Anonyme [1649], LA POVRPRE ENSANGLANTEE. , françaisRéférence RIM : M0_2836. Cote locale : C_6_61.
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LA
POVRPRE
ENSANGLANTEE.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LA POVRPRE
ensanglantée.

IE suis assez pardonnable, si
parmy tant de passions que ie
vois couler dans l’esprit des
peuples, ie me vois contraint
de donner l’essor à ma plume,
pour la laisser voler par tout où elle voudra,
& si ne me trouuant pas assez fort pour la
retenir, ie luy laisse la liberté d’escrire &
& de se plaindre de ma mauuaise fortune.
Apres qu’Ouide eut esté relegué parmy des
peuples barbares pour auoir offensé Cesar,
il ne luy reste pour toute consolation que
la franchise d’exercer son genie, & d’auoir
recours à ses vers qui luy seruirent de reuelation
iusqu’à la fin de sa vie. Puisque le temps
est si miserable qu’il semble que tous les
siecles passez nous ont fait heritiers des

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mal-heurs qui les ont troublez, & que si
nous ne les ressentons pas tous entiers, aumoins
en auons nous quelque eschantillon de
chacun ; pourquoy trouuera t’on estrange,
si ie cherche quelque moyen pour me soulager,
& si voyant la France dans vn danger
si considerable, ie tasche de tromper
en quelque sorte mes pensées, & à les adoucir
le mieux que ie puis. A quoy la necessité
peut-elle contraindre les hommes ;
car s’il est vray que les Arts ne sont inuentez
que par elle, quand elle vient à nous attaquer,
est-ce faire mal à propos, si l’on
s’efforce de la repousser, iamais on n’en a
tant veu dans la France que l’on y en souffre
maintenant, & pour ne point repeter
ce qui a esté desia dit plusieurs fois, ie diray
que si l’on veut se donner la peine de
ietter les yeux sur toutes sortes de maux,
il se trouuera qu’il ne s’en est point encore
pratiqué de plus tragiques n’y de plus sanglans
que l’on en exerce à cette heure. De
sorte qu’il semble que nous pouuons dire
iustement que le moindre excez est le carnage
& le sang, qui courant par les villes

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& par les campagnes comme des ruisseaux
dans leurs sources ensanglantent tout, &
ne laissent rien qui ne soit teint de cette pitoyable
couleur. Mais quelle est la cause de
tant de mal-heur ? il faudroit ne iouir d’aucun
des sens naturels pour ne pas auoir vne
connoissance asseurée, ou pour parler comme
les Philosophes, vne veritable science,
de ce qui s’est fait, & se fait encore en plusieurs
endroits du Royaume, & pour ne
confesser pas sans doute que cela procede
pour vne personne toute couuerte de pourpre
à l’exterieure, & de sang au profond du
cœur. Le premier Pontife qui honora les
Cardinaux de la pourpre, les veulut obliger
de ce don pour vne consideration tresloüable,
car comme il n’y a point de couleur
si belle ny si exclante, & qu’elle represente
le plus noble des Elemens par son
esclat & par sa splendeur, il vouloient témoigner
par la que leur dignité surpassoit
toutes les autres condictions les plus retenues
de l’Eglise, comme estant celle d’où
les Papes immediatement sont tirez, &
que ceux qui en sont couuerts doiuent estre

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comme des chandeliers à sept branches,
pour tousiours braser dans l’Eglise,
par les bonnes actions & par les vertus.
Mais, ô chose deplorables ! L’abus c’est tellement
glissé dans les cœurs, que profanant
cette belle pourpre, la pluspart de
ceux qui en sont reuestus, ne la portent
que par ostentation & pour s’emparer dans
les iours des Rois ; estans seulement Cardinaux
par vn titre qu’ils ont emprunté, &
duquel ils ne se rendent aucunement dignes
Tesmoin est ce Cardinal, lequel pour
supporter l’heresie, alla luy mesme attaquer
la ville, de Rome, bien qu’il eust en soy
comme vn presage asseuré que sa vie y demeureroit,
& de fait pensant empourprer
les autres de sang, il y versa luy mesme le
sien, & fut iustement puny par la main de
Dieu tout puissant. Iuste Ciel que ne priuez
vous encore auiourd’huy la temerité
d’vn prophane, qui n’ayant point de respect
de la Diuinité, se pare de vostre pourpre
comme vn Paon de sa queuë, & veut
tascher d’esbloüir les yeux des mortels, &
faites de luy comme Iupiter fit de Phaoton,

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en le consommant au milieu des flammes,
puis qu’il ayme tant ce beau lustre, & cette
couleur éclatante, la vray image du
feu qu’il merite, qu’il la va mesme chercher
iusque en nostre Sang. La femme d’vn
Philosophe se promenant vn iour sur le
bord de l’Ocean, apperçeut que son chien
auoit le museau teint d’vn couleur qu’elle
le n’auoit iamais veuë, & comme les
choses nouuelles plaisent ordinairement,
elle en fut tellement charmée, qu’elle voulut
sçauoir d’où cet animal l’auoit prise ;
Enfin elle reconneut qu’elle venoit du sang
d’vn poisson, ce qui luy fit desirer d’auoir
vne robbe en cette couleur, de sorte qu’elle
importuna tellement son mary, que pour
contenter son ambition il se mit en deuoir
de luy en faire teindre vne, qui fut iugée si
belle & si precieuse ; qu’on la depuis estimée
la plus riche sur toutes les autres couleurs ;
Les Egyptiens & quelques autres
peuples auec eux s’en sont seruis pour porter
le duëil, iugeant raisonnablement qu’elle
auoit en soy quelque representation de
meurtre & de cruauté, estant de la mesme

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couleur que le sang, comme de fait ç’a esté
du sang qu’elle a pris son estre & son origine
La France auiourd’huy deuroit bien reprendre
cette premiere coustume, puisque
cette pourpre luy est si fatale, qu’il semble
que ceux qui veulent mal traitter ses enfans,
se plaisent & font vanité de s’en reuestir, ce
seroit trop souuent ramenteuoir nos mal-heurs,
que devouloir recourir icy sur toutes
les calamitez de ce grand Royaume,
qui ont esté veritablement si sanglantes
qu’elles font presque mourir d’horreur ceux
qui se les veulent remettre en memoire ;
& comme les grandes afflictions nous pressent
plus puissamment qu’elles ne nous apportent
de maux, il nous est encore extremement
difficile, de ne nous pas resouuenir
de nos pechez, puisque mesme à cet heure
nous n’en sommes pas si bien releuez,
qu’il ne nous en reste beaucoup. Nous ne
sçaurions ouurir les yeux pour regarder de
quelque costé que ce soit, que nous ne
trouuions des obiets assez pitoyables pour
émouuoir à pitié, les Tygres, les Lyons, les
Ours, & tous les autres animaux plus farouches

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que la nature ait iamais produits.
Les histoires nous font voir que les Lyons se
sont abstenus bien souuent de se trẽper dans
le sang des hommes, ils ne voulurent pas
toucher Daniel qu’on leur auoit ietté dans
la fosse, pour leur seruir de curée, vn seruiteur,
Romain fugitif trouua de la courtoisie
& de la douceur dans vn Lyon affamé
qu’on auoit l’asché sur luy pour le deuorer
& ce prodige arriua en recognoissance d’vn
bien qu’il luy auoit fait. Mais ô ! monstre
horrible & espouuantable, il nous a priué
bien d’autre sorte, car celuy l’à mesme qui
s’est non seulement rassasié, mais saoulé de
nostre substance, ne se contente pas de
nous auoir espuisez en sorte, que nous ne
sçaurions plus où puiser, si ce n’est dans la
source des calamitez, il veut encore paroistre
à nos yeux cõme vn spectacle de peine
& d’horreur, & nous faire voir malgré nous
l’image du sang qu’il a tiré de nos veines,
& qu’il a fait couler en plusieurs endroits,
& de la mesme façon que toutes les eaux
tendent à la mer, il semble que nostre sang
se va ietter dessus luy pour colorer & ses habits

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& son cœur. Ne m’est-il pas donc permis
de luy dire ce qu’vne grande Reine autrefois
disoit à Assiusus, rassasie toy de l’or
& du sang que tu as desiré d’auoir auec
tant d’ardeur, empourpré non seulement
ton cœur de nos funerailles, mais fais en
teindre encore la robbe, que ton bonnet
en exclatte, que ton manteau te serue comme
d’vn ruisseau pour te baigner dans le
sang. Mais il me semble que ie rencontre
quelque sorte de consolation dans mon desespoir,
car ce qui me sert maintenant d’obiet
pour me faire plaindre & souspirer iustement,
c’est que i’apperçois sur d’autres espaules
vne pourpre plus riche & plus esclatante,
qui doit quelque iour seruir à nous
soulager. Et comme dans la medecine bien
souuent ce qui nous a fait le mal, sert à nous
guerir, aussi peut-on croire auec vne assez
iuste raison qu’vne pourpre incomparablement
plus benigne que celle cy n’est nuisible,
doit apporter du soulagement à nos
maux, & par vne antipatie admirable elle
nous fera recouurir ce que nous auions perdu
miserablement. Ou bien plustost ie veux

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m’asseurer que la blancheur de nos Lys,
ostera quelque iour la tache qui nous a
soüillez depuis quelques mois & que l’innocence
de nostre ieune Monarque sera
quelque iour la cause, que le Ciel perdant
le desir que peut estre il auoit eu de nous
perdre, nous restablira dans nostre premiere
fortune, & que faisant vn euanoüir de
nos yeux toute autre couleur qui pourroit
nous estre miserable, & il n’y laissera plus
desormais que l’incarnat, le blanc & le bleu,
qui s’estoient comme presque retirez de
nous.

 

FIN.

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