Anonyme [1652], LA MARCHE DE L’ARMÉE DE MONSEIGNEVR LE PRINCE Au deuant du Cardinal Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2408. Cote locale : B_7_19.
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LA
MARCHE
DE L’ARMÉE
DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE
Au deuant du Cardinal
Mazarin.

M. DC. LII.

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LA
MARCHE DE
L’ARMÉE DE
MONSEIGNEVR
LE PRINCE.

AV DEVANT DV
Cardinal Mazarin.

IL faut bien que le Ciel fauorise les
desseins de Monsieur le Prince, puis
que tandis qu’il combat contre ses
Ennemis, on voit que ses ennemis mesme
semblent combattre pour luy. Si d’vn costé
il paroist à la teste de son Armée pour s’opposer
au retour du Cardinal Mazarin, ce
Cardinal se prepare pour rentrer dedans la
France : Mais par vn estrange aueuglement

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il vient comme secourir le party de Monsieur
le Prince, en monstrant par son retour
la Iustice de ses armes. Ainsi ces deux partys
opposez, conspirent aujourd’huy à sa
gloire par des moyens bien differens & par
des voyes contraires, puis qu’ils seruent à
mesme temps à soustenir, ou à iustifier l’Innocence
de ses desseins, & la bonté de sa
cause. Vous allez voir l’vn dans la marche de
Monsieur le Prince, & l’autre dans celle du
Mazarin.

 

Il n’appartient qu’aux grands courages
de sçauoir triompher des saisons aussi bien
que vaincre les hommes, & de chercher les
occasions de combattre en des temps où les
autres trouuent les moyens de se reposer.
Bien que l’Hyuer ne soit pas propre pour faire
des Campagnes, il sert neantmoins à
Monsieur le Prince pour faire de grandes
actions : Et comme si l’ardeur de son courage,
ou le zele qu’il a pour le bien de l’Estat
l’empeschoit de sentir les rigueurs du froid,
il expose son illustre personne aux incommoditez
de cette saison, pour ne perdre pas
vn moment dans vne guerre si importante
& si juste, & pour faire voir à tout le monde,
qu’il sçait cueillir des Lauriers, mesmes
parmy les neiges & les gelées.

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Apres que Monsieur le Prince eut remporté
à son depart de la Bergerie les aduantages
que vous auez sçeu, & qui ont esté
plus grands qu’on n’auoit pas creu d’abord,
parce qu’vne partie des vaincus auoit pris
party dans l’Armée de Son Altesse : Il alla
passer la Riuiere à Taillebourg le vingt cinquiéme
du mois passé, & de là s’aduança
jusques à S. Sauinien, pour attirer par sa
presence Monsieur d’Harcour au combat,
ou pour luy en faciliter les occasions, s’il en
auoit tant d’enuie, comme il auoit publié,
Mais ceux qui auoient témoigné tant de feu
tandis qu’il y auoit vne Riuiere entre l’Armée
de Son Altesse & la leur, & des desfilez
à passer, qui rendoient vne bataille presque
impossible ; oublierent leur premiere resolution,
quand ils virent paroistre ses troupes,
& quand ils eurent de plus grandes
commoditez de combattre. Monsieur le
Prince poussa d’abord quelques Corps de
Garde des Ennemis qui estoient des plus aduancez,
afin qu’ils allassent aduertir leur
General que l’armée n’estoit pas esloignée.

Toutes ces genereuses semonces ont esté
inutiles iusques à cette heure : & soit que le
froid de la saison aye rallenti l’ardeur du
courage des Ennemis : soit qu’ils ne se sentent

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pas assez forts, maintenant qu’ils ne
sont plus secourus par les pluyes : soit enfin
que l’Armée de soit pas en estat de combattre,
à cause des trauaux qu’elle a soufferts,
& du deffaut de viures qu’elle endure ;
Monsieur d’Harcourt s’est retiré dans saint
Iean d’Angely, laissent à Monsieur le Prince
cét aduantage assez considerable d’auoir
fait reculer vn Ennemy qui l’auoit auparauant
menacé de le venir attaquer iusques
dans ses retranchemens.

 

Mais tandis que Monsieur d’Harcour recule
d’vn costé, nous auons apris que le
Cardinal Mazarin s’auance de l’autre : On
ne doute plus de son retour, depuis qu’il a
paru sur la frontiere, & qu’il a écrit à Monsieur
le Duc Delbœuf, pour luy demander
Conseil s’il deuoit rentrer dans la France à
la teste de cinq ou six mille hommes, qu’il
se vante d’auoir leüez pour le seruice du
Roy. Ce Duc enuoya la lettre qu’il auoit
receue de la part du Cardinal, auec la response
qu’il luy auoit faite, à Monsieur le
Premier President du Parlement de Paris.
Les Chambres furent assemblées sur cette
occurrence le vingtiéme du mois passé, &
suiuant les conclusions des gens du Roy, il
ut ordonné que les Deputez, qui auoient

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esté dé-ja destinez pour la Cour, partiroient
incessamment pour aller aduertir Sa Majesté
du contenu de cette Lettre, des bruits
qui s’augmentent tous les iours du retour
du Cardinal, & des leüées qui se font sur la
frontiere pour faciliter l’execution de ce
dessein. Et cependant la Cour decreta d’adjournement
personnel contre le sieur de
Nauailles que le Cardinal auoit enuoyé au
Duc Delbœuf pour cette negociation. Le
bruit court dé-ja dans Paris que cét estranger
est entré en France, ce qui commance
de causer d’estranges remuëmens.

 

Ces nouuelles sont trop auantageuses à
Monsieur le Prince pour me contenter d’vne
simple relation, sans vous faire part des
reflections qui ont esté faites sur ce sujet,
puis que c’est vn sentiment commun que le
retour du Mazarin est la justification de
Monsieur le Prince.

REFLEXIONS.

LA premiere reflexion regarde la conduite
du Cardinal, qui par vn estrange
aueuglement trauaille à la iustification
de Monsieur le Prince, & qui semble

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auoit dessein de le secourir, quand il
vient pour le perdre. Tout le monde sçait
que Son Altesse, a pris les armes pour empescher
le retour de cét estranger, & qu’elle
a protesté solemnellement, qu’vne des
principales raisons qui l’ont obligé à cette
guerre, a esté pour deffendre auec sa liberté
celle de toute la France contre cét ennemy
commun. Cependant les ennemis de Monsieur
le Prince ont publié hautement que
ce n’est oit qu’vn pretexte supposé pour
couurir des raisons plus odieuses : qu’au reste
le retour du Mazarin estoit vn danger
imaginaire, & auquel il auoit esté suffisamment
pourueu : Que les Declarations du
Roy & les Arrests des Parlemens auoient
mis des obstacles assez puissans au restablissement
de ce Ministre, sans qu’il fut besoin
de prendre les armes pour combatre vn ennemy
qui n’estoit plus. Et sur ce fondement
pretendu on declare Monsieur le
Prince criminel de leze Majesté, & on diffame
outrageusement la plus belle reputation
du monde. Mais voyla presque au mesme
temps que le Cardinal se presente comme
pour refuter cette Declaration, & pour
faire voir en reuenant dans la France, que
ce Prince auoit eu raison d’apprehender son
retour.

 

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Et il reuient aujourd’huy à la teste d’vn
armée, pour monstrer par l’insolence de
son retour, qu’il est resolu de rompre tous
les obstacles qui s’y opposent, & qu’il veut
rentrer en triomphe dans l’Estat dont il a
esté banny auec honte. Et il retourne apres
de longs preparatifs qu’il luy a fallu faire
pour leuer ses troupes, afin de faire voir à
tout le monde, que ce n’est pas vne saillie
soudaine, mais vn dessein premedité, tellement
qu’à supputer les temps, il se trouue
que tandis qu’on publioit dans la France
que son retour n’estoit qu’vn pretexte, il
preparoit sur la frontiere les moyens de son
restablissement & les troupes necessaires à
son voyage. Enfin sa precipitation marque
la passion qui le transporte, puis que toutes
les raisons du monde le deuoient obliger de
differer son retour à vn autre temps, où il ne
fut pas si auantageux à Monsieur le Prince,
& où il peut reuenir luy-mesme en asseurance.
Ne faut-il pas que son aueuglement
aye esté prodigieux, s’il n’a pas veu le seruice
qu’il venoit rendre à son ennemy ? Ou
que sa passion soit bien impuissante, si ayant
preueu ses suittes, il s’opiniastre à ce dessein ?
Mais c’est la Iustice de Dieu qui se sert de la
fureur ou de l’aueuglement du Cardinal,

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pour iustifier ce Prince innocent par le
moyen de ce coupable.

 

La deuxiéme reflexion regarde la conduite
du Conseil qui conspire auec le Mazarin,
pour le faire reuenir dans la France,
au prejudice des Declarations qui ont esté
faites contre luy. Quand on ne scauroit
pas les ordres qui luy ont esté enuoyez, ou
les passeports qui ont esté expediez sous le
nom du Roy pour son voyage, comme on a
découuert depuis peu : N’est-il pas visible
que ce banny si odieux à tous les peuples,
n’auroit iamais formé le dessein de reuenir
sans le consentement de la Cour ? Quelle
apparence y a il qu’il aye leué des troupes,
qu’il se vente de rentrer en France à la teste
d’vne Armée, que les Gouuerneurs des Places
frontieres soient d’intelligence auec
luy, pour faciliter son retour, ou qu’ils arment
pour se joindre à ce nouueaux General,
sans que tout cela se fasse sous l’adueu &
par l’ordre du Conseil.

Cependant Monsieur le Prince s’estoit
esloigné de la Cour, pour les justes defiances
qu’il auoit des mauuaises volontez de ce
mesme Conseil conjuré à sa ruïne. Il s’est
tousiours plaint que les principaux Ministres
qui le composent estoient interessez

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dans le retour du Mazarin, qu’ils entretenoient
des intelligences secretes auec luy,
& que l’esprit de cét estranger, bien qu’il
fut esloigné de la France regnoit au milieu
de la Cour. Sur cela on crie contre ce Prince,
on dit que ce sont des soupçons mal
fondez, & on fait passer pour vn crime le
soing qu’il prend de s’en deffendre. Et comme
il est mal-aysé de iustifier publiquement
des soupçons, quoy que legitimes, parce
qu’ils sont souuent fondez sur des causes secretes ;
& que d’ailleurs on opposoit l’authorité
du Roy aux deffiances du Prince,
les peuples qui estoient encore indifferens,
estoient en peine de se resoudre ; iusques à
ce qu’on a veu approcher le Cardinal, qui
vient decouurir luy mesme les suppositions
du Conseil, & justifier par son retour les
defiances de Monsieur le Prince.

 

Car en premier lieu, il paroist maintenant
que ses soupçons ont esté bien fondez,
& ses plaintes legitimes, & qu’il a eu juste
raison de se deffendre & de se plaindre.
Toute la France est aujourd’huy persuadée
des passions du Conseil, & des intelligences
secrettes qu’il auoit auec le Cardinal,
voyant qu’elles vont se produire auec tant
d’esclat. D’ailleurs on voit dans cette occasion

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que les Ministres abusent de l’authorité
du Roy, comme Monsieur le Prince
auoit allegué dans ses plaintes, parce qu’ils
se seruent du nom de Sa Majesté pour rappeller
cét Estranger, contre le bien de l’Estat.
N’est ce affoiblir par ces visibles
abus le respect & l’obeyssance que les peuples
doiuent a ce nom sacré & a cette authorité
Souueraine ? Et puis que ce mesme
Conseil se sert également de ce nom & de
cette authorité Royalle, & pour condamner
Monsieur le Prince, & pour rappeller
le Mazarin, comme il n’est pas receuable
quand il absout le coupable, il ne doit pas
non plus l’estre quand il condamne l’innocent.
C’est ainsi que les Conseils où les passions
president, se destruisent eux mesmes.
C’est ainsi que le Cardinal vient deffaire
aujourd’huy par son retour, ce qui auoit
esté fait pour son retour mesme. Et ce
qui paroist encor de plus estrange dans la
conduitte du Conseil, c’est que quelques-vns
des Ministres qui sont encor à Paris,
comme entr’autres Monsieur le Coadjuteur,
apres auoir traicté publiquement auec
le Cardinal, ont eu la hard esse de faire courir
le bruit que Monsieur le Prince estoit
d’intelligence auec cét Estranger pour le

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faire reuenir. Il est vray que ce retour est si
aduantageux à Monsieur le Prince, qu’il
semble que son ennemy soit d’intelligence
auec luy pour fauoriser sa cause : Mais l’euenement
faira voir la fausseté de cette inuention.

 

Enfin la troisiéme reflexion qu’on fait sur
les affaires presentes, regarde la conduite
du Parlement de Paris, qui apres auoir enregistré
la Declaration contre Monsieur le
Prince, s’assemble contre le Cardinal, &
prononce des Arrests pour empescher son
retour : Enquoy certainement il semble
comme des aduoüer ce qui a esté fait contre
l’lnnocence de l’vn, par ce qu’il fait aujourd’huy
contre les crimes de l’autre. Car
outre que ces assemblées & ces Arrests rendent
publique à toute la France la verité de
ce retour, & qu’on ne peut plus douter du
danger, quand on voit que cét Auguste
Senat se haste d’y apporter de si puissans remedes.
Encor peut-on dire que ce sont
comme des tacites iustifications de Monsieur
le Prince, dont les desseins sont declarez
innocens, puis que les causes en paroissent
si legitimes. Ou pour le moins faut-il
aduoüer qu’on s’est vn peu trop hasté à
verifier cette Declaration, contre vn Prince

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dont la naissance & les seruices rendus à
l’Estat, meritoient bien qu’on suspendit encor
ce coup ; & dont enfin l’euenement
montre clairement l’innocence.

 

Mais sur tout le zele que ce Parlement témoigne
pour empescher le retour du Mazarin
iustifie celuy de Monsieur le Prince.
Ces deux Puissances conspirent ensemble
contre cét Ennemy commun, elles ont vn
mesme dessein, & ce que l’vn fait par ses armes,
l’autre le poursuit par ses Arrests. Comment
est-ce que les Arrests de l’vn peuuent
condamner les Armes de l’autre ? Certes si
le Parlement de Paris veut efficacement
empescher le retour du Mazarin, il ne peut
pas condamner Monsieur le Prince qui s’oppose
à ce dessein : Ou si ce Parlement condamne
Monsieur le Prince, il aura de la peine
à persuader la France qu’il veüille sincerement
s’opposer au Mazarin. Il vaut mieux
croire que ce premier sentiment qui a verifié
la Declaration contre ce Prince a esté
vne surprise, que les passions interessées de
quelques vns ont fait à la sincerité des autres :
au lieu que ces derniers Arrests sont
des effets d’vne Iustice pure & libre, & du
zele que cét Auguste Parlement a tousiours
montré pour le bien de l’Estat.

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Mais apres toutes ces Reflexions sur ces
differentes conduites, il faut faire vne derniere
consideration sur la conduite de Dieu :
Et conclure que cette Prouidence qui sçait
tirer la lumiere des tenebres & produire les
contraires par leurs contraires mesmes, fait
seruir les ennemis de Monsieur le Prince à
sa gloire & à son bien : Tellement que les
mesmes causes qui ont contribüé à faire, ou
à verifier la Declaration contre son honneur,
cooperent aujourd’huy à iustifier son
Innocence.

FIN.

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