Anonyme [1649], LA FRANCE VICTORIEVSE AV ROY, OV PANEGIRIQVE. DEDIÉ A SA MAIESTÉ. , françaisRéférence RIM : M0_1446. Cote locale : C_5_20.
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LA FRANCE
VICTORIEVSE
AV ROY,
OV
PANEGIRIQVE.

DEDIÉ A SA MAIESTÉ.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, ruë des sept Voyes,
au Mont Sainct Hilaire.

M. DC. LIX.

AVEC PERMISSION.

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LA FRANCE,
VICTORIEVSE
AV ROY.

SIRE,

Ie viens à vostre Majesté toute glorieuse, toute brillante,
& toute chargée des Trophées de vos Victoires & de vos
Triomphes ; La gayeté parest sur ma face, puisque la vostre
porte en soy la Clemence ; ma grandeur n’a point de
limite, puisque la vostre n’a point de borne : L’Estranger
me craint, à cause qu’il vous redoute ; & vos sujets m’ayment,

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parce qu’ils vous affectionnent : Ie suis inseparable
de vos interests grand Monarque, puisque ma gloire & ma
felicité est dependante absolument de la vostre.

 

Plusieurs Ennemis de la Vertu & de vostre Estat, m’ont
renduë tantost malade, & tantost mourante, pour faire
reüssir les pernicieux desseins de quelques Estrãgers qui ne
cherchent que ma diuision, & dont le profit ne consiste
qu’en ma ruine ; mais le nuage de l’ignorance qui les a iusques-icy
plongez dans l’aueuglement, & les tenebres d’vne
mauuaise conduite, les a priuez des moyens d’alterer ma
bonne disposition, & les venins qu’ils me preparoient se
sont tournez en antidotes souuerains, qui n’ont fait
qu’augmenter ma santé : Ce sont des Medecins malades,
qui se meslent d’ordonner des remedes à ceux qui n’en
ont aucune necessité, & qui ne les prennent pas pour eux-mesmes,
ou plustost des Epicuriens qui se mocquent de la
Prouidence diuine, & veulent que toutes choses roulent à
l’auanture pour establir leur felicité bestiale.

Il n’y a que vostre Majesté, SIRE, cette grande Reyne
vostre mere, & ceux de vostre Conseil, depositaires de vos
secrets, qui puissent connoistre ma disposition tres-parfaite,
& la joye extraordinaire que ie reçois en triomphant
dans vos triomphes, de me resiouyr dans vos felicitez, d’estre
vertueuse par vos vertus, courageuse en vostre courage,
bonne en vostre bonté, recompensée en vos recompenses,
iuste en vostre iustice, charitable en vostre amour, belle
en vostre beauté, & parfaite en vos perfections ; bien
loin d’auoir sujet de me plaindre de V. M. c’est par vous,
grand Roy, que ie me vois esleuée en honneur par-dessus
toutes les Monarchies de l’Vniuers.

Autres fois, à la verité, on auoit quelque sujet de publier
mon infirmité sous le Regne de Iean, l’vn de mes Roys,
fils aisné de Philippe V. lors qu’il fut pris & conduit prisonnier
en Angleterre : I’auois pareillement raison de plaindre
mes malheurs, du temps des factions d’Orleans & de Bourgogne
sous Charles V. & lors que Charles VII. presque

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despoüillé de Sceptre & de Couronne, fut miraculeusement
secouru par la generosité de Ieanne d’Arques Pucelle
d’Orleans : Mais maintenant que ie me puis dire la plus
saine, la plus pure, la plus heureuse, & la plus contente Princesse
de la Terre, comblée de magnificence, couuerte de
lauriers, enuironnée de palmes & d’oliues ; également
puissante & redoutée dans la guerre & dans la paix, tranquille
dans mes Estats, & victorieuse chez mes voisins. Surquoy
fonder ces plaintes imaginaires ; & pourquoy ces
Ennemis de mon repos font-ils courir des bruits si perninicieux
& preiudiciables à ma gloire ?

 

C’est de tout temps, grand Roy, que le vice s’est porté
contraire à la Vertu, qu’il tasche de ternir & d’infecter par
le venin de ses reproches & de ses calomnies : Mais comme
ces outrages sont conceus dans les tenebres, ils ne
meritent pas d’estre mis au iour, & doiuent estre estouffez
soubs le silence : au lieu que la Vertu, qui n’a que la Raison
pour motif, est tousiours dans vn estat glorieux, & parest
plus esclatante par cette opposition ; elle laisse vne suaue
odeur de toutes ses actions, & ses ouurages balancez par la
iustice, sont d’vn pois inestimable dans les esprits. C’est-elle
qui se communique parmy les gens de bien, & qui passant
des peres à leurs enfans, les fait heritiers de leur bonheur
& de leur gloire, & leur sert comme d’eschelons à
l’immortalité.

Par les degrez de cette Vertu, SIRE, qui vous esleue au
dessus de vostre âge, il semble que les celestes Intelligences
vous communiquent les secrets du Ciel, & tous vos desseins
reüssissent auec tant de iustesse, que les plus rompus aux
affaires du monde sont contrains d’aduoüer que Dieu se
porte visiblement pour vostre Protecteur, comme vous
estes mon deffenseur auguste. Vous possedez eminemment
tout ce que les plus grands Heros des siecles passez ont eu
de plus recommandable, vous auez l’heur d’Alexandre, &
l’asseurance de Cæsar ; & si vos Victoires continuënt le
cours qu’elles ont commencé, Alexandre & Cæsar tiendront

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à gloire de quitter leurs noms pour celuy de LOVIS,
& l’estenduë de mes Estats n’aura point d’autres bornes,
que :

 

 


Où l’Euphrate prend sa source,
Où le Gange prend sa course,
Et par tout où le Soleil
Monstre le feu de son œil.

 

Qui peut doresnauant s’opposer à vos desseins (grand
Prince) puisque à l’ombre de vostre Royalle Majesté mes
Ennemis disparoissent, & ne se monstrent plus ; Vostre œil
est l’Oriflamme de vos Predecesseurs, dont l’esclat aueugle
les temeraires qui s’en approchent de trop pres ; Vostre
nom seul estonne les armées, & vostre presence donne vne
face riante à toutes choses : & bien que la Iustice de vos armes
victorieuses se puisse seruir de l’espée ; la Misericorde
iointe à vostre courage se contente de triompher du camp,
sans espandre le sang, à l’imitation de l’Aigle & du Lion,
qui dédaignent de punir leurs ennemis lors qu’ils les
voyent abbatus, & que leur foiblesse les rend indignes de
leur cholere.

A la verité, SIRE, la Clemence est necessaire aux
grands Monarques comme vous, pour s’attirer l’amour du
peuple, la voix duquel est la voix de Dieu. La plus forte citadelle
d’vn Prince est la bien-veillance de ses sujets ; le
peuple est la garde du bon Prince, comme le Prince garde
le cœur du peuple par la raison ; & ce mesme peuple l’appelle
son Pere, la Noblesse son Chef, la Religion son Deffenseur,
l’Eglise son Protecteur, les Loix leur Gardien &
leur Tuteur, & les Armes leur Mars, par le moyen desquelles
il peut brider les plus mauuais, tant au dedans comme
au dehors de son Royaume. Cette misericordieuse Vertu
estoit en telle estime chez les Atheniens, que dans le Temple
qui luy estoit consacré dans leur ville principale, aucun
n’eust osé mettre le pied sans exprés consentement du Senat ;
& les seules statuës des Princes pitoyables auoient
droit d’y estre esleuées sur de superbes pie-d’estaux. Mais

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que peut-on dire de vostre Clemence (tres-auguste Monarque)
qui surpasse, non seulement celles des Princes
d’Athenes, mais tous ceux qui se sont iamais rendus recommandables
par cette Vertu ; la Majesté des Roys est
tellement delicate qu’on ne peut en aucune façon sortir des
Respects qui luy sont deubs sans choquer son inuiolable authorité,
& toutesfois apres les troubles & les diuisions de
vostre peuple, l’animosité des Puissances & Princes à mainnir
leurs interests les vns contre les autres, au preiudice de
vostre Couronne & l’armement general de tous vos sujets :
auoir rendu le repos & le calme dans vostre Royaume, oublié
les choses passées, & reuenir dans vne ville, qui sous
quelques pretextes s’estoit apparamment portée contraire
à vos iustes volontez : c’est vne Clemence qui n’a point
d’exemple dans l’antiquité, & qui doit seruir de guide à la
premiere rouë du Char sur lequel vostre Majesté me fait
triompher auiourd’huy.

 

Si l’amour est admirable en ses effets, comme il est vray
semblable, ie le prendray pour la seconde rouë de mon
Char de triomphe ; mais, SIRE, où pourois-je trouuer
plus d’amitié qu’en V. M. vostre belle ame en est toute enflammée,
& cette vertu s’empare de toutes les facultez de
vôtre entendement. Où puis-je chercher vn Prince si doux,
affable & debonnaire, & qui porte plus d’affection à ses suiets ;
vostre front est l’Image de la douceur, & vostre cœur
qui ne dement point cette apparence conserue vne inclination
particuliere à l’auancement de vos fidelles seruiteurs ;
La pieté enuers la Reyne vostre mere vous est si naturelle,
que bien qu’en qualité de Roy elle vous soit sousmise
en quelque façon ; vostre Majesté conduitte par la nature,
& charmée par les vertus de cette grande Princesse luy
porte tous les respects & l’affection qu’vne mere peut desirer
d’vn bon fils ; & l’on remarque visiblement ce zele
croistre & s’enflammer auec l’âge de plus en plus, qui doit
estre infailliblement recompensé de la benediction diuine,
par qui vous viendrez à bout glorieusement de toutes vos
entreprises.

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Ie trouue, SIRE, que depuis vostre naissance iusques
à present vous auez suiuy l’exemple de l’amitié des plus
grands Roys de la Terre, Iules Cæsar aymoit tant sa mere
Aurelie qu’ils se sousmettoit entierement à luy rendre
obeïssance ; Charlemagne affectionna si particulierement
la Reyne Berthe sa mere, qu’il brusloit du desir de luy tesmoigner
le zele qu’il auoit à luy rendre ses deuoirs ; Sainct
Louys cherit si passionnément la Reyne Blanche, qu’il la
laissa Regente dans son Royaume au voyage qu’il fit outremer
pour la conqueste de la Terre Saincte ; l’Empereur
Constantin paruenu à la majorité despartit le Gouuernement
de son Empire à la Reyne Zoe sa mere, femme de
l’Empereur Leon V. & se seruit de la lumiere de son Esprit,
comme d’vn Phanal pour mieux conduire la Barque de son
Estat : Agnes mere de l’Empereur Henry III. gouuerna
long-temps l’Empire auec le Roy son fils d’vne pareille
vnion de cœurs & conformité de desirs, comme si ce n’eust
esté que deux ames en vn mesme corps, ou deux corps en
vne mesme ame ; l’Empereur Tibere permit durant plusieurs
années que sa mere Liuie veufue du grand Auguste
qui s’estoit bien acquitté de cette grande charge durant la
vie de son mary, ombrageast sa teste des lauriers de l’authorité
Imperialle ; luy permettant que toutes les depesches &
patentes fussent signées & scellées aussi bien de son sceau
comme du sien. Et ie voy, SIRE, que vous auez auiourd’huy
cette mesme amitié de Tibere enuers Liuie ; & d’autre
part cette genereuse Liuie si bien conseruer le droit de
cette Couronne, que tous ces monstres & ces pestes
d’Estat, qui comme vne Hydre renaissante pullulent tous
les iours dans vostre Royaume, ne peuuent attendre que
leur perte & leur ruyne de la main de cette prudente Amazonne.
Voila, SIRE, les effets de vostre amitié filiale.

Ceux de l’amitié maternelle imitent la mere de Tobie,
qui fondoit toute en larmes de douleur au despart
de son fils, qu’elle appelloit le baston de ses mains, la lumiere
de ses yeux, & l’œil de sa lumiere ; amitié maternelle

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aussi courageuse que Tomiris Reine des Scythes, qui ayma
tellement son fils Sergapise, défait & tué par le Roy Cyrus,
qu’ayant pris quelque temps apres ce Roy dans vne
bataille, elle luy fit trencher la teste, & pour mieux vanger
la mort de son fils bien aymé, la fit plonger dans vn vaze
plein de sang, en luy reprochant cette soif cruelle de sang
humain dont il auoit esté alteré toute sa vie ; Amitié maternelle
qui n’a pas moins de generosité qu’Arsinoé, le corps
de la quelle seruit de bouclier pour la defence de ses enfans,
les traicts de son amour estans plus forts que les poinctes
de fer, dont les assassins gagez de la fureur du Roy Plolomée
son frere, transpercerent leur sein, ils moururent en la
baisant & tirerent l’ame de leur bouche, pour l’enfermer
dans le corps d’où ils auoient pris la vie.

 

Ce qui se remarque encor en vous, Auguste Prince, est
l’estroicte vnion d’amitié, dont vous affectionnez Monseigneur
vostre Frere, & l’obeïssance que ce ieune Prince,
miracle de nature, & l’ouurage des graces reciproque à
vostre Maieste : Il est vray qu’il y est naturellement obligé,
mais il y a ie ne sçay quoy de releué qui passe les amitiez
ordinaires, & son visage où l’amour & la valeur disputent
de l’aduãtage, ioint à son education & eleuation vertueuse,
donnent des arres infaillibles, de vous soulager vn iour
dans vos illustres trauaux, son desir ne souhaitte rien tant
que vostre repos & le mien, & ses desseins glorieux conduits
de la Diuinité, me font croire que bien-tost sous vos
auspices


Vostre Sceptre & ma Couronne,
Iouyront non seulement
Du Climat de Rabilone,
Mais du monde entierement. Il se voit des exemples de cette concorde fraternelle. Hierosme
de Siracuze ayma tellement ses trois freres, que sans
s’estre donnez l’vn à l’autre aucun suiet de mescontentement,
ils passerent leur vie dans vne parfaite vnion ; Lucule
cherit de telle sorte son frere Marc, qu’il ne voulut accepter

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aucunes charges ny dignitez qu’il n’eu fust participant,
& l’honnora de cette façon plus que l’honneur mesme,
en le preferant à ces honneurs & dignitez ; Xerces &
son frere Ariamene, Clcomene Roy de Sparte, & Euclide ;
Dagobert Roy de France & Ariperte ; Ramire Roy
d’Espagne & dom Garsie, se sont aymez de pareille affection,
& se firent part de leurs Sceptres & de leurs Couronnes.
Mais celle dont vous cherissez cét aymable Prince
a quelque chose d’autant plus releué, que le bas âge où
vous estes encore vous le fait aymer sans interest, & sans
mettre en ligne de compte ny connoistre qu’en cette vnion
consiste le principal appuy de vostre Estat.

 

Outre cét amour fraternel ie voy sortir des yeux de vostre
Maiesté vn nõbre infiny de traicts d’amitié ; tant sur les
Princes de vostre Sang, que sur les autres Seigneurs, dont
les merites égalent la valeur. Ouy, grand Roy, ie voy des
yeux de l’ame vostre Cœur ouuert sans fraude, ny desguisement,
pour receuoir à tous momens les vœux, les sermens,
les seruices, & la fidelité de ceux que le Ciel a fait
naistre pour vostre seul appuy, & les eleuer de degré en degré
au plus au poinct de vostre fauorable bien-veillance,
où leur condition & leur generosité les appelle : C’est en
quoy, SIRE, vostre Maiesté est principalement digne de
louange de ietter les yeux de vostre faueur, sur ceux qui
prodiguent leur vie & mesprisent la mort, quand il agit de
vostre seruice, & du bien cét Estat ; aussi la mort n’est rien
lors que l’on s’y expose pour son Prince, mais vne gloire qui
nous rend dignes de l’immortalité.

Mais ie passe encor plus outre, grand Roy, pour tesmoigner
les effects de vostre amour, puis qu’il se communique
à toutes sortes de personnes ; Les Astres n’empruntent
leur lumiere que du grand flambeau des Cieux,
& le lustre de vos suiets ne prouient que de vostre brillante
Maiesté ; Le Soleil se communique non seulement à tous
les Astres qui ont leur mouuemẽt dans l’Hemisphere, mais
encor sur la Terre & sous les Eaux ; Et les rayons de vostre

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bonté se communiquent non seulement aux naturels
François, mais encores aux Estrangers, que le bon naturel
de vostre Maiesté a esleuez selon leurs merites, obseruant
en cela non seulement la Iustice distributiue, qui donne
à chacun ce qui luy appartient, mais encor le droict
d’hospitalité, iusques-là que l’on peut dire à l’aduantage
de la France au respect des autres Couronnes

 


Qui a soif aille à la Fontaine,
Qui veut paroistre aille à la Cour,
C’est au hazad prenez en la peine,
Chacun y va faire à son tour,
Et le tout en esperance,
D’estre vn des premiers de France. La plus grande marque d’vn Prince Souuerain est la liberalité,
& cette seule vertu a fait aux siecles passez acquerir des
Royaumes sans combattre, à des Princes dont les prententions
n’alloient pas iusques à la Couronne : Il n’y a rien qui
rende vn Prince si recommandable que ses bien-faicts ;
Alexandre diuisa tout le domaine des Roys de Macedoine
à recompenser ses Soldats & Capitaines, ne se reseruant
pour luy que l’esperance, bastie sur le desespoir de ses ennemis.
Cyrus donna la pluspart de ses biens à sa Noblesse, faisant
son Thresor de leur fidelité ; Agesilaus auoit coustume
de dire, que l’office d’vn bon Empereur estoit de ne se
point enrichir quant au regard de sa personne, mais plutost
sa Noblesse & son Armée, qui luy deuoit estre plus
chere que soy-mesme ; Auguste Cæsar faisoit present aux
plus genereux de son Armée, de chaisnes d’or & de colliers,
pour les recompenser de leurs exploicts militaires, ou plutost
pour en chaisner leur cœurs, & les attacher au sien,
dont vray-semblablement les colliers de Cheualiers de
l’Ordre ont pris leur origine. L’Empereur Seuere fort accostable
enuers les Nobles, ioingnoit à ses magnifiques presens
des loüanges, qui en augmentoient beaucoup la valeur.

 

Vos liberalitez, SIRE, surpassent tous ces exemples,

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puis qu’elles s’estendent non seulement sur vostre Noblesse,
mais sur quantité de particuliers, dont vostre âge ne vous
pouuoit pas donner connoissance, des bons seruices qu’ils
rendent à vostre Couronne, & vostre Maiesté ne se contente
pas de les auoir esleuez au plus haut faiste de la fortune,
mais elle fait gloire de les y maintenir, malgré l’enuie & la
mesdisance. Tout ce qui plaist à vn grand Roy comme
Vous, doit agréer à ses suiets, & quoy que vous soyez le
premier en excellence, plusieurs ont precedé vostre Maiesté
dans cette vertu. C’est l’ordinaire des puissans Princes,
de fauoriser les vns plus que les autres, & d’attacher leurs
affections sur ceux qui sympatisent mieux à leur humeur.
L’Empereur Gratien tenoit en cét estime Macedonius,
Valentinian Calligone, Theodose Ruffin, Honorius
Stillicon, le Roy Pyrrhus Cineas, Alarie Sichlarius.

 

Vostre inclination naturelle vous porte à cette vertu, &
ces faueurs que vous communiquez à vos fidels suiets reiallissent
sur ma personne, ce qui me donne plus de suiet
de tesmoigner de la ioye dans mon triomphe, vos presens
me font porter les perles & les diamans, vos bien-faits entretiennent
mes Palais, & vos pensions maintiennent mon
equipage, mais quoy que ie louë grandement la liberalité,
vostre Maiesté possede des vertus plus eminentes, comme
elle deriue de l’amitié dont elle est partie, par la raison, que
(qui n’ayme ne donne rien) ie la comprendray sous le
nom de cette mesme vertu.

La Iustice seruira de troisiesme rouë, pour ayder à rouler
mon chariot par tous les cantons de la terre, vous estes
le fils d’vn Prince si Iuste, qu’il s’acquist le surnom sur tous
ces autres attributs, & vostre Maiesté donne desia des esperances
& des apparances qu’elle est heritiere de cette vertu
comme de toutes les autres, aussi est-elle digne d’vn Prince
comme Vous. Pour estre appellé Iuste, il faut preferer
son propre interest au bien de son Royaume, recompenser
les bons & punir les meschans, escouter les sages & fermer

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l’oreille aux flatteurs, aymer les siens, auoir l’humilité profondement
dans l’ame, & chasser plutost par ses bonnes
mœurs le vice de ses terres, que par la rigueur des loix &
des supplices : mais sur tout il est necessaire de commander
à ses passions, car vn veritable Roy le doit estre de soy-mesme,
debonnaire, affable, gracieux, prodigue de recompenses
& tres auare de chastimens, entreprendre froidement
vne iuste guerre, & la battre chaudement, estre
Chef & Soldat, puis qu’il n’y a point de si lâche combattant
qui ne soit vn foudre de guerre en la presence de son
Prince, à la teste compagnon de fortune, & qui iuge de ses
coups ; Vn Prince veritablement Iuste venge les iniures
publiques, & ne punit celles qui luy sont faites qu’auecque
grande circonspection ; escoute les pleurs & les cris des
personnes affligées pour leur rendre iustice ; ne prend point
l’interest des grands contre les petits & donne audiance
au moins considerable, establissant des Iuges & des Magistrats
qui viuent selon les maximes de Dieu, & non pas
celles du monde. Voylà, grand Roy, les qualitez qui font
nommer vn Prince Iuste, que vous imitez entant que vostre
âge le peut permettre, & dont vostre Maiesté donne des
effects tres-remarquables. Et vous serez vn iour nommé
comme Tite Vespasian, les Delices du genre humain, comme
Othon qui fut surnommé l’Amour du monde, comme
Vexores Roy d’Egypte, & Tanaïs Roy Scythie qui ne
cherchoient leur gloire que dans l’honneur, & leur bien
qu’au profit de leurs suiets. Enfin vous surpasserez en cette
vertu Ptolomée Roy de la mesme Egypte qui s’acquist le
nom d’Euergite & de bien-facteur de son peuple, n’ayant
iamais voulu porter de dommage à personne.

 

Mais comment ne reconnoistroit on vostre Maisté pour
Iuste, puis que vous donnez tous les tesmoignages possibles,
que cette fille du Ciel est le plus bel ornement de
vostre Cour : cõment ne seriez vous pas Iuste puis que vous
estes esleué dans la Iustice, & que cette mesme Vertu vous
gouuerne, vous nourrit, vous entretient & vous fait regner.

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Comment ne seriez vous point Iuste, puis que Themis
vous enuironne de toutes parts, & quelle vous sert de guide,
en la conseruation de vostre authorité Royalle ? Cette
Deesse conduit le droict de vos Armes contre vos ennemis
& les miens, & maintient la tranquillité de vostre Estat &
l’esclat de ma splendeur, contre les perturbateurs du repos
public, qui taschent vainement de me rendre malade.

 

Se pourroit-il faire, SIRE, que vous n’eussiez pas cette
qualité estant le Soleil de Iustice, ou possedant chez vous
la Iustice mesme ? comment ne seriez-vous pas Iuste, ayant
autour de vous tant de Senateurs Romains, & tant de Iuges
Areopages, les merites desquels sont aussi bien connus tant
dedans que dehors le Royaume ? Le moyen, dis-ie, que
vous ne fussiez pas Iuste, voyant dedans vos Parlemens
tant d’Astres brillans, communiquer auecque vostre Iustice,
estant enuironné de ces lampes ardantes, qui bruslent
& trauaillent incessamment en vostre Conseil d’Estat, à separer
la lumiere des tenebres, & le vray d’auecque le faux.
Astres tellement veillans au bien de l’Estat, que leur bien
mesme ne les en peut separer. Le Chef du Conseil de vostre
Maiesté & vostre illustre Chancelier, obseruent cette
Iustice auec tant de splendeur, que l’on peut dire asseurement,
que la prudence de l’vn & de l’autre, ne cede à pas vn
de ceux qui les ont precedez ; vos Conseillers d’Estat, sont
si capables dans leurs charges, que leurs Conseils se peuuent
dire autant d’Oracles. C’est vne merueille de voir
cette troupe assemblée, assise sur vos Fleurs-de Lys, receuoir
les plaintes des vns & des autres, donner audiance aux
petits & aux grands, prester l’oreille à la raison, balancer
les contrarietez, peser l’equité, parler hardiment, consulter
meurement, opiner sainctement, & prononcer auec
franchise dans vne inuiolable probité. C’est, dis-ie, vne
chose digne d’admiration de voir cette illustre Assemblée,
vous seruir de cœur & d’affection, passer les nuicts à l’expedition
de vos affaires, & s’acquerir par leurs fatigues non
seulement vostre bien-veillance qui ne leur peut manquer,

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mais encor le tiltre de Iuges equitables, pour ne point rougir
deuant la face de Dieu, non plus qu’ils font deuant les
hommes. Ha ! SIRE, le plus grand bon-heur que nous
puissions auoir vous & moy, est de voir comme nous
voyons triompher la Iustice en vostre Conseil, & dans vos
Parlemens : car si nous croyons sainct Augustin que seroit-ce
d’vn Royaume sans cette Vertu, qu’vn brigandage &
taniere de voleurs ; si les supplices n’estoient ordonnez pour
les meschans, si le foüet pour les vagabonds, les roues pour
les assassins, les gibets pour les larrons & les faux témoings,
& les feux pour les sacrileges, le nombre des meschans
viendroit à l’infiny, les Republiques & les Róyaumes ne
seroient peuplés que de criminels.

 

Entre les Loix que le grand Legislateur Moyse ordonna
tres-estroictement aux Hebreux, cét article est le plus
remarquable : La Sentence, dit-il, des Iuges & Gouuerneurs,
doit estre entierement executée, en tout ce qui leur
aura semblé bon de iuger, à moins que l’on connoisse manifestement
que la faueur ou l’argent les ait en quelque façon
corrompus : car il faut iuger sans auoir esgard à l’interest,
& sans faire distinction de la qualité des personnes, preferant
l’equité à toutes les considerations humaines : car c’est
vne iniure & vn mespris qui blesse l’authorité Diuine, &
comme si l’on l’estimoit plus foible & moins puissante, que
ceux desquels on redoute la disgrace, car la Iustice est la
puissance de Dieu, & celuy qui se montre preuaricateur
pour acquerir la grace & la faueur des plus grands, fait les
hommes plus forts & plus puissans que Dieu. Que si les Iuges
n’ont pas assez de connoissance & de capacité pour
prononcer sur vne matiere qui leur est commise, qu’ils rennoyent
la cause entiere à la saincte Cité, & lors, que le Souuerain
Sacrificateur & les gens de Iustice decident comme
ils trouueront à propos.

Ces Iuges de la saincte Cité sont representez, SIRE,
par vos Parlemens, & notamment par celuy de Paris, qui
iuge sans corruption quelconque, les procez & les appellations

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qui s’y presentent. Là dedans, grand Roy, ie vois
sept Escarboucles qui éblouïssent les coupables, & donnent
lumiere aux innocens ; ie vois vne infinité de sages
Conseillers, que la vertu & le merite ont installez en cette
illustre Compagnie ; Vostre Parlement est vn autre Conclaue
où l’on fait esléction des gens de bien, dont la capacite
ne peut estre reuoquée en doute ; Assemblée qui ne
cede en rien aux antiques Senats ; qui sert de refuge aux
plus grands de la terre, lors qu’ils implorent le secours de
leur probité iudicieuse. L’Empereur Frideric II. remit en
vostre Parlement, le differend qu’il auoit contre le Pape
Innocent IV. touchant le Royaume de Naples, & s’en raporta
à l’equité de ses Iugemens. Philippe Prince de Tarente,
obtint Arrest à son profit en ce mesme lieu, contre le
Duc de Bourgongne, touchant le remboursement des frais,
qu’il luy demandoit pour le recouurement de l’Empire de
Grece. Les Roys de Castille, de Portugal & Lusitanie, firent
emologuer en ce mesme Parlement, les Articles de
leur appointement de Paix. Finallement grand Prince, les
Parlemens sont les Colomnes de vostre Estat, les Tuteurs de
vostre Royaume, les Depositaires de vostre Couronne, les
Fils aisnez des Muses, les Caducées de la Paix & les Astres
d’Astrée, qui tousiours ont seruy de guide au grand vaisseau
de cette florissante Monarchie, bien que quelques broüillons
ennemis de la tranquillité publique, ayent osé publier
contre cette verité des libelles seditieux, pleins de ridicules
calomnies, à quoy SIRE, vostre Maiesté ne doit aucunement
adherer ny prester l’oreille, dans la connoissance
que vous deuez auoir que ce sont des effects de l’enuie &
de la mesdisance, qui s’attaque ordinairement à la Vertu.

 

L’Empereur Auguste passant dans le Senat, portoit tant
de respect aux Senateurs, qu’il les saluoit l’vn apres l’autre
par leur nõ, sans qu’il permit qu’ils se bougeassent de leurs
sieges. En effect vous voyez, SIRE, si ie n’ay pas suiet de
prendre la Iustice pour m’aider à triompher deuant vostre
Maiesté, puis qu’elle est l’Emperiere de l’Vniuers, la Tutrice

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des Roys, la Perle des Couronnes, l’Intelligence &
l’Esprit mouuant des Royaumes, l’Arc-boutant & la baze
fondamentale qui donne le poids & l’asseurance à toutes les
Monarchies, & que cette Vertu est perpetuellement à vos
oreilles dans vostre Conseil d’Estat & parmy tous vos Parlemens.
Il ne reste donc, SIRE, que de prendre la derniere
rouë de mon chariot, pour me faire aller en asseurance.

 

La force est grandement necessaire, grand Roy, à celuy
qui porte la Couronne sur la teste, & le Sceptre en la main,
tant pour la conseruation de ses frontieres, que pour s’oposer
aux ennemis secrets ou découuerts de son Royaume.
C’est donc cette quatriesme Vertu, que vostre Maiesté possede
eminemment, qui prend la peine de rouler auiourd’huy
mon char de Triomphe auec vostre Clemence, vostre
Amour & vostre Iustice, par tous les climats de la terre,
car mes cheuaux ne se contentent pas de faire voir mes
magnificences dans l’estenduë de vostre Monarchie ; mais
aux lieux les plus esloignez où vos Predecesseurs ont glorieusement
planté les Fleurs-de-Lys : mais il faut voir auparauant
si nous trouuerons en vostre force, les qualitez requises
& necessaires, afin que l’on ne croye pas qu’en vous
flattant ie me flatte moy-mesme : mais plutost pour faire
reconnoistre en la Vertu de la chose, la verité de mes paroles.

Selon mon iugement, SIRE, il ny a que deux principales
choses necessaires pour affermir vn Monarque, maintenir
son Royaume en paix, ou pour s’assuiettir les Couronnes
estrangeres. La premiere l’vnion de la Noblesse, &
la seconde la fidelité au maniment de ses Finances. La
Noblesse, SIRE, est vostre bras droict, & vos Finances
font le gauche, & sont le veritable nerf de vostre Estat ;
Pour la Noblesse de vostre Royaume, on ne peut mettre en
doute les exploits de guerre qu’ils ont fait depuis peu, & le
desir que vos guerriers tesmoignent tous les iours d’acquerir
des Lauriers, en exposant genereusement leurs vies au
seruice de vostre Maiesté : ce n’est point la flatter par d’imaginaires

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figures, puis que ces choses luy sont clairement
descouuertes. Si tost que vous auez commencé de
regner, vous auez remporté de glorieuses victoires. Rocroy,
Thionuille, Graueline, Dunkerque & Lens, outre
vne infinité d’autres places, remportées sur vos ennemis,
& de batailles gagnées, sont des tesmoings irreprochables
du zele & de l’ardeur des genereux François, au maintien
de vostre Couronne, & que tous les Seigneurs de vostre
Cour, à l’imitation des mouches à miel, selon le raport des
Naturalistes, lesquelles y ont vn Roy qu’ils portent des
aisles de l’amour iusques au Ciel de la Gloire ; employent
leur industrie à le seruir, leur soin à luy complaire, leur diligence
à le garder, leur miel à l’adoucir, & leur aiguillon
duquel il est seul priué, à combattre courageusement pour
luy, & les Abeilles qui ne flechissent point sous l’obeïssance
de leur Roy, se font mourir de leur propre aiguillon. Ces
Seigneurs, dis-ie, à leur imitation, vous seruent auec tant
d’ardeur & de generosité, que leurs derniers exploits effacent
les premiers par leur grandeur, batissent tous les iours
des trophées à la gloire de vostre Maiesté. Aussi pour recompense
de leur fidele valeur, ils sont honorez des plus beaux
tiltres de vostre Couronne ; & vous adioustez à la gloire de
leurs belles actions, celles des Charges les plus honnorables,
mesmes au de là de leurs esperances.

 

C’est donc, SIRE, l’vnion de vostre Noblesse, & la fidelité
qui est l’vne des deux choses principales de vostre
force, auec laquelle ie triomphe, il ne faut plus qu’examiner
la seconde qui concerne la fidelle integrité de vos Financiers,
au maniment de vos Finances : les plaintes que
l’on fait ordinairement contre ceux qui sont employez en
ces charges ne doiuent pas estre considerées, les plus iustes
& de probité ont esté suiets à ces reproches, qui procedent
la pluspart du temps de quelques mescontens, qui faute
d’estre payez à poinct nommé pour des considerations
bien legitimes, ternissent leur repution par d’iniurieuses
calomnies. Ce n’est pas que par cette iustification ie pretende

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oster la connoissance à vostre Maiesté de l’exercice
de leurs charges : car il est tres-iuste, SIRE, que vos Financiers
rendent compte du faict de leurs charges, & du
maniment de vos deniers ; Mais ie croy que vostre Chambre
des Comptes est assez vigilante pour faire rendre les
comptes, verifications de leurs acquits, & voir enfin si tout
est dans l’ordre & la fidelité necessaire.

 

Ce fut, SIRE, la necessité ou manque de finance qui
causa la perte de la bataille de Pauie contre Charles-Lequint,
& la deplorable prise du grand Roy François, pour
n’auoir pas dequoy satisfaire aux montres deuës aux Suisses,
qui tournerent casaque au fort de la bataille, nonobstant
le serment dont ils s’estoient obligez, ce qui pourroit
donner suiet de dire aux ennemis de cét Estat, que les guerres
continuës ayant épuissé vne partie de vos finances, mon
triomphe ne peut estre qu’inparfait, par le manque de deux
poincts que i’ay proposez necessaires à vostre force : mais il
est aisé de répondre à ces obiections malicieuses, que vostre
Couronne est plus riche en thresors qu’elle ne fut iamais,
& qu’il n’y a pas vn François qui n’expose de grand
cœur ses biens & sa vie au seruice de vostre Maiesté, en la
necessité des affaires presentes. Approchez de moy, SIRE,
& vous verrez que ie porte en mon sein de plus belles richesses
que les mines des Indes, les odeurs de Sabée, & les
toisons de Thyr. Ie n’emprunte rien des Estrangers que des
parfums & des eaux de senteur, qui ne sont pas absolument
necessaires : ie possede en moy tout ce que ie puis desirer,
mon corps est ioint & si bien vny dans toutes ses parties,
que l’on n’en peut attaquer aucune, que les autres ne
soient prestes à se vanger de cette violence : bref ie me puis
dire sans vanité,


Le Phœnix des climats & la Perle du monde,
Abondante en richesse & charmante en beauté,
Qui n’a point de seconde,
Par tout où le Soleil fait briller sa clarté. C’est le dernier poinct, SIRE, que i’auois à resoudre, pour

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monstrer la perfection de vostre force, pour accomplir le
char de mon triomphe, & ie puis librement me promener
de toutes parts, puis que ie suis portée des aisles de vostre
Clemence, du flambeau de vostre Amour, des balances de
vostre Iustice, & des bras de vostre Force. Mais grand Roy,
ce n’est pas assez, iettez les yeux de vostre Ame sur ces quatre
Deesses, qui me font cét honneur de tirer mon char deuant
vostre Maiesté ; celuy du Soleil n’estant tiré que par
des cheuaux, quoy que brillant & lumineux doit ceder à la
gloire du mien. Mais puis que vostre Maiesté brusle du desir
d’aprendre le nom de ces Nimphes, elle sçaura que la
premiere est la Paix, la seconde l’Eloquence, la troisiesme
la Fortune & la quatriesme la Renommée.

 

La Paix, grand Roy, m’a tellement aymée de tout
temps, qu’elle n’a iamais abandonné le Palais de ma gloire,
malgré les troubles & les brouilleries de quelques mutins
& seditieux, qui ne sont pas venus à bout de leurs mauuais
desseins ; Sans cette aymable Fille du Ciel, la beauté de
mes par-terres seroit flestrie, mon Soleil seroit en son couchant,
mon iour plein de tenebres, mon visage bazané &
mon corps si changé, que ie serois mesconnoissable aux
plus fidelles François. C’est la Paix, SIRE, qui me rend
toute belle & toute pompeuse, c’est elle qui tapisse les
chemins où ie passe, de draps d’or & de soye ; & qui ionche
la terre des plus belles fleurs que la nature ait produit, c’est
elle, mon Prince, qui couure vostre teste des lauriers de
Mars & de Bellone ; c’est elle qui toute charmante & brillante
de richesses embellit & comble de biens les Prouinces
de vostre Royaume, qui prodigue liberallement mille
sortes de plaisirs & de contentemens, qui fait les machines
des balets, les apprests des festins, l’harmonie des concerts,
qui fait fleurir les Arts & triompher dans les triomphes. La
Paix est la source de tous les plaisirs, elle fait renaître le siecle
d’or, fait rire les champs, réiouyt les Laboureurs, est l’esperance
des bons & la terreur des vicieux & des meschans :
c’est cette belle Deesse qui reünit les cœurs de la Noblesse,

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rẽmet le trafic en vogue, restablit la Iustice, & fait fleurir
les Loix, appaise les querelles, repare les ruines de la guerre,
remplit les villes d’Artisans, les plaines de Villageois,
les costeaux de Bergers, & les valons de bestail : bref elle est
la mere des contentemens & du repos, la tutrice des Arts, la
nourrice des Muses, la colomne des Loix, la perle des Couronnes,
le Sceptre des Roys, l’Astre des Empires, & l’ame
qui donne le mouuement & la vie aux plus florissantes Monarchies,
le Ciel de la grandeur & la grandeur de la Gloire,
la gloire du triomphe, le triomphe du desir, le desir du repos,
& le repos de la felicité.

 

C’est cette belle Fille celeste, puissant Monarque, qui
deuance le char pompeux de mon triomphe, desirant regner
auec vous, comme elle regne dans le Ciel : elle a le
sang en horreur, les combats l’epouuantent, les assauts
luy déplaisent, les armes luy font peur, les canons la font
pâmer, & les cris des vaincus, blessez ou mourans font
qu’elle se retire au Ciel, pour ne point voir les hommes se
traicter auec tant de barbarie. Entre les capitulatiõs de paix
accordées entre Porsenna Roy de Toscane & les Romains,
il fut expressement arresté, qu’aucun des deux parties ne
se seruiroit doresnauant d’instrumens de fer qui peut nuire
en quelque façon, ou qui ne peut seruir à combattre les
necessitez de la vie en l’appliquant simplement au labourage
de la terre : pleust à Dieu, que les mesmes conditions
s’obseruassent inuiolablement dans vostre Royaume, comme-nous
en auons beaucoup d’esperance, afin que cette
saincte Deesse qui vient auiourd’huy me tenir compagnie,
trouue son siege en vostre Louure, afin que nous puissions
dire à tous vos suiets, qui soupirent apres cette paix, lassez
des incommoditez d’vne guerre si fascheuse ;

 


Enfin vous obtenez l’effect de vos prieres,
Peuples il n’est plus temps de repandre des pleurs,
Nos Princes esclairez des diuines lumieres,
Ont par vn sainct accord dissipé nos mal-heurs :

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Cette Fille du Ciel si long temps desirée,
En reparant les maux que la guerre auoit faits,
D’vn regne florissant rend la Françe asseurée,
L’Espagne en sa splendeur, & l’Allemagne en paix.

 

L’Eloquence est la seconde Deesse dont mon char est
honoré, elle a tousiours esté la bien venuë dans toutes mes
Prouinces, les François l’ont de tout temps honorablement
recueillie, mais elle n’a iamais paru plus esclatãte qu’à present,
elle se fait admirer dans les Chaires Sacrées, dans les
Barreaux des Cours Souueraines : & dans les Acadamies
des Sciences, les productions d’esprit grossissent tous les
iours les Bibliotheques, & les ouurages des Sçauans du siecle
effacent la gloire de tous les anciens Autheurs. Cette
merueilleuse Eloquence vient auiourd’huy, grand Roy,
se presenter à vostre Maiesté : puis qu’elle trouue desia place
dans vostre cabinet & dans vostre bouche, & qu’elle est si
familiere à tous vos fidelles suiets : sa force & sa vertu, s’est
assez fait voir sans la confirmer par des exemples. Le Philosophe
Heuxin remit en paix par l’eloquence de son discours
les Lacedemoniens auec ceux d’Athenes, bien que
les premiers eussent esté deffaits. Cesar à l’âge de 16. ans,
par vne harangue qu’il prononça à la mort de sa tante
Cornelie, fit iuger de tous les Romains qu’il paruiendroit
à de grands honneurs ; Vn ieune inconnu plaida si disertement
deuant le Legat du Pape à Paris, en faueur de Gelberge
sœur du Roy de Dannemark, & femme du Roy Philippe
Auguste, qui la vouloit rupudier, qu’il changea cette
volonté, & fut persuadé de la reprendre. La fable de Mercure,
qui charma les cent yeux d’Argus, pour deliurer Io
de sa captiuité, fit voir au Dieu Mars, que l’Eloquence surpasse
la valeur par l’impuissance des armes, de ce mesme
Dieu à la defaite de la chimere qui gardoit Leucothoé,
bien qu’il eust desia coupé 50. de ses testes, n’a point de
sens moral, qui ne soit à l’aduantage de cette Deesse : l’Eloquence
d’Vlisse luy fit adiuger par les Grecs, les armes d’Achilles,

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bien que la valeur d’Aiax qui luy disputoit, surpassast
la sienne infiniment : la Tragedie d’Antigone, acquist
à Sophocle son autheur le gouuernement de Samos, qui
luy fut donné par les Atheniens, charmez de la beauté de
cét ouurage, & Ciceron par la force de son discours, gagnoit
tellement les esprits des Senateurs, qu’il emportoit
à son aduantage toutes les causes qu’il entreprenoit. Cette
ancienne fiction d’vn Hercule Gaulois, de la bouche
duquel sortoient plusieurs chaisnes d’or & d’argent, dont
il menoit en laisse des hommes attachez, par le cœur & les
oreilles, fait voir clairement le merueilleux pouuoir de l’Eloquence,
à l’aduantage des François, ausquels elle semble
estre infuse par priuilege sur toutes les autres nations.

 

Il est donc bien raisonnable, mon Prince, qu’elle paroisse
en triomphe, puis que tant de doctes Predicateurs, attirent
tous les iours par ses charmes secrets, les ames au chemin
de la grace, que tant de sçauaus Aduocats, soustiennent
par ses raisons, le droit des parsonnes oppressées, &
que tant de fameux Escriuains nous communiquent dans
leurs Ouurages ses plus secrettes faueurs ;

 


L’Eloquence est enfin la Reine des Esprits,
Qui sur tous les beaux arts doit emporter le prix.

 

La troisiesme Deesse qui sert de guide à mon carosse est
la Fortune, non pas cette inconstante que depeint Marc
Aurelle, qui destruit les murs les plus hauts esleuez, releue
les mazures, peuple les deserts inhabitez, dépeuple les
villes habitées, qui fait les ennemis amis, & les amis ennemis,
qui vainc les victorieux, qui fait de traistres les fidelles,
& des fidelles les perfides, qui reuolte les Royaumes,
defait les armées, abbat les Roys, esleue les tyrans, donne
vie aux morts, & enterre les viuans ; Mais plutost cette fortune
dont parle Pausanias, l’effigie de laquelle tenoit entre
ses bras Plutus, fils de Cerez, & de Iasius en âge de petit

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enfant, parce que c’est elle qui tient tous les biens, les richesses
& les faueurs en sa disposition. Cette Fortune qui
m’accompagne, grand Prince, est celle qui vous a fait redouter
dés vostre enfance, qui vous a fait connoistre à tous
vos ennemis, lors que vous ne pouuiez qu’à peine auoir la
connoissance de vous-mesme, qui vous a fait triompher à
Rocroy, Fribourg, Norlingue & Lens, qui vous a subiugué
des Prouinces entieres, & porté la gloire de vos armes,
au plus haut poinct de gloire, & de bon-heur, que ie
pouuois pretendre & desirer. La fortune de Cesar ne dura
qu’vne année dans sa splendeur, celle du grand Amilcar
Capitaine des Carthaginois, eust le double de sa durée,
Label Roy de Lacedemone, se conserua cinq ans en sa plus
grande puissance, le Roy des Caldeens eut vn an moins
de bon-heur, & celuy de Semiramis augmenta d’vne année.
Il n’en va pas de mesme de la vostre, grand Roy, elle
surpassera non seulement celle de Belus, Roy des Assiriens,
qui dura soixante ans, mais elle vous asseure d’vn siecle de
prosperité. C’est cette Fortune, SIRE, qui rendit le Capitaine
Miltiades vainqueur de cent mille Perses, à la iournée
de Marathon ; c’est celle qui conduit le bras de Marc Marcel,
lors qu’auec cinq cens des siens, il defit le Roy des Milanois,
accompagné de dix mille soldats : c’est elle qui donna
la victoire au grand Annibal sur les deux Scipions, &
les Sagontins qui furent defaits apres la prise de leur ville ;
c’est elle qui rendit le mesme Annibal vainqueur à la bataille
de Cannes, qu’il donna contre les Romains, où l’vn
des Consuls, trente Senateurs, trois cens Officiers du Senat,
quarante mille hommes de pied & trois mille cheuaux
furent defaits à platte couture : c’est elle qui sous l’Empereur
Baudoin, fit mettre en déroute quarante mille Tartares
par 400. l’année de la Croisade : par elle le sieur du
Bueil François, auec quarante des siens defit quinze cens
Anglois : c’est elle qui conduit la valeur de Meroüée III.
Roy de vostre Monarchie à la defaite des Huns, où furent
tués 180000. ennemis ; & qui fut cause de la mort de 37000.

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Sarrasins, qui furent defaits prés de Tours par Charles
Martel, où il ne perdit que 1500. des siens ; c’est elle qui fit
entrer Charlemagne pompeusement à Rome, où il fut
esleu Patrice par le Pape Leon III. & couronné Empereur
d’Occident, pendant que Nicephore l’estoit d’Orient : Ce
fut cette mesme Fortune qui rendit Philippe Auguste en
l’an 1215. victorieux de la bataille contre l’Empereur Othon
& Iean son nepueu Roy d’Angleterre, en la iournée
de Bouynes, où les Aigles Imperialles furent sousmises au
Coq François ; où Ferrand Comte de Flandres, & Regnaud
Comte de Bologne, pris dans la bataille, suiuirent
le char de ce vainqueur iusques à Paris, où confinez en
prison perpetuelle, la Flandre par Arrest du Parlement fut
confisquée à ce victorieux Monarque, vostre Predecesseur ;
& comme dés vostre naissance vous auez possedé le mesme
tiltre d’Auguste, dont sa vertu estoit honorée ; les commencemens
de vostre regne nous promettent des exploits qui
surpassent ses plus celebres victoires. Oüy, mon Prince, vous
estes veritablemẽt Auguste, vostre port maiestueux dans vn
âge si tendre, l’air de vostre visage qui a quelque chose de
plus qu’humain, vostre parler, vostre grace à tout ce que
vous faites, & les actions qui se passent de iour en iour sous
vostre regne glorieux, nous tesmoignent bien que ce n’est
pas sans vne inspiration diuine, que l’on vous a donné cét
Auguste tiltre ou le tiltre d’Auguste, & que cette fauorable
Fortune qui se presente à vous, & qui sera tousiours insepable
de vostre Maiesté, vous comblera de tant de victoires &
de felicitez, que vos statuës seront erigées au milieu de ce
grand Philippes, & de Cæsar Auguste, qui seront contraincts
d’auouër, que vous vous estes rendu plus digne de
ce tiltre, qu’aucun d’eux, par vos actions dignes de l’immortalité.

 

La Renommée est la quatriesme Deesse, qui sous vostre
authorité Royalle honore le char de mon triomphe, afin
de publier de l’vn à l’autre pole, la grandeur de ma gloire, &
la gloire de vostre auguste Grandeur : c’est vne fille toute

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celeste qui deteste le mensonge, & tousiours veritable en
ses parolles : elle brusle du desir de desployer ses aisles, pour
faire sçauoir à tout de monde l’estat pompeux & brillant
où vous m’auez mis, & les memorables actions de vostre
Maiesté, pour conuaince d’vne malicieuse fausseté les satyriques
escrits, qui m’ont voulu faire passer pour infirme
& panchante à ma ruïne, afin d’aliener les cœurs de la parfaite
vnion, d’où consiste le souuerain bien d’vne Monarchie.
Cette diuine messagere n’escrit iamais sur les registres
de l’eternité, ces ames doubles & dissimulées, qui se
seruent des maximes du monde, & qui perdent tout pour
venir à bout de leur desseins. C’est elle qui fait lire dans
les Histoires le regne des Roys, la valeur des Capitaines,
l’vnion des gens de guerre & la fidelité des suiets : c’est elle,
SIRE, qui conserue malgré le temps, les noms & les belles
actions de vos Predecesseurs, grauez au temple de memoire,
& qui commence à coucher en lettres d’or vos premieres
Victoires, pour vous rendre admirable à la posterité.

 

Sans cette Renommée les exploits des genereux Princes
de la terre seroient enseuelis, les belles actions des Soldats
de fortune inconnuës, la memoire des hommes Illustres
entierement abolie, leur Histoire qui fert d’exemple & de
motif, pour inciter les vertueux à marcher sur leurs traces,
seroit estouffée sous vn eternel silence, & la mesdisante
langue de l’enuie, noirciroit impunément la vertu les plus
irreprochables.

Voylà, SIRE, la quatriesme Deesse, qui sert à la conduite
de mon char de triomphe, & qui fait la huictiesme de
celles qui sont descenduës du Ciel expressement pour
m’accompagner en cette pompe, & paroistre aux yeux de
vostre Maiesté ; Cette mesme fille diuine, a fait assembler
toutes les autres Deesse & Nymphes de la terre, que vous
voyez à l’entour de moy, pour m’honorer en mon triomphe,
& trainer publiquement captifs les ennemis de
vostre repos & du mien ; Il ne faut pas que vostre Maiesté
s’estonne de les voir toutes en nombre & en ordre, puis

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qu’elles sont toutes venuës pour m’accompagner, & ioindre
leurs actions de graces à celles que ie vous faits, de les
auoir fait triompher comme moy, de leurs ennemis particuliers :
Elles ont esté desia trop bien receuës de vos suiets,
pour ne pas venir en ce pompeux equipage ; mais pour n’estre
point ingrates de l’obligation qu’elles ont à vostre Maiesté,
de les auoir remises & restablies dans leurs droicts,
elles chantent ees Vers en tesmoignant leur ioye & leur
satifaction,

 

 


Les troubles nous auoient bannies,
De la demeure des François,
Mais ces guerres estant finies,
Nous reuenons enfin pour vne bonne fois.

 

La troupe qui marche deuant mon chariot, auguste
Monarque, sont les neuf Muses du Pernasse, conduites
par Apollon, leurs melodieuses chansons impriment la
ioye dans les cœurs, & charment les oreilles de vos suiets ;
Phœbus semble auoir pris des rayons plus esclatans pour
esclairer le iour de ma magnificence. Clio trace mon histoire,
Euterpe fait raisonner la flutte & le haut bois, Thalia
montre la beauté de ses plantes, Melpomene entonne
ses airs & ses chansons, Therpsicore fait merueille à la
dance, Erato compose ses ballets, Polymnie instruit les
laboureurs des plus beaux secrets de l’agriculture, Vranie
contemple les Astres, dont les influences promettent toutes
sortes de bon-heurs à vostre Maiesté, & Calliope qui
voit ses sœurs trauailler à la composition de vos concerts,
fait des Vers pour les animer, & faire en sorte que vostre
Musique Royalle reponde à cette harmonie, pour rendre
chacun participant de cette ioye publique ;

 


Nous sommes les sœurs du Parnasse,
Qui delaissons nostre seiour,
Pour admirer le port, le visage & la grace,
De l’auguste Louys, pour qui les cœurs de glace,
Sont enstammez d’amour,

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Desia nous auons des memoires,
Pour eterniser ses beaux faits,
Et nous allons remplir les fidelles histoires,
De ses fameux exploits, & chanter ses victoires,
Qui nous donnent la Paix.

 

Mais i’interromps vostre plaisir, grand Prince, pour
vous faire remarquer les trois Graces filles de Iupiter, qui
marchent apres ces nœuf sœurs, & font esclatet à l’enuy
l’vne de l’autre, les attraicts d’vne beauté surnaturelle ;
leurs beaux yeux iettent des traicts de feu, qui bruslent le
cœur de ceux qui les regardent ; leurs charmes sont les filets
où s’engagent insensiblement les moins susceptibles d’amour ;
leur sein quoy qu’il semble de neige pour sa blancheur,
porte des flammes secrettes à ceux qui s’arrestent à le
considerer ; leurs belles tresses ondoyantes sur leurs gorges
auec vne agreable negligence, sont autant de chaisne
d’or qui captiuent les Amours ; leur taille, leur port & la
grauité de leurs pas, coniurent les belles dames de vostre
Cour d’accorder leur voix à la leur, pour chanter vnanimement,
apres le concert des Muses, ce que Minerue leur
a mis à la bouche.

 


Beautez qui versez dans les ames,
Les brasiers des plus douces flammes,
Venez ioindre vos voix aux douceurs de nos sons ;
Et bien qu’il s’y remarque vn peu de difference,
Nous croyons que la France,
Escoutera mieux nos Chansons.
Vos attraicts vnis à nos charmes
Feront par tout rendre les armes,
Et remplit tous les cœurs de respect & d’am ur,
Bien que vostre beauté n’emprunte rien des autres,
Vos graces & les nostres,
Vont captiuer toute la Cour.

 

Si vostre Maiesté iette les yeux au costé droict de mon
chariot, elle verra les Vertus en bel ordre, pour augmenter

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ma pompe & la magnificence de mon triomphe ; l’Humilité
marche la premiere, accompagnée de quelques sainctes
ames recommandables pour cette vertu, qui tiennent en
chaisnées la presomption, la vaine gloire, la vanité, l’arrogance,
la rebellion & le libertinage, qui sont les filles de
l’orgueil directement opposées à cette fille celeste.

 

La Foy, l’Esperance & la Charité marchent en suite,
auec ceux qui se sont signalez en leurs exercices, & traisnent
en triomphe l’idolatrie, le desespoir & l’auarice. La
Chasteté enuironnée d’vne lumiere plus brillante que les
autres, marche bellement auec vne troupe de sainctes Vierges
& de Chastes dames, qui menent captiues l’adultere,
la fornication & toutes les autres dependantes de la luxure,
La Concorde est apres suiuie d’vne infinité d’autres filles
du Ciel, qui foulent aux pieds la guerre, le desordre, le
carnage, la sedition, la cruauté, l’horreur & le desespoir ;
Ce sont ces pestes qui seruent d’asile & de retraicte aux meschans,
ce sont les ennemis des gens de bien, la perte de
tous les Estats, la ruine des Prouinces, les furies des Enfers,
qui ne parlent que par l’horrible bouche des canons,
qui chassent les loix & corrompent les mœurs, qui razent
les forts, destruisent les villes, versent le sang, bruslent les
Palais, qui n’ayment que les pleurs, les gemissemens,
les pertes, & les malheurs, qui seront doresnauant bannis
de vostre Monarchie. La Patience suit de prés la Concorde,
auec vn visage triste en apparence, mais ioyeux en effect :
c’est elle qui vient à bout de toutes choses, & qui nous
rend infatigables dans les trauaux, & constans dans les aduersitez.
La Verité l’accompagne, qui doit estre chere à vostre
Maiesté, inseparable de vos discours, & l’ame des paroles
que vous prononcez ; Les filles sectatrices de cette
Vertu, ne chantent autre chose que les louanges veritables
de ma florissante beauté, & de la glorieuse prosperité de vos
armes. Voyez, grand Roy, comme elles tiennent garottees,
le mensonge, la medisance & la mocquerie, auec
vne multitude de satyriques pernicieux, qui n’ont vomy
que du venin de leurs bouches infames, pour noircir & diffamer
la reputation des personnes les plus considerables de

-- 30 --

cét Estat ; & les plus necessaires à vostre Maiesté.

 

En suite de cette fille du temps, marchent quelques autres
diuinitez, la Prudence, la Temperance, l’Innocence,
la Douceur & la Magnanimité, qui tiennent captifs les vices
qui leur sont opposez, ces Deesses sont si transportées
dans leur rauissement, qu’elles chantent continuellement
ces Vers d’allegresse ;

 


Puis qu’enfin par nostre puissance,
Nous auons triomphé du vice, & du mal-heur,
Accompagnons la France ;
Afin de la porter dans le Ciel de l’honneur.

 

Au costé gauche de mon carosse, vous y pouuez voir,
grand Roy, les Nereides de vostre mer Oceane & Mediterranée,
les oracles de vos Montagnes, les Nayades des eaux,
les Crenides des Fontaines, les Epipotamides des Riuieres,
les Ephinomides des Marescages, les Napées des Forests, les
Amadriades des Arbres & les Aloëtides des Bocages, qui sõt
toutes venuës à l’enuy, pour accompagner mon triomphe,
& ietter auec Pomone & Flore, les fleurs & les fruicts du
Printemps & de l’Autonne, pour tapisser les lieux de mon
passage ; mais comme ces Nimphes chantent parfaitement
bien, elles sont rauies de faire entendre à vostre Maiesté, la
douceur de leur voix & de leurs instrumens, au recit de ces
Vers, qu’elles chantent en concert :

 


A ce coup le Ciel & les Anges,
Ioingnent leurs chants à nostre voix,
Qui de mille loüanges,
Couronnent le Roy des François.

 

 


La douceur de cette Musique,
Où le luth s’accorde aux fredons,
De quelque beau Cantique,
Vaut mieux que celles des canons.

 

 


La France dans cette parade,
Aux ennemis de sa beauté,
Qui la feignent malade,
Reiette cette infirmité.

 

Derriere les esclaues qui sont attachez à mon carosse, vostre
Maiesté peut remarquer vne troupe de Nimphes, que
l’on peut appeller tant pour leur vertu, que pour leur beauté,

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les Anges tutelaires des Villes principales, où vos Parlemens
sont establis ; la premiere est celle du Parlement de
Paris, qui luit entre tous les autres, cõme le Soleil entre les
Astres ; celle du Parlement de Thoulouse, la suit immediatement
apres ; celles de Bourdeaux, de Roüen, de Dijon,
de Grenoble, d’Aix & de Rennes, marchent en mesme ordre,
& toutes leurs voix font vn accord si parfait, que cette
harmonie charme les cœurs & les oreilles, lors qu’ils font
entendre ces Vers ;

 

 


Loing d’icy monstres de destables,
Nous vous bannissons desormais,
En vain vous pretendez nous rendre miserables,
Puis qu’en fin nous auons la paix.

 

Par la douceur & la diuersité de ces concerts, il est aysé
de iuger, grand Prince, si ie n’ay pas raison de me dire glorieuse
& triomphante ; puis que depuis douze cens ans &
dauantage, que i’ay cet honneur d’estre en Monarchie, ie
n’ay iamais acquis de la gloire au poinct que ie fais auiourd’huy,
mais ie suis obligée de ces hautes faueurs à vostre
Maiesté ; c’est elle qui me fait triompher en triomphant elle
mesme, les triomphes que i’ay fait autresfois ont esté de si
peu de durée, que i’en ay perdu incontinent la connoissance,
mais auiourd’huy que ie vous vois, mon Prince, si
pompeux & brillant, si plein de gloire & de maiesté, si
doux, si clement & si iuste, entrer auec toute vostre Cour
dans la Reine de mes Villes, dans cét abregé de tout le
monde, dans vostre ville de Paris, triste de vostre longue
absence, & que l’esperance seule de reuoir vostre Maiesté,
faisoit viure & subsister, auiourd’huy que les cris de ioye &
les acclamations de tous vos fidelles suiets, percent les airs
& transportent les cœurs d’vne allegresse extraordinaire,
lors que vous paressez à cheual auec autant de grace, qu’Alexandre
en eut iamais sur Bucephale, & que vous iettez des
regards pleins d’amour & de douceur sur ce peuple zelé,
& tesmoignez vne humilité toute Royalle, en saluant de
tous costez ceux que l’amour & le deuoir obligent de vous
rendre leurs respects & leurs soumissions ; quand ie me vois
d’vn autre costé auec tant de magnificence, accompagnée

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de tant d’illustres Princesses, dans vn char esclattant superbement
parée, & dans cét estat glorieux & triomphant, ie ne puis
esperer desormais qu’vne eternelle prosperité, & que ie demeureray
belle, magnifique, florissante, agreable à mes amis & redoutable
aux estrangers ennemis de ma gloire.

 

Les lys de mes parterres ont esté quelquesfois flestris, & leur
blancheur a souffert quelques taches, mais le Ciel vous a fait naistre
indubitablement, mon Prince, pour les remettre en leur premier
lustre ; C’est à vous seul apres Dieu, à qui ie suis redeuable,
non seulement de mon triomphe, mais de ma bonne disposition
& de ma santé florissante. Aussi la diuine Bonté vous prodigue ses
graces & ses faueurs auec iustice, il n’est pas possible que Dieu ne
vous ayme, puis que vous portez tant d’amour à vos suiets, & que
ces mesmes suiets implorent tous les iours par leurs ardentes prieres,
la benediction de toutes vos entreprises, pour la prosperité de
vos armes & le repos de vos peuples.

Pardonnez moy grand Roy, si le discours de mon triomphe s’est
vn peu trop estendu, & si i’ay trop abusé de vostre patience Royalle ;
le rauissement me transporte tellement en considerant vos vertus &
vos perfections, que ie ne puis retenir mon vaisseau dans vne mer si
vaste & de si grade estẽduë, & ie trouue encor apres tout ce discours,
que ie n’ay fait que commencer à dire vne partie de vos loüanges,
mais, mon Prince, que vous puis-ie offrir, & quels hommages assez
dignes de vostre Maiesté, vous puis-ie faire, pour tesmoignage de
mes fidelles affections, ie ne vous puis rien presenter qui ne vous
appartienne : mais bien que ie sois tout à vous, vostre Maiesté peut
choisir dans mes iardins qu’elle a rendus si feconds & delicieux, ce
qu’elle y rrouuera de plus doux & de plus agreable ; c’est à vous,
mon Prince, à gouster des fruicts les plus sauoureux que mon sein
puisse produire, & de prendre dans Paris la merueille du monde,
les plaisirs d’vn repos asseuré, afin que nous soyons perpetuellement
vnis d’vn si ferme lien de paix & d’affection, que les mesdisans
& les ennemis de ma gloire, ne puissent iamais alterer la fraischeur
de mon teint, & que ie puisse grauer pour l’eternité ces Vers
que ie donne à vostre Maiesté, pour la fin de mon triomphe ;

 


Prince qui cherissez la gloire,
Le monde vous est deu, le Ciel vous l’a promis,
Triomphez de vos ennemis,
Et me donnez la paix apres cette victoire.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LA FRANCE VICTORIEVSE AV ROY, OV PANEGIRIQVE. DEDIÉ A SA MAIESTÉ. , françaisRéférence RIM : M0_1446. Cote locale : C_5_20.