Anonyme [1649], LA RENCONTRE INOPINÉE DE MARS ET DE VENVS DANS LE COVRS DE LA REYNE, ARRIVEZ NOVVELLEMENT EN FRANCE. PREMIER ENTRETIEN. , françaisRéférence RIM : M0_3348. Cote locale : A_8_46.
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LA
RENCONTRE INOPINÉE
DE MARS
ET DE VENVS
DANS LE COVRS
DE LA REYNE,
ARRIVEZ NOVVELLEMENT
EN FRANCE.

PREMIER ENTRETIEN.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

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LA RENCONTRE INOPINÉE
DE MARS ET DE VENVS
DANS LE COVRS
DE LA REYNE,
ARRIVEZ NOVVELLEMENT
EN FRANCE,

PREMIER ENTRETIEN.

VENVS.

Chere Cypris ce spectacle qui paroist de loin à nos
yeux, & qui nous cause de la crainte aussi bien que
de l’estonnement estant icy seulettes en vn lieu
assez escarté de la ville, est-ce quelque illusion qui
trompe nos sens, ou quelque veritable objet qui les arreste.
Sans doute c’est quelque mauuais Genie qui vient troubler
nostre repos, & empescher les diuertissemens que nous trouuons
icy parmy les tenebres, & à la faueur des obscuritez de
la nuict : tel qu’il soit neantmoins il a raison d’abandonner
vne ville, où les allarmes sont encor continuelles, & où personne
ne se tient en asseurance : Mais approchons, & voyons
de plus prés qui ce peut estre.

Cypris.

Madame, apprehendez la rencontre de quelque Caualier
qui sans considerer ny vostre sexe, ny vostre naissance,
seroit peut estre assez temeraire pour faire quelque violence
à vostre honneur, & vous rauir ce que vous conseruez auec

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tant de soin. Madame croyez-moy retirons nous plustost ;
les dieux approuuans nostre fuitte fauoriseront nos desseins,
si la Lune ne nous cache sous le voile de ses ombres, Iupiter
nous deffendra de ses foudres, ou les elemens nous vangeront
de sa violence, ainsi par quelque moyen que ce soit
nous eschapperons de ses mains. Mais le voicy qu’il auance ;
& la grauité auec laquelle il marche, donne assez à connoistre
qu’il cherche l’occasion de nous parler, & non pas de
nous offencer : Enuisageons-le bien ie vous prie pour mieux
discerner qui c’est.

 

Venus.

Cypris, c’est Mars n’en doutons plus ? allons à luy hardiment :
sa cotte darmes qu’il auoit, lors qu’il combattit les
Geans qui vouloient s’esleuer iusques dans les Cieux, &
qu’il porte encor, son Casque & son espée auec laquelle
il tua le Roy de Crete qui est à son costé, & que ie reconnois
fort bien, ne me permettent plus de douter aucunement de
cette verité ; mais que vient-il faire icy ? sçachons de sa propre
bouche ce qui nous est inconnu, & ce que luy seul nous
peut apprendre. Prouenons-le, & l’allons saluër.

Grand Prince, Dieu des Armées & des Batailles, Vainqueur
des Nations, Triomphateur de la Terre, la terreur des
Monarques de l’Vniuers, la deffense, & la protection des
peuples, qui vous amene icy sans suitte, sans equipage, sans
soldats, & sans canon ; mon esprit surpris d’vne Rencontre
Inopinée, & d’vn changement si estrange, m’empesche
l’vsage de la langue, & m’oste la liberté de vous demander
les raisons de vostre voyage. Mais d’ailleurs comment osezvous
paroistre en vn lieu, où les Muses & les amours se
ioüent, & où Cupidon en deffend l’entrée aux gens de
guerre, parce que ce Verger est entierement destiné à la
pourmenade des Dames. C’est icy où elles reçoiuent des
rendez-vous de leurs Galands ; où elles trouuent des poulets que
de petits lacquais desguisez leur apportent de leur
part, où elles paroissent auec des mousches, des affeteries,
des postures, des complaisances estudiées, pour se rendre
agreables aux yeux de ceux qui les considerent, ou pour en

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faire des esclaues, où elles s’entretiennent des moyens de
perdre leur chasteté auec addresse ; & où elles apprennent à
faire l’amour, sans estre estimées deshonnestes.

 

Mars.

Diuinité victorieuse des hommes & des dieux, vous auez
sujet de me demander pourquoy ie me trouue icy en la compagnie
de vous autres Deesses, & comment i’ose paroistre
dans l’Empire d’Apollon ; où l’on ne parle que de resiouyssance,
de festins, de banquets, & où l’on n’entend que des
concerts de Musique : Moy qui ay accoustumé de me rencontrer
ordinairement parmy les fanfarres, les tambours,
les trompettes, les bruits de la guerre. Mais ô Diuinité que
i’adore, & que ie respecte : Escartons nous ie te prie dans le
fonds de cette allée couuerte, & m’octroye cette grace par
ta bonté que librement ie te puisse descouurir les sentimens
de mon cœur, les desplaisirs de mon ame, les regrets, les
transports, les inquietudes de mon esprit abbatu, & affligé
de mille tourmens.

Venus.

Grand Prince ! Comment n’apprehendez-vous pas dauantage
la perte de mon honneur ? ne sçauez vous pas que
la conuersation d’vne femme auec vn homme est tousiours
suspecte ? bien qu’elle soit innocente, qu’elle est tousiours
dangereuse encor qu’elle soit sans mauuais dessein, que les
impertinens la condamnent comme criminelle, & que les
plus sages ne la peuuent approuuer. Que dira-on si quelqu’vn
me rencontre seule auec vous, sinon que nous nous
seruons des auantages de la nuict pour traitter de nos
amours ? Que nos passions ne peuuent supporter la lumiere
du iour ? & quelles sont trop scandaleuses pour estre exposées
à la veuë du monde. Espargnez, ie vous prie, vne personne
qui vous est chere, & que vous ne pouuez offencer
sans encourir du blasme, & vous rendre odieux. Ne donnons
point sujet de nous soupçonner en vn pays où nous
sommes inconnus, & où nous ne passons que pour des
Estrangers.

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Mars.

Vous estes trop ceremonieuse, & iamais ie ne vous ay veu
de cette humeur ; mais sans considerer si c’est l’air du pays,
ou la temperature du Climat qui vous a ainsi changée ; brisons
là, & m’escoutez auec attention. Sçachez donc que
ie ne suis plus ce Dieu adoré de toutes les Nations de la
terre, à qui les Monarques rendoient obeyssance, qui tenoit
sous ses Loix les Potentats du Monde, dont l’Empire estoit
absolu, & la puissance respectée. Les plus florissantes Monarchies
s’estimoient autrefois trop heureuses d’estre sous la
protection de mon bras ; les vnes se croyoient tousiours victorieuses,
& les autres inuincibles quand elles estoient secouruës
de mes armes, & celles que i’abandonnois tenoient
leur ruine infaillible, leur desolation certaine, & leur malheur
sans remede, par tout on ne voyoit que des Autels erigez
à mon honneur, des Temples bastis à ma gloire, dans
lesquels on publioit continuellement mes loüanges, & où
l’on m’offroit sans cesse, des victimes, des holocaustes, des
sacrifices. Maintenant ie suis vn Dieu errand & vagabond,
sans demeure, sans retraitte, sans refuge, & sans assistance.

Venus.

Veritablement ie m’estonne de cét extreme changement,
& i’ay peine d’en connoistre la cause ; i’ay veu autrefois que
vous estiez le seul Dieu de la Grece, & que ce peuple assez
Religieux ne reconnoissoit point d’autre Diuinité que la vostre,
l’on n’y parloit que de vos grandeurs, non plus que de
vos merites, la reputation de vostre nom donnoit de l’admiration
aux meilleurs esprits, & les plus puissans Genies comme
les plus grands Orateurs manquoient d’éloquence pour
exprimer vos perfections, & declarer vos excellences. Dans
Ephese on y voyoit vn Temple dedié à vostre honneur qui
estoit la merueille du monde, & vn miracle de l’art ; qui estoit
d’vne longueur si excessiue qu’à peine pouuoit-on discerner
vn homme d’vn bout à l’autre, il estoit enrichy de peintures
si rares & si excellentes, que l’on croyoit Apelles en estre seul
l’Autheur, & de figures si parfaitement & delicatement recherchées,

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qu’elles estoient sans doute de la main de Phidias
ou de Praxitelles. Enfin il faudroit faire recit de tous les lieux
du monde, de toutes les Contrées de la terre, & de toutes
les villes qui sont dans l’vniuers, si l’on vouloit remarquer en
particulier tous les endroits où vous estes adoré.

 

Mars.

Madame, c’est en continuant les traits de vos bontez que
vous parlez de ma personne en ces termes, & vostre courtoisie
est si accoustumée à m’obliger, qu’elle ne peut rien dire de
moy qu’auec auantage. Ie veux pourtant croire que ce que
vous en dites soit la verité, les choses ont bien changé de face,
& ie ne suis plus ce que ie fus autrefois ny dans l’estime ny
dans la pensée des peuples, au contraire ils me mesprisent, &
m’ont tout à fait en horreur. C’est moy, disent-ils, qui suis
la cause de tous les maux qu’ils souffrent, la source & le principe
de tous leurs mal-heurs : C’est par mon intelligence que
les Monarques s’animent les vns contre les autres, qu’ils
appauurissent leurs sujets pour entretenir la guerre, & qu’ils
desertent les Prouinces pour en tirer des hommes qui manent
à la boucherie, Il y a enuiron six mois que cheminant
dans le pays de la Grece, ie fis rencontre en mon chemin
d’vn vieux Chasteau ruiné, dans lequel l’on remarquoit encor vn
Autel abbattu, auec vne figure toute gastée des injures
du temps qui portoit cette inscription. Au Dieu Mars,
adultere, homicide, pariure, blasphemateur. Voulant dire
que i’estois la cause des meurtres, des blasphemes, des pariures,
des violemens qui se pratiquent en la guerre, & sans
m’arrester dauantage, ie sortis promptement de cette Contrée ;
crainte qu’estant reconnu des habitans, ils ne me traittassent
comme ils firent autrefois Apollon dans Ephese, qu’ils
chasserent ignominieusement de cette ville pour auoir rendu
des oracles qui luy estoient prejudiciables. Enfin les peuples
n’adorent plus de Diuinité si elle ne leur fait du bien ; &
le Dieu Hercules fera plus de Miracles, de Captifs, & d’Adorateurs
en vn moment auec ses chaisnes d’or, que Iupiter
auec ses foudres ; que Pallas auec sa prudence, que Mercure
auec ses soins, que Mineure auec ses persuasions, &
que Themis auec ses conseils.

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Venus.

Certes Grand Dieu, il faut croire que nous sommes bien
en mauuaise opinion & en tres mauuais predicament parmy
les peuples, puis qu’ils ont la mesme creance de moy, &
qu’ils maccusent de tous les desordres qui se commettent
dans le monde comme l’amour est la plus douce, la plus charmante
& la plus violente dé toutes les passions ; comme elle
gourmande les Princes auec plus de tyrannie qu’elle ne fait
pas les autres, il arriue souuent que leurs esprits en estant
preocupés, ils entreprennent tout ce qui peut fauoriser leurs
desseins, ou leur donner la iouissance de l’objet qu’ils ayment,
comme ils perdent & ruinent entierement tout ce
qu’ils iugent capable d’y apporter quelque empeschement,
en effet qui a perdu Hector, Aiax, Agamemnon sinon
l’amour ? qui a terny la gloire des conquestes & des victoires
d’Alexandre ? sinon le grand amour qu’il porta à la fille du
Satrape Oxane, qui a rendu Marc-Anthoïne le plus malheureux
de tous les Princes, qui l’a exposé à mille hazards,
& sur mer ? & sur terre, & qui luy a enfin causé la mort sinon
l’affection extreme qu’il auoit pour Cleopatra. Ce fut le
méme amour qui fit perdre l’innocence à Dauid, la sagesse
à Salomon, le courage à Annibal, le iugement à Samson :
& la vie à plusieurs autres grands Monarques. Et c’est luy
encor qui est le fondement de la destruction de tant de villes
qui ne subsistent plus que dans l’imagination des siecles passés,
& dont l’Histoire passera pour fabuleuse dans les siecles
suiuans. Pour cette raison ie ne suis plus receuë en plusieurs
lieux, & les peuples desabusés ne me voulent plus mettre au
rang des Diuinités.

Mars.

Deesse, que i’adore, ie plains le mal-heur de vostre sort & du
mien. Mais ce qui me fasche dauantage, c’est que ie n’y
trouue aucun remede. Helas ! i’ay veu autrefois que dans
Rome i’y estois si respecté, si estimé, si consideré que tous
les Empereurs qui regnoient pour lors, & qui dominoient
tout le monde tenoient à gloire & à honneur de se dire yssus

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de mon sang & de ma race ; les autres qui auoient plus de
retenuë, où moins de vanité, qui n’osoient choquer ma
puissance, ny se faire mes parens, empruntoient mon nom,
& mes habits, & vouloient auoir l’ambition d’estre au moins
en apparence, ce que ie suis en effet, les portraicts qui representoient
leurs personnes ; les statuës erigées à leur gloire,
les Pyramides où estoient grauées leurs victoires ? les Arcs
triomphaux qui soustenoient les despoüilles remportées sur
leurs ennemis ; les superbes Mausolées où reposoient leurs
cendres & leurs os ; toutes ces marques de leurs grandeurs,
ne portoient que les carracteres de ma figure, & l’idée de
mon visage. Ceux méme qui se sont faict nommer conquerans,
victorieux, aigles, dompteurs des nations, foudroyans,
n’ont releué ces tiltres que par celuy de Mars ; & n’ont fait
éclater ces noms que par la splendeur du mien, & sous l’authorité
de ma puissance. Mais sans aller de plus loin rechercher
la verité des Histoires ancienne, & sans foüiller dans les
tombeaux des Roys qui ont precedé de plus de mille ans le
siecle où nous viuons, nous trouuerons dans les Annalles
des Royaumes de France, d’Espagne, de Pologne, d’Angleterre,
sans oublier celuy de Perse & des Ostomans, que plusieurs
de leurs Monarques, comme de leurs Princes se sont
donnés le nom & la qualité de Mars. Mais maintenant les
peuples qui n’ayment plus ces titres de force, de puissance,
de Tyrannie : ont obligé leurs Souuerains pour gaigner
leurs affections de prendre des noms de vertu, & de bonté.
Par ainsi ils m’ont banny de tous les Royaumes, & ie ne sçache
aucun lieu où me retirer.

 

Venus.

I’en pourrois dire autant de moy que i’estois si vniuersellement
respectée par toute l’estenduë de la terre, qu’on ne
parloit que des perfections de mon eminente beauté, des
attraits de mon visage des charmes de mes yeux, de la delicatesse
de mon tein, meslé d’incarnat, de rose & de lis, de la
blancheur de ma gorge, du Corail de mes lévres, de la douceur
de ma voix : La terre & les Cieux estoient égallement
soûmis à mes loix : Ie triomphois des Dieux aussi bien que
des hommes : mon Empire n’auoit ny bornes, ny limites,

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& par tout où ie me faisois voir i’auois des captifs & des esclaues
à ma suitte. I’auois en tous les lieux du monde des
Temples, des Autels, des sacrificateurs, des victimes aussi
bien que vous, & toutes les plus celebres Villes du monde
estoient consacrées à mon seruice, comme toutes les beautés
les plus parfaittes & les plus accomplies, ne se faisoient
connoistre, craindre, ou adorer que sous le nom de Venus.
Quelque excellent Peintre vouloit il s’acquerir de l’estime,
& faire paroistre la d’exterité de son pinceau, il depeignoit
vne Venus : les plus habilles Sculpteurs, Graueurs, Architectes,
ne s’estudioient qu’à bien representer les lineamens
de mon visage, & leurs trauail passoit pour vn chef-d’œuure,
lors qu’il approchoit de l’idée de mes perfections, & que
la coppie auoit quelque rapport auec l’Original ; les plus
grandes Princesses se faisoient nommer de mon nom, &
croyoient auoir beaucoup de perfections, quand elles en
auoient quelques-vnes des miennes. Pour lors ie suis mesprisée
d’vn chacun, & les filles les moins sages n’oseroient
porter mon nom, de peur qu’on les croye desbauchées, &
qu’à l’exemple de leur Maraine, elles ne contractent de
mauuaises habitudes au vice.

 

Mars.

Madame, c’est donc la raison & le motif qui vous ont
fait refugier en ces lieux, voyant qu’aux autres vous y estiez
fort mal receuë. Ie vous iure que c’est par ces mesmes raisons
que ie me suis retiré en ces contrées, & que ie cherche
quelque abry, ou pour le moins ie ne sois pas mal receu ; ie
n’ay plus de creance parmy les Princes Chrestiens, aussi bien
que les Turcs, & les Infidels, & les vns comme les autres
sont tellement lassez des fatiques & des incommoditez de
la guerre, qu’ils desirent tous auec passion vne paix generalle,
& qu’ils fremissent de rage ou de desespoir, lors qu’ils entendent
seulement le cliquetis des armes, ou le bruit importun
des tambours.

Cypris.

Diuinitez adorables, quels sont vos entretiens, & de quoy
parlez-vous ? suis-je si mal-heureuse, ou si peu considerée de
vos grandeurs, que ie puisse estre admise dans la familiarité

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de vos discours, & en l’honneur de vostre compagnie,
n’estoit que la fraischeur des Arbres, & l’harmonie du Rossignol
m’a causé vn leger sommeil, & des resueries assez
agreables, sans doute ie me serois extrement ennuyée, &
le temps de la nuict m’auroit semblé fort long. Mais voicy
le iour qui vient, qui nous obligera de nous retirer bien-tost
d’icy.

 

Mars.

Cypris nous nous entretenons de deux choses bien differentes
qui sont l’amour & la guerre, & discourions ensemble
comme les peuples ne nous respectent plus, parce
que nous les rendons mal heureux, & que nous empeschons
le commerce de leur insatiable auarice, de sorte qu’ils
ayment mieux des diuinitez d’or, que de celles qui sont de
merite & de vertu. O dieux, chere Cypris, nous ne sommes
au temps des Alexandres, des Cesars, des Pompées,
des Achilles, des Achitas, des Lions, des Brutus, qui auoient
des cœurs de Mars, & des ames de Venus, qui triomphoient
de leurs voisins par la force de leurs armes, & de
leurs propres subjects par les charmes de leur clemence, qui
estoient tousiours adorez, parce qu’ils estoient tousiours
aymables, & tousiours victorieux, parce qu’ils ne manquoient
iamais de courage, la vertu eminente se faisant
iour par tout, & se rendant Maistresse de la fortune, soit
qu’elle l’affronte, ou qu’elle luy tourne le dos. Mais sãs aller
plus loing, que pouuons nous dire des Charlemagnes, des
François, des Henris, des Charles, des Maximilians, des
Constantins, qui ont ioint si dextrement ces deux rares qualitez,
ensemble l’amour & la valeur, qu’ils se sont rendus les
merueilles de l’Vniuers, & le miracle des Roys.

Venus.

Grand Prince, vous voulez fauoriser mon party en deffendant
le vostre, & me persuader, que ie suis quelque chose
de plus, que ie ne m’estime moy mesme. Ie sçay pourtant
sans me flatter, que l’amour n’est pas moins necessaire aux
Princes que la valeur, & que l’vne sans l’autre ne peut pas
subsister long-temps. Tu sçays, Cypris, que si beaucoup de
Princes ont triomphé par l’assistance des mains du Dieu

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Mars, que beaucoup d’auantage ont acquis de la gloire par
la faueur des miennes. Qu’il en dise ce qu’il luy plaira, ses
conquestes sont des conquestes de sang, les miennes ne repandent
que des larmes, & bien que les fléches de mon fils
blessoit aussi bien que la pointe de son espée ; i’ay neantmoins
cét auantage sur luy, que ceux qui en sont blessez
cherissent la cause de leurs playes, l’object de leur martire, la
grandeur de leurs tourmens : Mes chaisnes sont glorieuses à
ceux qui les portent ; ma prison leur est vne liberté, & mes
supplices des satisfactions. N’est il pas vray Cypris ?

 

Mars.

O Dieux, que vous estes industrieuse à vous loüer vous
mesme, dissimulée en vos paroles, & cachée en vos desseins :
vous fuyés dites vous, les Prouinces estrãgeres, où maintenãt
vous estes méprisée ; & où vous n’aués plus d’adorateurs, &
vous ne dittes pas que vous venés icy comme dans le lieu du
mõde où l’on fasse l’amour auec plus d’adresse, de douceurs,
& de bonne grace. En Espagne les dames y sont trop imperieuses,
en Italie trop peu retenuës, en Pologne trop indiscrettes,
en Flandre trop grossieres, en Angleterre trop
froides, les Françoises possedent toutes les perfections des
autres, sans en auoir les defauts, ny les manquemens. De
sorte que vous voulés establir vostre Throsne auec plus de
gloire icy, que vous ne fistes iamais, ny à Cartage, ny à Syracuse,
ny à Ephese, ny à Rome. Et doresnauant vous serés en
sorte que Paris vous reçoiue par son Ange, sa Deesse, son
intelligence. A la bõne-heure regnez dans la premiere Ville
du monde, & vous y faictes autant d’Esclaues que vous y
trouuerés d’admirateurs de vos perfections. Pour moy qui
suis méprise par toute, & qui n’ay plus de credit ie me retire
dans les deserts, dans les bois, dans les solitudes, dans les
Cloistres, pour y faire la guerre aux Hermites, & aux Moines.

Cypris.

Madame, le iour est desja grand, & les païsans qui hayssent
plus que les demons le Dieu Mars venant bien-tost à passer
& à le reconnoistre, sans doute nous ferons quelque outrage
à son occasion : Priez-le qu’il se retire ; & luy donnés assignation

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pour ce soir à la mesme heure ; nous l’entretiendrons de
beaucoup de particularités de nostre voyage, & de nos desseins,
& reciproquement nous sçaurons de luy quantité de
choses que nous ignorons.

 

Venus.

Hé bien Cypris, sans doute voila Mars qui se rend à l’assignation
que nous luy auons donnée ; ce mal-heureux qui
est hay de tout le monde, nous causera quelque disgrace
si nous le frequentons dauantage, & que l’on sçache qu’il
vienne ainsi le soir nous entretenir de ses cruautez & de ses
homicides : Neantmoins il est à propos de luy rendre cette
ciuilité, car en tout cas si dans ses contrées nous y estions
aussi mal receuës, qu’ailleurs ce Dieu aymé & chery des
gens de guerre, auroit assez de credit pour nous faire passer
en asseurance dans quelqu’autre Pays, que celuy-cy.

Cypris.

Madame, que vostre Diuinité se souuienne, que la familiarité
des gens de guerre est extremement dangereuse aux
personnes de nostre sexe, & que bien souuent ; mesmes
les plus moderez Capitaines se laissent surprendre par les
charmes & par les attraits d’vne beauté qui a beaucoup de
perfections, sans apprehender ny les foudres de Iupiter, ny
l’espée du dieu Mars. Auez vous oublié ce qui arriua autresfois
à Iunon, cette Diuinité orgueilleuse, qui au recit de
Pausanias, fut prise par Orocrates, & offencée en son honneur
iusques dans le Temple où elle estoit adorée. Non,
Madame, fuyons la compagnie de Mars, & apres l’auoir
entretenu ; prenons congé de sa grandeur, & nous en allons.
Le voicy, qu’il approche ? & qui vous vient parler.

Venus.

Grand Dieu que i’adore, où allez vous ? I’ay sujet de me
plaindre de vos artifices, aussi bien que de vos menées, &
ie iure qu’à la fin vous serez la cause que nous seront bannies
de ses lieux auec confusion : I’ay apris ce matin comme
vous auez esté la seule cause, que deux Gentils-hommes
de condition, l’vn du Prince de Condé, l’autre du
Prince de Conty, s’estoient battus en dueïl pour auoir soustenu

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tous deux auec trop d’opiniastreté le party de leurs
Princes, & que ce dueïl a fait naistre beaucoup de querelles
& d’animositez entre les domestiques de ces deux
grands Seigneurs, qui secrettement conseruent entr’eux
quelques affections particulieres pour deux differends
partis.

 

Mars.

Vrayement, Madame, vous parlez d’vne action legere
auec beaucoup d’exageration, il semble à vous entendre
parler qu’vn dueïl de deux personnes soit vn meurtre general
de toute vne Prouince : Que diriez-vous, si vous sçauiez
que deux Princes qui sont freres concernant de grandes
animositez entr’eux, que i’allume veritablement, & que
i’enflame ; mais dont vous estes seule la cause & le principe :
Ne parlons point des desseins qui sont au dessus de vos forces,
& dont vostre sexe est incapable, ie vous faits des reproches
auec raison, de ce que dans le temps d’vne seule
nuict que vous auez demeuré en ses pays, vous auez rendu
vne fille impudique, & l’auez sollicitée à perdre son honneur
par vos cajoleries, vos adresses, & vos affeteries. Que
dira-on maintenant dans Paris, quand on sçaura que la belle
Cypris & vous, par vos inuentions criminelles, vous poussez
les femmes les plus honnestes, à perdre ce qu’elles ont
de plus cher au monde.

Cypris.

Grand Dieu ne nous reprochez pas vn crime dont nous
sommes innocentes, cette fille qui a perdu sa chasteté, receuoit
trop de complaisance dans les visites, que son galand
luy rendoit tous les iours : Et comme Dina fut autresfois
rauie par la violence d’vn Prince qu’elle alloit visiter. De
mesme cette ieune imprudente de la place Royalle s’est
laissée emporter aux cajolleries d’vn jeune Gentil-homme
qui ne l’entretenoit que d’amourettes pour le surprendre,
& ne la conuersoit que pour la perdre. N’alleguez point
non plus que nous soyons la cause de l’adultere de l’autre,
surprise dans son crime par son propre mary : Puis qu’elle
s’y est portée d’elle-mesme, & qu’elle affectionnoit cét

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homme mesme auant son Mariage, auec des libertez entierement
des-honnestes.

 

Venus.

Cypris, laissons là le Dieu Mars, qu’il parle tant qu’il luy
plaira à son aduantage, c’est vn mal-heureux qui n’est plus
consideré, & que les peuples mesprisent : Ma Diuinité sera
tousiours adorable parmy les Princes aussi bien que parmy
les Marchands, puis que l’amour est le seul plaisir de la nature,
& que sans luy, tous les autres diuertissemens sont ennuyeux,
ou pour le moins ne sont pas beaucoup agreables.
Ie veux faire en sorte que ie sois seule adorée en ses pays, &
que mon throsne estably dans Paris, la plus belle ville du
monde, reçoiue des respects, des hommages, & des soûmissions
de tous les esprits genereux, comme de toutes les
beautez les plus parfaites : Que Mars premedite des carnages,
des guerres & des seditions : Pour moy ie ne demande
que la Paix, & ne souhaitte que le repos.

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