Anonyme [1649], LA FRANCE PROSTERNÉE AVX PIEDS DE MESSIEVRS DV PARLEMENT, POVR LEVR DEMANDER IVSTICE. , français, latinRéférence RIM : M0_1438. Cote locale : B_14_24.
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LA
FRANCE
PROSTERNÉE
AVX PIEDS
DE MESSIEVRS
DV PARLEMENT,
POVR LEVR DEMANDER
IVSTICE.

A PARIS,
Chez DENYS LANGLOIS, au mont S. Hilaire,
à l’Enseigne du Pelican.

M. DC. XLIX.

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LA FRANCE
PROSTERNÉE AVX PIEDS
DE MESSIEVRS
DV PARLEMENT
POVR LEVR DEMANDER IVSTICE.

MESSIEVRS,

LA FRANCE affligée se vient
ietter à vos pieds pour vous demander
la Iustice qu’elle a mise entre
vos mains, & que vous ne refusez pas aux moindres
Suppliants de ce Royaume. Elle croit qu’il
n’est pas necessaire de vous ramenteuoir ce que dit
autrefois vne pauure veufue à Philippe de Macedoine,
lors que luy ayant demandé Iustice, & en
ayant esté refusée, elle luy dit hardiment ; Ne veuillez
donc plus estre Roy. Elle croit aussi estre inutile
de representer à chacun de vous que vostre conseruation
dépend absolument de la sienne, & que
sa ruine traisne aprés soy par vne necessité inéuitable,

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& vne suite necessaire celle de tous les particuliers.
Mais à mesme temps qu’elle veut ouurir la
bouche, les soûpirs & les sanglots la luy ferment
de telle sorte, qu’elle est contrainte de se taire.
Permettez donc, MESSIEVRS, que ie vous dise
en trois mots ce qu’elle vous demande en cette
posture suppliante, & ce que ses larmes vous disent.
I’ay reduit le tout en vne ligne, afin qu’vn
chacun de vous le puisse plus aisément repasser dans
son esprit.

 

Corrige præteritum, rege præsens, cerne futurum.

1. Corrigez le passé. 2. Reglez le present.
3. Donnez ordre à l’auenir.

1. Iusques à quand souffrirez vous que par des
violences & extorsions horribles on épuise le plus
pur sang des veines de cette pauure affligée ? Iusqu’à
quand permettrez-vous qu’on luy trenche les
nerfs ; & qu’on luy coupe les mains & les pieds pour
luy faire donner du nez en terre ? Vous le sçauez,
Messieurs, que les Finances sont les nerfs d’vn Estat,
& que les pauures gens de la Campagne, les Laboureurs
& Artisans sont ses mains, puis qu’ils trauaillent
pour sa nourriture ; & ses pieds, puisqu’encore
qu’ils soient la moins considerable partie de l’Estat,
ils ne laissent pas de le faire subsister par leur trauail.
On a traité ces miserables auec plus de tyrannie

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qu’on n’en exerce sur les bestes & les choses insensibles.
Car qui est l’homme si cruel qui voulust accabler
soubs la pesanteur des fardeaux, ou la rigueur
des coups le cheual qui le porte, ou qui le sert ? qui
est-ce qui pour tirer plus facilement le miel d’vne
ruche voudroit tuer les mouches qui le font ? ou enfin
qui est-ce qui pour cueillir plus aisément les
fruicts d’vn arbre voudroit le mettre par terre ? Ces
impitoyables harpies font encore pis que tout cela,
car ils ne se contentent pas de les reduire à l’impuissance
de se releuer de leur cheute, mais sans leur donner
la mort ils exercent sur eux toutes les sortes de
barbarie & de cruauté que la rage peut inspirer aux
loups carnaciers dont ils se seruent dans leurs violences.

 

Ne vous estonnez donc pas, MESSIEVRS,
si aprés auoir foulé aux pieds auec si peu de resistance
les foibles extremitez de ce Corps, on s’est attaqué
en suite aux parties nobles qui l’animent, puisque
suiuant le dire du Prophete ; Superbia eorum qui
te oderunt ascendit semper, La Superbe & l’insolence
de ceux qui couurent leur violence du manteau de
l’Authorité Royale va tousiours croissant.

2. C’est pourquoy, MESSIEVRS, empêchez
de tout vostre pouuoir la continuation de ces desordres :
Seruez-vous de l’occasion presente pour

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vous tirer auec tout l’état de l’oppression ; mais plûtost
cooperez par vos bonnes resolutions à la Iustice
Diuine, qui a permis que vos Ennemis ayent esté
si aueuglez que de choquer la plus Auguste & la
plus puissante Compagnie de l’Europe, pour estre
punis en mesme temps de toutes leurs violences.
Cependant permettez moy de vous faire souuenir
de l’apologue du Berger, qui ayant par deux fois
crié vainement au loup ne fut pas secouru la troisiéme,
lors qu’il en auoit le plus de besoin. Vous
estes les fideles Bergers commis pour la garde de
cét Estat. Vous auez crié deux fois au Loup ; La
premiere en ce iour si remarquable auquel plus de
cent mille hommes prirent les armes pour vostre
defence. Ce iour seruira de reproche eternel à l’ingratitude
de vos Ennemis, qui veulent perdre aujourd’huy
ceux qui les ont conseruez, & defendus,
mesme au peril de leur vie. Voicy la seconde fois
que la plus grande Ville, & la plus peuplée de l’Europe,
prend les armes contre ceux qui vous veulent
opprimer. Ne laissez pas échapper cette occasion
que Dieu Protecteur de la Iustice vous offre de renuerser
sur vos Ennemis les desseins pernicieux qu’ils
ont conçeu de vous ruiner.

 

3. La troisiéme demande & la plus importante
que vous fait cette Suppliante éplorée, c’est que

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vous donniez ordre à l’aduenir. Voudriez-vous
permettre, mais plustost ne vangeriez-vous pas par
toute sorte de supplices la hardiesse de ceux qui
voudroient ietter du poison dans les sources & les
fontaines publiques ? & iusqu’à quand permettrez-vous
qu’on infecte le tendre esprit de nostre ieune
Prince de ces maudites & detestables maximes, de
ce poison tiré du fonds des Enfers, où leur méchant
autheur Machiauel a entraisné aprés soy tant de
mauuais Politiques. Ne sçauez-vous pas bien
que,

 

Quo semel est imbuta recens seruabit odorem
Testa diu ?

Ne souffrez pas, MESSIEVRS, que nous ayons
vn iour sujet d’éleuer nos cris vers le Ciel pour nous
seruir des paroles qui sont dites dans l’Euangile au
Pere de famille, Domine, nonne bonum semen seminasti
in agro tuo ; vnde ergo habet zizania ? Nous
auons reconnu tant de bonnes qualitez dans ce
ieune Prince, il nous a donné de si belles esperances ;
Qui est-ce qui luy a donné de si mauuais sentimens
de ses plus fideles seruiteurs ? Qui est-ce qui
a remply son esprit d’animosité contre nous, au heu
de la douceur & de la clemence que nous nous en
promettions auec raison, puisque c’est l’enfant de
nos larmes & de nos prieres ?

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On auroit lors iuste suiet de nous faire la mesme
response que celle qui est faite au mesme endroit ;
Inimicus homo hoc fecit. Ouy, MESSIEVRS,
c’est cét homme que vous auez declaré ennemy de
l’Estat, & perturbateur du repos public, qui a causé
ces malheurs : c’est luy qui estime ne pouuoir subsister
tandis qu’il restera vne goute de bon sang
dans vos veines. C’est luy qui veut faire croire à
nostre Roy que ce que vous faites pour la defense
de son Estat, choque directement son authorité
Royale.

C’est, MESSIEVRS, ce que cette pauure
affligée vous dit mieux & plus eloquemment
par ses larmes, que moy par mes paroles. Ne souffrez
pas, s’il vous plaist, qu’elle soit plus long-temps
prosternée par terre. Releuez-la, & la mettez en
estat de ne craindre plus la violence de ses ennemis.

FIN.

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