Anonyme [1649], LA SECONDE PARTIE DV COVRIER POLONOIS, APPORTANT DES NOVVELLES De l’autre Monde, au Prince de Condé. , françaisRéférence RIM : M0_833. Cote locale : C_1_46_2.
Section précédent(e)

LA
SECONDE PARTIE
DV
COVRIER
POLONOIS,
APPORTANT DES NOVVELLES
De l’autre Monde, au Prince
de Condé.

A PARIS,
Chez la vefue IEAN REMY, ruë sainct Iacques,
à l’Image S. Remy, prés le College du Plessis.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

-- 2 --

-- 3 --

LA
SECONDE PARTIE
DV
COVRIER
POLONOIS,
APPORTANT DES NOVVELLES
de l’autre monde, au Prince de Condé.

Le Polonois.

ME voyla iustement entre deux E As,
chez Guillot le songeux, bien empesché
à resoudre ce que ie dois faire, &
comment ie viendray à bout de la commission
que Charon m’a donnée ; ie ne
suis qu’vn Spatre ou Phantosme, qui apporteray de la
frayeur & de l’espouuante à ceux qui me verront, qui
feront tout aussi-tost gilles où du moins le signe de la
Croix, partant il seroit besoin que ie fusse couuert,
mais ou prés de l’argent pour m’auoir vn habit, ceux
qui reviennent d’où ie viens n’en sont gueres chargez ;
& notamment les Soldats du Prince de Condé
n’ont que faire de craindre les l’arrons. A propos il

-- 4 --

me souuient que ces iours passez, vn bon compagnon
de mesme farine que moy, fut attaché à vn noyer
pour faire peur aux pigeons, afin qu’ils n’allassent
manger le bled nouueaux sumé, on luy laissa son habit
de ce satin, donc on fait des aisles aux moulins :
pource que celuy qui le posa en sentinelle, ne vouloit
point porter tant d’état, il vaut mieux que ie le prenne,
cela vaut fait : mais ie suis assiegé d’vne nouuelle
apprehension, le cœur me palpite & me pronostique
quelque malheur, si ie rencontre le Paysan qui me
fit aller en l’autre monde, que feray-ie ? s’il ma tué
ayant vne espée, comment m’accommodera-t’il à present
que ie n’en ay point ? courage passons outre, qui
ne s’aduanture n’a cheual ny mulle. I’ay promis au
sieur Charon d’accomplir son mandement, & puis
qui me reconnoistroit en ce chetif & mesquin équipage ?
en deuisant le temps se passe, ie ne croyois pas
auoir tant exploité de chemin, me voicy prés d’vn
Village.

 

La Sentinelle aduancée.

Demeure là.

Le Polonois.

Ie suis tout demeuré, Sentinelle ie te prie de me
vouloir apprendre quel Village est-ce icy, & celuy
qui commande.

La Sentinelle.

S’enquester de cela est d’angereux, & ie ne sçay qui
m’empesche que ie ne paye t’a demande en plomb
& en poudre.

-- 5 --

Le Polonois.

Vn bon sujet m’ameine icy, quand i’auray conferé
auec vous, vous le iugerez de mesme, & prendrez
plaisir de m’introduire aupres celuy auec qui i’ay affaire ;
car ie reconnois que vous estes à luy, & vous
ayma long temps à son seruice.

La Sentinelle.

Cher amy Polonois est-ce toy, d’où viens-tu ? vrayement
ie te resconnoissois : mais ta parole ta manifesté,
ou vas tu auec cét habit de toille ? vas-tu pescher
des escreuices ou bien quelque bourse tombée
dans la riuiere.

Le Polonois.

La necessité me l’a fait prendre à faute d’autre, ie
viens d’vn estrange pays.

La Sentinelle.

Que t’est-il arriué ? as tu esté pris prisonnier par les
Parisiens ?

Le Polonois.

Ie ne suis plus le Polonois, mais son malheureux
esprit seulement, quant à mon corps, il est peut-estre
à l’heur que ie parle mangé des chiens, pour n’auoir
pas eu de sepulture.

La Sentinelle.

Tu m’estonnes de ce que tu me dis, & ton minois
me descouure que tu és bien different de celuy que
tu fus jadis.

Le Polonois.

Sasche que dernierement allant à la picorée, abusant
de la licence que donne la guerre, ie me ruay dedans

-- 6 --

la case d’vn pauure manant, & non content
de l’auoir mis à blanc, ie violay sa fille & sa femme,
vne iuste douleur le porta à la vengeance, si bien
qu’il prit son temps à propos, & à l’heure que ie pensoit
estre comme l’on dit, franc du collier, il me deschargea
vn si grand coup de leuier sur là teste, qu’il
m’enuoya en poste au royaume des tauppes, sans me
donner loisir de me confesser estant arriué la, & rodant
sans guide ny conduite, ie me iettay dans vne
riuiere, ou ie croyois qu’il fut libre à chacun de nager.
Charon qui tient à ferme ce passage, me descouurit
& me tira à luy auec son croc, reprimendant seuerement
ma trop grande hardiesse, apres que sa furie
fut passée, nous nous mismes à deuiser ensemble,
il m’interrogea de ce qui se faisoit par deçà, ie l’interrogeay
pareillement de ce qui se faisoit là bas ; surquoy
il me conta des choses étranges, & qui me donnerent
de tres-chaudes allarmes.

 

La Sentinelles.

Mais tu ne dis rien de l’occasion de ta Venal, &
comment l’on t’a enuoyé en ces quartiers.

Le Polonois.

Tout beau, de fil & aiguille, poco à poco.

La Sentinelle.

Tu auras tantost assez de loisir pour me faire entendre
le reste de cette histoire, voicy mon Caporal qui
vient me leuer de faction, allons nous en chez moy
prendre l’air d’vn fagot, il fait grand froid, nous descouëfferõs
ensemble vne bouteille de bon vin, & puis
apres ie te meineray à celuy que tu desire aborder.

-- 7 --

Le Polonois.

Cela n’est point de refus, i’en ay bon besoin, ce sera
pour chasser les araignées que i’ay dans la gorge,
allons mon cher amy, dépeschons nous, i’ay de grandes
affaires auec le Prince de Condé.

La Sentinelle.

Allons ie t’y meine toute à l’heure, il a couché
chez le Mareschal de Villeray, & doit partir dans vne
heure pour aller assieger Brie.

Le Polonois ayant déjeuné & parlé au
Prince de Condé.

IL fait bon auoir des armes en Paradis, au Monde
& en Enfer, cette sentinelle que i’ay rencontré, ma
fait repestre, chaufer & expedier mes dépesches, ie
n’ay plus qu’à prendre mon sac & mes quilles, &
m’en retourner porter la responce au bon homme
Charon, des nouuelles qu’il m’auoit donné charge
d’apporter de l’autre Monde au Prince de Condé.
Bons Dieux que ce Prince à la mine effroyable, il a
bien du mal content dans son interieur, il ne dit pas
tout ce qu’il pense ny où il en est, si ie suis bon phisionomiste,
ie le iuge estre autant confus dans l’ame
comme l’estoit l’ancien Cahos, escriuant ma responce,
tantost il escriuoit, tantost il effaçoit ce qu’il auoit
escrit, tantost il faisoit vne ligne, & puis il entre méloit
des mots qu’il auoit oubliés, tantost il rayoit tout
& recõmençoit de nouueau, signe & marque asseurée
de sa confusion, de son inconstance, de son humeur

-- 8 --

boüillante, ou de son inquietude. Ie suis d’aduis d’ouurir
ses lettres & de sçauoir ce que ie porte, que sçay-ie
si ce n’est point ma condemnation, ou s’il ne me
recommande point à quelque Diable de sa connoissance.
Si le bon homme Vrie eut ouuert celles qu’il
portoit & qu’il auoit receu de Dauid, il n’auroit pas
esté homicide comme il fut : faute de prudẽce beaucoup
de malheurs arriuent, son exemple me rendra
sage, ouurons l’œuf, voyons s’il est plein ou vide, bon
Dieu ie ne sçay qui fait disparoistre les choses entre
mes mains, ie tenois & ie ne tiens plus, qui me donnera
vn bout de chandelle pour trouuer ce que i’ay
perdu : entre-cy & demain si ie le trouue, vous en aurez
la representation & la lecture où vous apprenderez
(amy Lecteur) ce que vous ne sçauez pas encore.

 

FIN.

Section précédent(e)


Anonyme [1649], LA SECONDE PARTIE DV COVRIER POLONOIS, APPORTANT DES NOVVELLES De l’autre Monde, au Prince de Condé. , françaisRéférence RIM : M0_833. Cote locale : C_1_46_2.