Anonyme [1649], LA MANNE CELESTE, OV L’HEVREVSE ARRIVEE du premier Conuoy de Viures à Paris: AVEC LA GENEREVSE SORTIE DES PARISIENS. , françaisRéférence RIM : M0_2405. Cote locale : A_6_5.
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LA
MANNE
CELESTE,
OV
L’HEVREVSE ARRIVEE
du premier Conuoy de Viures
à Paris :

AVEC LA GENEREVSE SORTIE
DES PARISIENS.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques,
aux Colomnes d’Hercules.

M. DC. XLIX.

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LA MANNE CELESTE, OV L’HEVREVSE
arriuée du premier Conuoy de Viures, à Paris : Auec
la genereuse sortie des Parisiens.

Qvelles plus grandes resioüissances pouuoient
iamais receuoir les premiers Peuples du monde,
& les habitans de la plus florissante Cité de
l’Vniuers, que l’on afflige iniustement par la
guerre, & que l’on veut destruire par la faim,
que devoir naistre l’abondance de toutes choses dans leur
Ville, lors que la fureur & la rage de ses ennemis trauaillent
nuit & iour par de puissans efforts à la faire perir par la disette ?
Ce n’est pas sans sujet, genereux & vaillans Parisiens,
que i’ay donné pour tiltre à ce discours, LA MANNE CELESTE,
puis que c’est la seule Prouidence de Dieu, qui a fait
faire ce grand amas de toutes choses, pour nous substanter,
& nous desassujettir de la tyrannie, ou le lasche & scelerat
Estranger, Mazarin, qui fait mouuoir contre nous les principales
puissances du Royaume, nous veut faire mourir.
Sans vne aide particuliere, & fauorable du Ciel, quelles
gens auroient osé entreprendre, d’amasser, & de recueillir
parmy les bourgs & les villages à quatorze, quinze &
vingt lieuës de Paris, tant de biens & de viures de toutes sortes,
& les resserrer dans Estampes ; puis que tous les endroits
d’autour cette grande Ville, & autres lieux plus eloignez,
sont tous couuerts de Trouppes ennemies, qui n’espargnent
ny sexe, ny âge, où ils ne laissent des marques de leur fureur
& de leur violence ? Sans doute, chers Compatriotes, c’est
d’enhaut que nous est venu ce secours, & ce sont les sainctes
inspirations qui en sont descenduës dans le cœur des peuples

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de la campagne, qui ont fait mouuoir les ressorts d’vne entreprise
si hardie, & si glorieuse, & leur ont donné le courage
de tout entreprendre pour secourir nostre misere.

 

Mais dequoy nous eussent seruis tant de biens amassez
dans vne Ville distante de celle-cy de quatorze lieuës, si le
mesme Dieu, qui par sa Prouidence auoit fait faire ce grand
amas, n’eust faict naistre dans l’ame genereuse du Duc de
Beaufort, & dans celles de tous nos autres Generaux, vne
extraordinaire vigueur, pour par leur insigne valeur, & courage
magnanime, trauailler malgré la ferme resistance de
nos ennemis, à conduire & mener heureusement ce fameux
Conuoy dans le lieu destiné pour sa retraite ?

Ce ne fut pas vne petite entreprise que celle-là ; nos Mazarinistes
enflez de la vanité d’vne action du iour precedent,
qu’ils nomment assez in discretement vne grande victoire,
quoy que par la perte des plus notables Personnages de leur
armée, elle leur fut plus funeste, qu’auantageuse, occuperent
en peu de temps tous les passages par où ils croyoient que
ce Conuoy deuoit passer. Leurs espions n’auoient pas manqué
de les fidellement aduertir, que ce ieune Mars, en qui
sont nos meilleures esperances, cét inuincible Heros, le Duc
de Beaufort, issu de l’illustre race des Bourbons, estoit sorty
de Paris, pendant que l’on se battoit à Charenton, auec des
forces considerables pour aller querir toutes ces prouisions
de bouche, les amener, & les faire passer, auec cette ferme
resolution, de mourir ou de vaincre. Ce General ayant sceu
que l’Armée Cardinaliste occupoit les principaux endroits
par où il faloit qu’vn si grand attirail de charettes, de chariots,
de cheuaux & de mulets chargez, de bœufs, de moutons
& de pourceaux, passassent de necessité, inuoque
l’assistance du grand Dieu des batailles, & sans autre ceremonie,
ordonne, & range ses Trouppes, d’Infanterie & de
Cauallerie, en bataille, se met à leur teste armé de toutes
pieces, & commence à faire sa marche.

Quelques Coureurs, qui s’estoient par son ordre détachez

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de leur gros pour faire quelque découuerte, rapportent auoir
veu les Ennemis rangez en bataille dans vne grande plaine
à la main droite, par où il faloit necessairement passer. Ce
valeureux Chef de Guerre, qui ne sceut iamais que c’est que
de peur, & qui en cent fameux endroits a donné d’illustres
marques de son courage, & de son experience, mesmement
à l’important siege d’Arras, où son frere le Duc de Mercœur
& luy firent des exploits qui surpasserent leur âge, se débande
comme vn torrent débordé, va droit à eux, les entame, les
perse, les fait ployer, & leur fait faire retraite. Asseurément
Dieu & les Anges combatoient auec cet Inuincible, & son
visage beau comme l’vn de celuy de ces diuins Esprits, tesmoignoit
assez qu’il estoit enuironné de ces diuines lumieres.

 

Ce mauuais succés des ennemis, qui d’attaquez deuinrent
fugitifs, & les sanglantes marques que ce rude chocq imprima
sur le corps de plusieurs Soldats Cardinalistes, n’intimiderent
pourtant point leur courage, qu’il ne leur en restât encore
beaucoup pour faire vn nouuel effort, & vne seconde
tentatiue. Au bruit des coups de mousquets, de fusils & de pistolets,
de nouuelles Trouppes se ioignirent à ce premier
corps qui fut mal mené à la premiere attaque, & ce renfort
les animant à tout entreprendre, ou à perir, le conseil medita
les moyens de tirer reuanche de l’affront qu’ils venoient fraichement
de receuoir : Ils ne quitterent leurs premiers postes,
que pour s’en emparer d’autres, & trouner suiet d’en venir
encore aux mains : mais comme toute cetre Armée vid à la
contenance de ses ennemis, qu’ils n’estoient pas gens à se
laisser battre aisément, ils s’aduiserent de faire par la ruse &
par le stratageme, ce qu’ils n’auoient pû auancer par la force
ouuerte.

Ces Trouppes se diuiserent apparemment, & le Duc de
Beaufort ne croyant plus auoir d’ennemis à combatre, fait
continuer la marche de son Conuoy & de ses gens de guerre
auec le mesme ordre & la mesme discipline militaire qu’il
auoit commencé. Comme il auance chemin il reçoit vn aduis

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auprés de Vitry, distant d’vne lieüe & demie de Paris, que les
Cardinalistes estoient campez sur son passage, tesmoignans
à ce coup-là, plus resolument que iamais, d’enleuer son Conuoy,
ou par vn combat de deffaire ses Trouppes.

 

Ce prudent & vigilant Capitaine ne voulant pas perir au
port, ny faire naufrage où il auoit ancré toute l’esperance
de son salut, tint Conseil de guerre, pour aduiser aux moyens
de se garantir de l’entreprise des Ennemis, de conseruer sa
victoire, & la rendre aussi fameuse par vn acte de prudence
& de conduite, qu’il la pourroit rendre celebre par vn combat
opiniastré.

Puis que son principal dessein estoit plustost de rendre le
Conuoy en seureté à Paris, que de chercher les occasions de
combatre les Ennemis, qu’il n’estoit point obligé de choquer
qu’en cas qu’ils voulussent faire effort de luy oster d’entre les
mains vn secours d’alimens qu’il vouloit faire entrer en cette
Ville affligée, il arresta de ne rien hazarder, & de ne continuer
plus sa marche, qu’il n’eust esté renforcé par les forces
Parisiennes qu’il enuoya conuier de venir à sa defense.

Iamais on ne vid vn armement plus prompt ny plus precipité,
ny des courages mieux disposez à secourir leur Patrie,
que les Parisiens le furent en cette pressante occasion, où ils
furent aussi franchement à la guerre, que s’ils eussent esté à
vn Triomphe.

En vn instant l’on vid toutes les rues peuplées de gens armez,
qui la pluspart sans tambours & sans trompettes ne laisserent
pas de sortir de la Ville, pour aller où leur deuoir &
leur courage les obligeoient à se rendre. A ce nom du Duc
de Beaufort, vn chacun fit gloire d’aller le secourir ; & les
Mazarinistes non moins déplaisans qu’estonnez, de voir en
si peu de temps vn concours de monde si grand & si disposé
à leur bien tailler de l’ouurage, furent tout heureux de lascher
le pied, & de n’attendre point cet orage à creuer contre
eux, preuoyant bien qu’il ne pouuoit moins faire que de trauailler
à leur entiere ruine.

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Cette Armée estant ainsi éclypsée, les nouuelles en furent
incontinent apportées à Paris, où l’on n’ouit iamais tant de
cris de viue le Roy, viue le Parlement, viue le Prince de
Conty, viue le Duc de Beaufort, & viue les autres Generaux.
Auec cette resioüissance publique, l’on vid entrer ce Conuoy
heureusement dans la Ville escorté par les Trouppes victorieuses
de ce grand Prince qui le conduisoit, & auquel
toute l’affluence du peuple tesmoigna vne si grande satisfaction
de ses trauaux & de ses peines, que toutes les bouches
de tant de gens n’estoient ouuertes que pour luy donner des
loüanges, & rendre à Dieu des graces infinies, du soin qu’il
prenoit de soulager leurs miseres.

Peut-on nous blâmer si nous nous defendons contre les
Cardinalistes, qui par voye de faict & des armes, sans aucune
authorité ny sujet legitime veulent opprimer nostre liberté,
nous oster la vie, l’honneur & les biens, puis que c’est vne
lascheté honteuse & punissable, de ne pas repousser la force
par la force, & de ne pas opposer vne sorte resistance à vn
outrage violent qui nous est fait ? C’est vne maxime que celle-là,
qui n’est pas seulement fondée sur le droict naturel, &
des gens : mais elle est mesme appuyée du droict diuin, &
humain.

C’est par cette raison que le Parlement & les Preuost des
Marchands & Escheuins de la Ville de Paris maintiennent
leur defense dans la prise des Armes, pour asseurer leurs vies,
leurs familles, leur repos, leur liberté, & celle de tous les
François, & conseruer leur honneur contre les mauuais &
pernicieux desseins du Cardinal Mazarin, Sycilien, & naturel
suiet du Roy d’Espagne, abusant du nom & de l’authorité
de la Reyne Regente, il se sert de la plume & du sceau du
Roy, de ses finances & de ses Trouppes, pour opprimer sans
raison legitime la liberté du Parlement & de la Ville de Paris,
en imposant faussement à l’vn qu’il a choqué l’Authorité
Royale & entrepris sur sa Puissance ; & accusant l’autre,
qu’elle a manqué de respect enuers leurs Maiestez dans les

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mouuemens qui sont arriuez pour l’en leuement de Messieurs
de Broussel & de Blanmesnil, tres-dignes Officiers du Parlement.

 

Qu’il est iuste de priuer cet Insolent de ces pretentions
barbares & criminelles ! & qu’il seroit glorieux vn grand
Prince qui le protege, en respondant à sa naissance, & à la
gloire de la race des Bourbons, de se saisir de cet Ennemy
du Roy, & le conduire captif à Paris, pour auec ces vertueux
& sages Senateurs acheuer son procez, & à luy faire endurer,
& à ses complices, les iustes peines deuës à leurs crimes, par
vn exemple eternel aux Estrangers, aux orgueilleux, & aux
muuuais François : Esperons que le Ciel sera l’autheur d’vne
si loüable, si genereuse & si saincte action, & qu’en peu de
iours ce grand Heros las d’estre le compagnon du plus vil,
& du plus infame de tous les hommes, l’abandonnant, le
liurera luy-mesme entre les mains de la Iustice, pour luy
faire expier par sa mort tant de maux qu’il a faict à ce
Royaume.

FIN.

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