qu’on y reçoiue plustost quelque maxime
d’Estat, disons auec Machiauel, qu’vn Prince
peut faire tout ce qu’il lui plaira, pourueu qu’il ne
despoüille point ses suiets de leurs biens & de leur
honneur, tout lui est permis ; quelque insuffisance
qu’il ait pour le gouuernement, il n’en sera iamais

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depossedé. Mais s’il viole les Loix fondamentales
de son Estat, s’il despoüille ses sujets de leurs biẽs,
son Throne ne sera iamais asseuré. Samuël escriuit
premierement vn Liure, auquel il mit les Loix selon
lesquelles le Royaume d’Israel deuoit estre
gouuerné, & puis il oignit Saul pour Roy, & l’obligea
lui & ses Successeurs de prendre de ces sacrez
Cayers la forme de leur gouuernement.

 

III. Quand à la troisiesme Question, dans laquelle
il est proposé si le peuple ou les Estats generaux
qui le representent sont par dessus le Roy, il
se trouue deux opinions cõtraires, lesquelles nous
tacherons d’accorder, la premiere dit que les Rois
ayant esté ordõnez de Dieu, ou choisis par les peuples,
ou intrus dans le gouuernement pour deffendre
les suiets contre les ennemis & pour leur
administrer la Iustice, ils ne sont que comme les
Officiers de Dieu, ou comme des moyens & des
instrumens pour paruenir à la fin de la societé Ciuile,
qui est de rendre les hommes heureux, & par
ainsi la fin estant par dessus les moyens, il demeure
euident que le Roy est au dessous des peuples, puis
que son authorité regarde leur felicité comme sa
propre fin, ils alleguent encore ces paroles qui se
trouuent dans les plus anciennes Panchartes, où se
trouuent les institutions des Rois, & les Loix fondamentales
des Royaumes, à sçauoir que le Prince

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est plus qu’vn chacun en particulier mais moins
que tous en general. Maior singulis Minor vniuersis.
2. Ils disent que les Roys n’õt esté legitimes qu’apres
qu’ils ont esté receus par le consentement des
Peuples, & que mesme souuent ils ont esté depossedez
par leurs sujects lors qu’ils ont esté trouuez
incapables de Gouuerner. Autremẽt ceux qui sont
maintenãt assis sur le Throsne ne pourroient estre
les legitimes Monarques. Il faut aussi que les Roys
tiennẽt leur puissance ou deux mesmes, c’est à dire
qu’elle ne releue que de leur espée ou des peuples ;
s’ils la tiennent de leur espée, & que la force leur
ait donné cét authorité, les Peuples pretendent
ayant la force d’auoir le mesme droict de les deposseder,
parce que, vim vi repellere licet, & se seruent
aussi de cette Loy, quo quisque erga alterum iure
vtitur eodem & ipse iure vtatur. Quelques-vns
aussi alleguent que quand vn seruiteur contestoit
sa liberté contre son Maistre, les Loix ordõnoient
que pendant le procez il estoit censé libre, & par
ainsi les Peuples estant en contestation de l’authorité
de leur Souuerain, doiuent estre censez pendant
la contestation, comme n’estant point sujects.

 

Neantmoins ie maintiens que le Roy formaliter
est par dessus le Peuple. Ie prends icy l’authorité
Royale, & ses interests non comme opposez

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à ceux du Peuple, car ce n’est plus Royauté lors
qu’il y a de l’opposition où contrarieté de l’vn à
l’autre. Car alors cette Reigle doit venir en pratique,
salus populi suprema lex. Mais ie prends la
Royauté dans son essence, & le Prince comme reuestu
d’vne haute Sagesse, qui le releue par dessus
tous. Le Souuerain donc reuestu des vertus Royalles
doit estre consideré cõme l’ame du corps Politique
qui luy donne l’estre & le mouuement, de
façon que les Estats Generaux n’estãt qu’vn corps
organisé pour ainsi dire ne peuuẽt estre par dessus
le Roy. Mais si le Monarque est d’estitué des vertus
Royalles, & qu’il se trouue dans l’impuissance
de faire sa charge ou qu’il s’en serue sans cause legitime
contre ses sujects, c’est alors aux Princes &
Magistrats ou bien aux Estats Generaux de remedier
à ce deffaut. Ainsi les enfans ont droict d’arrester
la fureur de leur Pere lors qu’il se sert de l’authorité
paternelle pour les ruiner ou pour les destruire.
On ne doit point laisser l’espée entre les
mains d’vn furieux. Aussi plusieurs peuples qui sõt
sous le Gouuernement Monarchique, ont tellement
pourueu à la seureté de leurs Loix qu’ils
n’ont rien à craindre. Le Souuerain ne peut leuer
ny argent ny hommes sans le consentement de
ceux qui ont interest à la conseruation de l’Estat &
auec cela tout est en repos.

 

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IV. Il reste maintenant à conclure tout ce discours
par la Discusion & Decision de la derniere
controuerse, laquelle est & la plus importante & la
plus difficile à resoudre. Selon les Loix & Coustumes
de nostre Royaume, il n’y peut auoir de Regẽt
que dans trois occurrences. La premiere pendant
la Minorité du Roy, le deffaut de l’aage ne lui donnant
que le droict de l’authorité Souueraine, &
l’vsage deuant estre à vn autre qui sçache commãder,
Sapientis est imperare. La seconde est vne maladie
qui priue pour tousiours le Monarque de l’vsage
de la raison, comme il arriua à Charles VI. lequel
allant faire la guerre contre le Duc de Bretagne,
fut surpris d’vne fievre chaude qui le mit au
lict, & lui laissa vne manie qui le rendit incapable
du Gouuernement. La troisiesme est l’esloignement
du Prince ou volontaire, cõme quand Louys
IX. entreprit le voyage de la terre Saincte, ayant
laissé le Gouuernement entre les mains de sa mere
la Royne Blanche, ou inuolontaire, comme durant
la prison du Roy Iean & de François I. Or graces
au bon Dieu, nostre Monarque n’a aucun de ces
trois empeschemens. Il est Majeur, il est sain de
corps & d’esprit, il est au milieu de son Royaume ?
& neantmoins on n’a pas laissé de proposer au Parlement
s’il falloit faire vn Regent ou vn Lieutenãt
de Roy. Cette proposition a esté d’abord rebutée

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Pourquoy ? parce que la pluspart de nos Senateurs
craignent, & les autres sont plus portez pour leur
interest que pour celuy de l’Estat. Ie veux biẽ que
suiuant les Loix ordinaires on ne puisse point faire
de Regent ou de Lieutenant de Roy, mais neantmoins
dãs l’Estat ou nous sommes à present, i’estime
que le salut du public qui est la souueraine Loy
le permet & l’ordonne. La Morale reconnoist outre
la Iustice, l’Epikeje pour reigler les actions humaines
dans des accidens ausquels la Loi n’a point
pourueu. Qui doute que dans le desordre ou se
trouue maintenant l’Estat de la France, que les
Estats ou les Parlemẽs ne puissent créer vn Regent
ou Lieutenant du Roy, puis que sa Maiesté est entre
les mains d’vn Estranger qui luy fait faire la
guerre cõtre ses Princes, ses Magistrats & son Peuple ?
On peut dire qu’il y a de la manie en ceux qui
gouuernent la ieunesse du Roy & qu’ainsi le bien
de l’Estat, le seruice du Roy, la tranquillité publique
semblent donner la Regence ou la Lieutenãce
à S. A. R. qui peut par sa haute sagesse remettre la
France dans son premier esclat, l’authorité du Roy
n’en sera point pour cele diminuée. Les Iurisconsultes
disent que, Iura sunt indiuisa, que les droicts
ne se peuuent pas partager. Et ainsi l’authorité
Royale restera toute entiere dans le Monarque.
Les mesmes Iurisconsultes disent que, is possidet cuius

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nomine possidetur. Celuy là est le seul possesseur
au nom duquel on tient la possession. Tout se faisant
au nom du Roy, sous l’authorité & commandement
du Duc d’Orleans, rien ne se trouuera alteré
quand à l’authorité Souueraine. Mais auant
toutes choses, il faudroit aller retirer d’entre les
mains de ce Sicilien nostre Monarque, faisant mettre
tout Paris en armes, & puis on pouruoiroit au
reste.

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], LA DISCVSSION DES QVATRE CONTROVERSES POLITIQVES. I. Si la puissance des Roys est de droict Diuin, & si elle est absoluë. II. Si les Roys sont par dessus les Loix. III. Si les Peuples ou Estats Generaux ont pouuoir de regler leur Puissance. IV. Si dans l’Estat où se trouuent maintenant les affaires, on peut faire vn Regent ou Lieutenant pour le Roy. , français, latinRéférence RIM : M0_1154. Cote locale : B_2_32.