Anonyme [1649], LA TRANQVILITÉ PVBLIQVE RESTABLIE A PARIS, PAR L’HEVREVX RETOVR de la Paix. ENVOYÉE DV CIEL A LA FRANCE. CONTRE LES FAVX BRVITS SEMEZ AV preiudice de l’honneur de sa Maiesté, & de la tranquilité publique. DISCOVRS MORAL ET POLITIQVE, Dedié au Roy. , françaisRéférence RIM : M0_3801. Cote locale : A_7_58.
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LA
TRANQVILITÉ PVBLIQVE
RESTABLIE
A PARIS,
PAR L’HEVREVX RETOVR
de la Paix.

ENVOYÉE DV CIEL A LA FRANCE.

CONTRE LES FAVX BRVITS SEMEZ AV
preiudice de l’honneur de sa Maiesté, & de la
tranquilité publique.

DISCOVRS MORAL ET POLITIQVE,
Dedié au Roy.

M. DC. XLIX.

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LA TRANQVILITÉ PVBLIQVE
restablie à Paris, par l’heureux retour de la
Paix, enuoyée du Ciel à la France.

CONTRE LES FAVX BRVITS SEMEZ
au preiudice de l’honneur de sa Maiesté, & de
la tranquilité publique.

Discours Moral & Politique,
Dedié au Roy.

SIRE,

Lors que l’Ecriture sainte parle des Rois, elle ne
peut mieux les gratifier qu’en les nommans comme
elle fait, les enfans du Souuerain, si elle les
qualifie de ce titre, ce n’est pas à cause de leur nature,
car ils sont hommes : mais c’est à cause du gouvernement
qu’ils ont, qui fait qu’ils sont admirez,
& obeys comme des Dieux visibles en terre. De là
neantmoins, nous ne laissons pas d’apprendre, qe
comme la moindre d’entre les creatures, nous est
vn suiet, pour nous faire admirer les plus excellentes,

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que de méme l’homme sert à l’homme, méme
d’occasion, pour s’eleuant du plus bas, au plus
eminent d’entr’eux, monter iusques à celuy qui est
au dessus de tous, pour de cette bassesse reconnoistre
& releuer de cette Prouidence éternelle, qui
les a voulu faire tous d’vne pareille matiere. Ce
n’est pas que pour cela, cette puissance absoluë
n’aye tellement assujety les vns, sous les autres
hommes, qu’elle n’aye voulu que les Princes, ausquels
elle a mis la couronne sur la teste, & le Sceptre
dans les mains, ne fussent à ces inferieurs comme
des Dieux ; leur ayant imprimé à ce sujet le caractere
de sa diuinité, au moyen dequoy elle leur
communique, & son esprit, & sa puissance.

 

Voila vn secret si grand, SIRE, qu’il est vn miracle
à nos yeux & vn abisme sans fonds, & dont la
profondeur est d’autant plus émerueillable, qu’on
n’en peut trouuer la cause. Ce n’est pas vne chose
nouuelle aux hommes, qui sont consommez dans
les sciences, de discourir de la nature des choses ; il
n’est pas extraordinaire aux vieux Capitaines de
traitter des armes, & de la guerre, & ce n’est
pas vne chose étrange aux hommes d’Estat, & de
gouuernement, de parler des affaires Polytiques,
l’age, l’etude, l’exercice, & l’experience asseurent
leurs discours, établissent leurs conseils, & fortifient
leurs deliberations. Mais de voir des personnes,
où ces belles qualitez manquent, (comme
bien souuent aux Roys) sans neantmoins alteration

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d’effets ; c’est ce qui fait iuger certainement,
que ces natures heroïques, ont ie ne sçay quoy de
Diuin, qui ne se peut exprimer.

 

Quand nous parlons des Roys, SIRE, nous entendons
parler de ceux, qui outre leur vocation legitime,
ont & les vœux de tout le monde, & ce particulier
ressentiment qu’ils sont établis, pour regir
& gouuerner humainement les peuples, & non
pas pour les détruire. C’est à ceux-là aussi, que Dieu
se communiquant outre l’ordinaire, leur fait faire
des actions non communes, & c’est là le comble
de tous nos contentemens. Vostre MAIESTÉ a fait
voir à tout le monde dés ses premieres années, tant
de viues images de vertu, qu’il ne faut point d’autres
témoins pour nous faire voir, que vous étes infailliblement
nostre legitime Roy, veu qu’on a remarqué,
qu’en vn aage si tendre, vous auez commencé
d’agir auec tant de bon heur & de prudence,
que s’il y a des nations qui n’ayent pas appris la
Renommée de vostre grand nom, il est à douter, si
elles oseront croire, que tant de belles choses que
vous auez faites, soient l’ouurage d’vn ieune homme
de dix ans.

Nous trouuons bien dans les Histoires, que des
Rois au berceau, ont donné des batailles rangées,
chastié des Prouinces rebelles ; pacifié leurs peuple,
souleuez, & rangé au deuoir leurs vassaux :
mais c’est par le moyen de leurs Princes, de leur noblesse,
& d’vn Conseil fidelle, qu’ils ont agy de
cette sorte. Mais qu’vn Prince de vostre aage, dans

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vne si grande diuersité d’esprits contraires, & de
conseils differens, puisse desia discerner comme
vous faites, la verité du mensonge, l’vtile de son
contraire, vaincre les difficultez, reconnoistre les
expediens, boucher les yeux à ses interrests particuliers,
& soutenir courageusement les publics, reconsilier
tant de courages diuisez, éteindre la confusion,
restablir l’ordre, donner le cours aux Loix,
& en vn mot de vostre mouuement propre, ouurir
le Temple de la Paix en vostre Etat, contre des sentimens
contraires ; Ces actions, SIRE, sont sans
exemple, & ce sont les veritables marques de ces
Princes, de qui l’Oracle dit ; Vous étes Dieux ; A
dire vray auquel des Roys de la Pleur de
Lys, & entr’eux, qu’à celuy qui a eu pour son ayeul,
& pour son pere, deux Augustes Princes, qui ont
esté l’honneur & la gloire de tous les Monarques
qui les ont precedez ? Si des commencemens l’on
iuge de la fin, que ne deuons nous pas esperer de
l’arriere saison de vostre Printemps ; & quelles merueilles
ne ferez vous point dans vostre majorité ;
puis qu’étant encore mineur, l’on void en vous paroistre
de si beaux mouuemens, que vous vous en
rendez admirable ? Lors qu’on void que les arbres
poussent des fleurs en abondances, c’est la coustume
de s’en promettre vne grande fertilité ; l’on fait
le mesme iugement des esprits ; puisqu’aussi bien
que la terre, ils se cultiuent & produisent, selon le
bien ou le mal qu’ils ont reçeu. Si les ames veritablement

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Royales, comme la vostre, SIRE, se mesurent
à mesme aulne, que pouuons nous attendre
de vostre Printemps si gracieux, sinon vn été agreable,
perpetuel, & qui ne finira iamais. Vostre regne,
SIRE, nous sera, comme est le Soleil à ces Regions,
qu’il illumine, tousiours le Soleil de vostre
visage luisant sur nous, nous verrons nostre repos
perdurable & éternel, qui ne sera iamais obscurcy,
que par la mort, qui vne fois aueugle les yeux de
tous les hommes, encore veu-je esperer, que la vertu
de vos rayons, penetrera & passera iusques à nos
enfans, & sur les enfans de nos enfans. C’est par
esperance & par raison que ie dis cecy, SIRE, car
puis que la vertu n’engendre iamais le vice, deuons
nous pas nous asseurer que vostre ame heroïque ne
nous produira que des fruits de douceur, qui sera
égale aux qualités qui luy sont conuenables ? Vous
estes Roy, SIRE, & la Royauté n’a rien de plus excellent
en elle, que de vouloir & de pouuoir bien
faire, comment donc pourroit cesser le bien, auquel
la vertu & la Royauté sont iointes ? C’est vn
mariage trop exquis, pour engendrer des enfans
d’vne nature contraire, & c’est ce qui me fait conjurer
le Ciel, que cette semence continuë, & que
comme elle nous a produit cét agreable fruit de la
Paix, que vostre Maiesté le cultiue, & l’arrouse tellement
chaque iour, qu’il soit à tout le monde vn
gage d’honneur, & à la France vn continuel triomphe.

 

C’est de cela, SIRE, que tous vos peuples rauis

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d’aise & d’admiration, vous rendent graces immortelles,
& particulierement celuy de Paris, de ce
qu’apres tant de fatiques, que vostre Majesté a
souffertes à la campagne, pendant la rigoureuse
saison de l’Hiuer, & apres tant de maux, tant de ruines
& de desolations, que les Parisiens ont souffert
par la guerre & par la famine, vous nous ayez donné
vne paix, non pas de la nature de celles que les
factieux ennemis de Dieu, de vostre Maiesté, & de
vos peuples, ont insolemment publiée ; mais d’vne
paix cloüée de clouds de diamants, dont malgré
beaucoup de sentimens contraires, vostre Maiesté
elle mesme a voulu estre le Forgeron, affin que de
vous seul, doresnauant nous reconnoissions que
nous auons reçeu vn bien si rare.

 

Ce n’est donc pas sans raison, SIRE, que nous
voyans dessassujettis de l’oppression de ces barbares
étrangers, qui ont ruyné tous les bourgs &
les bourgades d’alentour de vostre bonne & fidelle
ville de Paris, nous remercions vostre Maiesté,
de ce que par vne si grande faueur, nous viuons
maintenant paisiblement, & commençons à ioüir
d’vn bon heur, dont nous auons esté priuez si lõg-temps.
De tous les vices, l’ingratitude est le plus
insupportable, & si pour des moindres choses receuës,
la ciuilité veut que nous en témoignions vn
agreement ; quel nom pourroit on donner à nostre
méconnoissance, si nous paroissons ingrats d’vn si
grand bien que vostre Maiesté nous a procuré ? ie

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ne trouue rien de plus grand, que le bien que nous
auons reçeu, soit qu’on en examine la chose, ou la
personne qui se donne, ou celuy qui le reçoit, ou
le temps, ou les circonstances. Pour la chose, qui
a t’il sur la terre, qui puisse égaler son prix, parce
que toutes les choses du monde sans la paix, ne sont
rien qu’vne charge inutile, & vn embaras tout
plein de difficultez ? Qui a t’il au monde de plus rare,
puis que la rareté mesme qui s’y trouue, n’est
sans la paix qu’vne ruyne, ny qu’vn tourment ? Il
n’y à rien de plus beau dans les Cieux, que la Paix ;
puisque nous n’y aspirons que par elle, & que la
souueraine esperance de l’homme, est toute en ce
contentement d’esprit, qui luy promet le repos de
son ame, en la presence de son Dieu. A dire vray,
SIRE, de la Paix depend tout le bien de l’homme,
puis que sans elle, il ne peut rien posseder, qu’il
puisse nommer bien. Les qualitez de l’ame les plus
accomplies, luy doiuent donner le premier degré
d’honneur, & l’eleuer par excellence, au dessus de
toutes les autres ; puis que sans la paix leurs fonctions
sont empeschées, ou par les apprehensions,
ou par les diuertissemens. Les qualitez du corps
viennent apres, qui sont la santé, la disposition, &
la bonne grace ; mais sans la paix, ce ne sont que
des cheuaux de bagage, qui ne seruent qu’à porter
le faix d’vne guerre, à la mercy des inconueniens,
des malheurs, & des perils. Les autres biens qui
sont hors de nous, & qui ne nous touchent que par
accident, comme les femmes, les enfans, & les autres

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choses crées pour la commodité de l’homme,
sans la paix, luy sont autant de precipices d’amertume,
de douleur, & d’affliction, soit en la iouïssance,
soit en la conseruation, soit en la perte, &
quelquefois autant de bourreaux qui le dechirent,
& luy rauissent la vie auec des tourmens insupportables.

 

Vos bons Citoyens de Paris ont experimenté
tout ce que ie viens de dire, SIRE, au peu de temps
que le fleau qui luy est opposé, les a frappez, & ils
l’ont de tant mieux senty, que la paix du Royaume
dont ils ioüissoient auparauant, leur auoit été douce.
Cette Paix de vingt-cinq années, que le bras &
la valleur de feu nôtre grand Roy, pere de vostre
Majesté, leur a acquise par la deffaite de ces rebelles
François, & que depuis vostre Majesté leur a si
heureusement conseruée, est encore si agreable à
vos peuples, qu’ils ioüissent de sa douceur, quand
ils en examinent les defferences.

Ces comparaisons sont à vos bons suiets, comme
cette composition de ius doux & amers, d’où
les hommes sçauans & experts en ces choses, tirent
de si plaisans breuuages ? mais aussi comment
peut on sçauourer la douceur, si l’on ne gousta iamais
d’amertume ? il n’y a point de contentement
au monde, pour celuy qui n’a iamais senty d’affliction ;
pour ce que les plus grands plaisirs luy sont
indifferens.

Lorsque vos Francois, SIRE, se ressouuiennent
du temps bien heureux auquel ils ont veu sous les

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auspices d’vne entiere paix, la Religion fleurir, la
Iustice administrée, les méchans chatiez, les Loix
religieusement obseruées, les Finances ménagées,
l’authorité de nos Roys conseruée, leur puissance
redoutée, leurs commandemens executez, l’assistance
de leurs Princes, la soumission des grands
du Royaume, la vigilence de leurs officiers, & l’obeïssance
de leurs peuples. Lors mesmes qu’ils se
representent d’auoir veu leurs villes sans portes, les
forteresses sans soldats, le bourgeois à ses affaires
domestiques, l’artisan à ses ouurages, & le laboureur
à sa charuë sans soin & sans inquietude, aller
& venir, vendre, semer, cueillir manger son pain
en repos, banqueter, s’ejouir, & vser de leurs vies
selon leurs conditions. Certes, SIRE, ces actions si
douces, leur donnent de beaucoup plus vifs ressentimens
du mal qu’ils ont senty, & bien que graces
à Dieu, il n’ait pas esté de longue durée, si n’a-t’il
pas empesché qu’ils n’en ayent esté touchez sensiblement.
Il est arriué aux Parisiens, comme à ceux
qui sortent des étuues par vn temps froid, qui sont
plustost touchez de la rigueur de l’air, que celuy
qui a tout le iour marché dans les neiges. Aussi faut
il auoüer que l’orage de la guerre, les ayans surpris
dans vn calme & vne bonace tranquille, l’estonnement
les en a saisis si fort, que l’horreur leur en demeure
encore empreinte dans l’ame.

 

Le moyen aussi, SIRE, de considerer sans s’affliger,
qu’en si peu de temps, nous ayons veu toutes
les choses bouleuersées, & au lieu de cette harmonie

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si melodieuse de la paix, ne voir pas tout autour
de Paris, & dans Paris mesme, que l’effroy,
que le carnage, qu’vne image affreuse de la mort,
que les choses les plus saintes viollées, que tout ordre
renuersé, que le respect foulé aux pieds, que
l’audace & la fureur aux charges, qu’vne armée de
fer soüillée de sang, que blasphemes, qu’incendie,
que brigandage, qu’extorsion & que rauage, que
larmes, que plaintes, que gemissemens, les campagnes
abandonnées, les villes saccagées, les peuples
massacrez ; bref la desolation vniuerselle de
quelque costé qu’on se tourne.

 

Ces aigreurs à n’en point mentir, SIRE, nous
font benir le iour auquel vostre Maiesté nous a fait
tant de bien, que d’eschanger ce breuuage d’absinte,
dont nous auons esté repeus, pendant pres de
quatre mois, en cette autre agreable potion, qu’elle
vient naguere de nous donner. C’est dont nous
deuons continuellement vous remercier, SIRE, &
c’est aussi ce que nous ferons, tant que nous aurons
des langues, & si nos langues nous manques, nos
soupirs continuels seront les irreprochables témoins
du ressentiment de nos cœurs. Tous vos
bons & fidelles François, & particulierement vos
Citoyens de Paris, sont d’autant plus obligez à remercier
vostre Majesté, du present qu’elle leur a
fait, que c’est vn d’on Royal, qui remet en splendeur
& en gloire, l’authorité de vostre fameux Parlement
des Pairs, & qu’ils ont reçeu de la main, &
de la faueur du plus grand Roy du monde.

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S’il est vray qu’on fasse état des choses, principalement
par la consideration de celuy qui les
donne, & que les qualitez les mettent à prix, & se
rendent considerables, eû égard aux personnes, en
quelle extraordinaire estime deuons nous donc
auoir de ceux que nous receuons des Roys ; puis
que d’eux dépendent toutes les qualitez, & qu’ils
tiennent le premier degré d’honneur entre les hõmes ?
Quoy que de donner, leur soit vn office propre,
si est-ce neantmoins que la gloire en demeure
à celuy qui reçoit le don, & l’oblige autant qu’est
releuée la personne qui le fait. Les hommes priuez
doiuent grandement cherir les faueurs des Rois ;
puis que ce leur sont autant de témoignages de l’Etat
qu’ils font d’eux, & encore que leurs fondemens
peuuent estre posez sur des seruices, ou faite,
ou esperez, ce sont plustost des recompenses que
des biens faits. Mais si ces dons viennent de leurs
Roys, qui sont ceux à qui la nature & la naissance
les oblige, la recommandation en est de tant plus
grande, que ce soit bien des gratifications de Rois :
mais de Roys à qui ils doiuent tout.

C’est en cela SIRE, que l’obligation que vous
auez sur nous surpassé toute reconnoissance ; car
que pouuons nous dõner à nôtre Primat à qui nous
deuons toutes choses ? si nous vous offrons nos
biens, nous ne vous offrons rien du nostre ; puis
qu’ils sont à vous. Si nous exposons nos corps pour
l’amour de vous, nous le deuons, & si nous perdons
nos vies, elles sont vostres, tellement que de tous

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costez, l’impuissance nous enuironne. Si nous voulons
entrer en consideration des deuoirs legitimes
des sujets enuers leurs Princes, & des Princes auec
leurs sujets, nous trouuerons que si nostre deuoir
nous abstreint à vous en toutes choses, que vous
deuez aussi nous deffendre & nous conseruer. Ce
sont là les charges annexées aux Couronnes des
Rois ; car quand la multitude se sentit opprimée,
dit quelque Autheur, par les plus riches, & par les
plus puissans, elle accourut pour refuge à celuy qui
luy sembla le plus iuste & le plus vertueux, afin
qu’egalement il portast le foible & le fort ; & c’est
là, ce qu’on nomme le droit des peuples.

 

Tellement qu’à le bien prendre, SIRE, vous ne
nous auez donné la paix, qu’entent que c’est vn
present que vous nous deuiez : mais en cela nous
sommes tousiours vos redeuables, parce que vous
vous étes dignement aquitté, de ce que vous nous
deuez, & nous sommes contraints de confesser nostre
impuissance en l’exacte satisfaction de ce que
nous vous deuons. Cette reconnoissance, SIRE,
est en partie vous satisfaire, puis que le bien fait
reçeu, se reconnoist en trois façons, à le sentir, & à
l’auoüer en son ame, à le declarer de bouche, & à
reconnoistre le bien-faicteur. Pour les deux premieres
choses, nous en sommes entierement quittes ;
puis que nous ressentons vos benefices, & que
nous les confessons ; pour la troisiesme, elle nous
embarrasse, consideré ce que nous vous sommes.
Quelles reconnoissances peuuent faire les enfans

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à leur Pere, & les seruiteurs à leurs maistres ? tellement
que ne pouuant pas vous rendre, quelque
chose, en remerciement de celle que nous auons
receuë de vostre Majesté, nous nous contentons
d’accepter le bien que vous nous faites, & pour
vostre satisfaction, nous vous en sçauons gré, nous
vous en remercions, & recherchons toutes sortes
d’occasions de vous en gratifier.

 

Nous vous confessons, SIRE, que nos reconnoissances
sont legeres, & qu’elles n’ont ny matiere,
ny subsistance : mais nous supplions tres-humblement
vostre Maiesté de considerer que vous
étes Roy, & que les Roys ne reçoiuent pas au poids
les presens qui leurs sont faits : mais qu’ils ont égard
seulement à la volonté de ceux qui les offrent. Vn
peu d’eau froide presentée de la main d’vn pauure
homme, à vn Prince Persan, luy tint lieu des plus
rares dons qu’il eut pu faire. Cela est de la bonté, &
de la grandeur des Roys, de n’auoir pas moins en
gré les petits presents, que d’en donner de grands.
Le Legislateur Lacedemonien, eut sans doute
égard à cela, quand il ordonna les Sacrifices de la
moindre depence qu’il pût, afin, disoit-il, que ses
Citoyens eussent tousiours, & en tous lieux, moyen
d’honnorer promptement les Dieu de ce qu’ils
auoient en leur puissances, sçachant bien que Dieu
n’a que faire des biens de l’homme, & qu’il se contente
d’vne simple reconnoissance de ceux qu’il
luy fait.

L’application SIRE, se peut faire aux Souuerains,

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car puis qu’ils representent en la terre la Diuinité,
& qu’ils ont en main sa puissance, inutillement
voudroit-ils de leurs peuples, des reconnoissances
exquises, eux & leurs biens, leur étans assujettis.

 

C’est donc à vous, SIRE, qui ne ceddez, ny en
bonté, ny en grandeur à quelqu’autre Prince que
ce soit, de vous contenter de ce que nous pouuons ;
puis que le pouuoir de faire dauantage nous est ôté
par les obligations naturelles que nous vous auõs.
Combien de grands Princes en leurs dons, ont ils
esté payez, ou de refus, ou d’ingratitudes ? Toutes
les Histoires sont pleines de ces exemples. Tant de
grands biens, tant de belles charges, tant de priuileges
octroyez à tant de Seigneurs, à tant de particuliers,
& à tant de villes, ont esté recompensées
de rebellions, de reuoltes, de des obeissance, que
nous n’en pouuons pas d’autre ; puisque le party
des nouueaux reformez, nous en ont autrefois
donné de si amples témoignages ? differens de ces
rebelles, nous receuons vos gratifications auec allegresse ;
estans bien certains qu’à celles que vous
nous faites, il n’y a point de fraude, ny de dissimulation,
quelque mauuais bruit que les factieux en
aye fait courir au contraire, qu’elles sont pures &
simples, & que comme nostre pere commun, vous
ne voudriez pas donner à vos enfans des serpens,
ou des pierres pour du pain.

La paix que vous nous auez donné, l’a esté en vn
temps merueilleusement à propos, veu la necessité
publique, & la particuliere de chacun de vos

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Si nous considerons la publique, nous y verrons
vôtre état aux abois pres de sa fin, & sans ressentiment
de son mal. Ceux entre les mains de qui vostre
Majesté auoit commis la guerison de vostre
Royaume, étoient d’opinions contraires, soit en
la qualité du mal, soit en la forme de le traiter, &
tous prests d’en venir aux mains pour maintenir
l’authorité de leurs remedes. Toutes les fonctions
ordinaires de ce puissant Etat estoient déreglées,
il n’auoit point de forces en son corps, point de
sang en ses veines, point d’intelligences en ses
membres, & ses parties nobles étoient tellement
interressées & discordantes, que les offices qui leur
étoient propres, ne seruoient plus qu’au desordre
& à la confusion.

 

Si nous regardons à la necessité particuliere de
vos suiets, les grandes ruynes qu’ils auoient souffertes,
& pendant le long orage des guerres ciuiles
des Huguenots, & durant le temps des estrangers,
que feu le Roy vostre pere a tousiours eû sur les
bras, les auoit tellement abatus qu’à peine s’en
pouuoient ils releuer ; si bien que le moindre
chocq étoit capable de les renuerser derechef, &
comme les recheuttes sont bien souuent plus dangereuses
que les maladies, ils estoient en hazard de
succomber tous sous le faix de cette nouuelle charge.
Le desordre fut telle dans les trouppes, & le degats
des biens trouuez en nature, fut si extreme,
que la necessité mesme, les eust contraintes à vne
plus grande confusion, qui nous eût sans doute

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ietté dans vne disette & cruelle famine, d’autant
plus grande, qu’il ne se fût rien trouué l’année suiuante,
ny dans nos greniers, ny sur nos terres, que
la rigueur de la guerre nous eût empesché de cultiuer.

 

Dés que vostre Maiesté a eu reconnu nostre mal,
& prononcé sur iceluy, l’Arrest de nostre guerison,
nous auons ressenty du soulagement, qui nous a
fait de telle sorte oublier nos douleurs passées,
qu’elles nous sont demeurées comme vn songe,
bien qu’effroyable à son entrée : mais neantmoins
tout plein de contentement en son issuë. Quel plus
grand plaisir nous pouuoit-il arriuer, que l’échange
de vie que nous faisons ? naguere nous étions
captifs, & resserrez dans vostre ville, sans oser qu’auec
peril, ou de la vie, ou de perte de biens, en
éloigner les enceintes de cent pas, & maintenant
nous sommes libres, d’aller, de venir, de seiourner
seuls, en compagnie, sans crainte, ny sans apprehension,
dans les villes, aux champs, & par tout
où la necessité de nos affaires nous conuie. Nous
auons veu nos maisons champestres exposées à la
rage de gens inconnus, & maintenant nous les
voyons repeuplées de leurs habitans. Nos terres
étoient abandonnées comme desertes, nous les
cultiuons auiourd’huy, nous attendions le degats
de nos moissons, & nous les couppons à cette heure,
& nous les serrons.

Voyla, SIRE, les fruits agreables de vos benefices,
& du soin que vous auez eû de nous : Mais si

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nous vous en sçauons gré, à l’égard du temps, nous
vous admirons veu les autres circonstances de vostre
vie, déja toute remplie de merueille, & dont il
est impossible qu’il puisse me dispenser de dire
quelque chose : de son commancement, puisque
l’occasion s’en presente si fauorable.

 

Auant que de traiter de cette matiere, i’estime
qu’il n’est pas iniuste, & que vostre Maiesté ne le
trouuera pas desagreable, qu’ayant à parler de vos
ieunes ans, ie die auant quelque chose de la maladie,
& de la mort du feu Roy vostre pere, affin que
de son tombeau, ie vous fasse voir assis dans son
trône, comme son digne, & legitime successeur.

Le point le plus estimé de la doctrine de Platon,
fondé dans la Politique, est lors que les affections
des Princes se retirent des affaires de la terre, &
que leur ame se détache peu à peu des liens du
corps, elle paroist plus Diuine, & porte ses pensées
au delà de leur assiette ordinaire.

Cela s’est remarqué dans les accez plus violens
de la maladie du feu Roy Louys XIII. de memoire
immortelle. Il tomba malade le 21. Feurier de l’année
1643. & bien que quelques bons interualles de
relasche, ioints au grand desir que toute la France
auoit de sa guerison entiere, l’eussent fait croire,
si est ce que son mal s’augmenta le 19. Mars, de
telle sorte que sa pieté le couuia de penser à la fragilité
de la vie humaine. Lors qu’il connut que
Dieu frappoit à sa porte pour l’appeller à soy son
premier soin fut d’auoir recours aux armes, auec

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lesquelles les Chrestiens combattent en cet affreux
passage, le dernier de la vie, & le premier de
l’Eternité, à prendre le baton en main, sur le quel il
faut estre appuyé, pour passer l’impetueux torrent
de la mort.

 

A la suitte de ses maux, il desira que vous, SIRE,
qui estiez de ce temps nostre Dauphin, fussiez Baptisé ;
ce qui fut executé le 21. du mois d’Auril, sur
les 4. à 5. heures apres midy, auec toutes les ceremonies
Royales, dont l’on a accoustumé d’vser, en
vne si haute & si cellebre action, & vous futes nommé
Louys, selon l’intention du feu Roy vostre
pere. Le mesme iour du Baptesme de vostre Majesté,
le Mareschal de Bassompierre sortit de la Bastille,
fut reçeu à baiser les mains de feu Louys
XIII.

Le 22. le Roy se trouuant affoibly par la grandeur
& continuation de sa maladie, se confessa &
communia, en laquelle action il ne monstra pas
moins de preuoyance, qu’en toutes les autres
actions de sa vie. La Reyne, & vous, SIRE, & le
Duc d’Anjou, receûtes la benediction de sa Maiesté,
& la Piete de ce Primat fut telle, qu’elle exhorta
les Mareschaux de la Force, & de Chastillon, à
reconnoistre qu’il n’y auoit qu’vne Religion en laquelle
on pouuoit estre sauué, qui estoit la Catholique,
Apostolique & Romaine.

L’apresdinée le Duc de Vandosme s’estans mis
à genoux pres du Roy, receut auec la Duchesse
d’Elbœuf, sa sœur, & ses enfans, la benedicton de

-- 21 --

sa Maiesté. Le 23. Auril à 6. heures & demie du matin,
ce Prince reçeut l’Extreme Onction.

 

Le mesme iour, le Mareschal de Vitri fut aussi
reçeu du Roy, comme l’auoit esté auparauant le
Mareschal d’Estrée.

Le 24. Auril, ce Monarque fut exempt de l’accez,
& redoublement qui luy étoit arriué les iours
precedens, sur les 10. à 11. heures du matin, & cela
fit bien augurer de sa santé. Le 25. l’amandement
de sa maladie continua, & ce fut lors qu’il resolut
de faire couronner la Reyne, sa chere épouse, auant
que de mourir.

La crise de la maladie redoublant au Roy, à
quelques iours de là, empescha l’execution de sa
Royale intention, de combler la gloire de la Reyne,
par celle de son sacre. Pour gage neantmoins
de son amitié, & de l’Etat qu’il faisoit de son merite,
le 10. de May, declara en la presence de Monseigneur
le Duc d’Orleans son frere vnique, de
Monseigneur le Prince de Condé, autres Princes
& Officiers de la Couronne, qui estoient pres de sa
Maiesté, que sa volonté estoit telle, qu’elle fût
Regente, pour apres que Dieu auroit disposé de
luy, prendre en main le gouuernement de l’Etat,
& le soin de la nourriture, & education de vous,
SIRE, leur Dauphin, & de Monseigneur le Duc
d’Anjou vostre frere : en suitte dequoy, il voulut
que son Altesse Royale luy protestat de demeurer
inseparablement vny auec la Reyne, & l’aydast au
gouuernement de l’Etat, & de ses affaires, de ses

-- 22 --

bons auis, & conseils, ce qu’il fit, & d’employer sa
personne & son authorité, pour maintenir celle de
la Reyne, en cette auguste qualité de Regente, &
accroistre la gloire & la splendeur de cette Couronne.

 

Le 14. de May la parole manqua au Roy à vne
heure & demie apres midy ; depuis lequel temps,
les Euesques de Lizieux & de Meaux, luy continuant
des admonitions Chrestiennes, que le Roy
témoignoit par signes bien entendre vn quart
d’heure durant. Il demeura encore demie heure
auant que d’expirer, comme il fit fort doucement
entre les bras de ces deux Prelats, de son pere confesseur,
& du pere Vincent. Ainsi ce bon Prince
mourut sur les deux heures & vn quart apres midy,
du 14. May 1643. (iour auquel le feu Roy, Henry le
Grand, que Dieu absolue, passa de cette vie en l’aute)
l’an quarante-deuxiesme, 7. mois vingt-quatre
iours de son aage, & le ving troisiesme de son Regne,
au iour de l’Assension de nostre Sauueur au
Ciel.

Dés que le Roy fut decedé, la Reyne Regente
accompagnée de Monseigneur le Duc d’Orleans,
du Prince de Condé, & des autres Princes, Princesses,
Ducs, Pairs, Mareschaux de France, & autres
Officiers de la Couronne, qui se trouuerent
pres de sa Maiesté en grand nombre, fut conduite
du Chasteau-neuf de S. Germain au vieil, passant
par la Chapelle, où elle & toute la Cour, fondant
en larmes, firent leurs prieres, pour l’ame de ce

-- 23 --

grand Roy, & se rendit en son ancien appartement,
où vostre Majesté apresent regnante, vous
trouuastes, & entre les mains duquel la Reyne
Regente vostre mere, presenta le Prince de Condé,
qui vous presta le serment de Grand-Maistre
de France, auec ordre qu’il reçeut, d’ordonner
de tout ce qui concernoit la pompe funebre du
Roy deffunt.

 

Le lendemain du trepas de ce grand Prince,
Monsieur le Duc d’Orleans, Monsieur le Prince
de Condé, & toute la Cour, sestant rendus pres
la Reyne, sa Majesté vous emmena à Paris, SIRE,
& Monsieur le Duc d’Anjou.

Le Samedy 16. May, les compagnies Souueraines,
& le Corps de ville, furent saluër vos Maiestez
au Louure. Ainsi SIRE, à cinq ans vous commençastes
à regner parmy les triomphes & les victoires,
comme vainqueur de vos ennemis : mais
quelle merueille ne doit point aussi se promettre
sous le Regne d’vn Prince de Dieu-Donné ?

Comme il arriue quelquefois que la mort des
Roys, en vn Royaume, est suiuie de la ialousie
du gouuernement, lors principalement que le
Roy successeur est mineur, & qu’il est necessaire
qu’il y ait vn Regent qui conduise les affaires, lequel
estant éleu, rencontre souuentefois des esprits
de diuers humeurs, qui ne peuuent gouter
le gouuernement d’vn Regent, comme ils feroient
d’vn Roy majeur, dont le commandement
est absolu. Les ennemis de la France se sont persuadez,

-- 24 --

qu’apres la mort du Roy Louys le Iuste,
le Royaume n’ayant qu’vn Roy aagé de cinq ans,
que l’Estat seroit troublé par quelques Princes,
qui desireroient d’auoir la meilleure part au gouuernement,
& sur ce foible fondement, ils protesterent
que la France étant reduite en cét estat,
ils auroient moyen d’attaquer nos frontieres,
sains craindre aucune puissance capable de s’opposer
à leur dessein.

 

Ce fut la resolution que les Ministres d’Espagne,
qui gouuernent les Pays-Bas prirent : mais
à leur ruine, & à leur honte, de nous faire la guerre
sur la frontiere, pour surprendre quelque place,
qui leur donnast entrée en quelqu’vne de nos
Prouinces, sans crainte d’en estre empeschez. Ils
ont reconnu à leurs despens, que nos Princes
sont trop bien nez pour vouloir troubler vostre
Regne, SIRE, quoy qu’en bas aage. Au contrai-
ayant tous franchement contribué à ce que la
Reyne fut Regente, ils ont témoigné de n’auoir
de plus grande passion, que de maintenir le seruice
de vos Majestez, dans le repos du Royaume,
selon les protestations solemnelles qu’ils en
auoient faites au feu Roy, & qu’ils renouuellerent
à la Reyne. Ainsi nos ennemis s’abusans en
leur calcul, éprouuerent fraichement, par la bataille
gaignée sur eux à Rocroy, que la France n’a
pas moins de forces pour se deffendre, qu’elle en
a pour assaillir. Elle a fait voir deux grands Princes,
le Duc d’Orleans & le Duc d’Anguin, employer

-- 25 --

trois campagnes à les battre dans leur propre
pays, sans leur donner moyen de se reconnoistre,
& moins encore de nous attaquer. Monsieur
le Duc d’Orleans en Flandre, Monsieur le
Duc d’Anguien en Allemagne.

 

Quoy que le feu Roy, que Dieu absolue, SIRE,
eût declaré la Reyne Regente, pour prendre le
gouuernement de l’Etat, dés son viuant, & apres
sa mort, neantmoins il fallut suiure l’ordre obserué
de tout temps en France, durant le bas aage de
nos Roys, de declarer par acte solemnel les Reynes,
leurs meres Regentes ; c’est pourquoy dés le
Samedy 16. May, l’ordre fut donné au Parlement,
afin de preparer toute chose pour receuoir vostre
Majesté dans vostre premiere Sceance, en vostre
Lit de Iustice.

Le Lundy 18. May, les Capitaines de vos gardes,
par ordre de la Reyne, furent au Palais dés
les 5. heures du matin, où ils se saisirent des portes,
& incontinent apres, les compagnies du Regiment
des Gardes se rangerent aux portes du
Palais, dans la court, & sur les degrez qui conduisent
à la Sainte Chappelle, sur les 7. à 8. heures,
Monsieur le Duc d’Orleans y arriua en litiere,
& Monsieur le Chancelier, accompagné de
Monsieur Boutellier, Sur-Intendant des Finances,
de plusieurs Conseillers d’Etat & Maistres
des Requestes, y furent en suitte, mondit Sieur
le Chancelier y fut reçeu de la part de la Cour,

-- 26 --

auec l’honneur deu à sa qualité, & chacun ayant
pris sa sceance, l’ordre fut tel.

 

L’on vid s’asseoir à vos pieds, SIRE, le Duc de
Chevreuse grand Chambellan, & plus bas, sur le
degré par lequel on descend dans le Parquet,
étoit assis le Preuost de Paris. Deuant vostre Majesté
au dedans du Parquet étoient à genoux, &
nuës testes, les Huissiers de la Chambre, portans
chacun en main vne masse d’argent doré ; en la
chaire qui étoit à vos pieds, où le Greffier en chef
est lors que l’on tient l’audience, couuerte du tapis
du siege Royal, étoit Monsieur Seguier Chancelier,
vétu d’vne robe de violet, doublée de Satin
cramoisy, ayant le cordon bleu, comme Garde
des Sceaux de l’ordre du S. Esprit. Sur le banc
où sont les gens du Roy, durant l’audiance, Messieurs
les Presidens Mollé premier, Potier, de
Mémes, de Bailleul, de Bellieure, de Longueil.
Sur vn autre forme les Secretaires d’Etat, Philipeaux,
de Guenegaux & le Tellier. Sur les Sieges
du premier Barreau d’aupres la Lanterne de la
cheminée, Messieurs Omer Talon, Aduocat du
Roy, Meliand Procureur General, Briquet second
Aduocat du Roy.

Aux hauts sieges à main droite de vostre Majesté,
vne place entre-deux la Reyne, en suitte le
Duc d’Orleans, vostre oncle, le Prince de Condé,
premier Prince du sang, le Prince de Conty,
son fils, le Duc de Vandôme, le Duc d’Vsez, le

-- 27 --

Duc de Vantadour, le Duc de Sully, le Duc de
l’Esdigueres, le Duc de la Roche-Foucaut, le Duc
de la Force. Les Mareschaux de France, le Mareschal
de Bassompiere, le Mareschal de Chastillon,
le Mareschal de Guiche. L’Archeuesque de Paris
étoit assis sur le banc des Conseillers de la grande
chambre ; l’Euesque de Senlis, sur vn autre
banc. La Princesse de Condé, la Duchesse de
Longueuille, Mademoiselle de Vandôme auec
voyles de grand dueil. Monsieur Boutellier Sur-Intendant
des Finances, les Conseilliers d’Etat,
& Maistres des Requestes en robbes de satin, sur
vn banc dans le Parquet.

 

Aux haut sieges à gauche, étoit l’Euesque de
Beauuais Comte & Pair de France, sur les sieges
des Barreaux étoient places les Presidens & Conseillers
des Enquestes, & Requestes du Palais.

A costé dans le Parquet, au Bureau où se fait
la lecture de vos Edits & Declarations, au deuant
vn Bureau semé de Fleurs de Lys, se voyoit le
Greffier en chef, reuetu de son Epitoge & manteau
fourré, auec le principal commis.

Ce jour la Cour, toutes les Chambres assemblées
en robes & chapperons d’écarlates, Messieurs
les Presidens reuétus de leurs manteaux, &
tenans leur mortier, attendoient vostre Maiesté
selon son ordre, les Capitaines de vos gardes, saisis
des huits du Parlement, sur les huit heures du

-- 28 --

matin, ayant eu auis de l’arriuée de Monsieur le
Duc d’Orleans, a Deputé pour l’aller receuoir à
moitié de la grande salle du Palais. Monsieur le
Chancelier, suiuy de plusieurs Conseillers d’Etat
& Maistres des Requestes, vint à neuf heures
prendre place au dessus du premier President.
Sur les neuf heures & demie, vint vn exempt vers
la Cour, l’auertir de vostre arriuée, & de celle de
la Reyne mere à la Sainte Chapelle. Le Parlement
deputa lors des Presidens & des Conseillers,
qui allerent receuoir vos Majestez, & vous
fustes porté dans vostre Lit de Iustice, par le Duc
de Chevreuse, grand Chambellan, & le Comte
de Charrost, Capitaine de vos gardes, étant vétu
d’vne robbe violette, ayant à vostre main droite
la Reyne vostre mere.

 

Ce que vostre Maiesté dit, SIRE, ce fut qu’elle
estoit venuë pour témoigner au Parlement sa
bonne volonté, & que Monsieur le Chancelier
diroit le reste.

Voicy ce que la Reyne dit en suitte. Messieurs,
la mort du deffunt Roy, mon Seigneur, quoy
qu’elle ne m’ait pas surprise, à cause de la longueur
de sa maladie, m’a neantmoins tellement
surchargée de douleur, que iusques à present ie
me suis trouuée in capable de consolation, & de
conseil. Encore que les affaires du Royaume
desirent vn soin continuel pour satisfaite au dedans,
& pouruoir dehors, mon affliction a esté

-- 29 --

si grande, qu’elle m’a osté toutes sortes de pensées
de ce que i’auois à faire, iusques à ce qu’au
dernier iour, vos deputez ayans salüé le Roy,
Monsieur mon fils, & fait leur protestation de fidelité,
& d’obeïssance, ils le supplierent de venir
tenir son Lit de Iustice, & prendre la place de ses
Ancestres, laquelle il considere comme vne des
marques de la Royauté. Ce que i’ay voulu faire
auiourd’huy, pour témoigner à cette Compagnie,
qu’en toutes sortes d’occasions, ie seray
bien aise de me seruir de vos conseils, que ie vous
prie de donner au Roy, Monsieur mon fils, & à
moy, tels que vous le iugerez en vos consciences
pour le bien de l’Etat.

 

A l’instant le Duc d’Orleans vostre Oncle,
SIRE, prenant la parole, & l’addressant à la Reyne,
luy a témoigné la satisfaction que tout le
Royaume deuoit auoir de son procedé, que dés
Samedy dernier, en la presence des deputez du
Parlement, il s’estoit expliqué & auoit dit que
l’honneur tout entier étoit deu, non seulement à
sa condition de mere de Roy : mais aussi à son merite,
& à sa vertu, & que la Regence luy ayant eté
defferée par la volonté du feu Roy, & par le consentement
de tous les grands du Royaume, & depuis
verifiée en cette Cour, il ne desiroit autre
part dans les affaires que celle qu’il luy plairoit
luy donner, & ne pretendoit aucun auantage de
toutes les clauses particulieres.

-- 30 --

Le Prince de Condé, premier Prince du Sang
a approuué la generosité du Duc d’Orleans, qu’il
a témoignée estre non seulement vtile : mais necessaire
pour le bien & gouuernement de l’Etat,
dans lequel les affaires ne succedent iamais bien
quand l’authorité est partagé, declarant qu’il est
de mesme sentiment, ainsi que desia il l’auoit fait
entendre aux deputez du Parlement, lors qu’ils
saluërent vostre Majesté, au dernier iour dans
le Louure.

Apres quoy le Sieur Chancelier se leua de sa
place, & ayant monté vers vostre Majesté, & mis
le genoüil en terre, pour receuoir le commandement
de parler, retourna en sa place, & addressant
sa voix à la compagnie, il dit,

MESSIEVRS, Si la plus grande marque de la
colere de Dieu, contre vn peuple, est de luy donner
vn mauuais Prince, celle-là, sans doute, n’est
pas guere moindre de luy en ôter vn extremement
bon. Quand ie songe à la perte que la France
vient de faire, & cét accident qui luy a rauy son
Prince, cette pensée remplit auec raison, mon
esprit d’estonnement, & mon cœur d’vne douleur
sans mesure. Ce Prince qui faisoit trembler
il y a huict iours toute l’Europe sous sa puissance,
qui soûtenoit la grandeur de cette Monarchie,
n’est plus : ce preux & inuincible Monarque, qui
a esté tant aymé de Dieu, qui l’a rendu la merueille
des Roys, l’instrument de ses graces pour la

-- 31 --

France, a esté enleué par la mort, & par cette
mesme main qui le faisoit regner si glorieusement,
& en vn temps auquel il sembloit estre si
necessaire à l’Etat, au moment qu’il étoit prest de
donner la perfection à ce grand ouurage de la
Paix, & de faire ioüir ses peuples de tous ses trauaux.
Il y auroit grand suiet de croire que nos pechez
l’ont rauy, si l’on ne pouuoit encore plus iustement
croire que Dieu n’a pas voulu laisser
plus long-temps ce Prince si religieux sur la terre,
& qu’il la voulu tirer dans le Ciel, pour recompenser
sa piéte, par vn échange auantageux
d’vne couronne temporelle, à celle de l’immortalité :
mais si Dieu nous a voulu abbatre d’vne
main, & plonger dans des excez de douleur, il
nous a releué de l’autre, en nous donnant en la
place du feu Roy, vn Prince, qui sera digne successeur
de la Couronne & de la gloire de son
Pere.

 

Il sera éleué sous le soin de cette grande Princesse
sa mere, qui sçaura bien cultiuer les semences
des vertus, que la nature a mises en luy ; elle
formera son enfance, & le cours de sa ieunesse
par de si beaux enseignemens, que chacun
connoistra, qu’aux Princes bien nourris, &
bien instruits, la vertu n’est point attachée aux
années. La Reyne apporte tant de grandes qualitez,
& de si grandes & si éminentes vertus, au
gouuernement qu’elle prend du Roy son fils, &

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du Royaume, qu’elle rendra le iugement du Roy
deffunt glorieux, & les effets qui en naistront, seconderont,
ou plustost surmonteront l’attente
publique, sa pieté attirera sur l’Etat, les benedictions
du Ciel, Dieu fortifiera son cœur, l’assistera
de son esprit, benira ses desseins en la conduite
du Royaume, & parmy l’amertume de ses larmes,
luy donnera cette consolation, de voire renaistre
le deffunt Roy, en la personne du Roy son
fils. Elle le verra croistre heureusement, & saintement,
sous les sages instructions, & son regne,
qui commencera par l’innocence de son aage,
sera vn Regne de Pieté, de Iustice & de Paix.
Nous auons donc tous sujet de desirer que cette
grande Princesse prenne la Regence en main,
pour la conduite & gouuernement de cette Monarchie :
mais auec cette puissance, & liberté entiere,
sagement proposée par Monsieur, oncle
du Roy, qui est secondé de l’auis de Monsieur le
Prince de Condé, premier Prince du Sang.

 

L’authorité de cette vertueuse & sage Princesse,
ne sçauroit étre trop grande ; puis qu’elle se
trouue entre les mains de la vertu mesme ; c’est
le bon heur des Monarchies, que ceux qui les
commandent soient tous libres, quand ils sont
tous bien faisans. Sa sage & genereuse conduite
fera voir qu’elle est digne Epouse de ce grand
Prince, que nous auons perdu, mere du Roy, &
Regente de la premiere Monarchie de l’Europe.

-- 33 --

Et apres ces paroles se tournant vers les Gens
du Roy, & les excitant de parler, Mons. Omer
Talon Aduocat de vostre Maiesté, luy parla de
cette sorte.

SIRE, vostre Maiesté séante la premiere fois
en son lit de Iustice, assistée de la Reyne sa mere,
de Mons. le Duc d’Orleans son oncle, de Messieurs
les Princes de son sang, & de tous les officiers
de la Couronne, prenant possession publique
du Trône de ses ancestres, fait connoistre à
tous les peuples, que la sagesse, & la bonne conduite
des Princes, que l’Ecriture appelle le lien,
& la ceinture de la Royauté, ne consiste pas seulement
dans vne puissance absoluë, & vne autorité
souueraine, auec laquelle l’on les conseille de
se faire craindre & obeïr : mais dans vne lumiere
& Majesté qui les enuironne, que Dieu leur communique,
capable de produire du respect, & de
l’amour dans leurs sujets, imprimant vne particuliere
grace, & veneration dans toutes leurs
actions : c’est vne onction secrette, vn caractere
qui les distingue du reste des hommes, qui charmes
nos esprits, & flattes nos affections. Car bien
que la Prouidence du Ciel, n’ait point de difference,
ny de degrez dans elle meme, estant infinie
& sans mesure, elle parroist pourtant inegale
dans les effets plus grands à l’endroit des Rois,
qu’elle n’est dans l’esprit des particuliers. Que si
la pensée de Sinesius est raisonnable, que nous

-- 34 --

pouuons comparer le soin que Dieu prend des
Royaumes, du mouuement exterieur, qui en
produit dans vne rouë qui tourne aussi long-temps
que dure la violence de l’action qu’elle a
receuë : mais a besoin d’vne nouuelle agitation
pour commencer vn nouueau trauail, les Princes
Souuerains qui sont établis sur la terre, pour
le gouuernement des peuples, reçoiuent tout à
coup de la main de Dieu, les lumieres & les connoissances
necessaires, pour la conduite de leurs
Estats, lesquelles s’eteignent par le deceds de celuy
auquel elles sont communiquées. Ainsi le
Genie de la France, s’est reserué auec nostre Prince,
& apres auoir esté assis trente-trois années,
sur le Trône des fleurs de Lys, aussi long-temps
que Dauid regna sur tout Israël, sa Iustice, sa Pieté
& sa bonne fortune, nous ont abandonné au
mesme moment qu’ils nous auoient esté données,
semblable à Auguste, qui mourut le mesme
iour qu’il auoit esté appellé à l’Empire. Que nous
serions mal heureux dans vne desolation, & vne
iuste crainte de toutes sortes de facheux éuenemens,
si nous n’estions asseurez que l’Ange Protecteur
du Royaume obtiendra de la bonté Diuine
vne nouuelle influence, vne vertu particuliere,
vne assistance fauorable pour fortifier auec
l’âge le cœur de vostre Maiesté, luy donnant des
inclinations genereuses, & des mouuemens de
iustice dans son temps, pour la conseruation de

-- 35 --

ses peuples, & quand & quand inspirer les conseils,
& les resolutions necessaires à la Reyne vostre
mere, adiouster à sa vertu & aux inclinations
naturelles qu’elle a tousiours eû, de faire bien à
tout le monde, l’esprit du gouuernement pour
essuyer ses larmes, & dans l’excez de sa douleur,
s’appliquer aux soins des affaires, & au soulagement
du pauure peuple, qui sont les excez veritables
de la Pieté dont elle a tousiours fait profession.

 

Ce sont, SIRE, les souhaits de tous les ordres
de vostre Royaume, lesquels prosternez deuant
le Siege de vostre Majesté, qui vous represente le
Trône de Dieu viuãt, la supplient de considerer,
que l’honneur & le respect qu’ils luy rendent,
comme à vne Diuinité visible, n’est pas seulement
le témoignage de leur obeïssance : mais la
marque de la dignité Royale, qui est à dire en
effet, la maniere dont elle se doit conduire à l’endroit
de ses sujets, qui reclament sa protection.

Nous souhaitons, SIRE, à vostre Majesté, auec
la Couronne de ses ancestres, l’heritage de leurs
vertus, la Clemence, & la Debonnaireté du Roy
Henry le Grand vostre ayeul, la Pieté, la Iustice,
& la Religion du deffunt Roy vostre pere, que
vos armes soyent victorieuses, & inuincibles :
mais outre ces titres magnifiques, les qualitez
d’Auguste & de Conquerant. Soyez, SIRE, dans
vos ieunes années, le Pere des peuples, & donnant

-- 36 --

à la France ce qui vaut mieux que des victoires,
puissiez vous estre le Prince de la Paix. Au
milieu de ces vœux & de ses esperances, receuez,
SIRE, s’il vous plaist, toutes les benedictions du
Ciel, & les acclamations publiques de la terre.
Quant à nous, SIRE, qui comme vos gens, &
plus particuliers Officiers, n’auons ny pensées,
ny paroles, qui ne soient toutes Royales, & qui
n’aboutissent au seruice de vostre Majesté : mais
la supplions les genoux en terre, & les mains iointes ;
d’aimer son Parlement, dans lequel reside le
dépost sacré de la Iustice, l’image de la fidelité &
de l’obeïssance la plus parfaite, & de vouloir considerer,
que Dieu se dispence ordinairement des
ordres ordinaires de la nature, bien qu’il en soit
l’autheur. Les Souuerains qui donnent à Dieu,
ce que nous deuons à leurs personnes, le conte de
nos actions, sont obligez d’estre infiniment retenus
dans toutes sortes de nouueautez, contraires
aux loix anciennes, & ordinaires de l’Etat, qui
sont les fondemens de la Monarchie ; leur reputation
y est engagée, dans l’esprit de leurs peuples,
& l’estime des estrangers. Permettez nous,
SIRE, d’adresser dans ce moment nôtre voix à la
Reyne vostre mere, & de luy faire la mesme supplication,
de vouloir insinüer ces pensées à vôtre
Majesté, dans vos plus ieunes années, & l’éleuer
dans ces inclinations de bonté pour les peuples :
nous l’en conjurõs par tous les ordres du Royaume,

-- 37 --

par les sentimens de sa Pieté, par le titre auguste
de Regente, duquel elle prend auiourd’huy
possession toute libre, pour le bien de l’Estat,
pour maintenir par authorité l’vnion dans le
Royaume, effacer toutes sortes de ialousies, de
factions, & de partis, qui naissent facilement
quand la puissance est diuisée.

 

Nous honorons la generosité & la preuoyance
de nos Princes, & les remercions au nom de
l’Etat, de la bonté qu’ils ont euë, de renoncer à
toutes les clauses de la derniere Declaration, que
la necessité du temps auoit établies, que nous
auons consenties auec douleur, & que l’obeissance
seule du Parlement auoit verifiée. Cette confiance
publique, obligea cette Princesse de redoubler
ses soins, pour satisfaire aux esperances,
que toute la France a conçeu de son gouuernement,
qui comblera Monsieur le Duc d’Orleans,
& Monsieur le Prince de Condé, premier Prince
du sang, de toutes sortes de benedictions, d’auoir
preferé le salut de l’Etat, aux auantages particuliers
que cette Declaration leur donnoit en apparence.
Ainsi faisant reflexion sur ce silence public,
que nos paroles ne meritent pas : mais la
matiere que nous traittons ; nous requerans pour
le Roy, que la Reyne sa mere soit declarée Regente
dans le Royaume, conformement à la volonté
du Roy deffunt, pour auoir le soin de l’education
de la personne de sa Maiesté, & l’administration

-- 38 --

entiere des affaires, pendant sa minorité.
Que le Duc d’Orleans son oncle soit Lieutenant
general dans toutes les Prouinces du Royaume,
sous l’authorisé de la Reyne, & chef des Conseils
sous la mesme authorité, & en son absence le
Prince de Condé, premier Prince du sang ; demeurant
au pouuoir de la Reyne, de faire choix
de telles personnes que bon luy semblera, pour
deliberer ausdits Conseils, sur les affaires qui leur
seront proposées, sans estre obligée de suiure la
pluralité des voix.

 

Apres quoy ledit Sieur Chancelier remonta
vers vous, SIRE, & mit le genoüil en terre pour
prendre vostre auis par la bouche de ladite Reyne,
qui s’excusa de dire son sentiment, n’en ayant
point d’autre, que la resolution qui seroit prise
par la Compagnie. De sorte que le Sieur Chancelier
estant retourné en sa place ordinaire, & demandé
les auis ; le Duc d’Orleans dit, qu’il desiroit
que l’authorité demeurast toute entiere à la
Reyne, conformement aux conclusions des
Gens du Roy. Ce qui fut suiuy par le Prince de
Condé, premier Prince du sang, ajoustant à son
auis, que les merites, & les vertus de la Reyne, ne
pouuant estre dissimulez, l’on deuoit attendre
de son gouuernement, toute sorte de bonne conduite,
& par consequent de bon-heur dans le
Royaume, declarant qu’il est de l’auis des conclusions ;
le Prince de Conty, Prince du sang, fut

-- 39 --

de mesme auis, & en suitte l’Euesque de Beauuais,
Pair de France, & les autres Ducs, Pairs, &
Mareschaux de France, ayant esté de mesme auis,
Monsieur le Chancelier ayant demandé les oppinions
à tous les Messieurs du Parlement, & aucuns
de Messieurs du Conseil, en suitte à Messieurs
les Presidens, qui ont tous esté de mesme
opinion, ledit Sieur Chancelier remonta vers
vostre Majesté, à laquelle ayant fait la reuerence,
& pris la permission de prononcer selon les auis,
il retourna en sa place, & prononça l’Arrest qui
ensuit.

 

Le Roy séant en son lit de Iustice, en la presence,
& par l’auis du Duc d’Orleans son Oncle, de
son cousin le Prince de Condé, du Prince de Cõty,
aussi Prince du sang, & autres Princes, Prelats,
Pairs, & Officiers de la Couronne, oüy, &
ce requerant son Procureur General. A Declaré
& declare, la Reyne sa mere Regente en France,
conformement à la volonté du deffunct Roy, son
tres-honnoré Seigneur & Pere, pour auoir le soin
de l’education, & nourriture de sa personne, &
l’administration absoluë pleine & entiere, des affaires
de son Royaume, pendant sa minorité.
Veut, & entend sadite Maiesté, que le Duc d’Orleans
son Oncle, soit Lieutenant General en toutes
les Prouinces dudit Royaume, sous l’authorité
de ladite Dame, & que sous la mesme authorité
il soit chef de ses Conseils ; en son absence son

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Cousin le Prince de Condé, demeurant au pouuoir
de ladite Dame, de faire choix de personnes
de probité & d’experience, en tel nombre qu’elle
iugera estre à propos, pour deliberer ausdits
Conseils, & donner leur auis sur les affaires qui
seront proposez, sans que neantmoins elle soit
obligée de suiure la pluralité des voix, si bon luy
semble. Ordonne Sadite Maiesté, que le present
Arrest sera leu, publié, & registré, en tous les Bailliages,
Seneschaussées, & aux Sieges Royaux de
de ce ressort, & en toutes les autres Cours de Parlemens,
& Pays de sa Souueraineté.

 

Vostre Majesté, SIRE, ayant ainsi fait cette
action si celebre, de la premiere séance au Parlement,
dans vostre Lit de Iustice, qui fut establir
la tranquillité au dedans du Royaume, il ne resta
plus qu’à veiller sur le dessein de nos ennemis au
dehors, & de preuenir la mauuaise volonté qu’ils
auoient, de ietter la guerre en nos Prouinces.

Qui est-ce qui n’admirera en ce rencontre les
merueilles de la Prouidence Diuine, qui d’vn
soin continuel, veille pour nostre repos ; Vostre
ieunesse SIRE, paroissant d’abord impuissante au
soulagement de vostre peuple, parmy les allarmes
de la guerre declarée à vos ennemis, Dieu
vous voulut donner vne Reyne, si prudente & si
sage, qu’on peut dire sans flatterie, qu’elle regne
aussi absolument aux pays estrangers par la force
de sa vertu, que dans le cœur de ses suiets par la

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puissance de son authorité. Mais qui n’admirera
encore les faueurs & les graces particulieres de
cette mesme Prouidence, qui vouloit combler
de ses graces, cette parfaite Princesse, pour la
consoler en quelque sorte de ses ennuis, au commencement
de sa Regence.

 

Monsieur le Duc d’Anguin de ce temps-là, qui
est maintenant Monsieur le Prince de Condé,
ayant eu le commandement de l’armée de Picardie,
par le choix que le feu Roy en auoit fait, de
son seul mouuement, l’ayant iugé digne de cét
employ, sa fortune fut si grande, ou pour mieux
dire sa conduite si merueilleuse, qui menageant
les occasions qui s’offroient de combatre les ennemis,
prit son temps si à propos, que le iour méme
18. May, que vostre Maiesté fit sa premiere
entrée au Palais, & qu’elle s’assit sur son Lit de Iustice,
pour faire declarer la Reyne Regente, il
donna, & gagna cette importante Bataille pres
de Rocroy, ce qui fit voir dans cette action si glorieuse,
que le Ciel auoit inspire à nostre grand
Monarque de se seruit de sa valeur, pour ietter les
premiers fondemens de ce nouueau regne, auec
d’autant plus de raison, que sa mesme Maiesté
auant sa mort, fut le Prophete de cette signalée
Victoire, dans le recit qu’elle en fit à Monsieur le
Prince de Condé, pere du Vainqueur, comme si
Dieu eut permis qu’il en eust esté temoin auant
quelle eut esté gagnée.

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Si la premiere année de vostre auenement à la
Couronne, SIRE, fut heureuse & feconde en victoires
& conquestes, la seconde fut vne suitte
d’explois d’autant plus glorieux, que les armés de
vostre Maiesté furent commandées, par deux
grands & illustres Princes Monsieur le Duc
d’Orleans, & Monsieur le Duc d’Anguin au Pays
Bas, en Allemagne, & en Catalogne par Monsieur
le Mareschal de la Mothe Houdancourt.
La prise du fort de Bayette, de Graueline en Flandres,
le combat de Fribourg en Allemagne, qui
dura 8. heures ; la reddition de Spire ; celle de
Philisbourg ; de Vormes ; de Mayence & de Landau,
sont des auantages assez grands pour donner
des témoignages de vos victoires.

En fin SIRE, sans m’amuser à particulariser les
Conquestes que vous auez faites, les Batailles
que vous auez gaignées, durant les années suiuantes
de vostre Regne, ie prendray la liberté de
dire que tout a heureusement reussi à vostre Majesté,
excepté cette année que nous auons veu
toutes les forces de vostre Royaume, que l’on
croyoit estre destinées à acheuer de conquerir la
Flandre, employées à se faire la guerre, & à se detruire
elle mesme.

Vous vous pouuez ressouuenir, SIRE, que par
la Harangue que vous fit le sieur Talon, vostre
Aduocat General, lors de vostre sceance dans
vostre lict de Iustice, & que ie viens n’aguere de

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vous reciter, il coniura tres estroittement par
tous les ordres de vostre Royaume, vostre Maiesté
d’aymer vos peuples, de les soulager, & de
trauailler à leur conseruation. Ce sont vos creatures,
tout ce qu’elles ont est vostre, honorez
les donc, s’il vous plaist de vostre bien-veillance ;
& les faites desormais considerer par les personnes,
qui ont l’administration de vostre Estat. Ce
qui nous importe, SIRE, c’est qu’auec cette gloire
dont vous les comblerez d’en faire quelque
estime, vous nous appuyez la Paix que vous nous
auez donnée ; car autrement, l’iniustice, le desordre,
& l’impunité, subsistans, ce seroient autant
d’ennemis iurez de nostre repos, qui ne cesseroient
iamais, qu’ils ne nous eussent derechef
precipitez, dans ces mesmes abysmes profonds
d’où vous nous auez retirez. Qu’il ne soit ainsi,
SIRE, si au lieu de porter toutes les affaires qui
se traittent en vos conseils, à ce qui regarde le
bien, le repos, & la grandeur de l’Estat, on les faisoit
seruir à la passion, ou au profit des particulier,
ou si au lieu de la Iustice, qui doit estre le
soustien de la societé ciuile, & celle qui également
supporte le foible, ou le fort ; introduisoit
la corruption, l’authorité, ou la faueur ; ou si au
lieu de la Police, qui est l’ordre de l’administration
ciuile, ou la forme, & le reglement qui se
doit establir aux choses necessaires à la vie, on luy
opposoit la negligence, ou l’auarice ; ou si au lieu

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d’vne iuste dispensation des finances, on les
abandonnoit au degast, & à la profusion ; Pourroit-il
autrement arriuer que ce bouleuersement
d’affaires confus, n’alterast les esprits interessez,
& les portast à des extremitez perilleuses, où en
fin tout le Corps de l’Estat seroit attiré.

 

Il n’y a rien qui desesperoit tant les peuples,
SIRE, que de voir que leurs sueurs, leurs veilles,
& leurs trauaux fussent inutilement dependus ?
que le plus vermeil, & le plus liquide de leur sang,
fussent employez à l’excez, & à la profusion, que
ce qu’ils contribuënt volontiers aux necessitez
publiques, ne seruist qu’à étancher l’auarice, à
contenter la fortune, & remplir de fonds en
comble, les coffres des particuliers qui l’adorent ?
que leur industrie fust vne source, qu’on ne se lassast
iamais de puiser ? que leur indignat fust le mépris,
& leur bassesse le joüet des plus grands ? que
leurs gemissemens ne fussent pas ouïs ? qu’ils fussent
pillez, & qu’ils ne l’osassent dire ? qu’ils fussent
outragez, & qu’ils n’osassent se plaindre ? Y
a t’il rien en effet, SIRE, qui offence plus le
corps entier, Princes, Seigneurs, Officiers, Peuples,
que quand les interests des particuliers sont
preferez à la seureté publique.

Ce sont-là, SIRE, les effets que le desordre
produit dans les Estats, lors qu’on l’y laisse introduire,
desordre qui augmente à mesure qu’il roule ;
car si vne fois il y trouue place, vn autre suruient

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qui le pousse ; puis plusieurs autres, comme
vagues s’entresuiuent, iusques à ce qu’ils en ayent
ietté le Prince, & dans la necessité de toutes choses,
& dans le mespris ou la haine de ses subjets.
Cependant, SIRE, c’est de là bien souuent que
les grands prennent matiere à leur ambition ; de
là que les peuples tirent les sujets de leurs souleuemens ;
de là que les voisins prennent l’occasion
de s’estendre, & de là que toutes les maledictions
de Dieu irrité se versent sur les peuples. Car estant
autheur de l’ordre, & le Dieu de la Paix, il ne peut
souffrir qu’en leurs contraires, son nom soit prophané,
sa gloire vilipendée, son seruice méprisé,
& sa volonté aneantie sur la terre.

 

Ce n’est donc pas sans raison, SIRE, si les plus
sages Politiques qui furent iamais, d’vn commun
accord, ont iugé que l’ordre, & la police, sont les
plus fermes colomnes de l’affermissement des
Estats. Dautant que le dedans estant maintenu
en harmonie, & ses fonctions reglées, ses forces
se ramassent en soy, & s’vnissent, qui les rend plus
fermes, & plus disposées pour s’opposer aux accidens,
sans quoy leur seruent aussi peu toutes les
autres precautions que les sages de ce monde apportent
à leur conseruation, que d’étayer vn bâtiment
en dehors, qui tombe en ruine eminente
par les fondemens.

C’est pourquoy, SIRE, nous vous remercions
derechef, auec tous les vœux que nous

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pouuons imaginer, du bien que vous nous auez
fait en la Paix, qu’il vous a pleu espandre sur nous,
& en l’ordre que vous auez commencé d’y establir.
Nous supplions tres-humblement vostre
Maiesté, SIRE, que comme il vous a pleu bien
commencer, vous perseueriez, afin que le ressouuenir
de la misere de nostre condition passée, &
le contentement que nous esperons de vous en
la presente, nous donne sujet & occasion de
nous écrier de joye, comme fit autresfois cét ancien
Grec. Mes amis nous estions tous perdus, si nous
n’eussions esté perdus. Asseuré qu’à ce beau dessein
nous porterons volontiers & nos prieres à Dieu,
& nos cœurs, & toute l’obeïssance que vostre
Maiesté peut desirer de ses tres humbles, de ses
tres obeïssans, & de ses tres-affectionnez subjets
& seruiteurs.

 

FIN.

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Anonyme [1649], LA TRANQVILITÉ PVBLIQVE RESTABLIE A PARIS, PAR L’HEVREVX RETOVR de la Paix. ENVOYÉE DV CIEL A LA FRANCE. CONTRE LES FAVX BRVITS SEMEZ AV preiudice de l’honneur de sa Maiesté, & de la tranquilité publique. DISCOVRS MORAL ET POLITIQVE, Dedié au Roy. , françaisRéférence RIM : M0_3801. Cote locale : A_7_58.