Anonyme [1649], LA NOMPAREILLE DV TEMPS, OV LA PROSOPOPEE DE THEMIS, Et la Fortune plaidant le procez de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_2532. Cote locale : A_6_42.
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LA
NOMPAREILLE
DV TEMPS,
OV LA PROSOPOPEE
de Themis, & la Fortvne plaidant
le procez de Mazarin.

La Iustice ou Themis est le Iuge, Mazariu le Criminel
& Client, & la Fortune est son Aduocate.

THEMIS PARLANT A MAZARIN.

C’EN est fait Mazarin, le Ciel à trop long-temps
dissimulé tes cruautez ; Il ne les peut plus souffrir,
ny la terre les supporter. Vois-tu tous ces
russeaux de sang, qui secoulent de ses entrailles ?
ce sont tes meurtres qui les ont respandus ; Reconnois-tu
tant de visages ensanglantez ; tant de
corps morts, qui gisent maintenant dessus la
terre ? C’est de tes coups qu’ils ont esté meurtris ; le feu d’vne
guerre ciuile, que tu as allumé depuis peu dans la France, entre
les Princes du Royaume, n’est-il pas vne marque de ta cruauté ?
N’apperçois tu point que les sepulchres de tant de Princes, sacrifiés
à tes entreprises mal-heureuses, souurent ; & seulement ces

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corps à demy poutris, pour reprendre les sentimens de leur iniuste
mort. Certes ils ont touché les Astres de leurs cris, & Dieu
ne peut plus soustenir le bras de ses vengeances, qui à la fin se
veullent décharger sur tes impietés.

 

Arreste Mazarin, arreste de la part de cette sage Ouuriere, qui
depuis six mille ans à gouuerné le monde, & qui apres auoir estably
vn si fleurissant Empire, comme celuy des Lys, ne peut pas
permettre qu’il soit esbranlé ou alteré par les infames pretentions
d’vn scelerat Estranger, qui ne demande rien plus que la ruine de
ce grand Royaume, & consequemment celle de nostre bon Roy
Louïs XIV. Ie veux donc bien que tu sçaches de la part de
cette mesme Iustice Diuine, que tes crimes sont bornées, & qu’vne
creature ne doit pas pecher iusques à l’infiny : c’est trop faire
de mal sans en soufrir ; il te faut mourir apres tant de meurtres, &
noyer dans ton sang tous les excez de tes brutalitez. La iustice a
prononcé ton Arrest, & toute la France en presse l’execution : car
la passion quelle a de venger ses affrons dans tes desastres & ton
mal heur, ne peut estre assouuie, que par la punition de ses maux.

La Fortune de Mazarin, plaidant la cause de son Client,
& parlant à Themis.

HE ! quoy Themis, voulez-vous m’arracher des mains, mon
plus cher Mignon, & celuy que ie croyois esleuer le plus
haut de tous mes Fauoris, & monstrer en luy ce que peut la Fortune,
quant elle a entrepris déleuer vn homme au sommet des
grandeurs du monde. Vous le voulés abaisser au plus bas degré
de tous les mortels ? Hé ! quoy, entreprendrés-vous auiourd’huy
de condamner celuy qui condamnoit hier les autres : pretendés-vous
d’exposer l’objet des Seigneurs de la Cour, à la furie d’vn
peuple animé, qui en pourra faire sa proye, & celuy à qui tous les
François faisoient gloire d’obeyr, sera-il point aydé d’aucun ? ou
pour le moins sera-il condamne de tous ? Et comment, Celuy qui
dominoit sur tous, sera il maintenant dominé de tous ? celuy qui
donnoit des Arrests de condamnation aux Princes & aux Iuges,
sera il maintenant sujet à en receuoir ? Et se pourra-il faite, que
celuy qui en prononçoit en puisse entendre ? Sera-il dit que vous
me soustrairiés ma plus chere eduation, pour l’exposer à vos rigueurs ?

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Non non Themis, il n’en va pas de la sorte, ie sçais assez
euiter vostre main, & i’ay assez de pouuoir pour n’estre point
soubmise à vos loix. Ie ne puis pas permettre qu’vn Ministre
d’Estat soit reduit à subir vos chastimens, ny ne crains pas que le
support des Partisans soit esbranlé par aucun reuers de prosperité
Ie veux encore pour suiure mes efforts & mes Victoires, pour seruir
son Eminence, & i’ay a son seruice auec vn bon Chef, encore vne
armée triomphante, à laquelle vous ne pourrés faire teste, ny
soustenir ses efforts. Ie ne veux pas me resiouyr de sa perte, ny
estre l’instrument de son affliction ; ie l’ay trop cherement esleué,
pour le vouloir abandonner ; n’auray-je pas compassion de le
voir vaincu aux pieds des vainqueurs, pour implorer leurs bontez ;
le voir gemir soubs les pieds du Parlement ; Ne me seroit-ce
pas vn spectacle d’horreur. Sçachez donc, Themis, que vous
n’auez ioüé que les preludes d’vne sanglante Tragedie, & que
vous n’en viendrés à bout, puisque ie veux m’en reseruer la fin.

 

Themis parlant à la Fortune.

Retirez vous inconstante & trompeuse Fortune, & apprendez
que vostre Empire n’est plus en asseurance dessous le chapeau
rouge de Cardinal ; ces liurées manifiques, toutes l’ambrissée
d’or ; & tous ces superbes Palais ne vous peuuent plus seruir à vous
loger, mais seulement à vous enuelopper dans leurs ruines. Sortez-donc,
de peur de voir entrer la mort chez vous. Sortés du
fonds des cabinets, & des retraites infames des crimes de ce meschant,
sortés de peur d’y estre enfermée, & subir auec luy vn supplice
mille fois plus infame que celuy du Marquis d’Ancre (homme
de telle cabale ;) Interrompez luy ces danses, & tous ces accords
de delices ; dittes-luy qu il preste l’oreille à l’alarme de la
ville de paris, qui a coniuré sa ruine ; faites en sorte qu’il vienne à
la rencontre du Parlement, son vainqueur : & qu’il se iette à ses
pieds, & qu’il subisse volontiers la peine deüe à ses crimes. Ie sçay
bien que son ambition n’agrée pas ces deferences, & ces humiliations :
mais ses disgraces luy obligent. Qu’il embrasse donc le genoux
de ce grand Duc de Beaufort, & qu’il luy demande pardon
en mourant : Puisqu’il l’a tant offencé, qu’il voye les crimes qu’il
a commis enuers tant de Princes, par ses dernieres larmes, pour
esteindre le feu de leur iuste cholere. Faites-luy sçauoir de ma

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part, que tous ces habits de luxe ; ce brillant de perles & de diamans ;
ces demarches majestueuses que i’apperçois en luy, ne s’acordent
pas à la condition d’vn miserable : Cet éclat & cet ajancement
d’vne teste parfumée, n’a point de proportion à vne teste qui
doit perdre auec la liberté l’vnion de son corps. Ces yeux d’vn air
si riant & si vif ; ce vermeillon mis & couché auec tant d’artifice,
n’est pas bien seant sur le visage d’vn criminel, qu’il preuue le deüil
dans ce rencontre fatal, & qu’il rende au moins le sentiment lugubre
de la decadence de son ministere, & de la mort de laquelle en
bref ie veux le punir.

 

La fortune poursuiuant la defense de son Client, replique
ces mots.

Taisez-vous, Themis, ne deuez-vous pas sçauoir, que de
s’attaquer au seruiteur, c’est offencer le maistre, & entreprendre
Pretendez-vous auiourd’huy reformer le meilleur Politique
de l’Vniuers` ? Comment osez-vous attaquer vne Eminence
si noble ? Ne vous semble elle point esleuée à vn trop haut point
d’honneur, pour estre captiuée sous vos loix ? L’exemple de tant
de Princes qui ont esté punis, pour en auoir voulu cognoistre, ne
vous sont-il point des moyens assez efficaces pour vous en empescher ?
Auez-vous oublié l’emprisonnement de M. de Broussel
auec plusieurs autres, & aussi l’empoisonnement du sieur President ?
Barillon ? Ne voyez-vous point ce grand Ministre estre appuyé
de l’authorité Royale, des Princes & du Conseil ? C’est pourquoy
ie vous prie de r’entrer en vous, & puisque vous Presidés à la
Iustice, n’agissez point iniustement auec le plus iuste des hommes :
Vous n’ignorés point, que c’est luy qui (ordine in verso) a si bien
ordonné les affaires du Roy ? N’admirez-vous pas son soin à faire
bien valoir les finances ? Ses conseils, pour faire bien payer les reuenus
de sa Majesté ? N’auez-vous point entendu tant de sentences
prononcés pour cet effet ? Les bons Intendans qu’ils a mis
dans toutes les Prouinces, pour rendre justice à vn chacun. Les
Gouuernemens des Prouinces & des Villes, qu’il a donné aux
Princes & aux gens de probité, afin que le Roy en fut fidellement
seruy ? Et apres tant de seruices qu’il a rendu au Royaume, vous
l’auez condamné criminel de leze Majesté, & perturbateur du

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repos public, pour auoir suiuy la personne du Roy à Sainct Germain,
auquel lieu il estoit necessaire. Certes il est aisé de conclurre,
que vous vous estes trompée d’auoir condamné le plus grand
homme d’Estat du temps, lors que de son innocence, vous en
auez faict vn crime.

 

Themis se sied sur son lit de Iustice, & parle ainsi à
la Fortune.

Arriere, arriere d’icy effrontée ; arriere de mes Palais, mauuaise
Aduocate. Quoy ! oses-tu enuisager mon lit de Iustice,
& vouloir alleguer les defenses d’vn crime, que toutes les satisfactions
possibles ne pourroient iamais effacer ? Tu ne sçais que
trop bien que ta cause est trop griefue excuse ; & le suiet trop coupable
pour estre iustifié. Le seul allegué de defence, en prononce la
condamnation ; & qui en entend le plaidoyer, celuy en porte la
sentence ? Sçais tu pas bien, d’autre part, que le pere ne peut plaider
pour son fils, ny le maistre pour son valet. Dont à plus forte
raison, la Fortune ne doit entreprendre la cause de son Fauory.
Toutefois en cecy ; ce n’est pas mon intention de t’en oster le patronnage ;
ains au contraire, ô Fortune, sois Aduocate auiourd’huy,
& ton Client soit Mazarin, puisque c’est de toy qu’il a tout
receu ; c’est à toy de defendre ses interests. Tu dis pour tes raisons,
qu’il sçait bien gouuerner les Finances, ie l’aduoüe ; car il les a si
bien gouuernées, qu’ils sont allées iusques à Rome : Tu dis qu’il
sçait bien faire venir de l’argent dans les coffres du Roy, cela n’est
que trop vray, puis qu’il en a epuisé toute la France : Et puis d’autre
part, tu ne peut nier qu’il ne l’en ait tiré pour enuoyer en Italie :
Tu allegues qu’il a mis des Intendans dans les Prouinces pour
rendre la Iustice, cela est constant, s’il faut appeller intendans
des harpies & des sansuës, qui ont extorqué tout l’argent du pauure
peuple François, auquel il n’est resté que des iustes ressentimens.
Mais c’est trop parler, sans en venir à l’effet, ie n’ay point
d’autres tesmoins, que les miseres & calamités presentes.

I’entreprens donc maintenant de purger la France du venin
dont elle pourroit creuer. Ie veux euacuer cette peste, qui pour infecter
les plus solides santés du Royaume, & ie ne permettray pas
que les autres peuples nous reprochent d’auoir chez nous vn homme,
qui est l’abregé de tous nos crimes, & que celuy qui a esté banny
de toutes les autres Nations, & mesme de l’Italienne, sa mere

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nourrice, soit venu en France establir vne tyrannie ? C’est à toy
Mazarin ; c’est à toy scelerat ; c’est à toy qui as enleué nostre bon
Roy ; qui a troublé nostre repos ; c’est à toy écueil infames de tant
de Seigneurs ; c’est à toy qui as fomenté vne guerre entre le pere
& les enfans, entre les propres freres. Enfin entre tous les bons
François. C’est toy que ie peux dire, qui as sacrifié tant de grands
hommes à la fureur de la guerre ; c’est toy qu’on peut maudire,
comme la cause mal-heureuse de tant d’Eglises prophanée ; de
tant de violemens de pauures filles ; de bruslemens & rasemens de
Bourgs. C’est toy qui nous as amené des Allemands & des Polonois,
pour estre les bourreaux des pauures vilageois, qui t’auoient
desia donné iusques à la derniere goutte de leur substance, pour satisfaire
aux suppositions excessiues, que tu leur auois fait iniustement
payer.

 

Mais helas ! i’entends tant de pauures, qui ayant leurs enfans
sur les bras, tous languissans de faim, & halletans apres leurs miserables
meres, lesquelles esmeües par leurs plus tendres affections,
crient Themis, Themis, ayez pitié de nous. Et ne permettés
plus que nous viuions dauantage sous les loix si seueres
d’vn Estranger, qui nous tirent le pain des mains de nos pauures
enfans. Ah ! le Vautour, le Lyon, le Traistre, le Desloyal, le
Tyran, le mal-heureux Mazarin. I’appelle le Ciel à tesmoin des
miseres que ie soufre, il triomphe. Il braue, & il nage glorieux
dans le sang de tant de pauures innocens.

Conclusion & apostrophe aux Princes & aux fidelles
François.

AH ! Princes & Monarques, qui estes establis du Ciel parmy
les hommes, comme les diuinités terrestres, & les plus
viues Images de la Majesté de Dieu. C’est icy que i’appelle vos
yeux, & vos plus serieuses consideration ; Ne vous laissés seduire
par le cham frauduleux de cette pernitieuse Syrene, qui vous veut
attirer au precipice. Fermés luy vos oreilles, de peur d’estre seduits,
& iettés, ie vous prie, vos yeux de misericorde sur tant de
pauures Sujets, accablez des miseres presentes : Puis qu’il ne tient
qu’à vous à en extirper la cause, & en tarir la source, i’espere que
par vos faueurs & celles des bons François, qui seront les executeurs
de vos commandemens & volontés. Nous serons bien-tost
deliurée de cette ennemy Sicilien, & obtiendrons vne bonne
Paix, que Dieu nous veuille accorder.

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