Anonyme [1649], LA RENCONTRE DES ESPRITS DV DVC DE CHASTILLON ET DV BARON DE CLANLEV, APRES LEVR MORT, arriuée à Charenton. , françaisRéférence RIM : M0_3347. Cote locale : A_8_51.
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LA RENCONTRE
DES ESPRITS
DV DVC DE CHASTILLON
ET DV BARON DE CLANLEV,
APRES LEVR MORT,
arriuée à Charenton.

A PARIS,
Chez HENRY SARA, au Mont S. Hilaire,
pres le Puits Certain.

M. DC. XLIX.

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LA RENCONTRE DES ESPRITS
du Duc de Chastillon & du Baron de Clanleu
apres leur mort arriuée à Charenton.
DIALOGVE.

LE DVC DE CHASTILLON.

HELAS que l’estrange aueuglement m’a conduit en ces
lieux ! & m’a fait rencontrer la mort au plus bel aage de
la vie !

LE BARON DE CLANLEV.

Qui estes-vous, qui augmentez l’horreur de ce sejour par vos accens
tristes & funebres ?

CH. Vous-mesmes qui estes-vous, qui vous estonnez d’entendre
des plaintes dans vn lieu de tristesse & de pleurs ?

CL. La mort, quelque affreuse qu’elle soit, ne peut abbaisser vn
grand courage, qui la sçait mespriser aussi bien que la vie : car comme
il n’estime celle-cy que pour faire de belles actions, il ne craint
pas l’autre lors qu’il est necessaire de s’exposer pour la defense de sa
patrie.

CH. Si j’auois perdu la vie dans vne si loüable occasion, ie n’accuserois
pas la rigueur de mon sort ; mais helas ! j’ay plustost esté son
persecuteur que son defenseur.

CL. A ce que ie puis iuger de vos paroles, vous auez perdu le iour
à l’attaque d’vn lieu dont la defense m’a cousté la vie, & qui a esté
plus funeste aux vainqueurs qu’aux vaincus.

CH. Vous dites vray, & c’est dans cette honteuse action que j’ay
terny toutes celles de ma vie, & mesmes la gloire de mes ancestres,
par vne mort autant ignominieuse à l’égard de sa cause, & du lieu
où elle est arriuée, que ma naissance estoit illustre & glorieuse.

CL. Puisque toutes les inimitiez terrestres sont bannies de ces
lieux, apprenez-moy vostre nom & vostre fortune ; & pour vous
obliger de m’accorder cette faueur, ie veux vous declarer auparauant
la mienne : I’ay seruy la France sous le nom de Clanleu en

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quelques occasions, où le malheur & la necessité a fait douter iustement
de ma fidelité, & de mon courage : mais la derniere où j’ay
perdu la vie en defendant vn lieu que l’on auoit confié à ma garde,
& dont j’ay fait mon tombeau, a donné des preuues assez suffisantes
de l’vne & de l’autre ; & a fait voir clairement que le mauuais succez
de mes premieres actions, procedoit plustost des ordres que j’estois
obligé de suiure, que de la faute de l’execution.

 

CH. Helas que vostre sort est glorieux, & que le mien est déplorable !
vostre corps seruoit de bouclier à la France, pendant que
mon bras trauailloit à sa ruine, & vne mesme mort a sceu en mesme
temps recompenser vostre valeur, & punir ma temerité. Que vous
estes heureux, dis-je, vous, dont la perte est autant regrettée, que la
mienne est estimée iuste, & dont la memoire est aussi cherie, que la
mienne est odieuse. Mais pour ne pas tenir dauantage vostre esprit
en suspens, vous sçaurez que ie portois vn nom assez connu de la
France, tant pour l’antiquité de son origine, que pour les dignitez,
& les actions heroïques de ceux qui l’ont possedé : Mon pere le Mareschal
de Chastillon, qui receut pour ses seruices autant de loüanges
durant sa vie, que de regrets apres sa mort, me laissa seul de trois
enfans qu’il auoit, & mes premieres actions faisoient esperer que ie
ne degenererois pas à ce grand homme ; les emplois que vous auez
eu dans les armées, vous ont rendu tesmoin de quelques-vnes. Heureux
si suiuant aussi bien que vous vn Prince dans les combats pendant
que le iuste progrez de ses armes le rendoit victorieux des ennemis
de la France, ie l’eusse abandonné comme vous, lors que par
vn estrange aueuglement il les a tournées contre le sein de sa patrie.
mais helas ! si j’eus assez de force & de courage pour le suiure, ie n’en
eus pas assez pour le quitter : ce n’est pas que ie ne reconnusse assez
clairement l’injustice de son entreprise, & qu’il profanoit sa naissance
& sa gloire en se rendant l’instrument des passions d’vn Estranger,
qui n’a pour but que d’animer les Puissances de cet Estat l’vne
contre l’autre, pour estre spectateur de ce combat, & bastir sa grandeur
sur le débris de sa ruine. Mais ces connoissances estoient étouffées
par ce detestable vice, qui est l’idole des Courtisans ; vne lasche
flatterie me faisoit approuuer hautement ce que ie condamnois en
secret, & par vn malheureux attachement à la fortune de ce Prince,
ie suiuois ses mouuemens impetueux, & me rendois l’organe de ses
passions, & l’executeur de sa vengeance ; en fin le Ciel a chastié mes

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actions déreglées, & conseruant ce Prince pour luy faire reconnoistre
son erreur, il n’a peû souffrir que ie continuasse plus long temps
à le seruir dans vne guerre dont ie connoissois éuidemment l’injustice
& la violence. Le coup de ma perte est vn effet de sa iustice, puis
qu’à l’assaut d’vn foible village, dont la conqueste ne nous pouuoit
donner d’autre auantage que celuy du meurtre de quelques miserables
soldats qui le gardoient sans en pouuoir estre gardez ; ie fus le
premier à m’exposer à l’attaque d’vn lieu si indigne de moy, & à receuoir
le salaire de ma temerité par vne iuste punition du Ciel, qui
ne sçauroit souffrir que ceux qui sont les colomnes & le soustien de
l’Estat, employent la force qu’il leur a donnée, à sa propre destruction.
Ma perte seule n’appaisa pas sa colere ; celle de mon cousin le
Baron de Saligny ; & de plus de trente braues Officiers furent des
victimes immolées à la passion de leur General, & à l’expiation de
vostre mort, & de celle de vos soldats ; la mienne toutefois ne fut pas
si prompte qu’elle ne me donnast le loisir de reconnoistre ma faute,
& d’en auoir vne entiere repentance ; & l’estat où j’estois me faisant
renoncer à toutes les considerations humaines, j’essayay par mes
dernieres paroles de faire voir au Prince l’excez de son erreur, & le
peril qu’il couroit dans cette iniuste entreprise : mais ie reconnus
que la passion l’emportoit sur la bonté de son naturel, & que sa conuersion
estoit l’ouurage d’vne main plus puissante que la mienne, en
fin la mort m’a deliuré de cette honteuse seruitude ; mais le remords
secret d’auoir pery dans vne si malheureuse occasion, ne m’a pas
abandonné auec la vie, il me suit encore icy, & ie n’en pourray estre
garenty que ie n’aye satisfait à la peine que merite mon offense.

 

CL. Veritablement ie plains autant vostre malheur, que ie blasmois
vostre conduite ; & ie ne puis assez remercier Dieu de la grace
qu’il m’a faite de me retirer du seruice d’vn Ministre dont les conseils
sont si funestes à la France, & de quitter vn Party si contraire au
bien de l’Estat. Mais ie ne puis assez admirer que dans le chastiment
qu’il fait des coupables, il distingue si bien ceux dont les intentions
sont pures & sinceres, & qu’vne mesme mort condamne la memoire
des vns, & iustifie celle des autres. Les pechez des François ont
attiré depuis long temps sa iuste vengeance ; & les Fauoris qui l’ont
gouuernée depuis tant de temps, sont les fleaux qu’il a choisis pour
l’exercer : les premiers paroissoient insupportables, mais leurs successeurs
ont fait regretter leur perte, & les maux qu’ils ont commis,

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ont fait passer les vices des autres pour de grandes vertus. Mais comme
le dernier a employé tout ce que la tyrannie & l’oppression a de
plus funeste à la ruine de cet Estat, & qu’il a entierement écorché ce
que les autres n’auoient fait que plumer, c’est vne preuue tres-éuidente
que l’ire de Dieu doit estre appaisée par les dernieres victimes
que ce Barbare a immolées à son insatiable auarice, & que suiuant
les ordres de la Iustice diuine, ce malheureux Instrument de tant de
maux & de supplices doit estre ietté au feu qu’il a allumé dans ce
Royaume. Mais sa rage & sa fureur veulent rendre ce dernier acte
plus tragique ; comme il voit sa perte inéuitable, il veut perir sous les
ruines de cette puissante Monarchie, apres en auoir ébranlé les plus
fermes colomnes, & faire encore plus de mal à sa mort, qu’il n’en a
commis durant sa vie. Il s’est de tout temps tellement attaché à la
personne du Roy, qu’il a rendu son authorité inseparable de la sienne ;
& c’est cette malheureuse confusion qui a engagé la pluspart
des Princes & des Seigneurs dans ses injustes desseins, ne pouuans
distinguer les ordres du Roy d’auec les siens, ou plustost prenant ses
ordres pour ceux du Roy ; en sorte qu’ils croyoient n’y pouuoir contreuenir
sans se rendre en mesme temps coupables de leze-majesté.
Dans cette crainte scrupuleuse ils se sont employez eux-mesmes à
leur propre ruine, en procurant celle de l’Estat. Il a fait arrester les
plus grands Conquerans dans le cours de leurs victoires ; leur a fait
entreprendre contre leur propre sens, des Sieges & des Batailles qui
ne pouuoient reüssir qu’à leur confusion, & leur a fait ceder à leurs
ennemis des auantages que toutes leurs forces n’eussent osé esperer.
I’ay souffert cette derniere honte dans la reddition d’vne place où
l’on m’auoit estably Gouuerneur, & que j’ay esté contraint d’abandonner
malgré moy à vne trouppe de soldats qui n’en pouuoient pas
ruiner les fauxbourgs, par des ordres secrets ausquels ie ne peûs pas
contreuenir, parce qu’ils venoient de la part de ceux qui m’en auorẽt
confié la garde. Ie la rendis donc, non pas aux ennemis, mais à ceux
qui me l’auoient prestée ; & bien que cette action deust estre excusable,
estant causée par vne force majeure, vous sçauez de quel blâme
elle a esté suiuie, & que la honte dont elle a terny ma reputation,
n’a peû estre effacée que par mon sang. Aussi depuis ce temps ie conceus
vne si grande auersion contre le gouuernement de ce Traistre,
que j’attendois auec impatience l’occasion de reparer par quelque
seruice notable le tort que mon honneur auoit souffert dans ce malheureux

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employ. En fin le Ciel touché des plaintes de tant de miserables,
& lassé des crimes de ces Monstres inhumains, inspire dans
les peuples vn genereux dessein de destruire la Tyrannie. Le François
accablé sous le faix de leurs violentes exactions, auoit souffert
au delà de ses forces sans murmurer, par l’amour qu’il porte à son
Souuerain : mais lors qu’il est prest de succomber sous le poids de
cette charge, il assemble ce qui luy reste de forces pour secoüer cet
insupportable fardeau ; pour cet effet il conjure le Parlement son
protecteur de le deliurer de cette seruitude, qui comme vn sage
Medecin employe d’abord les remedes lenitifs, crainte d’irriter le
mal ; mais ce procedé plein de douceur est reconnu de la part des
Ministres par mille rigoureux traittemens. Le peuple voyant le peril
où son interest engage ce Corps celebre, se resout d’armer le Bras
qui le soûtient, & trouuant tout à coup en soy des forces qu’il ne connoissoit
pas, contraint ces lasches esprits d’accorder apparemment
ses iustes demandes pour attendre l’occasion de le perdre. Ce dessein
mal concerté, est encore plus mal executé, ils tirent le Roy hors
de Paris, pour le sauuer de l’embrasement qu’ils veulent allumer
dans cette grande Ville ; ils en bouchent les passages, & par vne rage
forcenée veulẽt sacrifier vn million d’ames par la famine à leur vengeance
brutale. Mais l’ordre & l’vnion des Parisiens ruine leur dessein :
tous les membres de ce grand corps estant parfaitement vnis, il
ne luy manquoit qu’vn Chef pour le cõduire. Vne trouppe de testes
illustres se presentent en mesme temps, & par vne defense legitime
renuoyent le desordre & la confusion sur le front de leurs ennemis :
l’embrasse cette occasion, comme la plus fauorable qui se pouuoit
offrir pour témoigner le zele que j’ay pour ma patrie. I’obtins vn employ
plus considerable par la necessité des affaires, que par son importance.
C’est là qu’estant reduit par la quantité de vos trouppes à
ceder à leur effort, j’ay voulu vendre cherement ma vie, & refusant
le quartier qui m’estoit offert auec instance, témoigner par vne mort
honorable la passion que j’auois de seruir l’Estat contre ses Ennemis.
Que s’il me reste encore quelque douleur dans ces lieux, c’est de ne
luy auoir pas rendu vn seruice plus considerable. Mais s’il a perdu vn
soldat sur la terre, il en a acquis vn dans le Ciel, qui combattra plus
ardemment que iamais pour son repos, & pour le deliurer de l’oppression
des Estrangers. Voila l’illustre sujet de ma mort, & le motif
legitime qui l’a causée. Ie vous prie maintenant de contenter ma

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curiosité, & de m’apprendre les veritables raisons qui engagent tant
de Princes & de Seigneurs à preferer l’interest d’vn Estranger à leur
propre conseruation.

 

CH. Ces motifs sont aussi differens que les personnes qui les suiuent.
La Reyne appuye les desseins du Cardinal Mazarin de l’authorité
du Roy par vne bonté trop facile, & naturelle à celles de son
sexe, qui l’oblige à croire toutes les méchantes & calomnieuses impressions
que ce mauuais Ministre luy donne du Parlement, & des
Parisiens : Monsieur le Duc d’Orleans y est retenu comme par force,
& par le pouuoir qu’il a donné sur son esprit à vn homme peu considerable :
Monsieur le Prince y est engagé par l’ambition naturelle
qu’il a d’acquerir de la gloire, & par le plaisir & la vanité de voir vne
Reyne implorer son assistance, & le regarder comme son Protecteur :
Pour ce qui est des autres Seigneurs qui l’accompagnent dans cette
action, ils le suiuent aueuglément, comme le reste des poissons suit le
dauphin, sans considerer qu’il les conduit dans vn gouffre, dont la
sortie ne leur sera pas si facile qu’à luy ; en fin l’on peut dire en general
que tout ce grand corps ne se meut que par le caprice d’vne Teste
fole, & qu’vn abysme les engage dans vn autre abysme, sans considerer
le succez de leur entre prise.

CL. Ie préuoy qu’ils n’en pourront sortir qu’à leur confusion, si
Dieu ne leur communique vn rayon de sa lumiere pour les tirer de
ce labyrinthe. Ie vay solliciter sa Bonté de leur accorder cette grace,
& de procurer vn accord entre les François, qui soit suiuy d’vne Paix
generale entre les Princes Chrestiens.

CH. Puisse-je bien tost, Ame bienheureuse, ioindre à vos charitables
soins mes ardentes prieres, pour obtenir de cette Majesté infinie
qu’il luy plaise de dissiper l’aueuglement de ces Princes abusez,
& leur faire reconnoistre la pure intention de leurs sujets, pour s’employer
auec eux au restablissement de cette Monachie, & à la ruine
totale de ses ennemis.

FIN.

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