Anonyme [1649], LA FRANCE A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_1415. Cote locale : C_4_15.
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LA FRANCE
A LA REYNE.

 


REYNE, de qui la pieté
Et la sagesse sans seconde
Ont auec raison merité
Le plus grand Empire du monde,
Voicy la FRANCE à vos genoux,
Cet Estat qui rendoit ialoux
Par sa fortune & par sa gloire,
Les plus redoutables Estats,
Et de qui tous les Potentats
Iadis pour bien regner estudioient l’Histoire.

 

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I’ay pris ce royal vestement,
Où l’on voit les fleurs de lis peintes,
Pour vous parler plus aisément,
Et vous faire entendre mes plaintes :
Car à voir l’extréme pâleur
Qu’vn fatal excez de douleur
Imprime dessus mon visage ;
A voir les fers où ie languis
Sans mouuement que de la rage,
Helas ! qui me prendroit iamais pour qui ie suis ?

 

 


Tout ce qu’on void sous ce manteau
Paré des mains de la Victoire,
Que me sert-il que de fardeau,
Et de funeste estat de gloire ?
Ces nouueaux peuples conquestez ;
Tous ces Chasteaux & ces Citez
Sur tant de si belles riuieres,
Me pourroient donner quelque rang :
Mais que me seruent ces frontieres,
Si pour des fleuues d’eau j’en ay donné de sang ?

 

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Helas ! ie desespererois
Que vous me fussiez pitoyable ;
Mais ie me souuiens qu’autrefois
Vous auez esté miserable ;
Vous pouuez iuger des bienfaits
Par les plaisirs qu’on vous a faits
Vous deliurant d’vne Puissance
Qui traittoit vostre Majesté
Auec autant de violence
Que l’on vous traittera dans la Majorité.

 

 


Qui n’eust asseuré que la mort
De Richelieu l’impitoyable
Ne deust finir le mauuais sort
Dont la rigueur encor m’accable ?
Et qui n’auroit dit que l’Estat
De nostre ieune Potentat,
Au lieu d’vn theatre de guerre,
Ne deuroit estre desormais
Que les delices de la terre,
Et le Temple sacré d’vne immortelle Paix !

 

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Mais loin de gouster ces douceurs
Que la Paix cause sur la terre ;
I’esprouue toutes les rigueurs
De la famine & de la guerre :
Toutefois ce n’est pas malheur,
Mais vne legere douleur,
Et j’en souffre vne beaucoup pire ;
De dire que depuis vingt ans
Ce Sceptre d’vn si bel Empire
Se trouue en d’autres mains que de mes vrais enfans !

 

 


Lasche François, peuple sans cœur ;
Mais vous indigne sang de France,
Quoy ? ce petit Vsurpateur
Enchaisnera vostre puissance ?
Où sont ces courages hardis
Qui faisoient tout trembler iadis ?
Pouuez-vous endurer sans crime
Vn si detestable attentat,
Et voir que ce Tyran m’opprime,
En faisant de la France vn tyrannique Estat ?

 

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Et vous souuerains Magistrats,
Quand sera-ce que vostre foudre
Lancera ses justes esclats,
Et reduira ce Monstre en poudre ?
Il est temps que par vos Arrests
Vous defendiez leurs interests
Et la gloire de ma Couronne ;
Et qu’on sçache en tout l’Vniuers,
Que la Loy de l’Estat vous donne
Le pouuoir d’affranchir vn peuple de ses fers.

 

 


Mais, GRANDE REYNE, c’est de vous
Que l’on attend cette victoire ;
Vostre courage est trop jaloux
Pour en abandonner la gloire ;
Aussi bien mon peuple irrité
Ne connoist plus d’authorité
Que de ses veritables Princes ;
Et las de voir dans le danger
Le Monarque de mes Prouinces,
Proteste de chasser ce Ministre Estranger.

 

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Vous pouuez tres-facilement
Dissiper cette tyrannie,
En rendant à mon Parlement
L’authorité qu’on luy dénie :
Il vous a mis le Sceptre en main,
Il vous le peut oster demain ;
De sa souueraine puissance
Dépend le rang que vous tenez ;
Il cassera vostre Regence,
Si contre ce Tyran vous ne me conseruez.

 

 


Faites en fin que de ces iours
Ie puisse voir les funerailles
De ces detestables Vautours
Qui me deuorent les entrailles :
Rendez ces Palais Enchantez
Que mes sueurs ont cimentez
A ceux dont le sang les reclame,
Et que vostre seuerité
Fasse de cette race infame
Vn exemple d’horreur à la posterité.

 

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La FRANCE à peine eut dit ces mots
D’vne mourante contenance,
Que tout d’vn coup mille sanglots
La contraignirent au silence ;
Vn prompt éuanoüissement
La fit tomber au monument
Au milieu de ses pleurs baignée :
Ce qui la mit dans les abbois
C’est qu’elle auoit esté saignée
Depuis fort peu de temps en plus de mille endroits.

 

A PARIS,
Par ROBERT SARA, ruë de la Harpe,
au Bras d’Hercule.

M. DC. XLIX.

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