Anonyme [1652], CAPRICE SVR L’ESTAT PRESENT DE PARIS. STANCES. , françaisRéférence RIM : M0_626. Cote locale : B_20_41.
CAPRICE SVR L’ESTAT PRESENT DE PARIS. STANCES. M. DC. LII.
CAPRICE SVR L’ESTAT PRESENT de Paris. STANCES.
D’VN Vers à demy serieux, Demi Frondeur, demi Burlesque, Ie forme vn Corps capricieux, Qu’on ne peut nõmer que crotesque.
Il est mis au iour dans vn temps Si chagrin, si sombre & si louche, Que le desir des passetemps Gele au cœur & meurt à la bouche.
L’ancien plaisir est en dormy, La douleur partage la ioye, On ne peut rire qu’à demy Quand vn œil rit l’autre larmoye.
Si faut-il pourtant s’échaufer, La rime nage dans mon verre, Le vin seul me fait triompher Des desordres de cette guerre.
Déja le calme est retably Parmy mes plus tristes pensées, Cette liqueur porte l’oubly De toutes les douleurs passées.
Ie me sens reuenir le bec, Ie sens quelque bien qui me flate, Ie sens que mon œil est à sec, Ie sens espanoüir ma rate.
Ie m’en vais donc en peu de mots, Sans affecter ny Vers ny stile, Abreger l’éloge des sots Qu’adore Paris la grand ville.
Et pour contenter mon souhait, Et satisfaire à tout le monde. Ie m’en vais tracer le portrait des plus haut hupez de la Fronde.
Quand à Paris, tout y va bien, Le bled, le vin, tout y abonde, Ie trouue qu’il n’y manque rien Que des potences pour la fronde.
Elle est pourtant moins rude au choc, Plus modestement elle claque, La plus part l’ont penduë au croc, La plus part ont tourné casaque.
Pour mieux faire la guerre à l’œil On auoit bien pris de la peine A composer vn bon Conseil, Pour assembler chaque semaine.
On vist aussi tost le Rentier Faire au Palais le diable à quatre, Et le President au Mortier Contraint de fuir ou de combatre.
Pour mettre quelque ordre à leurs cris, Il fallut changer de brisée, Et traitter ces fàcheux esprits D’vne methode plus aisée.
On a fait vn nouueau Conseil, Qu’on tiẽt par tout dãs les boutiques, En plaine halle, en plain soleil. En toutes les places publiques.
Le grand cheual de bronze en est Comme iugé des plus capables : Car on veut gens sans interest, Gens de bien, gens in ebranlables.
On ne le croiroit presque pas, Comme on se fait dans les affaires, Ce cheual à changé de pas Aux emplois extraordinaires.
Ce cheual a tousiours esté De son Roy seruiteur fidelle. Mais Marigny l’a tant hanté Qu’il l’a rendu pisque Brousselle.
Il est deuenu tout chagrin, Depuis qu’il s’est mis dans la Fronde, Quelques fois il ronge son frein, Mais la pluspart du temps il gronde.
Iadis il estoit familier, De bel humeur, d’accez facile Les gueux, le filou, l’escolier trouuoient prés de luy leur azile.
Mais sa nouuelle qualité, Si fort le change & le chagrine, Que quand il prend sa grauité Tout tremble à la place Dauphine.
Deuant luy, car il est plus vieux, Marche le bon homme Brousselle, Qui parle plus, mais guerre mieux, Et n’a guere plus de ceruelle.
Là commencent les grands combats, Où leur ambition les iette, Lequel des deux aura le pas, Lequel des deux aura la droite.
La difficulté du iourd’huy Semble n’auoir point de remede, Brousselle est plus cheual que luy, Pourquoy faudra-il qu’il luy cede.
Mais ce cheual parlant pour soy dit des raisons qu’on ne peut taire, Qu’il n’a iamais esté qu’au Roy, Et Brousselle tout au contraire.
Là dessus on s’est partagé, Brousselle obstiné comme vn diable, Mais les gens de bien ont iugé Que l’autre estoit plus raisonnable.
A moins d’vn accommodement, Digne du rang de sa naissance, Il n’yra point au Parlement Que l’on n’ait reglé sa seance.
Il reconnut fort bien dés lors Que ce cheual n’estoit pas beste, Et que ce sage & digne Corps, N’auoit point de meilleure teste,
Ce bruit naissant en sa faueur Fut confirmé par sa requeste De forme & de stile Frondeur, Mais qui partoit de bonne teste.
Cette piece a fait trop declat, Elle est de trop grande importance Pour ne luy donner pas son plat, Et pour la passer sous silence.
Ie laisse là la forme à part, Ie n’en diray que la substance, I’ignore les termes de lart, Ainsi donc le cheual commence.
Messieurs, quoy que ie sois cheual, Ie n’en suis pas moins honneste hõme, Si vous croyez que ie dis mal, Relisez l’histoire de Rome.
Vous verrez parmy mes ayeux, Des gens qui sçauront vous cõfondre, Mes ennemis, mes enuieux N’auront pas de quoy leur respondre.
Vous trouuerez vn Bucephal De qui i’ay l’honneur de descendre, Qui n’estoit pas vn animal A porter d’autre qu’Alexandre.
Vous sçauez aussi bien que moy La verité du Roy d’Arie, Son seul cheual en fit vn Roy D’vn mot qu’il dit par raillerie.
Ie tais ce grand cheual de bois De la taille d’vne montagne, Ie parle de vrais & de droits Qu’on a veu battre la Campagne.
Mais pour ne point parler en l’air, Si vous voulez ie suis des vostres, Mais ie veux estre Duc & Pair, Est ce à l’instar de beaucoup d’autres.
Vous verrez si ie fronderay, Si l’effect respond à la monstre, Vous verrez de quel train i’iray En tous lieux en toute rencontre.
Dés qu’il eut parlé de fronder, On battit des mains, on fit feste, Quelques-vns eurent beau gronder On entherina sa requeste.
Chacun depuis ioüe au plus fin, Et tâche à suiure ce fidele, Chacun met de l’eau dans son vin, Et ne veut plus estre rebelle.
Ce Frondeur de sens racourcy, Ne plus ne moins que de la taille, Commence à se demettre aussi, Et le papier brusle la paille.
Il craint ce qu’il a merité, Et qu’vn iour toute sa famille Ne soit plus qu’il n’a souhaitté, Auecques luy dans la Bastille.
Penis fait vn peu le testu Des vapeurs du sang de ce traistre, Ce coquin qui n’est reuestu Que des despoüilles de son maistre.
Ce bigle, dont l’esprit tourné Bien plus encor que la prunelle, Ce Corbeau des Roys à charné, Cét ame fait à la cronuelle.
Cét insolent, cet harangueur Aura bien du fil à retordre, Si iamais Iustice à vigueur, Et si l’on sort de ce desordre
Le pauure Coulon est à cu, La fronde espuise ses pocheres, Il ne sera plus que cocu Quand il aura payé ses debtes.
Mais pour te donner en détail, Le plus laid reste de la Fronde, Il me faut depeindre Portail, Il n’est Frondeur qu’il ne confonde.
Ce bouc pourry püant comme ail, Ce visage fait à l’antique, Où la barbe fait vn aimail D’vne rougeur sudorifique.
Ce ligueur, ce fils de ligueur, Fils dassassin, & fils de traitre, Race de fiel & de rigeur, Ame de soufre & de salpetre.
Au moins boute feu general, Termine au Palais ta furie, N’aproche point de l’Arsenal, N’aproche point l’artillerie.
N’est-tu pas content de ce vol, Cù tout le sçauoir s’interresse ? Ce crime te paroist trop mol, Il t’en faut de plus fort espece.
C’est trop peu de voler pour toy, De peur de démentir ton pere, Il faut tâcher de nuire au Roy, Autant que tu le pourras faire,
Tu vas establir ton renom, Tu seras le grand commissaire, Soit au proces, soit au canon, [1 ligne ill.]
Malgré l’esprit de son poil roux, Et de son ardeur effroyable, La peur le fait filer plus doux, Et le rend vn peu plus traitable.
Quant au petit Monsieur Daurat, Ce haranguenr qui faisoit rage, Sa Politique a pris vn rat, Et commence à ployer bagage.
Le braue & l’illustre Bitaut Adoucit vn peu son Génie, Et ne fronde que comme il faut Pour l’honneur de la Compagnie.
Monsieur le President Charton A trop auant la fronde en l’ame, Il chante tout d’vn mesme ton, Et ne sçauroit changer sa gamme.
Le venerable Poncarré A bien changé de batterie, Il voudroit auoir enterré Les Frondeurs & la fronderie.
Ny pour son frere ny pour soy Il n’a pas sceu faire son compte, Il ne veut plus estre qu’au Roy, Si fort son depit le surmonte.
Ce ieune mignon d’estourdy, Ce fils de ce fameux rebelle, A voulu faire le hardy, Et prendre part à la querelle.
Mais maintenant il s’adoucit, Ie vois bien qu’il a l’ame aisée, Si le party ne reüssit, Il change aussi tost de brisée.
Il n’est pas iusques au sieur Fouquet, A qui le depart d’vne Altesse N’ait bien r’abatu le caquet, Et changé les tons de rudesse.
Enfin la fronde est au roüer, Elle ne va plus que d’vne aisle, Les Princes en font leur ioüer, Et le peuple se raille d’elle.
Mais des Frondeurs les plus rusez, Les Autheurs du bruit & de noise, Depuis peu se sont aduisez D’aller froidement à Pontoise.
La peur en a bien ramenez De la fierté de leurs pensées, Des esprits les plus obstinez. Les folles ardeurs sont passées.
Tel qui faisoit le depiteux Contre la Cour, & pour la fronde, Qui baiseroit le trou honteux Du plus grand Mazarin du monde.
Tel qui faisoit de l’arrogant, Qui prenoit le monde à partie, A l’heure est plus souple qu’vn gant, Et ne songe qu’à sa sortie.
Tel qui parloit pour l’vnion De toutes les Cours Souueraines, Donne au diable l’opinion, Aux Autheurs les fievres quartaines.
Tel qui fit des Vers pour Coulon, Auec dessein de le deffendre, Le laisseroit tout de son long, Et mesme aideroit à le pendre.
Que ne sont-ils desia pendus Tous ces pendars, ces troubles sestes, Qui par leurs aduis morfondus Ont excitez tant de tempestes.
Ils ont dissipé des tresors, Ils en ont espuisé les sources, Et dans l’interest de leur corps, Absorbe celuy de nos bourses.
Depuis l’essott de ces pourceaux, Par force il faut qu’on se retranche, Qu’on se sevre des bons morceaux, Et reduise à fesser l’éclanche.
Tel qui gaudisoit au Marais, Et dont le train estoit si leste, Vit en Bourgeois à petit frais Pour mettre quelque escu de reste.
On ny voit plus que gens de bien, Les mignonnes en sont sorties, Les pechez ne valans plus rien, La plus part se sont conuerties.
Il faut pecher plus d’vne fois Pour faire vne fois bonne chere, La mignonne se vent à trois Pour pouuoir Payer sa Bouchere.
On ne vent plus morceau de pain, Qu’auparauant on examine, Si le grain n’en est pas Lorrain, Si la fleur n’est point Mazarine.
Enfin des petits aux plus grands Le mal se respand dans nos vaines, Du plus pauure au Duc d’Orleans, Chacun à la part de ses peines.
Il n’est pas iusques au Lorrain, Qui vit aux despens du bon homme, Qui n’ait mesme part au chagrin, Qui nous deuore & nous consomme.
Enfin Paris est si changé Qu’il semble n’estre plus soy-mesme, Et qu’il semblé s’estre rangé Dessous vn autre Diademe.
On n’y voit que des Witemberts, D’autres aussi brutaux & rudes, On s’égorge comme aux deserts Des plus horribles solitudes.
On ne voit plus dedans Paris Ces beautez iadis reuerées, Qui surpassoient par leurs esprits Les ames les plus éclairées.
On n’y voit plus cét abregé, Cest extraict d’esprit & de flame. Que la nature a partagé D’vne si noble & si belle ame.
Enfin on n’y voit rien de beau, On n’y voit rien que de funeste, Les plaisirs sont dans le tombeau, La douleur suruit & nous reste.
Ie t’escris de ce monument, Mon ame dans le dueil plongée, Et qui pour comble de tourment Renonce d’estre soulagée.
Car de trauailler à la Paix Par les intrigues de la Fronde, C’est vouloir auec des œufs frais Abbatre le Globe du monde.
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