Anonyme [1652], LA FVREVR DES NORMANS CONTRE LES MAZARINISTES. , français, latinRéférence RIM : M0_1460. Cote locale : B_14_9.
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LA
FVREVR
DES
NORMANS
CONTRE
LES MAZARINISTES.

A PARIS.

M DC. LII.

-- 2 --

AV LECTEVR.

 


Qviconque aime les Lys, aimera cet ouurage,
Qui les detestera, detestera l’Autheur,
Et qui veut des François se montrer destructeur,
En lisant ce discours, il montrera sa rage.

 

-- 3 --

LA FVREVR DES NORMANS
contre les Mazarinistes.

NOSTRE Prouince desolée, qui donnoit
autresfois de l’enuie aux plus florissans
Royaumes ; nos Villes desertes & destruites,
qui portoient leur gloire auec leurs
murailles iusques dans les Cieux : enfin l’oppression
& les gemissemens de tous les François, sont de puissans
motifs pour réueiller en nos cœurs vne iuste fureur,
qui chasse la misere de nos maisons, la tyrannie
de nostre Pays, & qui cherche le repos & la vie
de toute la France dans la mort de tous ses ennemis.
Cette noble Fureur, qui portoit autresfois la crainte
dans les Prouinces, & le desespoir de vaincre dans
les cœurs de nos ennemis, doit porter l’asseurance
dans Paris, & dans toute la France l’esperance de la
victoire. Cette Fureur qui nous a fait triompher dans
l’Italie, nous fera triompher des Italiens. Cette Fureur,
qui a arresté les conquestes des Grecs, qui les
portoient iusques dans les Pays assujettis aux Saincts
Pontifes, arrestera le cours de nos miseres, & ira étoufer
les desseins des voleurs publics iusques dans
leur source. Cette Fureur qui nous a fait quitter le
Nort, pour venir en France, qui a fait vn libre passage
par tout à nos conquestes, fera quitter la France
du Cardinal, & encore qu’il soit monté sur son Eminence,

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nous le contraindrons de dire, à furore Normanorum,
libera nos Domine. Diuine Fureur ! tu es le
repos des bons & la terreur des meschans. C’est toy
qui portes les vengeances de Dieu sur les peruers.
C’est toy qui as fait dire au Roy Dauid, Domine ne
in furore tuo arguas me. C’est toy (s’il est permis de
mesler les choses profanes auec les Diuines) qui animois
Alexandre dans les combats, & qui luy donnant
vne longue suitte de victoires, luy as donné
vn Royaume qui n’auoit point d’autres bornes, que
celles du Monde entier. Puisque tu es fille du Ciel,
nous souspirons apres tes ardeurs, & nous faisons
gloire d’estre Furieux, puisque tu es le Soleil qui fais
naistre les Palmes. Puisque tu nous rends inuincibles,
nous ferons monter nos victoires iusques sur
son Eminence. Ton feu eschauffant nos cœurs d’vn
noble desir de combatre, nous nous despoüillons
de nos propres interests, comme d’vne chemise que
nous auons portée il y a long-temps, pour nous reuestir
de ceux du public, comme d’vne robe Royale :
Et nous quittons nos miseres dans nos maisons,
comme vn fardeau sous lequel nous gemissons il y a
long-temps, pour aller chercher nostre bon-heur
dans les combats, lesquels ont de plus fortes chaisnes
pour nous attirer, que nos familles pour nous retenir.
Nous estouffons l’amour de nos maisons dans vne
genereuse adoption de tout le Peuple de France, à
l’exemple de ces deux Romains, dont l’vn ne vouloit
point auoir d’autre qualité, que celle de Pere public,
& l’autre ayma mieux estre pere cruel, que Consul

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indigne, & dessus le tombeau de son propre
fils, erigea vn triste monument à la vengeance
de son pays, monstrant par cette aymable &
genereuse cruauté, qu’il faut estre cruel enuers
soy mesme, pour ne l’estre point enuers les autres :
Et que pour donner tout à fait nostre affection
à nostre Patrie, il faut oublier nos familles,
& luy immoler nos enfans comme des victimes,
puis qu’ils la partagent, & font vne partie
de nostre cœur.

 

Normanni acceusis
diuino
quodam spiritu
animis, acceptlsq.
à guaimaro
oppidi principe
armis, equisque
tanta
vi, rãtoque impetu
in Saracenos
irruunt, vt
plurimis peremptis
reliquis
in fugam versis
admirabili victoria
potirentur.
Bertald. in
Floro Frant lib.
3. cap. 3.

Normanni cũ
Italicis aliquot
cohortibus fretos
immanibus
copiis Græcos,
qui Calabriam
omnem Apuliamque
S. Pontificibus
crepiã
inuaserant tribus
iugentibus
præliis
acle vincunt.
Bertald.
in Floro Franc.
lib. 3. cap. 3.

La Noblesse, &
effets admirables
de la fureur.

Psalm. 6.

Generosité sans
interests.

Consule cũctis
nõ tibi, nec tua
te moueant, sed
publica damna.
Claud ad honor.

Vt planè publicus
parens in
locũ liberorum
adoptasse sibi
populum videretur. Florus
lib. 10. cap. 9.

Exuit patiẽ, vt
Consulem ageret,
orbusque
viuere maluit,
quam publicæ
decsse vindictæ
Val. Max.
lib. 5. cap. 8.

Gnatos pater
ad pœnã pulchra
[1 mot ill.]
vocabit.

Vincet amor
patriæ landumque
immensa
cupido.
Virgil. 6.

Iustice de la fureur
& de la
guerre.

La Iustice de nostre cause accompagne ces
nobles sentimens, car si nous prenons les armes,
c’est pour defendre la Iustice, mesme de l’oppression
d’vn Estranger qui la veut destruire,
pour viure iniustement : C’est pour arracher la
Paix à ce Ministre d’Estat, qui est de la nature
des vents qui ne peuuent subsister sans guerre,
& regner dans la trãquillité, C’est pour asseurer
la Couronne de nostre Roy, qui chancelle entre
les mains du Chancelier, & la Vertu de nostre
bonne Reyne, qui est en danger aupres d’vn
Ministre. Sont les Eglises pillées, Dieu foulé
aux pieds, les Vierges innocentes violées par des
barbares, qui attirẽt sur eux nos iustes vengeances.
Nous marchons donc sous les estendarts de
la Iustice, & nostre generosité a d’assez fortes
chaisnes, pour attirer toutes les autres vertus
dans nos desseins, puis qu’ils ne tendent qu’à
chasser de certains barbares qui ont vendu leur
sang & leurs vies au Cardinal contre nostre Patrie.

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Outre cela, la nature nous donne des armes,
& la fureur qui nous est naturelle, nous fait
embrasser nostre defense. Furor arma ministrat.
Quoy, nous ne serions point furieux ? lors qu’on
veut changer la France en Barbarie ? nous demeurerions
dãs nos maisons, lors qu’on les veut
brûler. Enfin nous ne marcherions point sur
les pas de cét Heros. Monsieur de Longueuille,
lequel sacrifie sa vie pour nostre salut, & qui
marchant sur les dangers, veut nous conduire à
la tranquillité.

 

Iustice de la fureur
& de la
guerre.

Apud veros Dei
cultores bella
non cupiditate
& [1 mot ill.],
sed pacis studio
geruntur, vt
mali coërceantur,
boni subleuentur. D.

August. lib. de
virb. Domini.

Bellum est iustum
quod
propter nobis
captas, repetitas,
& non restitutas
res suscipitur.
Liu.
lib. 1.

[3 lignes ill.] Arist.
Rhet cap 3.

Fortitudo quæ
per bella tuetur
à barbaris
triã, vel [1 mot ill.]
infirmos,
vel à latronibus
socios. Plena
iustiria est.
D. Ambr. offic.
Communis vtilitatis
derelictio
contra naturam
est. Cic.
3. de Off.

Arma armis irritantur.

Plin. Paneg. quam vtile
est ad vsum se
cundorum per
aduersa venisse.
Plir. Paneg.
Egregij duces
plura consilio,
quam vi præfecerunt.

Tacit. 2. ann. non minus est
Imperatoris cõsilio
superare,
quam gladio.
Cæs. lib. 1.
bell. Ciuit.

Vita principis
censura, eaque
perpetua, ad
hanc conuertimur,
nec tam
imperio nobis
opus est, quam
exemplo

Plin. Paneg. Facere recte ciues
suos Princeps
optimus
docet, cum imperio
sit maximus
exemplo
maior esse debet.
Vell lib. 2. Hoc veri Principis, populos non imperio magis, quàm ratione compescere,
voleissimi syeris instat omnia inuisere, omnia audire, & vndequaque inuocatum, velut numen
adesse & adsistere. Plin. Paneg.

Grand Prince, nous suiuons tes conseils, qui
ont plus merité de lauriers, que les armes des
autres : Nous suiuons tes armes, que la prudence
conduit.

Consiliis belloque potest, quæ copula rara est.

Aus. in epist.

Les cœurs les plus lasches apprennent à estre genereux
par ton exemple, ils confondent heureusement
leurs volontez auec les tiennes, &
les poussent à vne mesme fin, pour acquerir le
mesme bonheur. Ta vie est vn Soleil qui les échauffe
par ses ardeurs : C’est vn bel œil qui les
attire par ses doux regards, les captiue pour leur
donner la liberté. Ta presence qui les rend sans
respect pour te voir, & t’inuoquer dans leur misere,
ta prudence que les dangers respectent, les
fait adorer vn esprit vrayment diuin dans vn

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corps humain. Ouy, Noble Defenseur des
Roys, nous embrassons ton Empire dans lequel
nous trouuons vn singulier exemple de vertu ; &
nous sommes assez glorieux de te mettre sur la
teste la Couronne que tous les Citoyens de Paris
te donnent, parce qu’ils rencontrent leur conseruation
dans ta generosité, & dans la fureur
que ton exemple allume dans nos cœurs, & que
tes discours allumeront dauantage, car en apprenant
la cruauté de nos ennemis, nous apprendrons
à estre cruels enuers eux. Representez
donc, GRAND PRINCE, à toute la Normandie la
misere sous laquelle ces barbares ont fait gemir
toute la France, & nous pareillement nous chercherons
de la generosité dans la narration de
nos malheurs.

 

Nullum ornamentum
principis
fastigio
dignius, quam
illa corona obciues
seruatos.
Senec. de clem.

[7 lignes ill.]
Dio. nic. in Aug.

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DIALOGVE
DE MR DE LONGVEVILLE,
& de la Normandie, sur les miseres
de la France, pour exciter la fureur.

MR DE LONGVEVILLE.

 


ILS espuisent d’or les Prouinces,
Farcissent leur auidité,
Ne laissans par tout mesme aux Princes
Que la seule mendicité.

 

Nunquam aduerius
immodieas
cupiditates
stat terminus.
Curt. lib. 1.

 


Pluton auecques ses richesses,
Est seul objet de leurs caresses ;
Et Themis ne parle iamais :
Car on la traitte comme folle,
Et en luy ostant le palais
On luy fait perdre la parole.

 

Nullis muneriribus
sortunæ
explentur quorum
cupiditates
ratio non terminat.

Nazar. Paneg.

LA NORMANDIE.

Il est vray que les meschans montent tousjours
à la felicité par dessus les ruïnes de la Iustice,
car elle prescrit des bornes à leurs passions, &
captiue leurs desirs qui volent iusques à la Royauté
& leur insolence cherche à s’enrichir dans
la pauureté des autres, & n’a pas si tost fait vn
larcin, qu’elle en medite vn autre, & se perdant
dans le monde dans des entreprises infinies ; qui

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apportent la fin à toutes choses, marche tousiours
iusques dans l’enfer.

 

Quid enim sunt
regna remota
[1 mot ill.]
nisi magni
latrocima
D. Aug.

Auidis auidis
natura parũ est
Senec. Herc.
Oct.

MR DE LONGVEVILLE.

 


On voit la Iustice abaissée
Sous la Fortune & les Destins,
Et se voit expirant baisée
De ces infames assassins :
La Fortune ayant la Victoire,
Sur sa mort establit sa gloire,
Et se voit mille Adorateurs,
Qui semblent n’estre dans la Vie
Que pour en estre Destructeurs,
Et souler de sang leur enuie.

 

 


Ils ruinent les Champs & les Villes ;
On voit vn pauure Laboureur
Vendre iusques à ces lentilles
Pour satisfaire à vn voleur :
Ce n’est pas pour luy qu’il trauaille,
C’est pour souler cette canaille ;
Et aujourd’huy s’il a du pain,
Sans espoir de misericorde,
Pour n’estre pas pery de faim,
Il est assuré de la corde.

 

LA NORMANDIE.

Helas nous auons iusques à present donné
tout ce qui nous pouuoit conseruer la vie à ceux
qui ne viuoiẽt que pour nous faire mourir, mais

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nous tascherons d’assurer nostre vie aupres de
leurs tombeaux, & de renuerser leurs desseins
pernicieux, quoy qu’ils taschent de les couronner
de la Couronne Royale ; & nous mettrons
ces cruels en Enfer, qui en nous rauissant nos
richesses ont mis dans nostre riche Prouince le
Purgatoire.

 

MR DE LONGVEVILLE.

 


On voit des hommes sans figure,
Haues, maigres, languissans,
Et sans aucune nourriture
Mourir crüellement viuans ;
Leurs regards donnent de la crainte,
Leur voix finit dedans la plainte,
Et la cruauté de leur sort
Leur fait des ieux hydeux & sombres,
Et mesme on voit pâlir la mort
Quand elle approche de ces ombres.

 

LA NORMANDIE.

Apres ces cruautez qui n’ont point d’exemple
parmy les Barbares, si le desir naturel de conseruer
nostre vie & nostre liberté nous fait prendre
les armes, son Eminence nous appelle rebelles :
nous voulons acheter nostre Roy au prix de
nostre sang, & chasser vn Tyran, qui embrasse
le Sceptre Royal, pour l’attirer dans sa ruine, on
nomme cela rebellion. Si l’on donnoit vn gouuernement
au Cardinal, qui ne peut pas se gouuerner

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soy-mesme, pour le recompenser du mal
qu’il nous a fait souffrir. Si on luy faisoit present
de la France, nous ne serions point rebelles,
ces malicieuses accusations excitent nostre fureur
& attirent nos vengeances sur luy ; mais
nous esperons qu’il veut faire penitence : car ce
bon Ministre d’Estat a fait de nos Villages,
Bourgs & Villes, autrefois riches & bien peuplées,
des vastes & affreux deserts.

 

O nomen dulce
libertatis. Cic.
in ver.

Omnes homines
naturâ libertati
student,
& conditionem
seruitutis oderunt
Cæs. 3.
comm.

MR DE LONGVEVILLE.

 


Leur cruauté va dans l’Eglise,
Cette chaste fille des Cieux
Se voit cruellement soubmise
A l’impieté de leurs vœux :
Ses chans ne charment plus l’ouye,
On voit vne saincte pluye
Baigner ses yeux & ses Autels :
Pour se venger versant des larmes,
Benist sainctement ces cruels,
Dont elle reçoit ces alarmes.

 

 


On voit chargé de Benefices,
Et sous vne Mitre en repos,
Vn asne embourbé dans les vices,
Qui sçait mentir bien à propos.
On voit des cheuaux de carrosses,
Courbez sous le poids de leurs crosses :
Pourquoy trauailler nuict & iour ?
Puis qu’vne once de bonne mine

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A plus de poids dedans la Cour
Que deux cent liures de doctrine.

 

LA NORMANDIE.

Au lieu de faire chanter les Prestres, ils les
font pleurer, & le Cardinal croit estre assez
eminent pour abaisser sous son Eminence, &
condamner aux supplices vn Prelat, qui a esté
assez genereux pour ne la point flater dans ses
crimes ; qui, parce qu’il tasche tous les iours à reparer
par la perte de ses biens la perte de nostre
Roy & de nos fortunes, merite l’erain de Corinthe
pour grauer ses actions, & les donner à la
posterité, comme des vertus, que les Anciens
n’ont pas connues. Si ses conseils eussent rencontré
vn autre esprit que celuy du Cardinal,
qui est naturellement ennemy des bons, nous ne
verrions point à regret tous nos Princes sacrifier
leurs vies à l’ambition de ce Tyran, & adorer sa
fortune que leurs mains empeschent de choir ; &
qui portent vn bras pour la soustenir, & l’autre
pour la respecter. Si son Eminence auoit vn peu
moins de superbe & plus de prudence, il verroit
que ceux qui donnent des ailes à ses passions, ne
le peuuent regarder voler iusques aux throsnes
sans enuie ; & que la main qui le soustient le
peut laisser tomber. GRAND GENIE quitte
pour vn moment ta fortune & abaisse tes considerations
sur la misere qui t’attend au pied du
throsne, où loge ton Eminence. Si les Princes

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te portent, c’est dans le precipice, s’ils t’eleuent
bien-haut, c’est afin que ta cheute soit plus dangereuse ;
qu’est-ce qui les pourroit attacher si
estroittement aupres de ta personne pour te
garder, & opposer à nostre iuste fureur, le Roy,
comme vn rempart inuiolable ? seroit-ce l’esperance
de la gloire ? Ils sçauent fort bien, que la
generosité degenere, quand elle conçoit des desseins
contre la Patrie, & les acheuant cesse d’estre
vertu, & ne merite pas la gloire, qui suit les
grands courages dans le tombeau, & les fait viure
heureusement mesme dans le sein de la
mort. Si les Cesars eussent cherché la misere de
Rome dans les combats, & n’eussent esté genereux
qu’à destruire leur pays, ou leurs noms seroient
enseuelis dans l’obscurité du silence, ou
en sortiroient seulement auec infamie.

 

Monsieur le
Coadiuteur de
Paris pere temporel
& spirituel
du temple.

Son merite la
fait nommer
Archeuesque de
Corinthe.

Inui dos facit
fortuna.
Senec.

Imperium habentibus
nihil
medium inter
præcipitia aut
summa.
Tat. 2. hist.

Cette pensée me fait deplorer le sort de cet
Heros, Monsieur de Chastillon, lequel ayant
prouoqué l’Espagne à donner à son merite vne
mort glorieuse, n’a peu, l’obtenir par vn genereux
mespris de la vie, mais l’est venu chercher
dans vn fidele seruice rendu à Monsieur le Prince
de Condé, & l’a enfin rencontrée dans vne
parfaite obeïssance. Ah, grand courage, il falloit
estre moins genereux pour trouuer vn glorieux
tombeau dans la Flandre, ta vertu a trouué du
respect dans la haine qu’elle te portoit, ton courage
luy a rauy le courage, de t’oster vne vie, qui
luy donnoit la mort, & de faire voler d’vn coup

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de canon ta teste & ton nom dans les Cieux.
Cette cruelle a remporté vne plus illustre victoire
en te respectant, qu’en te poursuiuant, car elle
sçauoit qu’au milieu de ses poursuittes, & de sa
cruauté, tu mourois comme le Phenix au milieu
des palmes. Que te restoit-il apres auoir cherché
tant de fois dans les combats vne playe d’où sortist
auec ton sang ta gloire, & celle de ton païs ?
Apres que les ennemis de la France l’ont refusée
à tes vœux ou par crainte ou par respect, il a
fallu que ta foy te fist mourir, puis que ta generosité
te rendoit immortel. Ah, tu deuois estre
moins fidele, pour estre moins cruel enuers toy
& ta Patrie. Mais que dis-ie ? tu as partagé ta fidelité
à ton Prince & à tõ païs : tu as porté les armes
contre elle pour satisfaire à son ennemy, & dans
cette satisfaction tu as cherché la mort, parce
que tu sçauois que tes cendres troubleroient les
ennemis du repos public, & que tu emporterois
leur bon-heur & leurs victoires dans le tombeau.
Tu sçauois qu’en tombant, ton païs regarderoit
tomber leurs pernicieux desseins, qu’en
t’emportant dans le Chasteau de Vincennes, ils
emporteroient toutes leurs forces ; & enfin en
t’enseuelissant ils enseueliront toutes leurs esperances.

 

Digression sur
la mort de Mõsieur
de Chastillon,
sont les nobles
sentimens
excitent la fureur.

Nihil grauius
se ferre fortes
viri dictitant,
quam cum inter
fortissimos viros
mori non
possunt seruari
non ad vitæ iucanditatem,
sed
ad Iudib[1 lettre ill.]ium
calamitatis.
Iust. lib. 19.

Apologie de M.
de Chastillon.

C’est vn traict d’vne prudence consommée,
que de contenter deux partis contraires. Monsieur
de Chastillon marchant contre sa Patrie,
faisoit marcher les desseins de ses ennemis bien

-- 15 --

loin ; & portant les armes contre elle, portoit
leurs esperances iusques à sa ruine ; mais aussi en
mourant il a tesmoigné qu’il luy estoit plus glorieux
de la laisser triompher de sa mort, que d’éleuer
de son debris vn monument à l’ambition
de ses ennemis : car il estimoit que c’estoit vn
malheur que de vaincre & de ne vaincre pas, &
qu’il falloit aller chercher le trespas & l’embrasser
comme son bon heur au milieu de ces deux
extremitez, qui partageoient mutuellement
son cœur, & qui ne pouuoient luy presenter vn
bien sans vn mal, & luy donner la victoire sans
le déplaisir d’auoir vaincu : toutesfois il est allé
au combat, car sa foy l’y engageoit ; il y a laissé
la vie, parce que l’amour qu’il portoit à sa Patrie
ne pouuoit souffrir qu’il l’employast contre celle
qui luy auoit liberalement donnée. Cecy paroist
euidemment dans les bons sentimens, qu’il
estouffoit dans l’obeïssance qui l’attachoit au
seruice du Prince de Condé, & qu’il a fait paroistre
auec vn éclat vn peu auant mourir, semblable
à ces flambeaux qui iettent plus de lumiere
au poinct qu’ils se consument, & à ces cygnes
qui semblent attirer la mort par les charmes de
leurs chant, & l’appeller à haute voix.

 

Miserum est ciuili
vincere bello.
Lucan. lib. 7.
Omnia sunt in
bellis ciuilibus
misera, sed nihil
miserius,
quam ipsa victoria.
Cic. lib.
4. ep. 9.

Calamitosum
est cum eo confligere,
qui eiusdem
gentis.
Xiphil. in Autoum.

Cette approbation, que la Iustice de nostre
guerre a arrachée à nos ennemis, doit inspirer
du courage à la lascheté mesme, & nous rendre
furieux, puisque nos ennemis confessent, que
nous le serons iustement : Il ne faut pas que la

-- 16 --

temerité triomphe dauantage de nostre lascheté,
elle a ietté desia tout son feu, & croyant auoir
vne generosité accompagnée de bonheur,
elle reconnoist qu’elle a vne folie accompagnée
de malheur, & ayant comme certains petits animaux
ietté son aiguillon, deuient lasche & sans
vigueur.

 

Temeritas præterquam
stulta
est etiam infelix
Liu. lib. 22.
Vbi primũ impetum
effudit,
sicut quædam
animalia amisso
aculeo torpet.
Curt. lib. 3.

Paris, attend donc ta victoire de nostre iuste
Fureur, nous portons les Esperances de la France
auec nos Armes, & nous sommes assez glorieux
de pouuoir vaincre auec toy. Nos forces vnies
arracheront des Palmes à l’Enuie & l’approbation
de nos desseins à la Fortune, & nostre colere
legitime trouuera parmy les Nations, & la
posterité, des Admirateurs sans imitation, &
non pas des Imitateurs sans admiration, &
nous ouurant vn chemin à la gloire, nous
conduira heureusement à la tranquillité.

[1 mot ill.] virtute
belli omnibus
gentibus præferuntur,
quippe
per insaniã pugnant
ad gloriã
Cæsar. in Com.

FIN.

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