Anonyme [1651], LA RVADE D’VN POVLAIN QVI A FAICT TREMBLER PARIS. , françaisRéférence RIM : M0_3564. Cote locale : C_11_29.
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LA RVADE
D’VN POVLAIN
QVI A FAICT
TREMBLER PARIS.

C’est vn grand malheur de nostre
temps que les personnes des
plus villes & des plus basses conditions
du peuple, entrent dans
les Palais des grands, & approchent
de la personne des Seigneurs,
des Princes & du Roy
mesme, sous des habits de Religion,
des apparences de Pieté, & des pretextes empruntez
d’vne seinte Charité, où de quelque autre Vertu
simulée.

N’est-ce pas vn grand abus que des paysans reuestus,
& des personnes de la lie du Peuple, qui dans la condition
de leur naissance fussent demeurez à la charuë, où
bien à la boutique de leur pere, passent maintenant dans
les Cabinets des Rois, sous l’ombre qui porte vn habie
de Religion, que l’on peut appeler vne belle couverture
des passions humaines, comme vous voyez ces grands

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Mullets des Ambassadeurs, reuestus & couverts des livrées
de leur Maistre, quoy qu’au dehors ils ne paroissent
que Velours, qu’escarlate & que broderie ; ce sont pourtant
tousiours, au dessous, des Mullets quinteux, fantasques
& dangereux, par leurs Ruades impreveuës &
non esperées.

 

Ie ne dirai pas que ceux qui se cõtẽtoient autrefois de leur
cloistre sõt plus souvẽt au dehors que dedans leur retraire,
où pour me seruir de la cõparaison populaire qui sont
sẽblables aux violons qui n’ont pire maison que la leur,
que les mains qui faisoient autrefois les questes aux portes
dans les ruës, vont estendre leurs bras dans les ruelles,
ces besases qui se remplissoient en public vont remplir
le vuide dans les Cabinets. Ie sçay bien que ce n’est
que pour soulager les necessités & remedier aux besoins,
mais il y en a de bien des sortes & ausquelles on ne peut
donner secours sans beaucoup d’engagement : ces desordres
sont generaux & c’est à chacun à prendre garde
à sa veselle & à son escarcelles. Encor pour cette fois ie
ne diray rien de la hardiesse & temerité d’vn païsant reuestu
tiré des galleres qui à l’insolence deuant toute la
Cour parlant à la Majesté Augusté & sacrée de la Reyne
de l’appeller ma bonne sœur & se porter dans les Cõseils
les plus importans du Royaume, auec quelles aisles
à il peu voller si haut ce n’est pas auec celles des Cherubins
c’est à dire des sçauãs ? car il fait profession d’ignorance,
& n’a iamais paru sur les bans si ce n’est ceux des
Galleres. Ce ne sont pas les aisles des Seraphins c’est à
dire de la vertu & de la Sainteté, car il y en a mille & milles
en France qui en ont d’auantage, ce seroit impudence
à luy de le croire foiblesse a nous de le iuger & injustice
generalle de se le perduader, il à fort bien respondu
à la tante de celuy qui l’auoit poussé ayant tres bienfourbé
le particulier & le general, digne Emissere de celuy

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qui le produisoit puis que chacun tombe d’accord qu’il
à trompé tousiours par ses belles promesses & n’a fait du
bien qu’a ceux qui luy ont donné, mais l’on escrit sa vie
elle est digne de lumiere il a trop obligé tous les Ordres
Religieux en croyant auoir remporté tout ce qu’il y a
d’adresse d’industrie & de Spiritualité pour le salut du
prochain, ce que i’en dit n’est qu’en passant ie ne puis pas
m’arester sur vn cheual Emplumé, l’on diroit que ie voudrois
monter sur Helicon auec pegase ie ne veux tirer de
l’escurie que vn vieux Poullain qui à bien sçeu desguiser
son nõ, mais il n’a pas peu esuiter ny retenir les mouuemens
de la nature, ny les impressions de la constellation
soubs laquelle il a pris naissance & son Education.

 

Les honnestes gens sont marris de la robe qui porte,
par ce que en verité la compagnie est remplie de gens de
bien & si le choix fut demeuré dans leur liberté ils n’eussent
pas produit en Cour vn Poulain de cette herbage
puis qui tombe d’acord qu’il est le plus désallé de tout
leurs niez, & qu’encore qu’ils ne soient pas tous fines
gens il est des plus rafinez en souplesse & matoiserie de
la robe tissuë du plus fin cotton.

Ce n’est pas qu’il soit de la race de ses beaux genests
d’Espagne, ny de ses coursiers de Naples, ou de ses beaux
Guilledins d’Angleterre, ou de ses Barbes Allemans,
dont les qualitez sont merueilleuses & que le grand Escuyer
eust peu produire à la place, mais il n’auoit dessein
que de tromper & pour cela il ne luy falloit pas prendre
de ses cœurs genereux remplis de bon sang incapables
de deguisement & de finesse.

L’on la tiré de la Charete d’vn Roulié d’Orleans, belle
accademie & digne manege pour de la venir Coure la
Bague en cour, & pour faire admirer ses bons, ses courbetes
& ses sauts, dans vn lieu ou il ny a point de sots, de
la il fut mis dans l’herbages à l’engrais, ou à sa mine vous

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voyez bien qu’il n’a guere profité & s’il fait des tours de
souplesse c’est qu’il n’est pas trop chargé de graisse & ne
s’est remply que de vent qui luy firent faire les premieres
patarades dans la rue Ste Croix n’ayant auparauant paru
que fort mediocrement dans l’accademie des petits Enfans
à qui l’on ne donne que des bastons & des cheuaux
de cartes, c’est a dire que l’on contente d’apparence
& de feinte, accoustumé donc a bondir & a feindre
parmy les enfans l’on en voulu faire essay pour le seruice
de bonnes gens destinez a la Croisade, car ses Escuiers
eussent creu commettre vn grand peché de mettre en
cette place de ces autres qui vont à grands pas ou qui
gallopent aysement puis qu’il ny faloit qu’vne Mazette
ou qu’vn Limonié de charette.

 

Cependant ces bons peres apres s’en estre seruy quelque
temps trouuerent ses ruades dangeureuses & le renuoierent
à son estable, ou par le recit de ce qui s’estoit
passé ses escuyers ayant apris qu’il sçauoit faire forces
souplesses auec addresse & comme s’il eust esté de la race
de pegase, d’vn coup de pied il faisoit venir l’eau non pas
à la montagne des Muses, mais au moulin ; on l’exposa
sur le Theatre autant pour faire rire que pour pleurer au
hazard & à l’aduanture comme vn Poulain, disent ses Escuyers
que l’on abandonne.

Dans la Cour, il a des-ja fait milles patarades conduit
par la main du Maistre, car fourbe à fourbe il n’y à
que la main, mais l’on en garde le recit à l’assemblée generalle
& Foire prochaine des cheuaux, afin de le vendre
selon son pris, Ie ne diray dont point qu’vn chartier va
en Carrosse, vn Roulier se fait traisner en Poulain faict
la morgue comme si c’estoit vn bon cheual qu’il à fait
des-ja quelques ruades remarquables & signalées tantost
contre les vns & tantost contre les autres, ne disans rien
des particuliers de peur qu’on ne pense que l’interest fait

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parler. Ie luy ay veu faire vne ruade contre le Clergé
dans la Chappelle du Roy en presence de toute la Cour
sur le differant que tout le monde sçait que Monseigneur
l’Archeuesque de Sens, auoit contre les Iesuites du College
de Sens, Monseigneur l’Archeuesque d’Ambrun,
ayant voulu aualler le poil à ce Poulain & le traiter auec
toute la douceur que l’on peut frotter & estriller vn Poulain
il s’emporta auec tant de chaleur que la Compagnie
en demeura toute surprise, qu’vn Poulain eust tant d’ardeur,
& tesmoigna tant de sentiment à la seule parole
d’vn homme de naissance, de merite & de si haute condition,
mais les Poulains ruent indifferemment. La prudence
a fait dissimuler cette escapade, mais cette ruade
contre vn Parlement touche esgallement tout le cors
de l’Estat, ce Poulain ayant bondy dans la Cour du Palais
d’Orleans, sauta de la iusques à la Cour du Palais, &
frappa le premier President par l’oreille pour esbranler
tout d’vn coup ce grand corps par sa bonne teste ;

 

Et en effect la ruade de ce Poulain, l’estonna si viuement
qu’il en trembla tout la nuict, & porta son esmotion
iusques au lendemain qu’il fit paroistre en presence
de toute la cour, ayant dit qu’ayant consulté non pas le
chant ou le vol des oyseaux, non pas les entrailles des
bestes mais la contenance d’vn Poulain, il auoit descouuert
qu’il y auroit de l’effusion de sang & du carnage dãs
peu de iours.

A ce recit d’abord l’assemblée des dieux fut troublée,
les plus joieux & les plus gaillards disoient quoy va on finir
si tost le caresme parle il du carnage, va on esgorger
des Bœufs, des Moutons, & des Veaux, les autres plus
serieux & plus critiques murmuroient de cette proposition
& disoient quelle estoit trop hardie aussi bien entreprendre
comme à reciter que c’estoit mettre des soupçons
faire naistre des, defiances, apporter des jalousies

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donner des frajeurs & des espouuantes, faire prendre les
armes & esmouuoir des seditions, enfin les plus moderez
iugerent que ce rapport & ce discours estoit de telle
importance qu’il en falloit deliberer le lendemain.

 

Cependant le bruit ce respend par toute la ville de Paris,
que l’on n’en veut plus seulement au mantons & à la
grande barbe comme autres fois, mais à la gorge & que
l’on ne se contente plus de paroles, mais que l’on veut du
sang, que l’on n’attaque pas vne personne seulemẽt, mais
qu’il y aura turrie, boucherie, perte de sang & de sens. La
dessus on deuine on fait des Almanacs, l’on accuse ceux
qui ny pensent point, l’on condamne les plus innocens,
l’on crée des boureaux en tiltre d’office, l’on fait des vaillans
sans armes, l’on esgorge sãs toucher, l’on blesse sans
couferir, l’on respend le sang sans faire de playe & l’on tuë
sans faire mourir, tel doit frapper qui ne leuera pas le bras
& tel doit mourir qui à encor grand appetit de viure &
qui en verra bien mourir d’autres.

Iamais l’on n’entendit tant de comptes de fables d’illusions
d’inuentions de mensonges chacun deuint deuin
& tous parloient de ce carnage futur comme s’il eust
esté presẽt peu s’en falut qu’on ne creust que la turie commençoit
des-ja dans vn bout de la ville tãt la parole d’vn
homme de cette haute importãce auoit effrayé les esprits
les plus constants & les plus assurez.

La dessus les vns esguisoient leurs cousteaux, les autres
desroüilloient leurs armes, d’autres serroient les mains,
preparoient leurs bras, & frottoient leurs brassars, d’autres
trembloient de peur fermoient leur portes cachoiẽt
leur argent, les autres tenoient cõseil assembloient leurs
amis disoient qu’il y falloit mettre ordre, les autres enfin
se mettoient à boire pour s’animer & pour s’eschauffer,
& que si falloit mourir il falloit boire auparauant pour
auoir bon courage.

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Tout le iour & toute la nuict se passerent dans ses allarmes,
au rapport des paroles d’vn tel homme dont c’est
vn crime de douter & qui ne dit rien que des oracles des
miracles du temps passé des verités pour le present & des
Propheties pour l’aduenir, chacũ faisoit des vœux pour
voir le leuer du Soleil, & pour aduancer la nuict.

 


Nuict source de l’espoir aduance, vn peu ta cource
Et fait voir à nos yeux, les Estoilles de Lourse,
Soleil aduance vn peu l’heure de ton repos,
Laisse dormir la terre à l’ombre des pauats,
Allez plus vistement desormais noires heures,
Et quittez au Soleil, vos plus sombres demeures.

 

Ainsi l’on formoit des vœux differents qui tous n’aboutissoient
qu’au prompt retour de la Lumiere, des le
grand matin l’on court au Palais, les petits les moyens &
les grãd dieux s’assemblent, il faut sçauoir enfin par ou la
boucherie doit cõmencer si c’est aux Halles, ou au Marché
neuf, si c’est pour le Cimetiere de S. Iean, ou pour
celuy de S. Imposent, l’on se foulle on se presse, l’on ouure
& l’on dresse les oreilles, l’on se leue l’on s’assit l’on
entend, l’on escoute, l’on fait silence, & apres tout l’on
apprend enfin que c’est vne ruade d’vn Poulain.

Quoy donc l’on souffrira vn tel hanissement sans ioüer
de la guelle & l’on pourra inpunement interpreter les
paroles des Princes, & les rapporter mal à propos à vn
premier Magistrat pour troubler le repos public & particulier
fomenter des Cabales dans l’Estat, & ietter des
semences de diuision.

Ie m’en rapporte au Senateurs qui ont bon sens, & au
parchemin qui est plus fort que le papier, & ie diray seulement
que c’est vne grande pitié qu’vn Roy ne soit pas
libre d’aller ou il luy plaist, à confesse i’entend, ce qui est

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pourtant permis à la moindre personne du Royaume,
cette charge ne doit pas estre affectée à vn corps ny à vn
particulier, par ce que cela faict naistre de l’enuie & de
la ialousie à tous les autres corps & particuliers capables
de cét employ & la chose est si fort importãte que dans
toutes libertez celle là du choix de Directeur de conscience
doit estre la premiere & la plus libre. Les Rois sur
tout doiuent consulter plusieurs oracles & entendre toutes
sortes de veritez necessaires pour leur salut & pour
leur gloire, qui ne mange que d’vn pain & qui ne puise
que d’vne source ne sçait pas quel goust les autres peuuent
auoir, qui n’entend qu’vn homme peut estre trompé
& qui ne reçoit tousiours que les mesmes maximes
sera priué des belles cognoissances & à des riches lumieres
qui sont establies & fondée sur d’autres principes.

 

Ainsi l’on a iugé qu’il estoit expedient de faire entendre
à la Cour tous les ans de differans Predicateurs non
pas pour empescher le degoust d’entendre tousiours vne
mesme personne parce que la pieté trouue tousiours assez
dequoy se satisfaire non pas à cause qu’vn mesme
Predicateur se pourroit espuiser par ce que les sources
de l’Escriture Saincte sont Eternelles aussi bien que leurs
veritez, mais parce que c’est priuer vn Roy d’entendre
les premiers oracles de son Royaume, c’est priuer les
plus Elocquans & les premiers hommes de ce ministere
de l’honneur d’entretenir leur Souuerain, c’est vouloir
attacher à la langue & à la parole d’vn seul homme toutes
les graces que le Ciel à destinées de verser dans l’ame
d’vn Roy, des Princes & de toute la Cour, & borner
leurs instruction à la portée & à la capacité d’vn seul
homme, qui ayant pris vne fois vn party y en ayant beaucoup
dans la deuotion mesme de veritable aussi bien que
de voix differentes pour arriuer à la Saincteté, à peine
pourra il changer ses brisées, vn guide tout seul n’est pas

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propre pour tant de chemins & dans les maladies Corporelles,
si la pratique est bonne de prendre la consulte
de plusieurs Medecins dans les Spirituelles beaucoup
plus importantes, si cela n’est pas encore plus necessaire,
ie vous en faits les Iuges.

 

FIN.

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