Anonyme [1649 [?]], LA PRISE DE LA VILLE ET CHASTEAV DE BRIE-COMTE Robert. , françaisRéférence RIM : M0_2873. Cote locale : A_1_19.
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LA PRISE
DE LA VILLE ET
CHASTEAV DE BRIE-COMTE
Robert.

Les victoires les moins sanglantes
sont les plus entieres,
sur tout les civilles :
C’est en quoi cette-ci a esté
d’autant plus agreable à
Leurs Majestez, qu’elles y
ont moins perdu de sujets :
leur bonté & la raison mesme
ne pouvant permettre qu’elles gaignent
dans leur perte.

Encor que les soins que Leursdites Majestez
ont jusques ici aporté à bloquer la ville de Paris
n’eussent pas pressé cette ville là jusques au
point que plusieurs s’en promettoyent, si est-ce
que le succez en a respondu aux desseins de
la Reine, qui n’alloyent qu’à reduire doucement
ses habitans à l’obeïssance du Roy, en leur
faisant juger par le présent, du mal à venir : Ce
qui a esté cause que Sa Majesté a tousjours résisté
aux avis que plusieurs experts au fait de
la guerre lui donnoyent de chastier rigoureusement
tous ceux qui y portoyent des vivres :

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Mais voyant que cette douceur augmẽtoit leur
opiniastreté, elle a esté enfin obligée de laisser
aux Chefs de ses gens de guerre la liberté d’en
faire pratiquer les loix pour en punir les infracteurs
selon leur severité : Et d’autant que de
tous les postes par lesquels ces vivres pouvoient
venir à Paris il n’en restoit point d’ouvert que la
ville de Brie, grandement commode à faire
amener des bleds du païs le plus fertile de la
France, de laquelle les Parisiens, à ce sujet, s’estoyent
emparez des le commancement, & y
avoyent mis vne garnison de huit cent hommes
sous la charge du sieur Bourgoigne, outre
quatre cens habitans grossis par les païsans
des villages voisins qui y avoyent retiré
leurs meubles & tous leurs bleds, sur l’espérance
que les Parisiens leur donnoyent de les acheter
plus qu’ils ne valoyent pour les mener de
là à Paris :

 

Cette considération fut cause que Leurs Majestez
voyant que cette ville de Brie avoit refusé
d’obeyr à leurs ordres qui leur furent portez
par le Cõmandeur de Montecler, avec trois cent
hommes de pied & cent cinquante Chevaux,
donnerent charge quinze jours apres, qui fut
le vingt-cinquiéme du passé, au Comte de Grancey
Lieutenant general, de l’aller assiéger : le Mareschal
du Plessis-Praslin ayant aussi receu ordre
de s’aller camper à vne lieuë de là avec la cavalerie
qu’il avoit à Saint Denis : A laquelle le
Comte Broglie joignit partie du régiment de

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Rantzau, & de l’infanterie destachée des Corps
qui sont à Saint Denis se montant à mille hommes,
sur le bruit que faisoyent courir les Parisiens
qu’ils secourroyent cette place là, pour sa
consequence : ainsi qu’ils l’avoyent solennellement
promis à celuy qui y commandoit pour
eux.

 

Le Comte de Grancey n’eut donc pas plûtost
deffait leurs douze cent Chevaux, dont je
vous ay ci devant parlé, & pris ensuite leurs
chasteaux de Lesigni & Villemenon : le premier,
par force, & l’autre par composition, bien que
ce dernier fust aussi fort que le premier, mais
l’exemple du precedent le fit sage, (tous deux
à vne lieuë de Brie sur le chemin de Lagny) qu’il
s’avança vers cette place de Brie avec deux pièces
de canon, & ce qu’il avoit de troupes à Lagny,
se montant à quinze cens hommes de pied
& huit cens Chevaux, l’infanterie composée
des regimens de Picardie, Anguien, Col Has &
Roquebi : & la cavalerie, des regimens de Harcourt,
la Villette, Gamache, Montecler & Grãdpré.
Ausquelles troupes se joignirent encor 300
mousquetaires de la garnison de Corbeil, & les
compagnies des Gardes du Prince de Condé,
des Gensd’armes de S. E. celles de Sainte Cecile,
& dés Chevaux-legers de Biron : ces dernieres
troupes d’infanterie & cavalerie de Corbeil
conduites par le Comte de Navailles Mareschal
de cãp & par le sieur de la Grange Mareschal
de bataille, comme les premieres estoyent

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cõmandées par ledit Comte de Grancey Lieutenant
general, les sieurs de Launay & le Comte
de Sainte-Mesme Mareschaux de camp, & le sieur
de Clerville Mareschal de bataille. Apres avoir
laissé dans Lagny, dans le chasteau de Lésigni
& dans celui de Villemenon, ce qui estoit nécessaire
pour leur garde & la seurté des chemins : à
sçavoir dans Lagny, le regiment d’infanterie de
Son Eminence, trente hommes de Picardie dans
Lesigny, & autres trente de Col Has, à Villemenon :
le mesme jour 25 du passé, il s’alla
poster dans le faux-bourg qui est du costé de
Lesigny, nomme le faux-bourg de l’Epinelle :
d’où il fit ses aproches, & plaça son canon contre
le rampart de la ville, à la faveur d’vne muraille
de jardin proche du fossé : vne partie duquel
estoit remplie d’eau, où se faisoit la batterie,
& le reste sec, vn peu plus haut : les assiégeans
ayant choisi cet endroit là pour y faire leur attaque,
d’autant que la partie du fossé où il y avoit
de l’eau n’estoit deffenduë d’aucun flanc.

 

Cette batterie fut ordonnée par le sieur de la
Sabliere, avec tant de diligence, que deux heures
apres l’arrivée des pieces, elles commancerent
à tirer, & le lendemain 26 firent vne bréche
de douze pieds au haut de la muraille :
mais parce que cette batterie ne faisoit qu’érafler
la chemise de la muraille, par le bas ou
l’on ne pouvoit entrer n’étant pas ouvert, le
Comte de Grancey fit attacher deux mineurs,
l’vn à l’attaque de Picardie & d’Auguien conduite

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par le Comte de Sainte Mesme, & l’autre
à celle de Roquebi & Col Has, conduite par
le sieur de Launay.

 

Les mineurs ayans travaillé sous leurs logemens,
depuis les cinq heures du soir jusques
à huict, les assiégez conceurent telle
apprehension du succez des fourneaux qui
se préparoyent, qu’ayans mis le feu à vn quartier
de la ville qui environnoit le chasteau, prétendans
par là y faire vne esplanade, & empescher
par ce moyen la domination de ces maisons
sur la fausse-braye de ce chasteau, ils s’y retirérent
avec vne précipitation, qui ne leur permit
pas d’y emmener tous leurs chevaux, équipage
& drapeaux : mais en laissérent vne partie
dans la ville, avec d’autre butin qui servit de curée
aux soldats assiegeans.

Cependant le Comte de Grancey connoissant
par cét embrazement (qui brusla pres de
cinquante maisons) la retraite des assiégez, fit
monter par la bréche avec des échelles quatre
cens hommes, qui s’allérent mettre en bataille
dans la place de la ville, puis ouvrirent vne de
ses quatre portes à leurs compagnons, qui pillérent
par le droit de la guerre, & pour servir de
chastimẽt exemplaire, tout ce qui s’y rencontra.

Le reste de la nuit, qui estoit celle du 26 au
27 s’employa à placer les gardes, & asseurer tous
les postes de la ville : ne se pouvãt pour lors faire
aucune aproche au chasteau, à cause de cét embrazement,
qui dura jusqu’au matin du lendemain

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27, auquelle Cõte de Grancey fit sommer
le Commandant, les soldats & habitans qui s’y
estoyent retirez.

 

Peu apres cette sommation le Commandant
envoya son Major, qui ayant demandé de sortir
armes & bagage, tambour batant, enseignes
desployées, balle en bouche, avec leurs hautes
& basses armes, & toutes les autres plus honorables
conditions qui se puissent accorder à des assiegez
qui sont encor en estat de se bien deffendre,
il fut renvoyé sans rien faire, & incontinent
apres, l’attaque estant disposée, le mesme Commandant
fit batre en chamade, & demanda vne
seconde fois si l’on le vouloit recevoir aux conditions
par luy proposées : ce qui ne luy fut pas
seulement derechef refusé, mais ce Comte fit
dresser vne baterie contre le chasteau, laquelle
tira depuis le midi de ce jour là jusqu’à cinq heures
du soir : que le mesme Cõmandant & ses Officiers
voyans filer les fascines que portoyent
les assiegeans pour combler la nuit suivante leur
fossé, ils se réduisirent aux conditions suivantes.

Que le Commandant sortiroit le lendemain
matin avec ses Officiers à cheval & ses soldats,
sans autres armes que leurs épées.

Que de ces soldats, ceux qui avoyent quité
les troupes du Roy y seroyent remis : que les
autres auroyent la liberté d’y prendre parti : Et
que les Officiers & autres soldats qui n’auroyẽt
voulu se mettre dans les troupes du Roy, seroyent
conduits avec escorte jusqu’au pont de

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Charanton, avec serment de ne porter jamais le
armes contre Sa Majesté.

 

Mais l’impatience qu’eurent quelques-vns
de ces Officiers & soldats à sortir de ce lieu-là,
soit pour la honte de s’y estre si mal deffendus,
soit pour autre raison, les en ayant fait partir
avant leurs escortes, il fut impossible aux Chefs
des troupes du Roy d’empescher qu’on ne prist
à quelques-vns leurs manteaux & chapeaux, &
mesme cinq ou six chevaux à quelques Officiers.
Ce que le Comte de Grancey ne sceut
pas plustost qu’il envoya de nouveaux Officiers
de l’armée du Roy pour empescher ce desordre,
& ayant retire dans son logis tous les
autres Officiers & soldats Parisiens, les conduisit
luy-mesme jusques hors la ville, où
il leur donna escorte suffisante de cavalerie,
qui les conduisit audit pont de Charenton,
apres avoir fait rendre les chevaux & hardes qui
se trouvérent appartenir ausdits Officiers & soldats
Parisiens.

Il s’est trouvé dãs la ville & le chasteau plus
de trois cens muids de bled, dont se fait inventaire
pour servir à la subsistance de l’armée
du Roy, la prévoyance d’autruy luy ayant esté
par ce moyen autant profitable qu’invtile à ses
autheurs. Il s’y est aussi trouvé trois cens chevaux,
qui se partagérẽt à tous les Corps de cavalerie,
pour les distribuer aux cavaliers démõtez.

En suite de quoy le Comte de Grancey reprit
sa marche vers Lagni : & le lendemain le
Mareschal du Plessis, vers S. Denis : ayant laissé

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dans Brie les sieurs de Launay Mareschal de
camp avec le régiment de Roqueby, & les compagnies
de gensd’armes de Son Eminence, celle
de S. Cecile, & des Chevaux legers de Biron.

 

Il n’y a eu aucun Officier du Roy mais seulement
vn Sergent, & 4 ou 5 soldats tuez, & autant
de blessez : entre lesquels est vn Page du
Comte de Grancey qui a vne jambe & vne cuisse
persée d’vne mousquetade.

Les Parisiens ont pareillement perdu peu de
leurs gens par leur peu de résistance. Aussi
n’avoyent ils pas besoin d’autre perte, celle
de leur mere nourrice leur estant assez sensible.
La consternation causée à Paris par cette prise
ayãt esté proportionnée à son importance, qui
n’a pas esté tant considerée pour lors, y estant entré
ce jour là vn fort notable convoy de vivres,
que pour l’avenir : comme la disette des vins
dont la gelée des vignes nous menace pour l’année
qui vient, ferme les celliers des cette-cy.

Ce qui fait voir aux Parisiens qu’ils ne trouveront
de quelque costé que ce soit, aucun chemin
ouvert, ny mesme plus facile, que celuy des
bonnes graces de Leurs Majestez.

Comme le sieur d’Angouville l’vn des gentilshommes
de Son Eminence, avoit aporté la
prémiere nouvelle de la prise de cette ville-là, le
Chevalier de Clerville Mareschal de bataille, en
a aporté la confirmation avec la prise de son chasteau,
& remporté les ordres de Sa Majesté.

A S. Germain en Laye, le 3 Mars

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