Anonyme [1652], LA REMONTRANCE PRESENTÉE AVX ESCHEVINS & Bourgeois de la Ville de Paris, sur la descente de la Chasse de sainte Geneuiefue, pour la Paix generale. Auec la Harangue presentée à Monseigneur le Duc d’Orleans sur le mesme subiet. Le tout dedié à son Altesse Royale. Par son tres-humble & tres obeissant seruiteur DE LA HAYE , français, latinRéférence RIM : M0_3332. Cote locale : B_16_56.
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Harangue faite à son Altesse Royale pour impetrer
la descente de la Chasse de
saincte Geneuiefue.

MONSEIGNEVR,

Puisque c’est la coustume des Gens de
bien de s’addresser tousiours aux Diuinitez
Celestes, quand il s’agit de quelque affaire
de grande importance, mais tousiours estant

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appuyez de quelque Grand, qui approuue
toutes leurs actions ; Ie m’adresse aujourd’huy
à Vostre Altesse, affin qu’elle soit
l’appuy de ce que l’on doit entreprendre
aujourd’huy, & que par son consentement
l’on descende la Chasse Sainte Geneuiefue,
pour l’extirpation des guerres Ciuiles
& que nous puissions desormais respirer
le doux air de la Paix. Paix heureuse, l’ame
& l’esprit du Monde, qui entretient & conserue
toutes choses au meilleur estat quelle
puissẽt estre sans la lumiere, de laquelle le
grand tout n’est qu’vn hideux & épouuantable
cahos de miseres, de desordres, & de
confusions ? Heureuse Paix qui fait fleurir
les Royaumes dans ses delices de mille
contentemens, & qui ne va jamais sans
prosperité, non plus que le Soleil sans lumiere,
ny la lumiere sans le jour. C’est
pourquoy les Hebrieux disoient toutes sortes
de biens & felicitez par le nom de Paix,
tant reclamée aujourd’huy par tous les Peuples :
veu qu’ils n’en peuuent plus, qu’ils sont
reduits aux dernieres extremitez, & que
si Dieu ny met la main c’est fait de la France.
C’est pourquoy, MONSEIGNEVR,

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seruons nous de l’occasion qui se presente,
implorons auiourd’huy l’assistance de cette
grande Patrone & Gouuernante de toute
la France, qui la desliurée de tant de perils.
Car si nous voulons voir, mesme durant sa
vie nous verrons qu’elle a tousiours
protegé la France comme ses propres entrailles,
car ie vous prie qui est-ce qui déliura
Paris en l’an de Grace 455. de la fureur
d’Atila qui sortit de la Pamaonie, suiuy d’vn
nombre infiny de peuples septentrionaux,
ayant trauersé & saccagé les terres d’Alemagne,
se débanderent & vinrent fondre
dans la France où ayant tout rauagé &
ayant saccagé toutes les Villes & estant enfin
arriuées aupres de Paris, les habitans de
cette Ville ayant imploré l’assistance de
cette Sainte fille, & luy ayant mis les clefs
de la Ville entre les mains, elle fut enfin
déliurée par son intercession. Voicy vne exemple
assez memorable, Monseigneur,
sans toutes les autres que ie vous diray en
bref, cõme lors que les Normands rauagoiẽt
toute la France, voicy donc le troisiéme
Miracle fait par l’intercession de cette Vierge,
euuiron l’an 1233. sous le Regne de Saint

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Louys, auquel temps la Seine déborda d’vne
telle façon qu’on fut contraint d’auoir
recours au souuerain remede, & de descendre
la Chasse de Sainte Geneuiefue, & la porter
en Procession comme de coustume : & la
Procession estant acheuée la Seine diminua
aussitost se serois trop long, Monseigneur,
de vous rapporter tous les Miracles de cette
Sainte enuers la France, laquelle luy sert de
la mesme chose que seruoit autrefois l’Arche
aux Israëlites, car ils auoient vne telle
confiance en cette Arche que quand ils estoient
aux plus grands dangers ils la faisoient
apporter affin de leur seruir de guide
& marcher plus seurement, estimant que
par où cette Arche auroit passé il n’y auroit
rien à redouter nous aduouons auiourd’huy
la mesme chose des Parisiens qui ont vne
telle confiance en la chasse de Sainte Geneuiefue,
cette autre Arche des François que
l’ayant portée en procession ils obtiennent
aussitost l’efficace de leurs prieres. Mais
Monseigneur, affin que ie vous face voir
comme nous nous pouuons asseurement
fier à la priere de cette Sainte, ie vous rapporteray
plusieurs passages qui vous montreront
assez l’authorité qu’ont les Saints

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en Paradis, & que Dieu ne nous delaisse iamais
dans nos afflictions comme le Psalmiste.
Ainsi qu’il a deliuré Iacob des mains
d’Esau, Ioseph de la conspiratiõ de ses freres
Dauid des embusches de Saül & les trois
Enfans de la fournaise ardente, aussi deliurera
il la France de l’obscurité qui l’enuironne
il y a si long temps, causée par les
guerres Ciuiles aussi bien qu’il a fait les Israëlites
de la domination des Egyptiens : il
ne faut iamais desesperer, confions nous
tousiours en la misericorde de Dieu. Ie vous
puis asseurer, Monseigneur, que ce n’est
pas sans raison ny sans bonne & iuste cause,
que le Saint Personnage Moyse menassant
le peuple d’Israël qui auoit degeneré & delaissé
le vray Dieu pour adorer les Idoles, disoit
par la bouche de ce Prophete, ils m’ont
mis en colere, & m’ont irrité en leurs vanites.
Mais ie les en puniray bien, ce qu’il
a montré par plusieurs fois, & pratiqué à
leur grand regret & dõmage, tantost les reduisant
en la seruitude d’vn Eglou Roy de
Moab, durant 18. ans, tantost les liurant entre
les mains d’vn Iabin Roy des Chananeens
qui les tourmenta vingt ans, tantost

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les contraignant de seruir les Madianites
l’espace de sept-ans, tantost au Philistins &
Ammonites l’espace de dix-huict années, &
depuis encore aux mesme Philistins l’espace
de quarante ans, tantost faisant venir les
Assyriens & Egyptiens par plusieurs fois
qui ont pris leurs Villes desolé la Campagne,
pillé leurs Temples enfin ils sont venus
iusques à ce point qu’ils estoient reduits
aux abois. Desorte que par ce moyen ils
ont esté contraints de le recognoistre pour
le vray Dieu, & le reclamer en leurs necessitez.
Ie croy Monseigneur, que nous voicy
reduits aux mesmes miseres que les Israëlites,
car Dieu voyant que les pechez de son
peuple François s’augmentent de iour en
iour deuant sa face, faisant le deuoir d’vn
bon Pere de famille veut nous chastier pour
se faire recognoistre & auoir recours à luy,
& pour ce faire, il nous enuoye des pestes,
des guerres Ciuiles, lesquelles rauagent cette
pauure Contrée, & la reduisent en telle
extremité qu’il n’est possible de dire les
miseres qui l’accablent de toutes parts Mais
pour remedier à tous ces maux ie ne voy
point d autre remede, Monseigneur, si non

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d’implorer l’assistance Diuine, puisque l’assistance
humaine n’y peut de rien seruir,
c’est pourquoy Monseigneur, ie trouue qu’il
seroit besoin de descendre la Chasse Sainte
Geneuiefue affin d’obtenir vne bonne Paix
tant desirée de tous les pauures peuples qui
sont reduits à vne telle extremité que cela
doit faire horreur à tout le monde si on y
songoit bien. Ce qu’estant ainsi, Monseigneur,
i’implore vostre secours en cette
belle occasion au nom de toute la France,
vous voyez l’estat où elle est reduitte aux
abois Mais faut-il que ma plume escriue
ees sanglans mal-heurs, comme si la France
n’auoit pas d’assez viues playes pour montrer
sensiblement la desolation de nos miseres ?
Helas l’obiet n’en est que trop present
à nos yeux, & trop present à nos ames, au
souuenir de ses fureurs, tout est piteusement
deplorable, les familles attristées pleurent
la perte de leur Chef, les Peres de leurs enfans,
les enfans de leurs Peres, les femmes
de leurs Maris, & les amis de leurs semblables,
& la France par la bouche des Gens
de bien, deteste l’inueterée corruption du
siecle qui nous a par ces Guerres ouuert les

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portes à tant de mal-heurs qui sont acharnez
à nostre ruine. Vous voyez donc a present
fort clair les calamitez de la France, laquelle
auiourd’huy vous consacre ses vœux
apres Madame Sainte Geneuiefue, c’est de
vous, Monseigneur, que nous attendons
ceste Paix, qui nous comblera tous d’vn infinité
de bon-heurs, veu que tout est en vostre
puissance, estant vn peu secouru de l’aide
Celeste vous pouuez faire tout ce qu’il
vous plaira, il est en vostre puissanee de conseruer
la liberté Françoise, qui est fort
bien dite France, pour montter sa liberté
qu’elle a eu de tout temps, &
qu’on luy veut rauir d’entre les mains.
C’est vous, MONSEIGNEVR, qu’on choisist
pour chef d’œuure de cette liberté qui a
esté tant desirée parmi tous les peuples, &
principalement chez les plus sages Politiques
de l’antiquite, ie veux dire les Romains
puisque tout le monde sçait comme ils agissoient
quand il estoit question de la liberté
du peuple lors que quelqu’vn le vouloit opprimer :
Il n’est point beson, MONSEIGNEVR,
de vous tesmoigner l’affection de
tous les François enuers vostre endroit, il

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n’y en à point qui le sçache mieux que vous,
& vous puis asseurer pourueu que vostre
dessein n’aye point d’autre but sinon le bien
& l’asseurance de l’Estat, vous pouuez vous
asseurer de nostre costé tous les bons François :
Enfin tout le monde suiura vos ordres,
& vous ne trouuerez point d’obstacles qui
s’opposent à vos desseins, pourueu que vous
soyez assisté des prieres de cette grande
Saincte qui peuuent beaucoup. Car comme
dit sainct Iacques La priere continuelle du
iuste peut beaucoup enuers Dieu, lesquels
estans en vie ont merité d’estre exaucez de
Dieu, prians pour les pauures pecheurs. Ie
ne parleray point d’vn Moyse qui a tant prié
pour le peuple d’Israël, lequel a esté exaucé
mais nous n’auons que faire d’aller chercher
des exemples dans l’Ancien Testament :
Nous n’auons qu’à voir les Miracles de saincte
Geneniefue durant sa vie, mais à combien
plus forte raison maintenant qu’ils sont
en gloire doiuent ils obtenir leurs prieres
estans dans le Ciel ? Nous auons bien d’autres
lieux dans la saincte Escriture qui nous
montrent assez que Dieu ne refuse iamais
les Saincts de leurs demandes. 4. des Rois

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14. Quand nostre Seigneur dit. Ie regarderay
cette ville (entendãt Ierusalem, pour l’amour
de moy & de Dauid mon fidelle seruiteur.
Cecy nous montte assez qu’il faut tousiours
reclamer l’assistance des Saincts, c’est pourquoy,
MONSEIGNEVR, authorisez s’il
vous plaist la demande que vous fait toute
la France : mais auec vne affection toute parsiculiere,
il n’est point besoin que d agir par
la violence & tout ira bien : car vous n’auez
qu’à commander & l’on obeïra tout aussi
tost à vos ordres : mais puisque nous ne pouuons
auoir la paix à force de coups, ayons la
à force de prieres, par ieusne, par aumosnes
& autres œuures de charité, qui nous puissenr
destourner le fleau de Dieu, & luy arracher
le fouët dont il nous chastie, & que
nous puissions ioüyr à l’eternité d’vne bonne
paix : & par ainsi, MONSEIGNEVR, ce
sera à vous à qui nous aurons obligation,
lors que les affaires auront repris vne plus
belle face, & que par vostre diligẽce & vostre
bonté tant de troubles seront appaisez, pour
lors, grand Prince, la France sera obligée à
vous seul de son repos & de tout son bonheur
apres Madame saincte Geneuiefue.

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Voila comme ces troubles reüssiront à vostre
gloire, & que la France comme vn autre
Antée se releuera par sa propre cheute. Les
desordres du temps par l’éloignement de ce
bel Astre de la paix faisant de nos iours la
nuict de la region Cimmerienne qui est
tousiours en obscurité, quand luy faisant
prendre son cours vous ferez de cette nuict
le iour de la contrée des Pheaces qui iouyssent
perpetuellement de la clairté du Soleil.
Ce sera donc, Monseigneur, du chaos de
nos confusions que vous ferez éclore la lumiere
qui fera paroistre nos felicitez en leur
premiere splendeur par l’intercession des
Saincts : Car les broüillards qui s’esleuent de
ces guerres ciuilles seront comme i’espere
dissipez par vostre bon gouuernement.

 

O douce Rosée d’Hermon qui descends
sur nostre Sion puisse tu donner à la France
la fecondité des benedictions du Ciel par
l’intercession de saincte Genediefue, & la remettre
dans la douceur & la serenité du
Printemps : & eterniser aux siecles avenir le
Royaume des Fleurs de Lys, la fleur des
Royaumes du monde. Voila tout ce que ie
vous puis dire, Monseigneur, finissant par

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ces passages : Estote misericordes : Soyez misericordieux.
Dimitte nobis debita nostra, sicut &
nos dimittimus, Pardonnez nous, Seigneur,
comme nous pardonnons à ceux qui nous
ont offencez.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LA REMONTRANCE PRESENTÉE AVX ESCHEVINS & Bourgeois de la Ville de Paris, sur la descente de la Chasse de sainte Geneuiefue, pour la Paix generale. Auec la Harangue presentée à Monseigneur le Duc d’Orleans sur le mesme subiet. Le tout dedié à son Altesse Royale. Par son tres-humble & tres obeissant seruiteur DE LA HAYE , français, latinRéférence RIM : M0_3332. Cote locale : B_16_56.