Anonyme [1650], LA POLITIQVE SICILIENNE, OV LES PERNICIEVX desseins du Cardinal Mazarin; Declarés à Monseigneur le Duc DE BEAVFORT de la part de toutes les Prouinces de France. , françaisRéférence RIM : M0_2817. Cote locale : A_9_26.
SubSect précédent(e)

LA POLITIQVE
SICILIENNE,
OV
LES PERNICIEVX DESSEINS
du Cardinal Mazarin ;
Declarez à Monseigneur le Duc de Beaufort
de la part de toutes les Prouinces de France.

MONSEIGNEVR,

Tout ainsi que Dieu est l’Autheur de toutes choses, c’est
luy aussi qui en est le distributeur ; quoy qu’il se serue de la
main des hommes, pour disposer de ses graces selon ses volontez
& en faueur de qui bon luy semble : & bien souuent
mesme preuoyant l’ingratitude des hommes par l’entiere
cognoissance qu’il a de toutes choses, il nous place dans vn
suprême degré d’honneur, afin que venans à mescognoistre
l’estat de nostre condition par l’aueuglement des charges
qu’il nous a mis en main, ou bien plustost oubliant ce que
nous auons esté auparauant qu’elles nous ayent esté données,
il nous fasse cheoir à la face de tous les hommes dans
vn abisme d’autant plus profond, que les dignitez qui nous
ont esbloüis estoient excessiues & releuées au dessus des
meilleures esperances que nous pouuions auoir par l’appuy
de nostre extraction.

Le Cardinal Mazarin, MONSEIGNEVR, l’homme du

-- 4 --

monde de la plus basse condition, se trouue neantmoins celuy
des mortels, à qui selon sa naissance la diuine Bonte a le
plus abondamment prodigué de bien-faits : L’bomme du
monde le plus ingrat, se trouue pourtant le plus redeuable
à cette souueraine Puissance ; enfin le dernier des hommes
se trouue si mal-heureusement enseuely dans l’aueuglement
des graces que Dieu luy a versées par la main de nostre
Monarque ; que selon toute sorte d’apparence je voy
qu’il prend le grand chemin de faire vne cheute si dangereuse
à la reputation qu’il croit s’estre acquise dans toute
l’Europe, que la posterité gardera vne perpetuelle memoire
de l’aneantissement de ce pernicieux Ministre.

 

C’est donc cét infame heritier de la faction de Gomorrhe, qui
ne se contente pas d’exercer toutes sortes de cruautez sur
ceux, sur qui la charge qu’il a indignement l’honneur d’exercer
chez le Roy luy donne quelque sorte de pouuoir ;
veut encore par vne extrauagance qui n’a point d’exemple,
s’emporter sous le nom de sa Majesté, pour se venger de
quelque simple parole, jusques à ceux à qui il doit toute
sorte d’honneur & de soumission. Augure tres-euident de
l’ambition que cét insolent Ministre a de se rendre redoutable
dans tout le Royaume par vne entreprise si prodigieuse,
s’imaginant fermer les yeux de tout le monde en persecutant
vne personne, de qui seul il en tient le pouuoir ; parce
qu’il a peu cognoistre que le peuple n’approuuoit pas
qu’il l’eut conserué. Ce symbole d’ingratitude, ce lierre
rempant, qui destruit son soustien à mesme qu’il en reçoit
la vie, & qui a basti le monument de trois grands Princes
sur le debris de l’amitié que les peuples auoient pour eux, &
qu’ils n’ont perduë que pour auoir veu l’vn du party de cét
insolent : ingratitude effroyable, & qui doit donner de la
terreur à tous ceux qui luy prestent la main à l’execution
d’vne si detestable conjuration !

Les biens & les honneurs ne nous arriuent pas tout à
coup, ou si quelques-vns comme le Cardinal Mazarin en

-- 5 --

sont inopinément comblez en moins de temps que les autres,
souuentefois apres auoir longuement trauaillé à nous
les asseurer, vn instant suffit pour nous deposseder de toutes
ces belles prosperitez, la jouïssance desquelles nous esperions
nous estre affermie par tous les soings d’vne longue
suite d’années. C’est vne maxime que plusieures experiences
m’ont renduë si certaine, que son infaillibilité ordinaire
me la fait mettre au rang des choses qui doiuent necessairement
arriuer ; principalement lors que par vsurpation ou
par tyrannie nous voulons extorquer de ceux qui despendent
de nos volontez, ce que la Iustice diuine & humaine
nous deffendent absolument de pratiquer.

 

C’est le Cardinal Mazarin, MONSEIGNEVR, qui met
si malicieusement ces deux semblables en vsage ; Il faut ruïner
le peuple pour luy oster le moyen de se deffendre ; il faut luy
oster le bien pour se rendre maistre de sa vie. Qu’il doit esprouuer
bien-tost, que toute la peine qu’il prend à trauerser le
repos du peuple sous de faux pretextes, ne luy seruira que
pour abattre ses pernicieuses maximes, & pour le destruire
entierement lors qu’il croira s’estre estably dans vne authorité
toute absoluë, par la ruine totale qu’il medite de tout le
Royaume : commençant desia dans le Poictou, qui donne
le pillage de cette Prouince à la direction de ses Italiens, sçachant
bien que les François n’ont pas assez d’inhumanité
pour y exercer tant de cruauté qu’il leur a ordonné d’y faire,
pour enrichir ses Regiments, cependant qu’il fait perir les
nostres par ses caprices, Et pour souler l’enuie qu’il a de nous
marcher sur le corps, comme il dit qu’il faut faire pour s’esleuer.

N’est-ce pas pour ce mesme dessein, qu’il n’a pas voulu
receuoir les tres humbles soumissions que Monsieur de la
Roche-foucault faisoit au Roy par l’assurance de sa fidelité
pour le seruice de sa Majesté, afin qu’en se vengeant de ce
qu’il auoit bien seruy Paris contre luy l’année passée, il puisse aussi
par mesme moyen ruiner cette Prouince, qui gemit sous la

-- 6 --

tyrannie qu’il y fait exercer par quelques Regiments estrangers,
qui n’espargnent pas Dieu mesme, s’ils en pouuoient tirer de
l’argent à force de cruautez. Et que ce pretexte de chastier
Monsieur de la Roche-foucault pour auoir esté rebelle au
Roy, luy donneroit lieu d’enuoyer toute l’Armée en ce
païs, pour acheuer de perdre tous ces peuples qui crient misericorde
deuant Dieu : Il pretend encore nous persuader
qu’il desire le bien de l’Estat, puis qu’il oblige les Seigneurs de
France à prendre les armes, pour se deffendre des supplices
qu’il leur prepare, parce qu’il a peu cognoistre qu’ils n’approuuoient
pas tous ses mauuais desseins, parce qu’ils n’ont
pas voulu y donner leur consentement, ou plustost parce
qu’ils n’ont pas voulu l’ayder à les executer.

 

MONSEIGNEVR, c’est de la maniere que les Italiens soulagent
les peuples en France pour le seruice du Roy d’Espagne ; c’est
de cette façon qu’ils mettent le repos dans nos Prouinces,
en obligeant vn particulier à prendre les armes pour mettre
sa vie à l’abri de la fureur de ce malheureux dragon qui la
luy veut rauir iniustement. Et quand mesme Monsieur de la
Roche-foucault auroit commis quelque faute qui pût obliger
ce perfide de s’en venger : faut-il que toute la Prouince
soit ruinée par son caprice ? n’est-ce pas encore vne des maximes
de ceux de son païs, de faire perir vn Royaume pour se
venger d’vn particulier ? Les Rois de France ont accoustumé
de receuoir à misericorde ceux, qui recognoissans leurs
fautes leur en vient demander pardon, & luy qui contraint
le monde à les commettre, Si toutesfois il y a de la faute de s’opposer
aux desseins d’vn seruiteur du Roy d’Espagne, veut perdre
tout le Poictou parce que ce Seigneur y a du bien : Comme si
les François rendoient coupables tous ses voisins, comme ce traistre
corrompt tous ceux qui l’approchent.

N’est-ce pas encore vne des pernicieuses maximes de cét
insolent Ministre, laquelle il fait impunément pratiquer à
Foulé par tout le bas Limosin, pour executer facilement le
dessein qu’il a de se venger des Bourdelois, parce qu’ils luy

-- 7 --

osent dire que leur Gouuerneur ruïne absolument la Prouince
de Guienne : parce qu’ils osent s’opposer à la tyrannie
de Monsieur d’Espernon, & parce qu’il y desire faire l’establissement
d’vne de ses Niepces, luy voulant donner pour
appanage la meilleure Prouince du Royaume ; & pour s’en
rendre plus facilement le maistre luy a commandé (faisant
semblant de faire payer les tailles au Roy) (le nom duquel
on reuere tant qu’on souffre tout) de saccager les Villes,
ruïner les peuples, desmolir les maisons, violer les femmes,
prophaner les Eglises, descendre les cloches ; enfin, de renuerser
tour le bas Limosin & les lieux d’alentour ; pour ne
pas trouuer resistance lors qu’il voudra, comme il a desia
dit, aller faire couper des testes à Bourdeaux. Voulant rendre
cette Prouince entre les mains de sa Niepce, si captiue,
qu’elle la puisse remettre entre celles du Roy d’Espagne,
pour lequel il trauaille, quand il aura quitté la France, qui ne
sera pas assez-tost pour nostre bon-heur.

 

Les innocens doiuent-ils estre les victimes des malices
d’vn Estranger ? les peuples François doiuent-ils estre sacrifiez
aux mauuaises entreprises d’vn Italien ? les Eglises
ont-elles esté faites pour estre le theatre funeste des sales
impietez des factieux d’vn Mazarin, c’est à dire d’vn demon ?
les filles & les femmes doiuent-elles estre violées par les
complices de ses detestables desseins ? les enfans du berceau
doiuent-ils estre immolez à la tyrannie d’vn Ministre Sicilien ?
enfin la France doit-elle perir pour donner lieu à vn
Espagnol d’y faire son establissement, & celuy de ceux qui
trempent auec luy leurs mains dans les mesmes sacrileges
qu’il fait cruellement exercer par tout le Royaume, cependant
qu’il flatte ceux de Paris, qui ne cognoissent pas que
par ce moyen il les perdra sans leur dire mot, puis que cette
Ville ne vit que du bien que les estrangers y portent. Sont-ce
les sentiments d’vn Roy de France ? sont-ce les desseins
d’vne Reyne pleine de bonté & de clemence ? sont-ce les
moyens dont se sert vn Ministre qui veut establir le repos

-- 8 --

dans la France ? Non, ce ne sont que les volontez d’vn Ministre
tyran.

 

Imaginez-vous donc, MONSEIGNEVR, voir ces Villes
desertes, pour esuiter le cruel traittement du partysan
du Cardinal Mazarin. Ces peuples cachez dans les bois
pour s’empescher de tomber dans la gueule du lyon qui les
veut deuorer. Ces miserables meres voir plonger le poignard
dans la gorge de leurs enfans dans le berceau. Ces peres
voir impunément violer leurs filles, leurs meres & leurs
sœurs. Ce Eglises démolies, parce que les Chrestiens y ont
pensé trouuer leur sauue-garde, & qui seruent maintenant
de boucherie à ses bourreaux sans pitié, parce qu’on a creu
y trouuer vn azile asseuré. Enfin imaginez-vous voir ceux
qui ont heureusement eschapé de la main de ce barbare. Les
vns sur le sommet des montagnes, les autres dans des buissons,
& les autres dans des fossez, vous demandant vengeance,
Par ce zele que vous auez tesmoigné pour le seruice de Dieu
& pour le bien du peuple. Les vns qui vous demandent leurs
biens, les autres leurs maisons, des orphelins qui vous demandent
leurs peres & meres, des peres & meres qui vous
demandent leurs enfans, des veufues qui vous demandent
leurs maris, des maris qui vous demandent leurs femmes :
Les Prestres & Religieux les sacrez thresors des Eglises, les
Tabernacles rompus, les ornements des Autels, la sainte
Eucharistie foulée aux pieds. Enfin considerez tout ce qui
reste de l’inhumanité de l’executeur des ordres du Cardinal
Mazarin. Mourir de faim dans les forests, se precipiter par
desespoir en bas des montagnes, & paistre les herbes parmy
les champs, pour ne trouuer ny oser chercher dequoy sustenter
leur miserable vie dans tout le bas Limosin. Considerez
que toute la France vous regarde comme le Protecteur
des oppressez, comme le support des delaissez, &
comme le restaurateur de la liberté publique : considerez
enfin que le Cardinal est estranger, ennemy de l’Estat, &
que nous sommes François.

-- 9 --

Ce fourbe, dans le temps qu’il fait croire aux Parisiens
qu’il ne trauaille que pour la Paix generale, n’est-ce pas
pour lors qu’il en laisse eschaper les plus belles occasions :
s’imaginant que ses artifices sont si secrets, que personne
n’en ait cognoissance que luy seul ? Il ne croit pas le traistre,
que nous sçachions que le Roy d’Espagne luy a fait dire depuis
peu, que s’il vouloit s’aduancer jusques à la Frontiere,
qu’il y enuoyeroit son Fauory pour traitter auec luy la Paix,
& que cét impudent l’a absolument refusé : disant qu’il est
necessaire qu’il ne bouge de Paris ; & cependant il ne nous
flatte que de la Paix, afin que nous luy permettions tout ce
qu’il voudra. Encore du depuis voyant qu’il ne vouloit sortir
de Paris, n’y auoit-il pas vn Ambassadeur d’Espagne
qui l’y venoit trouuer pour la conclurre ? Mais sçachant
qu’il n’eust peu y entrer que tout le monde n’en eust eu cognoissance,
ne le fit-il pas retourner secretement de dix
lieuës de Paris sans le vouloir entendre, parce qu’il n’ignoroit
pas que s’il eut parlé à luy tous les Seigneurs de France
ne l’eussent obligé de la terminer ? C’est ainsi qu’il nous amuse
par ses caresses, puis que bien loin de chercher le chemin
d’vne Paix generale, il l’a renduë si difficile par ces deux refus
qu’il en a fait, que le Roy d’Espagne a juré qu’il ne la feroit
iamais auec ce faquin estranger, en qui il ne peut plus
auoir de confiance : Et sur ce sujet a passé des articles auec
le Mareschal de Turene, de ne la iamais faire qu’elle ne foit
signée de tous les Princes du Sang, & s’est joint auec luy
pour procurer la liberté de ceux qu’il tient dans les fers,
peut-estre pour empescher qu’on ne la fasse : car leur differend ne
vint que pour en vouloir faire redonner le pouuoir encore
vne fois à Monsieur le Duc de Longueville, & ce traistre
s’en excusa disant : qu’il ne doit pas se rendre esclaue de sa parole.

Comment est-ce que les Parisiens peuuent s’imaginer
que le Cardinal Mazarin souhaitte la Paix generale, puis
qu’il leur differe iusques à ce que la France sera en repos, au
lieu qu’il deuroit differer le repos des Prouinces iusques

-- 10 --

apres la Paix faite auec l’Espagne, afin d’en estre mieux le
Maistre ; mais comme ce n’est pas son dessein, aussi n’en suit-il
pas le chemin : & pour dire vray, il ne la fera iamais, puis
que la differant iusques apres auoir mis la tranquillité dans
le Royaume, il y excite tacitement tous les iours de nouueaux
troubles : & en mesme temps qu’il en appaise vn petit
en vn endroit, il en fait naistre par ses ordres ailleurs vn plus
dangereux. Comme apres s’estre rendu Maistre de Bellegarde,
il a obligé Monsieur de la Roche-foucault de prendre
les armes en Poictou, par le refus qu’il a fait de l’assurance
de sa fidelité pour le seruice du Roy, pour ruïner auec
l’armée cette Prouince, comme il vient de ruïner la Bourgogne
& la Champagne. La Prouence affligée de peste &
des miseres de la guerre de l’année passée, n’est elle pas
tousiours sous les armes par les artifices du Cardinal Mazarin ;
qui voyant que cette Prouince commençoit à viure en
repos, fit en sorte de faire reuolter la ville de Marseille
contre le Gouuerneur, à qui il auoit fait donner ordre du
Roy d’y aller faire les Consuls, & enuoyé par dessous main
aux habitans de cette Ville de ne le point receuoir. On depute
de part & d’autre vers sa Majesté, cét habile Politique
approuue le procedé de ses habitans, & promet au Comte
d’Alais de luy faire trouuer son compte en temps & lieu.
Cette fois là il a esté esclaue de sa parole, parce qu’elle tend à la ruïne
de l’Estat, Et enuoye des ordres dans la ville de Tarascon
pour la faire sousleuer contre le Parlement, & se declarer
pour le Gouuerneur, auec commandement exprés d’en
chasser tous ceux qui voudroient s’y opposer ; & par ce
moyen il a r’allumé dans cette Prouince vne guerre plus
dangereuse que la premiere. Voyez comme il desire nostre
soulagement, & comme il pretend nous persuader, executant
encore cette maxime : Que les desordres rendent les Ministres
necessaires, & qu’ils se font approuuer quand ils esteignent
tous les iours de nouueaux feux, mais qu’il en faut tousiours r’allumer
pour mieux subsister.

 

-- 11 --

Faut-il que ce perfide, aueugle par ces belles promesses
l’esprit des Parisiens, afin qu’ils luy donnent le temps & le
moyen de leur plonger le poignard dans le dessein, apres
qu’ils auront souffert qu’il se soit rendu Maistre de tout le
reste. Est-ce ainsi qu’il pretend nous duper ? croit-il que
pour quelque peu de bled de tant d’extortions qu’il a fait
au peuple, & qu’il leur rend en faueur de quelque pauure,
gagnant le cœur des crocheteurs & des charretiers, se reconcilier
aussi dans l’amitié de tout le monde ? Croit-il
qu’on ne cognoisse pas qu’il ne leur fait pas toutes ces largesses
du bien qu’il a porté en France, & que pour des millions
d’or qu’il nous a vôlé, il nous rend des deniers d’aumosne ?
Croit-il qu’on ne sçache pas que ce sont des attraits
pour nous faire cheoir dans le piege qu’il nous tend ? s’imagine-t’il
qu’on ne cognoisse pas que c’est de cette façon
qu’il a trahi trois Princes, à l’vn desquels il doit sa vie, son
bien, & son honneur, s’il en a ?

Les Parisiens ayant voulu honteusement deposseder le
Cardinal Mazarin de l’authorité qui luy fait presentement
chercher le moyen de s’en venger, doiuent-ils s’attendre
d’estre traitez vn iour auec moins de rigueur, qu’il n’a traité
celuy qui en despit d’eux l’a maintenu dans le rang où il est
maintenant : puis qu’ils voyent que pour quelque parole
que le premier Prince du sang luy a dit qui ne l’a pas contenté
il le punit, & le met sous le nom du Roy dans les fers ?
Qu’est ce qu’il ne fera pas contre ceux qui l’ont voulu esgorger,
qui l’ont voulu chasser du Royaume, qui ont encheri
sa teste, & qui l’ont voulu sacrifier à la haïne du peuple ?
Non, non, on cognoist trop bien le chemin qu’il veut
prendre ; & de la part de tout le peuple de France ie luy declare
qu’ils desirent autant sa perte que iamais, & auec plus de
raison, apres auoir mieux descouuert ses desseins.

Quel crime si enorme a commis Madame la Princesse,
qu’elle doiue estre traitée si indignement ? N’est-ce pas que
le Cardinal Mazarin a descouuert qu’elle auoit en main

-- 12 --

dequoy faire voir à tout le monde, qu’il est coupable des
crimes les plus execrables dont on ait iamais oüy parler ?
N’est-ce pas parce qu’elle sçait tous ses mauuais desseins, &
qu’elle en veut donner cognoissance au Parlement ? n’est-ce
pas enfin parce qu’elle veut declarer la conspiration qu’il a
faite contre Paris, qui veut immoler cette Ville à sa cruauté,
apres qu’il aura vaincu ou estonné toutes les Prouinces ?
Oüy, c’est le seul motif qui l’oblige à se seruir du nom du
Roy pour l’esloigner de Paris, afin de luy oster le moyen de
demander au Parlement assurance de sa personne dans cette
Ville, pour le conuaincre à la face de tous les Bourgeois,
des crimes les plus horribles du monde.

 

Il sçait bien le perfide, qu’il ne sçauroit s’en deffendre ; &
que le seul remede est de luy oster le moyen de l’en accuser,
sous pretexte qu’elle peut briguer la liberté de ses enfans.
Ce n’est pas son profit qu’elle y demeure : car ce n’est pas là où il
luy demange ; mais il faut qu’il trouue excuse pour empescher
le Parlement de le condamner, en rendant Iustice à
cette miserable Princesse.

Quand bien Madame la Princesse demanderoit la justification
de ses enfans ou leur condemnation, en quoy choque-t’elle
l’authorité Royale ? S’ils sont criminels comme
le Cardinal Mazarin nous pretend persuader, il luy sera
bien facile de le prouuer ; s’ils ne le sont pas, pourquoy les
doit-il tenir dans vne prison, qu’ils n’ont merité que pour l’auoir
conserué ?

Est-ce ainsi qu’il recompense les bons seruices qu’on luy
rend ? Quels doiuent estre ses chastiments contre ceux qui
l’ont voulu perdre ; puis que les bien-faits qu’il a receus de
ce genereux Prince sont si rudement recogneus ? C’est à toy
peuple de Paris, à songer si ce Ministre ne te garde pas quelque
meilleure sauce, pour le dessein que tu as eu de sacrifier à ta colere son
Eminence.

Quoy ! cét impudent croit encore que tout le monde s’imagine
que la detention de Messieurs les Princes est iuste ?

-- 13 --

il est vray qu’on seroit bien aise qu’ils le fussent, si les deffenseurs
de Paris les auoient arrestez pour les punir de ce
qu’il auoit protegé le Cardinal Mazarin : Mais voyant que
c’est l’ennemy de la France qui fait emprisonner par son caprice
les Princes du Sang, pour se remettre dans les bonnes
graces des peuples ; ils sont trop bons François pour souffrir
aisément vne telle cruauté, puis qu’il est si constant qu’il
croit nous auoir si bien trompez par cet emprisonnement,
que nous luy deuons tout souffrir, comme on luy souffrit en
ce temps, vne trahison que toute la France déplore.

 

Peut-il encore ignorer que tout le monde ne sçache pas,
que l’interest de la conseruation de l’Estat ne l’a pas porté à
vn tel attentat ; mais le sien propre ? Car ie sçay que la Reine
du depuis, luy faisant voir les desordres que cette detention
causoit dans le Royaume, il luy respondit ; que tout alloit bien
pour ses desseins, puis qu’il ne luy restoit plus à surmonter que
des personnes si necessiteuses, qui ne demandant que de
l’argent, ils luy venderoient leurs propres vies. Fondé sur
cette maxime, chez les pauures argent fait tout, & qu’ainsi il
conduiroit facilement toutes ses pretentions à la fin qu’il se
propose ; ne pouuant mesme nier qu’il n’ait encore dit, que
Messieurs du Parlement estoient des affamez, & que toute
leur integrité n’estoit pas à l’espreuue de son argent, ou plustost
du nostre : car il n’en a point d’autre.

Ne sçait-on pas qu’il pretend par ses maximes, rendre
la France si miserable, qu’à la majorité du Roy (voyant que
ce jeune Monarque ne l’ayme que par force) il se trouueroit
en estat de se mocquer de tous ceux qui voudroient l’en
chasser, & qu’auec de l’argent il se feroit bien suiure.

N’est-ce pas pour ce dessein qu’il a mis des Gouuerneurs
pauures ou Estrangers dans toutes les meilleures places de
France, afin de les corrompre quand il voudra ; disant que
pour deux ans qu’il peut auoir paisiblement dans son Ministere,
il vouloit en faire son profit ? Et n’est-ce pas pour ce
mesme dessein qu’il a donné de l’argent à certains Gouuerneurs,

-- 14 --

pourles obliger à faire semblant de se reuolter contre
le Roy pour la detention de Messieurs les Princes, afin
de leur oster leurs Gouuernemens, & les donner à de ses
creatures sans qu’on s’apperçoiue de son dessein ; & pour
nous faire croire que c’est par ses adresses qu’il fait vaincre
sa Majesté ? Cependant le traistre, fait faire le procez à ces
pauures dupes, comme criminels de leze Majesté, pour
leur faire couper la teste quand ils viendront luy demander
les recompenses qu’il leur a promis pour l’auoir bien seruy.
Et son dessein n’est que de s’en seruir tout de bon en ce
temps, & de leur donner vn poteau pour reconnoissance
de l’obeïssance qu’ils ont eu pour vn Ministre, qui ne paye
point d’autre monnoye, ceux qui luy rendent les meilleurs
seruices.

 

N’est-il pas vray qu’il a fait offrir à Monsieur d’Oquincourt
le baston de Mareschal de France, pourueu qu’il voulust
luy remettre Perronne entre les mains ? N’a-t’il pas tasché
de deposseder Monsieur de Sainct Simon de Blaye par
des offres d’argent, afin d’auoir là vn appuy pour sa niepce
quand il l’aura donnée à Monsieur de Candale ? N’en a-t’il
pas voulu faire de mesme de Bayonne, par les belles recompenses
qu’il promettoit à Monsieur le Mareschal de Grammond ?
Ne s’est-il pas encore saisi du Havre ? n’y a-il pas mis
vn homme pour y commander, qui ne dépend que de son
Eminence, bien qu’il fasse semblant de ne le vouloir pas
oster à Monsieur de Richelieu, pour empescher Paris de
murmurer ; n’ayant pourtant d’autre dessein que de s’en
seruir contre la Capitale du Royaume & contre Roüen : Et
ayant desia le Pont de l’Arche & Dieppe en sa disposition ?
Ne tient-il pas toute la Normandie en bride ? enfin il ne luy
reste plus que d’acheuer de ruiner la France, pour la mettre
hors d’estat de luy resister quand il voudra chastier ceux qui
ont voulu l’empescher d’y faire tant d’extortions.

C’est vous, MONSEIGNEVR, qui estes le principal but
de toutes ses plus hautes entreprises ; c’est vous qu’il pretend

-- 15 --

immoler à sa cruauté ; c’est vous qu’il veut sacrifier à
la haine qu’il couue contre vostre personne, sous l’ombre
d’vne amitié pleine de trahison ; parce qu’il vient d’experimenter
que Monsieur le Prince a esté aussi aymé du peuple
que vous l’estes à present, & que l’ayant attiré malheureusement
de son costé, il l’a rendu si odieux qu’on luy a permis
ce qu’on n’eust pas autrefois souffert au Roy. C’est de
cette maniere qu’il veut vous mettre dans son party, afin
que le peuple change son amitié en aduersion, & qu’il souffre
apres qu’il se vange des affronts que vous luy auez faits,
sçachant bien que les peuples peuuent auoir autant d’inconstance
pour vous qu’ils en ont eu pour ces Princes.

 

Comme Dieu ne veut pas qu’il mette fin à de si mauuaises
conspirations, il permet qu’elles nous soient descouuertes
par la bouche mesme de ce perfide, qui ne peut s’empescher
de dire assez ouuertement à ses confidents, qu’à force
de biens qu’il versera vn temps dans vostre Maison, en faueur
de ceux qui vous seront les plus proches, il se rendra
maistre de vostre vie, comme il a fait de la liberté de trois
Princes, qui n’ont iamais merité de luy que toute sorte de
bonne recompense ; s’asseurant qu’il vous esblouïra si bien
que vous luy permettrez peu à peu de se deffaire de ceux
qu’il apprehende : commençant par ceux que le peuple n’aime
pas, afin d’auoir plus aisément ceux qu’il cherit, par la
crainte ou par l’esperance qu’il leur donnera, que c’est pour
le bien de l’Estat, comme il veut nous persuader qu’il n’a point
d’autre dessein, quoy qu’il n’en a iamais eu que de le renuerser.

Enfin son dessein est, de ne souffrir pas vne personne qui
luy puisse faire teste, & n’en voyant pas vn maintenant dans
le Royaume que vous, qui en ait le pouuoir en main, il se
persuade auec le temps vous attraper aussi facilement que
le moindre citoyen de Paris. C’est sa pretention ; c’est pour
cela qu’il trauaille, & ie suis certain qu’il en a desia des Memoires
dans son cabinet : Car il se vante que vous luy aidez
à bastir vostre sepulchre, par la permission que vous luy donnez

-- 16 --

de s’establir comme il veut : Enfin c’est vous qui luy laissez
prendre le poignard qui vous esgorgera, lors que vous
croirez estre le plus dans ses bonnes graces ; c’est ainsi qu’il
mord en riant.

 

Le Prince de Condé, à qui il a autant d’obligation, qu’il
a sujet d’auoir de la haine pour vous ; parce qu’il luy conserua
la vie que vous vouliez luy rauir, a neantmoins esté contraint
de plier injustement le col au joug d’vne captiuité si
rude, pour auoir mesprisé des aduis qu’on luy donnoit en
particulier, de la trahison que ce perfide conspiroit contre
luy, s’imaginant qu’il n’auroit iamais assez de hardiesse pour
l’entreprendre, quoy qu’il creust bien que cet ingrat pourroit
auoir vn tel dessein ; mais que l’execution en estoit trop
difficile : Et ce n’est que par cette confiance que ce Prince
auoit en soy mesme & aux siens, & par le mespris qu’il fit de
tous les aduis qu’il en receut, qu’il gemit maintenant dans
les fers de ce Tyran.

Paris a plus d’amitié pour vostre personne que vous ne
croyez, mais vn aduis ne doit iamais estre mesprisé : Considerez
ce que ce traistre a fait, ce qu’il pretend, & le chemin
qu’il tient ; vous verrez que c’est Dieu qui met bien souuent
la plume en la main des hommes pour leur faire tracer
des Oracles, comme par vn esprit prophetique, afin de nous
faire éuiter le malheur qu’on trame contre vne personne
si necessaire que la vostre. Saint Pierre tomba dans le peché par
trop de presomption, & pour se fier trop en ses forces.

Dieu nous donne les moyens d’esuiter les dangers, il
nous met la force en main pour nous opposer à nos ennemis,
& nous descouure les voyes que nous deuons prendre,
afin qu’estans sur le bord du precipice nous puissions nous
en retirer auec plus de facilité.

Vous auez, MONSEIGNEVR, vne fois esuité le venin
de ce dangereux serpent, par les moyens que Dieu vous
en a fait naistre, vous donnant l’occasion de rendre de si
bons seruices au peuple. Esuitez le second attentat que ce

-- 17 --

mesme tygre trame contre vostre personne : Preuenez ses
malheureux desseins ; empeschez que ce tyran ne triomphe
de vous par ses caresses, comme il vient impunément de
triompher de ces Princes ; Quand il vous aura raui la vie, le
peuple ne sçauroit vous la rendre. C’est vous mesme, dit ce
traistre, qui luy prestez la main pour vous tendre le piege
où il vous attend ; ce sont ceux de vostre maison qui luy en
donnent le moyen, subjugant les peuples pour restablir
l’autorité de ce Ministre : Enfin c’est vous qui l’aidez à dresser
le buscher qu’il vous prepare pour la consommation de
ses plus hautes entreprises.

 

Le Prince de Condé ne fut iamais aduerty qu’en particulier,
parce qu’il n’y auoit que des particuliers qui eussent
de l’amitié pour luy : Mais vous, MONSEIGNEVR, qui
estes generalement cheri de tout le monde, excepté de ce
traistre ; on n’a point de crainte de vous declarer hautement
les pernicieux desseins que ce Ministre a contre vostre personne,
& contre toute la France, le repos de laquelle vous auez
si bien deffendu ; Et pour le restablir entierement faites choir
ce faquin dans le mesme precipice qu’il vous prepare ; esteignez
le feu que ce malheureux dragon d’enfer a dessein de
vomir sur vous : faites creuer ce vase plein d’infection dans
le mesme venin qu’il vous destine, & mettant vostre personne
à l’abry de la foudre de ce cruel ennemy des François,
vous les obligerez de nouueau à continuer leurs prieres
vers le Tout-puissant, pour la conseruation du Restaurateur
du repos de la France.

Entre les diuins attributs de Dieu, la Iustice semble occuper
le premier rang, & traitter les autres comme ayant
surintendance sur eux ; veu mesme que s’il y pouuoit auoir
en Dieu des perfections dont l’vne peust releuer de l’autre,
ou bien si ie pouuois ignorer que tout ce qui est en luy, est
necessairement infini & infiniment necessaire : Ie dirois hardiment
que toutes les plus rares vertus de la souueraine
Puissance seroient absolument dependantes, & sous la domination

-- 18 --

de sa Iustice, dautant que Dieu ne peut agir que
par justice ; il ne peut aymer non plus que haïr que par justice ;
il ne peut chastier non plus que faire misericorde que
par justice ; il ne peut absoudre non plus que condamner
que par justice ; enfin il ne sçauroit receuoir vne ame dans
son Royaume celeste que par justice, non plus qu’il ne sçauroit
aussi l’en priuer que par justice.

 

Dieu est descendu en terre pour nous apprendre la façon
dont nous deuons nous seruir pour mener vne vie telle qu’il
la desire de nous, & pour nous laisser vn si bon exemple de
la sienne, qu’il nous serue eternellement de directeur de la
nostre. Comme donc Dieu n’a iamais agi que iustement :
ceux qui desirent imiter ce souuerain Redempteur, & qui
veulent donner vn bon establissement à la fortune qu’ils
pretendent faire, doiuent l’appuyer sur cette mesme justice,
s’ils veulent que leurs actions soit dans l’approbation
de Dieu & des hommes.

Par cette raison, MONSEIGNEVR, le Cardinal Mazarin
doit passer pour le plus grand Athée du monde, & ses
actions ne doiuent estre approuuées ni de Dieu ni des hommes :
puis que cherchant tous les moyens imaginables de
faire vn establissement absolu dans la France, il ne se contente
pas de ietter les fondements de sa fortune sur l’iniustice,
mais encore sur la tyrannie, sur la vengeance, sur l’ingratitude,
sur l’oppression du peuple, sur la cruauté, sur la
trahison, sur l’infidelité, sur l’auarice, sur l’vsurpation du
bien d’autruy, sur les rapines, sur les brigandages : Enfin à
bien considerer les choses selon le train qu’il les conduit,
on ne trouue que ce pernicieux Ministre se serue que des
maximes les plus vicieuses que les demons d’enfer puissent
iamais inuenter ; nous voulant persuader que la France qui
n’a iamais eu que des Rois Iustes & Debonnaires, en a maintenant
de tyrans, parce qu’il n’agit que par son Ministre,
dont le venin tasche d’infecter ceux que nous en estimons les plus
exempts.

-- 19 --

Qui est celuy d’entre les plus scelerats des humains qui
peut approuuer que le Cardinal Mazarin doiue faire semblant
d’aymer vne personne pour chercher & trouuer plus
facilement le moyen de le perdre ? qu’il doiue renier son
nom pour aueugler ceux qu’il veut absolument perdre ? qu’il
doiue faire semblant de soulager les peuples d’vne Prouince,
pour que celle-là luy laisse saccager les Villes dans vne
autre ? brusler les maisons, violer les femmes, desmolir les
Eglises, descendre les cloches, & autres semblables cruautez,
qui feroient horreur aux demons d’enfer ; enfin qu’il
doiue couurir sous le nom du Roy toutes les trahisons dont
il se sert pour nous tromper ?

Sont-ce de bons fondements pour son establissement ?
sont-ce des fondements justes ? & sont-ce des fondements
que ceux qui ont l’honneur & la gloire de Dieu en recommandation
doiuent approuuer ? Non, il n’y a Loy diuine ny
humaine, ny maxime d’Estat, que celles que ce malheureux Espagnol
pratique pour rendre son Roy vainqueur du nostre ; qui
permette que l’on exerce tant de cruautez pour nous perdre,
sous des faux pretextes d’amitié ; qui pretend gagner
les Parisiens à coups de chapeaux, pour enfin leur mettre
la corde au col. Ce traistre qui fait semblant d’aymer les
vns, pour auoir le temps de perdre les autres ; recherche l’amitié
de ceux qu’il n’a pû perdre, pour destruire ceux qui
l’ont maintenu ; se sert des vns & des autres pour continuer
ses oppressions, ses rapines & ses extorsions sur les subjets
du Roy. Et il se rencontre que dans le temps qu’il fait exercer
le plus de maux dans la France és lieux esloignez de Paris,
il se sert de ceux qui ont autrefois soustenu le soulagement
du peuple, disant que si Paris a tousiours quelque
croyance que vous trauaillez pour son soulagement, pour
le moins vous destruira-il dans les autres Prouinces, puisque
vous consentez qu’on les saccage, pourueu que Paris
en soit exempt ; sçachant bien que Paris ne vit que de ce
que les autres Prouinces luy portent, & qu’ainsi il fera de

-- 20 --

maniere qu’on n’y portera rien, par la croyance qu’il leur
donnera, que cette Ville a voulu la perte des Prouinces en
protegeant celuy qui les persecute. Ce sont les raisons qu’il
dira à toute la France pour la faire reuolter contre Paris, &
pour se remettre bien dans l’esprit des peuples qu’il foule
maintenant par cet artifice malicieux ; Car c’est ainsi qu’il trahit
tout le monde apres les auoir bien persecutez, il se met de leur
party, contre ceux qui l’ont protegé.

 

Apres que la trahison qu’il a fait contre Messieurs les
Princes nous a esté si manifestement connuë, par la declaration
qu’il en fait luy mesme, en refusant d’escouter Madame
la Princesse. Cela seul vous deuroit obliger à dire vostre
sentiment sur vn tel attentat, puisque vous voyez que
cette grande Dame est fondée sur la justice ; demandant elle
mesme la condamnation de ses enfans, s’ils sont criminels ;
ou leur iustification, s’ils ne le sont pas ; se venant elle-mesme
ietter dans la Conciergerie iusques à ce que le Parlement
y eust procedé, quoy qu’elle sçache bien qu’ils ne
sont pas coupables : Le Cardinal Mazarin en donne luy
mesme, qui les accuse faussement, vn assez bon tesmoignage,
ne se sentant pas assez malicieux ou pour mieux dire assez
artificieux pour pouuoir suborner des tesmoins, qui osent
asseurer ce qu’il aduance hardiment, quoy qu’il ait desia offert
à plus de cinq cens des millions pour ce sujet. Et quoy
qu’il y en ait quelqu’vn qui luy a promis de dire indefiniment
tout ce qu’il voudroit, pourueu qu’il luy donne le
temps de le bien apprendre par cœur. Auec l’innocence de
ces Princes, cette miserable Princesse ne demande pas leur
liberté, parce qu’on luy a dit qu’ils pourroient faire du mal
au peuple pendant la minorité du Roy, pour se venger contre
leur calomniateur : mais elle supplie humblement la
Reine & la Cour de Parlement, que leur innocence soit
connuë au menu peuple, comme elle l’est à ceux qui ont
l’esprit d’en juger ; afin de faire dissiper entierement tous
ces faux bruits que cet imposteur a fait semer dans Paris par

-- 21 --

des personnes gagées, & lesquels il ne sçauroit iustifier auec toutes
les trahisons de Sicile, d’Italie, ny d’Espagne, ny auec tous les
millions qu’il nous a volez.

 

Auec tant de prodigieuses trahisons il voudroit bien que
le peuple le creust homme de bien, parce qu’il fait semblant
d’estre vostre amy, & parce qu’il publie par tout que vous
estes le sien : Mais nous voyons trop clairement qu’il ne fait
que destruire l’Estat ; car les Officiers de la Maison du Roy
venant de Bourgogne, & n’ayant pas vn sol pour payer leur
despense, ont esté contraints de laisser des promesses de leur
main aux Maires & Escheuins des Villes où ils ont passé,
par lesquelles ils promettent que sa Majesté leur tiendra en
conte sur les Tailles à venir, les frais qu’ils y ont faits. Est-ce
de la façon que les Rois de France ont accoustumé de viure ?
Sont-ce les soulagements qu’il donne aux peuples, qui
chargez excessiuement de Tailles, sont encore obligez de
nourrir la suite du Roy à leurs propres despens ? Cependant
que le Ministre donne des millions qu’il nous arrache des
entrailles, pour faire sousleuer les Prouinces, & pour se
rendre necessaire à l’Estat, comme s’il estoit necessaire de ruiner
la France pour soustenir la Couronne.

L’armée Nauale qui deuroit estre la chose du monde la
mieux payée, a-t’elle receu vn denier depuis deux ans ? Et
les Capitaines des Galleres apres s’estre ruinez par l’aduance
qu’ils ont fait de tous leurs biens, n’ont-ils pas esté contraints
de tout abandonner pour s’en venir faire des plaintes
au Roy ? que de vingt-sept Galleres que sa Majesté auoit
dans les ports de Thoulon ou de Marseille en Prouence, il
ne s’y trouue pas dequoy en mettre six en estat d’aller sur
mer ; ayant laissé mourir de faim faute de payement, tous
ceux qui y estoient, disant que tout le Royaume n’est pas
suffisant pour les remettre en bon estat ? Est-ce de la maniere
que l’on deffend les interests du Royaume, en faisant
perir par le caprice d’vn Ministre, qui nous vole tout, les meilleurs
appuis de la Couronne ?

-- 22 --

A-il contenté comme il auoit promis, les Suisses, qui lassez
de ses belles promesses sans nul effet, ont encore enuoyé
de nouueau vers sa Majesté pour sçauoir absolument s’il
faut qu’ils se retirent, puisque le Cardinal Mazarin se mocque
absolument d’eux, qui n’ont pas aduancé pour le seruice
de la France moins de dix à douze millions, sans que le
Cardinal leur en veuïlle rendre vn sol que par parole, voulant
par ce moyen perdre les meilleures troupes qui soient
dans le Royaume, aussi ne trauaille-il visiblement qu’à sa destruction.

L’Escurie du Roy qui deuroit estre remplie de cent bons
cheuaux pour le moins, auec vingt ou vingt-quatre pages,
& les palefreniers necessaires ; ne se trouue-t’elle pas maintenant
reduite à quinze ou vingt mazettes, à six pages, & à
quatre ou cinq garçons d’escurie, dont la pluspart sont tous
nuds & sans porter les couleurs, sans que l’on donne mesme
vn grain d’auoine à ces cheuaux, cependant que l’insolent
Ministre engraisse fort bien les siens ; fait bastir des Colleges
& des beaux Palais à Rome, & paye bien son monde
de l’argent qui deuroit entrer dans les coffres du Roy, faisant
passer la maison de sa Majesté pour la plus pauure du
Royaume, pour faire trop esclatter la sienne : Car iamais le
peuple n’a esté si foulé qu’il est à present, ny l’armée si mal
payée, ny les coffres de l’Espargne si vuides, parce que cet infame
fait remplir ceux qu’il a à Venise, à Rome & ailleurs.

Le Cardinal Mazarin en ne payant pas l’armée, fait comme
l’on dit d’vne pierre deux coups, ou plustost trois, pour
le seruice du Roy d’Espagne ou pour son interest particulier ;
sçachant bien qu’il faut que l’armée viue il ne la paye
pas, afin qu’elle rauage par tout où elle va, & ainsi il nous
fait la guerre pour l’Espagne, afin de garder cet argent pour soy,
& afin de donner lieu à l’armée d’Espagne de prendre sur
nous tous les aduantages qu’elle voudra.

Demandons luy vn peu où est tout l’argent qu’il a pris depuis
qu’il est r’entré dans Paris apres la paix faite ? ie me

-- 23 --

donne au diable s’il en sçait rendre bon conte d’vn sol ? Cat
en quoy l’a-il employé, est-ce au payement des Officiers de
la maison du Roy ? est-ce pour l’entretien de sa Majesté, ou
pour payer ce qu’il emprunte tous les jours ? est-ce au payement
de l’armée Nauale, ou celuy de nos garnisons, ou celuy des
armées de Flandre ou de Catalogne, il n’a garde de dire
oüy : Car il en reçoit tous les jours des démantis par les plaintes
que tout le monde luy en fait. Par là nous voyons clairement
qu’il garde tout pour luy, & ne nous laisse rien ; voila
comme il est necessaire en France : mais ce n’est que pour le seruice
du Roy d’Espagne, pour lequel il trauaille.

 

Iamais Royaume n’a esté si abandonné, ny authorité
Royale si destruite, ny Conseil d’Estat si mal conduit que
celuy de la France est à present, puis qu’il consiste dans la
teste de trois demons, ou pour mieux dire dans la teste de
trois personnes endiablées : sçauoir par le caprice de deux
femmes, qui ont seduit par leurs flatteries l’esprit de la Reyne,
& par vn Espagnol payé de son Roy pour faire perir le nostre.
Chose espouuentable, que la France qui a la reputation entre
tous les Royaumes du monde, d’estre le mieux gouuerné
en consequence des Cours Souueraines & des Princes
du Sang ; & maintenant il se rencontre que tous les Parlements
laissent prendre sur eux vne certaine surintendance
par deux femmes & vn estranger, qui n’est enuoyé que pour
faire naistre des troubles en France, & pour faire perdre
tous ceux qui l’en peuuent empescher. Le traistre sçauoit
bien qu’il ne pouuoit faire de meilleure association que celle
des femmes, & des femmes prodigieusement vicieuses, puis
qu’aux despens du peuple elles pretendent souler l’enuie qu’elles ont
de se venger des Princes, qui à la fin vous seront necessaires plus que
l’on ne croit : puis que les plus sages d’entr’-elles ont tousiours
renuersé tout ce qu’elles ont eu en maniement ; Et ce perfide
n’ayant pour but que le renuersement de cette Monarchie
apres s’estre bien enrichy, il n’auoit qu’à leur en donner
la conduite auec luy pour auoir plustost fait, qui sont

-- 24 --

trois si malicieux & si capables de seduire les plus constans
dans le bien de la France, qu’il semble que ceux qui luy en
ont vne fois empesché la ruïne totale, se laissent maintenant
chatoüiller les oreilles par les flateries de ce fourbe, en se
laissant persuader par les sortileges de deux femmes.

 

Les Demons ne sçachant comme quoy corrompre la nature
des hommes recoururent au dernier remede, & n’en
trouuerent point de meilleur que la femme : & de fait, c’est
d’elles qu’ils se seruirent pour nous rendre subjets au peché
& tributaires de l’enfer. Le Cardinal Mazarin n’en trouue
point d’autre non plus, plus propre à l’execution de ses detestables
desseins que celuy dont il se sert, qui est de la
Montbazon & de la Chevreuse, les esprits du monde les
plus malins, les plus acharnez à leur colere, & les plus hazardeux
du bien d’autruy, pourueu qu’elles puissent satisfaire
à leur caprice. C’est d’elles que ce fourbe se sert pour
se rendre maistre de vostre vie, en nous rendant odieux au
peuple, leur voulant persuader que vostre seul interest vous
a mis les armes à la main, & non le dessein que vous auiez
de procurer leur soulagement, en renuersant la tyrannie de
ce traistre Ministre, qui vient de donner cent mil escus à la
Montbazon, pour gagner sur vostre esprit tout ce qu’il souhaitteroit
de vous : vous faisant offre de l’Admirauté, du
Gouuernement d’Auuergne, & soixante ou quatre-vingts
mille liures de pension : & que cependant la Chevreuse
corromproit Monsieur le Coadjuteur, tant par la haine
qu’elle a pour les Princes, que par les offres qu’on luy fait
du Gouuernement de Paris & de l’Isle de France ; luy promettant
à elle de donner à sa fille le meilleur party de France,
& que par le moyen d’autres Dames il gagneroit Monsieur
le premier President : Madame la Marquise de Senecé
s’estant desia offerte à luy pour ce sujet.

Voyons nous que ce traistre oublie quelque chose pour
se rendre si souuerain en France, qu’il n’y ait enfin chose qui
ne despende absolument de la volonté de ce Tyran ? voyons

-- 25 --

nous que de tous ceux qui s’adressent immediatement à la
Reyne ou à Monsieur le Duc d’Orleans, pour obtenir ou
demander quelque chose, qu’il y en ait vn seul qui ait esté
pourueu de ce qu’il demandoit, parce qu’ils ne s’estoient
pas plustost adressez à son Eminence : voulant par là que
tous ceux qui ont des charges en France ou qui en esperent
auoir n’en ayent l’obligation qu’à luy seul : afin que le
Cardinal ait autant de creatures, que nostre Monarque peut
faire de bien-faits. Ne s’empare-t’il pas luy seul des despoüilles
de trois Princes, qui selon son dire n’estoient cricriminels
que parce qu’ils estoient trop puissants ? Ne se
rend-il pas Maistre sans reserue de toutes les meilleures
Places frontieres de France ? & n’y met-il pas des Gouuerneurs
si bien à sa mode, sans en donner aduis à ceux, sans
le consentement desquels il ne deuroit rien pouuoir, qu’ils
ne recognoissoient presentement que ce perfide.

 

Permettez, MONSEIGNEVR, que toutes les Prouinces
de France vous asseurent qu’elles ont plus d’affection
pour vostre seruice que Paris n’en a iamais eu, puis que cette
Ville ne sçauroit assez recognoistre les obligations dont
elle sera eternellement redeuable à vostre Altesse, & que si
elle proclame hautement vostre valeur & l’amitié qu’elle a
pour vostre personne, ce n’est que par interest & par obligation.
Mais nous recognoissans seulement vos merites, vostre
naissance, & le bien que vous procurez au peuple, vous
asseurons que nous sommes plus prests à perir pour vostre
seruice, que ceux qui ont senti des effets de l’amour que
vous auez pour la populace ; croyant que si nous n’auons
pas esté participans au soulagement que vous procurez à
toute la France, que ce n’est que parce que nos afflictions
ne vous ont pas encore esté cogneuës, non plus que les desseins
du Cardinal Mazarin descouuerts. Mais presentement
que la France vous en declare vne partie de celles
qu’elle souffre sous la tyrannie de son Ministere : Considerez
s’il vous plaist qu’il ne suffit pas d’auoir soulagé vne seule

-- 26 --

Ville, pour perdre par elle tout le Royaume, en y souffrant
celuy qui le destruit. Voyez que toute la France pretend
vous auoir l’obligation de l’auoir deliurée des maux qu’elle
souffre, apres qu’elle vous les a descouuerts.

 

Messieurs de Paris, toute la France considere vostre Ville
comme la capitale du Royaume, comme la Maistresse,
& comme la demeure de son Roy : Soubs ces beaux titres
dont nos Monarques vous ont enrichie prealablement à
toutes celles de France ; tout le Royaume a tousiours esperé
estre secouru, & receuoir du soulagement par vostre
moyen : Mais presentement que toutes les Prouinces que
vous auez engagées à vostre secours se voyent absolument
abandonnées à la tyrannie de celuy que vous auez obligé
de persecuter ; & qu’au lieu de pouuoir esperer du soulagement
de vous, nous voyons celuy que vous nous auez fait
cognoistre pour le plus meschant du monde, estre renfermé
dans vos murs, estre protegé dans Paris, & s’y semble
poussé à nous acheuer de perdre, parce que nous auons creu
vous rendre du seruice. Ne vous imaginez pas qu’vne telle
ingratitude ne nous soit bien sensible, & qu’elle ne puisse
obliger tous les peuples à chercher ses asseurances dans
leurs maisons par vostre perte. On ne peut plus souffrir la
tyrannie d’vn Estranger estre si cruellement exercée sur les
François, par la protection que Paris donne au tyran. Nous
sçauons bien que vostre Ville ne subsiste pas d’elle mesme,
& que vostre vie est entre les mains des peuples de nos Prouinces.
Il semble que Paris soit satisfait, parce que son ennemy
& le nostre luy a sacrifié trois Princes, qui ne leur ont
donné sujet de haine que pour auoir protegé le Cardinal
Mazarin. Si c’estoit Monsieur de Beaufort ou vous qui
l’eussiez mis dans les fers pour vous en venger ; on gousteroit
en quelque façon vostre aueuglement. Contentez-vous
de luy auoir fait cognoistre la faute qu’il fit de soustenir
vostre ennemy en souffrant son emprisonnement. Recognoissez
les bons seruices qu’il a rendus à la France ; le

-- 27 --

gain de quatre batailles les plus importantes que la France
ait iamais donné contre les ennemis de l’Estat ; la conqueste
qu’il a fait de tant de Villes : considerez qu’il nous a
rendu cent mille bons seruices au peril de sa vie, dont son
corps en porte de tres-rudes marques : & qu’il n’a fait qu’vne
seule faute, laquelle il recognoist. Il n’y a que ceux qui
ne sont pas capables de s’amender qui ne meritent pas pardon :
mais voyant les chaudes larmes que ces jeunes Princes
François font continuellement degouster de leurs yeux,
par le remords qu’ils ont de ne vous auoir pas bien seruis ;
cela seul seroit capable d’esmouuoir à compassion les cœurs
les plus barbares. Y a-t’il rien au monde plus pitoyable, que
de voir le plus meschant des hommes triompher à la face
de toute la France de ces trois Princes, & de trois Princesses
qui ne cessent de verser des larmes soubs le cruel joug
de la captiuité d’vn Estranger ; qui ne se contentant pas d’auoir
affligé & renuersé entierement la Maison du premier
Prince du Sang : exerce encore sa barbarie sur tout le reste
du Royaume cependant qu’il flatte Paris ? Ie ne sçaurois
conceuoir comme quoy cette Ville peut estre si aueuglée,
voyant que le Cardinal Mazarin n’a entrepris vne telle
action que pour son seul interest : & Paris encore peut approuuer
la satisfaction de ce Ministre qui nuit toute la France,
parce qu’il en croit estre exempt. Nous auons souffert
iusques aux dernieres extremitez ; nous voyons la France
en armes de tous costez, les peuples si enragez contre leur
ennemy, qu’ils sont resolus d’en voir vne fin : Car nous
auons nos vies si sujetes à la discretion du Cardinal Mazarin,
que nous voulons perir ou le faire sauter. Il n’est pas
bon que ceux qui ont pris les armes pour les Princes les fassent
sortir par force ; il vaut mieux qu’ils ayent l’obligation
de leur liberté à Paris ; ie m’assure que nous serons bien-tost
deliurez de ce Tyran, en recognoissant le bien qu’ils auront
receu de vous ils se vengeront de l’affront qu’ils en ont
receu. Nous sommes assez forts pour nous opposer à leurs

-- 28 --

desseins si nous cognoissons qu’ils sont mauuais. Les Parlements
sont trop zelez pour leur Roy pour souffrir des choses
indeuës, puis qu’ils ne sçauroient se seruir du nom de
sa Majesté, comme le Cardinal Mazarin, pour faire du
mal.

 

Enfin, MONSEIGNEVR, songez qu’il a esté bon pour
vous que le Parlement vous ait iustifié en dépit du Ministre,
quoy qu’il se seruit du nom du Roy, comme il fait à present
pour l’empescher ; que Madame de Vendosme vostre mere
en a eu besoin ; que la Montbazon qui prend de l’argent
pour vous trahir en a eu besoin ; la Chevreuse en a eu besoin,
quoy qu’elle ait promis de gagner par ses carresses
Monsieur le Coadjuteur. Les femmes ne sont pas capables
de gouuerner vn Estat, comme elles se vantent desia de le
faire, & sont capables de toute sorte de meschanceté ; principalement
des femmes de leur ordre, qui vendroient leurs
peres pour de l’argent, comme leurs maris pour prendre leur
contentement. La Iustice doit regner, & la pierre fondamentale
des dernieres Declarations du Roy, doit estre la
connoissance des affaires des Princes. Le Cardinal Mazarin
tesmoigne desia, que comme ce n’est que luy qui parle
pendant la minorité du Roy, qui ne voudroit pas se rendre
esclaue de sa parole ; mais il eut deu pour cela faire les Declarations
au nom d’vn Sicilien, non pas d’vn Roy de France
dont la parole est sacrée, & qu’il pretend rendre aussi
fourbe que la sienne. Enfin pour couper court, le peuple ne
pretend pas auoir tant souffert pour le seul Parlement, il
pretend auoir part au bien puis qu’il a souffert tout le mal,
& bien mal-aisément pourra vn pauure Bourgeois esperer
justice, qui deuroit estre esgalement pour tous, puisque
trois Princes & trois Princesses n’en peuuent pas esperer ;
parce que le Cardinal Mazarin a sollicité le Parlement, ou
l’a fait solliciter par quelques femmes, ou corrompu par des
offres quelqu’vn de ceux, qui du commencement faisoient
les plus interessez. Ce n’est pas de la façon qu’il en faut agir ;

-- 29 --

nos Rois sont iustes, il ne faut pas masquer cette iniustice
du nom de sa Majesté pour la faire approuuer du peuple. Le
Parlement ne doit connoistre personne ; ne doit point attendre
d’estre prié, & doit estre équitable ; ce n’est pas que
personne le condamne encore : car tout le monde a trop
bonne opinion de son integrité ; tout le monde espere en
voir vne bonne issuë, quoy que Madame la Princesse ne
puisse pas la solliciter, il suffit qu’ils connoissent la verité de
l’affaire : Sçauoir la trahison, les suppositions & les calomnies
du Cardinal Mazarin, & l’innocence des Princes. Enfin,
MONSEIGNEVR, considerez que ceux qui s’opposent
à vne chose si iuste, peuuent tomber dans les mesmes
necessitez les premiers. Messieurs les Princes en croyoient
estre aussi exempts que tous les autres ; & c’est par leur
exemple que vous auriez vn jour du dessous, si le Cardinal
Mazarin en estoit creu. Preuenez la fureur que le peuple
couue ; preuenez les mal-heurs de la France & les desseins
de ce pernicieux Ministre.

 

La Normandie, la Bourgogne & la Champagne vous
declarent la haine mortelle qu’elles ont contre ce traistre ;
qui connoissans que ces peuples auoient eu quelque sorte
de ressentiment pour la detention de leurs Gouuerneurs,
sans pourtant s’opposer aux volontez du Roy, du nom duquel
il a voilé sa trahison ; s’en y est allé auec l’armée, faisant
semblant d’aller subjuguer par force des places qui luy
estoient toutes acquises sans sortir de Paris ; s’estant rendu
maistre à coups de pistoles des Villes, lesquelles il voudroit
bien qu’on creust qu’il auoit reduit à coups de canon. Il ne
luy en a pas pourtant moins cousté pour y auoir esté en habit
court ; mais il s’est satisfait en nous voyant ruiner absolument
par tout où l’armée a passé.

Considerez maintenant les rauages que tous les peuples
des frontieres de Champagne, Lorraine & Picardie, souffrent
par les courses du Mareschal de Turenne : & ce n’est
qu’en consequence de cette detention qui causera la ruïne

-- 30 --

entiere du Royaume, pour permettre qu’vn Estranger prenne
ses satisfactions dans les maux qu’il fait souffrir à nos
Princes naturels. Aueuglement estrange ! que Paris souffre
vne injustice si grande, & prefere le contentement du Cardinal
Mazarin au soulagement de la France, & à la liberté
de trois jeunes Princes qui pourroient encore releuer l’Estat
pour lauer la faute qu’ils viennent de faire, en reconnoissant
le bon office que Paris leur rendroit en leur procurant leur
liberté. Car de s’imaginer qu’ils voulussent s’en prendre au
peuple, il faudroit qu’ils fussent despourueus de raison &
de iugement, voyant qu’il n’y a que cette seule faute qui
les tiennent là où ils sont, outre mesme qu’ils peuuent donner
d’assez bonnes asseurances de leur fidelité, en retenant
l’vn d’eux cependant que les autres agiront pour le bien de
l’Estat, & cent autres remedes dont on peut se seruir pour
les empescher de faire des choses indeuës. Nous sommes
bien certains qu’il ne faut iamais esperer du repos en France
tant qu’ils seront en prison ; & que cela peut obliger à vne
leuée de bouclier dans les Prouinces qui se voyent tyrannisées
de la sorte : Car le Cardinal n’a pas de honte de dire
aux gens de guerre, quand ils luy viennent demander de
l’argent pour faire subsister leurs troupes, d’en prendre par
tout où ils en trouuerõt, & que le Roy n’en a pas. Ne voyons
nous pas visiblement que nous n’auons pas de plus cruel ennemy
que ce traistre, puisque si les Espagnols entrent en
France & qu’on leur ouure les portes sans resistance, ils se
contentent d’y viure honnestement, & ce perfide veut
qu’ils volent, qu’ils tuënt, & qu’ils forcent filles & femmes
pour se faire donner de l’argent, auec plus de cruauté que les
Turcs ny les Barbares.

 

La Prouence affligée de peste, ne la persecute t’il pas par
ses artifices plus que iamais ? n’y maintient-il pas vne guerre
plus eschauffée que l’année passée, faisant ruiner absolument
cette Prouince par ses ordres ? Le Roy en peut-il esperer
quelque chose de tant de reuenu qu’il en tiroit, puis

-- 31 --

qu’ils n’ont pas dequoy auoir vn miserable morceau de pain :
Le bas Limosin ne vient-il pas d’estre tout mis à feu & à sang
par ses ordres, executez par Foulé ? Le Roy en peut-il esperer
vne autre année les Tailles, puisque le Cardinal Mazarin
a tout fait prendre ; qui par sa belle police fait manger à
des gens de guerre qu’il y enuoye, cent fois plus que les
Tailles ne se montent, sous pretexte de les faire payer ? y
a-t’il cruauté dans le monde comme la sienne. Lusignan &
Niort en Poictou ne viennent-ils pas de souffrir les mesmes
cruautez par les Regiments du Cardinal, & par ceux de la
Meilleraye aussi barbares que les autres, qui ont esgorgé
iusques aux enfans d’vn an, parce que ces deux Villes
auoient enuoyé des viures à Bourdeaux, où il a encore r’allumé
vne guerre par les ordres qu’il donne au Gouuerneur,
de faire des impositions sur le pays pour se deffrayer de l’argent
que sa tyrannie luy fit employer l’année passée ? Enfin
voyons nous vne personne qui puisse dire du bien de ce coquin,
que ceux qui partagent auec luy le sang du pauure
peuple ? Y a-t’il rien de plus insolent que de voir que ce
traistre vient de faire voler aux portes de Paris dans la ville
de Senlis iusques dans les Eglises : & ce n’est que par son
commandement, obligeant les habitans l’espée à la gorge,
de donner tout ce qu’ils auoient : Enfin ils n’ont rien laissé
qu’ils ayent pû emporter. Sont-ce des choses que l’on doiue
souffrir, parce qu’il dit que Monsieur de Bouteville y a
achepté sept à huict cheuaux, & quelque ieune homme de
là dedans de ses amis l’a suiuy ? sont-ce des excuses que l’on
doiue receuoir, luy permettant de faire perir toute la ville
entiere pour vn ou deux particuliers ? & Paris ne connoist-il
pas que tous ces rauages luy porteront du dommage : ie
vous attends à l’année suiuante pour l’esprouuer.

 

MONSEIGNEVR, comme c’est vous que la France
cherit le plus dans ce monde apres Dieu, c’est en vous aussi
qu’elle espere trouuer son salut ; c’est par vous qu’elle croit
estre deliurée du Tyran qui la fait perir à petit feu sous la

-- 32 --

rigueur de ses pernicieux desseins. Considerez-là donc affligée
de tous costez ; voyez qu’il n’y a homme qui ne se
plaigne de nostre Ministre ; qu’il n’y a personne qui ne soit
persecuté par sa tyrannie ; c’est luy seul la source de tous nos
maux, qui ne seront iamais terminez que par sa mort. Considerez
que tous ceux qui ont pris les armes en France n’en
veulent qu’à ce traistre ; qui ne se contentant pas d’y auoir
assez d’ennemis, excite encore ceux qui ne voudroient iamais
penser en luy. Voyez Bourdeaux, voyez le Poictou,
voyez le Limosin, voyez la Prouence, voyez la Normandie,
voyez la Champagne, voyez la Bourgogne, qui sont
des païs qui ne crient tous en general que contre ce fourbe.
Voyez en particulier Senlis qui vient d’estre vôlé iusques
dans les Eglises par ces ordres : voyez ces Villes du Limosin
desertes par le carnage que Foulé y a fait, sans qu’il y ait
iusques aux enfans qui en ayent esté exempts : voyez Lusignan
& Niort en Poictou, où ses Regiments ont tout esgorgé
en passant.

 

Apres toutes ces cruautez, peut-on voir rien de plus audacieux
que la superbe de ce Ministre : qui ne se contentant
pas de s’en estre pris à tous les plus grands Seigneurs de
France : n’en veut pas mesme par vne arrogance que la
France ne deuroit pas souffrir ; exempter ceux de la Maison
Royale : voulant insolemment trencher du pair auec son
Altesse Royale, qui plein de bonté & de clemence a daigné
pardonner ce coquin par les sollicitations de la Reyne ?
N’est-ce pas vne chose pitoyable, que la France souffre
qu’vn Estranger, qui ne pourroit pas esperer par sa naissance
d’estre Valet de pied de Monseigneur le Duc d’Orleans,
a encore esté si insolent que de le choquer impunément :
il en a receu le pardon, mais ie ne sçay comme il en agira ; c’est
pour vne affaire de mesme nature qu’il s’en vange contre Monsieur
le Prince. Enfin Paris peut-il souffrir que ce traistre fasse renaistre
si hardiment des vieilles querelles pour tascher de
faire perir son Protecteur ; j’entends Monsieur de Beaufort, qui

-- 33 --

vient d’estre appellé encore vne fois en duel par le Duc de
Candale pour l’affaire des tuilleries, & ce n’est que par les
ordres secrets de ce voleur, qui fait agir son neueu pretendu
pour tascher de perdre nostre bien-facteur, promettant
à ce ieune Agent plus de beurre que de pain, pour l’obliger
à hazarder le pacquet pour luy obeïr. Voyez vn peu les malices
du Cardinal qui réueille les querelles d’autruy pour se
vanger des siennes, ou pour susciter de nouueaux desordres.
Les Bourgeois doiuent-ils souffrir vne impertinence si
grande ? Monsieur de Beaufort doit-il souffrir qu’vn faquin
ce jouë d’vn descendu du Sang Royal ? & qu’enfin vn simple
Gentil-homme se rende Agent du Cardinal Mazarin
pour le perdre. Ie sçay bien que Monsieur de Beaufort est
trop genereux pour refuser vn défi d’honneur, mais sçachant
le complot qu’on a fait pour le destruire, il ne doit
iamais pardonner l’attentat qu’on veut faire sur sa personne :
Car ce n’est que par les ordres de ce Ministre, qui apres
nous auoir ruinez veut encore nous rauir celuy qui nous
peut procurer du soulagement.

 

MONSEIGNEVR, considerez vn peu sa conduite, preuoyez
ses desseins, & remarquez le chemin qu’il prend :
vous verrez que les François ayment mieux vostre vie que
vous mesme, puis qu’ils cognoissent que vous agissez trop
sincerement auec ce traistre ; qui voyant vostre franchise
vous trompera facilement. Toute la France attend de vous
vn bon coup pour iamais : vne bonne cheute dont il ne releue
de sa vie, & vne telle destruction d’Italiens, qu’il n’en
ose iamais entrer en France pour gouuerner nostre Estat ;
tant qu’il s’y trouuera des Princes & des Parlements. Bannissez
tous les Espagnols du Royaume ; ayez compassion de
cette pauure France qui n’en peut plus, reünissez à la Cour
tous ces Seigneurs esloignez par le caprice d’vn Ministre
tyran, qui pourroient par le desespoir de se voir bannis de
leur bien, troubler nostre repos. Viuez dans vne parfaite
intelligence auec les François, & abandonnez les feintes

-- 34 --

amitiez d’vn Estranger. Dieu ne benit pas nostre Monarchie,
parce qu’il n’y voit que cruauté, que trahison, & separation
de nous mesmes, pour nous associer auec ceux qui
nous persecutent. Retirez la France d’entre les mains de
son ennemy ; les offres qu’il vous fait ne sont que du venin
qu’il vous prepare. La France n’attend rien auec plus d’impatience,
que l’heure de vous voir d’humeur à receuoir ;
Paris n’a rien que pour vous ; il vous auroit desia offert tout
ce qu’il a de plus precieux, s’il eut creu que ses offres vous
eussent esté agreables. Il n’y a si chetif ny si riche, qui ne
mette tout son bon-heur dans l’honneur que vous luy feriez,
de vous seruir de tout ce qu’il possede de meilleur
dans le monde. Mesprisez ce faquin, qui n’est que l’objet
de l’aduersion la plus detestable de toute la France ; Et
faites nous l’honneur de continuer tousiours vos bonnes
volontez à ceux dont la vie & le bien vous sont entierement
acquis.

 

Le Genie des Prouinces de France.

FIN.

SubSect précédent(e)


Anonyme [1650], LA POLITIQVE SICILIENNE, OV LES PERNICIEVX desseins du Cardinal Mazarin; Declarés à Monseigneur le Duc DE BEAVFORT de la part de toutes les Prouinces de France. , françaisRéférence RIM : M0_2817. Cote locale : A_9_26.