Anonyme [1649], LA TRES-ELOQVENTE HARANGVE FVNEBRE QVI FVT PRONONCEE PAR LE P. LEON CARME, A L’ENTERREMENT DV PERE IOSEPH CAPVCIN, Fort entendu & employé aux affaires d’Estat aupres du Cardinal de Richelieu. Sacramentum Regis abscondere bonum est opera autem Dei reuelare & confiteri honorificum est. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : C_5_45.
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HARANGVE FVNEBRE
qui fut prononcée par le P. Leon Carme, à
l’enterrement du Pere Ioseph Capucin, fort
entendu & employé aux affaires d’Estat aupres
du Cardinal de Richelieu.

CE n’est pas vne piece d’eloquence
que i’entreprends auiourd’huy, mais
vn hommage que ie rends à la plus
parfaite & à la plus heureuse des
Vertus, la Charité & l’Obeissance,
Celle-là, quoy qu’infiniment estenduë,
presse mon cœur ; & celle-cy, quoy que muette
& aueugle, ouure ma bouche. La premiere veut que ie
me taise, n’ayant pas assez de force pour exprimer mes
sentimens. La seconde me commande de parler sur vn
sujet qui parle soy-mesme. Non, celuy qui est mort ne
parle plus ? si ce n’est pas m’aduertir que l’humilité de sa
profession ne peut souffrir des complimens humains, &
vous faire souuenir que les plus grands emplois de la vie
ont tousiours vne mesme fin, la mort & le tombeau.

Aussi n’est-ce pas mon dessein d’obscurcir par des
loüanges estudiées la plus belle vertu d’vn Religieux,
qui doit auoir renoncé au monde, ny de flestrir l’intention
de ceux qui me commandent, la saincteté de

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ce lieu, l’honneur de mon ministere, la deuotion de
cette Audience, & la sincerité de mes conduites, par vne
harangue vulgaire & prophane.

 

Reuerant donc comme ie dois en conscience, suiuant
mesme l’instruction de mon texte, les secrets du
cabinet & les mysteres de l’Estat, Sacramentum Regis
abscondere bonum est, ie deueloperay en peu de mots
comme i’ay eu peu de loisir, & exposeray à vos iugemens
les œuures & les graces de Dieu sur la vie Religieuse
de ce Grand Personnage, dont la memoire nous
assemble en ce lieu, selon qu’il plaira au S. Esprit m’inspirer,
apres que vous l’en aurez coniuré auec moy par
les fauorables intercessions de la Vierge, en luy disant
Aue Maria, &c.

SI l’homme est le miracle plus illustre de toutes les
choses sublunaires, nous pouuons bien dire sans
mentir qu’il y a des hommes si heureusement partagez
qu’on les doit appeller des miracles entre les miracles
mesme. Car comme dans les productions de la
Nature tous les rochers ne sont pas des diamants, toutes
les glaces ne sont pas des cristaux, ny toutes les parties
du Ciel des Soleils : De mesme, dit Herodote, tous
les hommes ne sont pas hommes, ils en ont la face,
mais non l’esprit ny le courage. Ou pour parler plus
Chrestiennement auec le docte Nazianzene, nous ne
sommes pas tous des Dieux, quoy que tous portent
egalement son image & ses couleurs.

Il y a chez Philon des hommes du Ciel, qui se sentent
tousiours de leur origine, & des hommes de la terre,

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qui ne s’esleuent iamais pardessus les bassesses de leur
naissance. Platon veut que les vns soient de plomb &
de fer, & les autres de fin or.

 

Ducti meliore metallo.

Ou si nostre condition humaine nous oblige de recognoistre
tous vn mesme berceau, c’est iustement
comme dans la Geneze, d’vne mesme matiere se font les
poissons dans l’eau, & les oyseaux du Ciel.

En effet l’experience de tous les siecles ne nous enseigne-t’elle
pas que la Nature & la Grace conspirent
quelque fois à produire des hommes plus admirables
qu’imitables, lesquels ne receuant comparaison que
d’eux-mesmes, semblent n’auoir rien de commun auec
les autres, que le visage & le nom. Vous diriez qu’ils
naissent comme les Anges pour former & pour remplit
seuls vne nouuelle espece.

Ce sont ces grandes ames, ces puissans genies, ces
forts esprits, ces hommes incomparables, chefs d’œuure
de la Nature, ouurages de plusieurs siecles, que Dieu
choisit de toute eternité, forme de sa propre main,
comble de priuileges, & par des voyes toutes cachees
destine à des employs & prepare à des fins non moins
sainctes & eminentes, que secrettes & occultes. Ie pense
pour moy, & ie suis bien fondé dans l’autorité, la raison
& l’exemple, que comme Dieu a des effets d’vne prouidence
particuliere pour ces rares personnages ; de
mesme c’est foiblesse à nos esprits de vouloir comprendre
leurs conduites, cognoistre leurs qualitez, penetrer
leurs mouuemens, & reserrer ce que Dieu fait en
eux ou par eux dans les bornes d’vne vertu commune &

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dans les limites d’vn discours ordinaire. Leur esclat
nous éblouit, ce qui paroist d’irregulier n’est qu’à nostre
esgard, & nous iugeons des contrarietez qui ne le seroient
plus si on les voyoit vnies dans le point de leurs
eminences.

 

Tel a esté sans doute en nostre siecle, celuy que la
mort a rauy à vos yeux, & dont la vie demeure enchassee
dans vos cœurs. Aussi ie ne presume pas de dresser
icy vn eloge à ses vertus, mais partageant en trois estats
la vie de ce grand homme, ma pensee est de ne m’arrester
rester precisement que sur les graces de Dieu seul, afin
de ne rien dire qui démente l’humilité de sa condition,
la reuerence de ce sainct lieu, & si ie puis la pureté de la
predication. Sacramentum regis abscondere bonum est,
opera autem Dei reuelare & confiteri honorificum est.
Mon dessein sera fauorisé par la qualité de son suiet,
& la fecondité de la matiere supléera au deffaut de
mon eloquence, i’apporte l’affection toute pure quoy
qu’interessee dans les obligations de mon Ordre : &
vous qui auez esté tesmoins de ses actions, serés iuges
de ses merites.

Mais, ô mon Dieu ! par où entâmer sa vie, sinon
par où vous mesme l’auez commencee ? & comment en
faire le partage que conformement aux loix de vostre
prouidence ?

Le sainct Pape Paschal m’ouure l’entree à ce dessein,
lors que faisant allusion à l’embleme du plus sage des
mortels, Salomon, il distingue dans le monde trois
grands chemins egallement difficilles & perilleux : Le
premier sur la terre, le second sur la mer, & le troisiesme

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dans l’air. Le premier representant la vie de ce grand
homme dãs le siecle, vous fera ressouuenir de son entree
au monde, Dieu l’ayant fait naistre en l’an 1577. d’vn
pere & d’vne mere, lesquels ayant par leurs propres merites
soustenu la gloire de leurs ancestres, l’ont beaucoup
augmentee par ce fruict de leur illustre mariage.

 

Car outre que prononcer en Paris le nom des Clercs
& de la Fayette, c’est vn eloge tout entier, ces vertueux
parens coulerent en leur fils les qualitez hereditaires à
ces deux nobles & anciennes familles.

 


Qui vires in folijs venit à radicibus humor
Sic patrum in natos abeunt cum semine mores.

 

Mais celuy dont vous voulez que ie parle, ne doit
rien emprunter de ce monde, puis qu’il y renonça
bien tost dés la fleur de son aage.

De vray, comme dans la belle pensee d’Epictete les
rares esprits naissent auec des sentimens du ciel & auec
de certaines marques qu’on appelle simboles de la diuinité,
[illisible.], celuy de ce ieune Gentilhomme
se deuelopant, a aussi tost fait paroistre les qualitez
d’vn feu celeste, par sa subtilité & son actiuité.

Ayant appris tout ce que la France luy pouuoit enseigner,
l’Italie fut sa seconde eschole, Padouë son parnasse
& Rome son sanctuaire. En l’vne, par ses veilles &
ses estudes continuelles il fit de sa poitrine vne Bibliotheque
viuante de Droit, de Mathematique, de Theologie
& de toute sorte d’habilité. En l’autre, qu’on appelle
la ville saincte, il forma son cœur aux maximes de
la pieté Catholique, ayant eu par bon-heur singulier
pour Confesseur, premier directeur ou pere, maistre de

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son ame, celuy qui estoit lors le Pere spirituel & le maistre
vniuersel de toute l’Eglise, le sainct Pape Clement
VIII. Retournant par l’Allemagne & l’Angleterre,
afin comme vn diamant de se pollir par le commerce
& la societé des grands hommes, il reuint en France
égallement capable des emplois de la guerre & des
exercices de la paix. L’occasion du siege d’Amiens luy
fit prendre l’espee, accompagnant Monsieur le Connestable
auquel il auoit l’honneur d’appartenir.

 

Cependant Dieu, qui dans la Geneze ne benit point
les herbes, d’autant qu’elles sont trop attachees à la terre,
détache cette fleur du monde pour la transplanter
dans le Cloistre. Ses premiers mouuemens le portoient
dans la solitude des P P. Chartreux : Mais dans les
secondes reflections des marques mesme exterieures luy
firent cognoistre que sainct François l’auoit demandé
pour estre l’vn de ses enfans, ayant dés le Baptesme porté
son nom, comme par vn heureux presage.

Que fera le monde dans cette occasion ! à son ordinaire
(M.) vous le sçauez, il gronde, il tempeste, il
foudroye, la chair & le sang s’y opposent, l’autorité du
Roy & du Parlement y est employee, & le credit de
Monsieur le Cõnestable n’y est pas espargné. Mais que
peut la terre contre le Ciel, & l’industrie des hommes
contre les ordonnances de Dieu ? saincte & admirable
Prouidence qui mettez tousiours à couuert l’honneur
Ecclesiastique & Monastique, sous la protection de
quelques vns qu’on ne peut blâmer sans honte, ny attacquer
sans crime, vous auiez choisi alors ce grand
Duc de Ioyeuse, cet Ange entre les R R. P P. Capucins

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lequel non moins courageux pour le seruice du
Roy du Ciel, qu’il l’auoit esté dans le siecle pour celuy
de la terre, enuoye ce ieune François au Nouiciat à
Orleans, & l’an de probation expiré, le fait reuenir à
Paris, afin ques ses mains fussent depositaires de ses
vœux : comme maintenant ils sont encores tous deux
vnis par le voisinage de leurs cendres.

 

C’est à vous, mes Peres, de prendre maintenant ma
place, afin de prescher en public les exemples domestiques
qui vous ont edifié en particulier Permettez
donc que vous interrogeant encore vn coup, ie vous
demande, Comment est-ce que le deffunct a passe son
Nouiciat ? Vous me respondrez, auec vne austerité tres-rigoureuse,
qui sur passoit mesme celle de la regle. Comment
est-ce qu’il a vescu dans le seminaire ? tellement
separé de toutes choses que vous le preniez lors pour vn
autre S. Bernard. Comment est-ce qu’il se comporta
dans les estudes, qui est, helas ! d’ordinaire le pas glissant
de la ieunesse, l’escueil de l’humilité & l’appast de la
vanité ? Auec la force d’esprit, la promptitude & la viuacité
qui formoient son temperament, & qu’vn chacun
a souuent admiré.

Les grands hommes comme vous (MM.) ne se picquent
point de vanité : Leurs talens plus exquis (me
disoit vn iour le R. P. Cotton, qui en pouuoit bien parler,
grand homme de cœur & de Cloistre s’il y en eut iamais)
ne sont que des balieures du Paradis, ils ne naissent
pas pour eux, mais pour autruy, & paroissant viure
en maistres meurent en seruiteurs. Il faut que les sages
gouuernent le monde, ou que les foux le renuersent,

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l’Eglise a le soin de leur doctrine, l’Estat de leur prudence,
la Religion de leur vertu, le public de leur seruice.
Leur capacité leur sert de fardeau, on les employe quelquefois
malgré eux, on les accable, on les espuise, &
grande merueille si on ne les paye d’ingratitude ; Nusquam
gentium reperitur qui possit prorsus aprobari.

 

Neantmoins ce n’est pas toûjours (comme escrit Tacite)
la posterité qui garde à vn chacun l’honneur qui
luy est deub, suum cuique decus posteritas rependit.
Dieu seme & cueille la gloire par tout, l’Eglise, les Republiques,
les Communautez & les Peuples, comme
tres-bons mesnagers, mettent tout en œuure & à profit :
l’Enuie mesme est souuent contrainte d’employer, d’honorer
& de recompenser la Vertu : A plus forte raison
la Charité, la Prudence & l’Equité le doiuent faire.
Dieu qui est le maistre & l’employ comme de la vie des
grands hommes, fait qu’on en vient tousiours là. Mais
il le fait sans peine à l’egard de celuy dont nous parlons,
parce qu’il n’eut qu’a seconder les inclinations de sa génereuse
Compagnie, laquelle n’ayant remis ce ieune
Religieux dans les Escoles que pour y rafraischir l’encyclopedie
des sciences qu’il possedoit desia, le fit passer
par tous les degrez, qui dans la Republique mesme de
Platon, esleuroient vn homme au plus haut poinct de
la sagesse.

L’Empereur Othon III à cause des rares qualitez de
son esprit, capables de toutes affaires, fut surnomme les
miracles du monde, Miracula mundi. Et ie ne sçay comment
il y a des genies qui reüssissent auec heureux succez
par tout où on les applique : Ce sont des formes generalles,

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des ames vniuerselles, des soleils qui portent cette
deuise, Idem per diuersa. Le soleil qui se leue au matin
esclaire sur le midy, se couure sur le soir, qui fait sa ronde
dans l’Asie, l’Affrique, l’Europe & l’Amerique, colorant
les vallées & les montagnes, est tousiours vn,
esgal, semblable à soy-mesme dans la diuersité de ses
mouuemens, Idem per diuersa. Les Religieux de ce
sainct Ordre vous asseurent, ie l’aduouë, & vous le
confessez, que leur deffunct Pere estoit de cette trempe-là.

 

S’ils l’employent à lire & enseigner le Theologie,
c’est vn Scot en subtilité : s’ils luy donnent la charge des
Nouiciaux, des Seminaires, des Conuens & des Prouinces
entieres, il se montre en mesme temps vn deuot
Pere Maistre, vn zelé Gardien & vn sage Prouincial.
S’il met la main à la plume, les liures qu’il a composez
sont dignes certainement de la saincteté de sa robbe &
de la solidité de son esprit. S’il monte en chaire, son eloquence
le fera nommer comme ce grand Euesque de
Nole, S. Paulin, vne docte voix, Docta vox ? & son zele
iette par tout des éclats d’vn esprit Apostolique.

Que n’a-il point fait pour les Missions commencees
en Poictou, continuées par toute la France, passées en
Angleterre, poussées dans l’Affrique, estenduës dans
l’Asie, portées dans le nouueau monde, son zele & celuy
de ses Confreres meritant qu’on applique à ce saint
Ordre des paroles prophetiques d’Esaye 65. Mittam
ex eis ad gentes in Affrieam & Lydiam, in Italiam &
Græctam ; Ie choisiray d’entre vous des personnes selon
mon cœur & les enuoyeray pour la conuersion des

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ames par tout où le Soleil esclaire.

 

La brieueté du temps & la quantité des choses me
defend de rien amplifier ; joint que les grandes veritez
sont reuestuës de lumieres. Mais certainement ie trahirois
les affections de mon cœur, & peut estre l’esperance
des vostres, si ie ne m’arrestois vn peu sur le Caluaire,
le seul obiet de mes amours, & l’vnique source de nostre
salut. Ie sçay bien que le cœur de ce grand homme,
large comme l’Ocean, auquel l’Escriture compare celuy
de Salomon, embrassoit generalement la protection
de tous les Ordres Religieux, & l’experience que
i’en ay euë pour le nostre depuis trois ans, est ce qui
m’a fait tirer des forces de ma foiblesse, pour ne commettre
pas tout à la fois, & vne desobeissance criminelle,
& vne honteuse ingratitude.

Mais (M.) ne trouuez vous pas bon parlant du defunct
que ie vous repette ce que i’ay eu l’honneur de
luy dire, lors que Dieu le conseruoit en vie ? Qu’en vn
mot, de toutes les graces que Iesus-Christ luy auoit
communiquées & de toutes les actions qu’il auoit fait
par luy, Opera autem Dei reuelare & confiteri honorificum
est ? La plus pure, la plus heroïque, & à mon gré
(car chacun a son goust, & i’ayme celuy de ma profession)
la plus glorieuse estoit enfermée dans la saincte
Congregation du Caluaire. O mon Pere ! que souuent
i’ay consideré la viuacité de vostre esprit ? Que souuent
i’ay eu pitié de la diuersité des emplois qui vous faisoient
gemir ? Que souuent i’ay admiré ces qualitez qui
vous rendoient infatigables, vn esprit de feu dans vn
corps de la nature des Cieux, sinon qu’il vient de mourir ?

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Mais ie confesse que la seule euuie capable de toucher
mon cœur, seroit ce grand ouurage du Caluaire,
d’auoir planté vn Ordre dans vn Ordre, inspiré à vne
sainte Princesse le dessein d’vne Reforme si parfaite,
tourné la plus notable partie de ses soins & de son credit
à tirer des coppies du Caluaire, & les rendre si parfaites,
que ce sont autant de montagnes dignes de porter
la Croix du Sauueur du monde.

 

N’est-ce pas se montrer en cela tres-eminent Disciple
de S. Paul & Enfant de S. François, qui ne pensoient
& ne parloient que de la Croix ? Et c’est, ie l’aduouë,
par la regle de deux vnis à vn troisiesme ; C’est,
dis-ie, ce nœud precieux de la Croix & du Caluaire qui
m’a fait principalement respecter le defunct, depuis
que ie l’ay cogneu, & qui m’oblige de rendre ce remerciment
à la charité, par laquelle il est deuenu Pere de
cette Congregation, vrayment sainte & religieuse, luy
disant au nom de ces benistes Filles.

 


Purpureos spargam flores, animamque parentis,
His saltem accumulem donis, & fungarinani
Munere.

 

Mais (M.) puis que le Pere est mort, n’attendez plus
que ie le fasse reuiure dans le seruice de son Prince & de
sa Patrie ; ie n’en ay certes ni le loisir ni la volonté, & mõ
texte me l’a defendu dés le commencement ; Sacramentum
Regis abscondere bonum est. Le Roy du Ciel enueloppe
son trône de lumieres, qui sont des tenebres : &
nous ne deuons pas quasi moins de foy, de reuerence
& d’obeyssance aux conduites des Princes qu’au Sacrement
de la Religion, Sacramentum Regis abscondere,

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&c. Les Rois ne se montrent que le voile sur le visage,
Et quand Moyse sort du colloque auec Dieu, il prend
vn crespe sur sa face. Le peuple aueugle iugeoit que ce
grand Legislateur auoit des bosses dans le front, neantmoins
c’estoient des rayons de la Diuinité. La Republique,
disoit Platon, est remplie de secrettes intelligences
& d’occultes influences. Les Cherubins adoroient en
respect sans voix & sans parler, la baguette : & les Tables
de la loy estoient cachées dans l’Arche. Iacob mourant
adora le bout & la pointe plus esleuée de Ioseph ; &
i’honore par mon silence religieux, les emplois plus
éclattans du nostre. La Nature l’auoit fait de l’estoffe
des grands hommes, Dieu l’auoit enrichy de talens extraordinaires.
C’est vn crime dans le droict de douter
si celuy que l’Empereur esleue à vne charge s’en peut
acquitter dignement. Nostre Roy aussi Sage que Iuste,
ne se pût tromper en son choix. L’honneur qu’il a
pleu à son Eminence faire au deffunct depuis trente
ans, de luy communiquer la plus grande partie de ses
pensees, n’est pas vne petite preuue de sa discretion &
de son merite, puis que ce grand & eminent esprit ne
manque iamais en la science des hommes, non plus que
dans la connoissance des affaires.

 

Apres cela (M.) que peut-on adjouster ? sinon ce que
moy-mesme ne puis comprendre apres l’auoir souuent
admiré, qu’vn Capucin aye conserué au milieu de la
Cour l’humilité de sa condition, la pauureté de son
habit, l’heure de ses recueillemens & de ses meditations,
le recit de son office, la ferueur à ne passer aucun iour
sans celebrer ou communier ; bref la rigueur de sa vie

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& toutes les austeritez de sa Regle : ceux qui l’ont veu
en sont tesmoins, & l’enuie mesme ne l’oze nier : Pour
moy ie ne sçay pas certainement si d’autres l’auroient
voulu, mais ie doute s’ils l’auroient pû faire.

 

Laissons le voile sur ces mysteres, Sacramentum
Regis abscondere bonum est ? Et tirant celuy de sa sepulture,
entendons-le s’il vous plaist prescher apres sa
mort, Nam defuncti fides loquitur, dit mon D. M.
Heb. c. Comme le deffunct a quasi essayé, au moins
estudié toutes sortes de conditions, il vous dit, O jeunesse !
que la gloire de vos naissances vous doit seruir
d’aiguillon à la vertu ? Il vous dit, O Religieux ! que
son veritable bon-heur est d’estre mort au monde, &
enterré dans le Cloistre ? Il vous dit, Messieurs de la
Cour & de l’Estat, que ces grands aduantages & ces illustres
emplois ne l’ont pas dispensé de la mort, &
l’ont rendu plus comptable au iugement de Dieu, quoy
qu’il ait tousiours tâché de s’y preparer.

Helas ! au milieu de tant de Soleils, que ne pensez-vous
à leurs ombres & à leurs eclipses ; Car comme remarque
iudicieusement sainct Damascene, Dieu permet
la deffaillance du Soleil & de la Lune, de peur
qu’on adore leurs beautez. De mesme quand l’éclat du
monde frappe vos yeux & vos esprits, que ne songez-vous
serieusement à cette verité la plus veritable du
monde, Tout s’aboutit au trespas. Vous auez l’accueil
public des Maiestez, & la faueur secrette des Eminẽces,
mais Moyse sortant de parler auec Dieu, couure son visage
de la mesme toille dont on faisoit les suaires des
morts, pour dire qu’en fin il vous faut tous mourir.

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La loy des Thebains deffendoit de bastir vne maison,
qu’auparauant le seigneur n’eust dresse tout proche
son monument. Messieurs & Dames, qui auez
tant de pensées, & souuent iniustes, souuent iniques
& cruelles, pour accroistre vos familles & establir vos
maisons, que ne commencez vous par celle du sepulchre ?
Car la mort, dit Seneque, est vn tribut & vn
deuoir de la Nature, Mors tributum officiumque mortalium.

Les peuples d’Orient pour tout Oracle consultoient
les sepulchres de leurs peres. Escoutez (M) le deffunct
P. Ioseph rendra la méme responce que cet Ancien ; lequel
interrogé de ce qu’il auoit d’auantage admiré parmy
les pompes & les magnificences d’vn triomphe
Romain, repartit fort sagement, Id tantum mibi placuit
quod didici, & Roma quoque homines mori. Rien
ne m’a tant pleu que de voir qu’on mouroit aussi bien
à Rome, que par tout ailleurs. Que la Cour n’est qu’vn
pas plus glissant à la mort, qu’apres y auoir vescu tant
qu’il a pleu à Dieu & au Prince, ie ne me trouue heureux
finallement que d’estre mort entre les bras de mes
Superieurs, d’auoir par vne speciale misericorde de
mon Dieu, auec les Sacremens de Confession & d’Extresme
vnction receu l’indulgence. Apostolique par
la bouche & par la main de mon General : d’estre icy
en terre parmy mes Freres, & de laisser à ceux qui prendront
la peine de reflechir sur ma vie cette instruction
importante de S. Isidore ; Homines proni ad voluptatem,
tardi ad sapientiam, veloces ad mortem, de præteritis
auidi, de præsentibus exigui, de futuris incerti O

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mortels ! qui viuans dans le monde caressez le vice &
étouffez la vertu, affamez du passé, disetteux du present,
douteux du futur, sçachez que la mort vous attend
aussi bien que moy : Hodie mihi, cras tibi. Helas !
vous ne sçauez où, à quelle heure, ni en quelle
maniere : Vigilate ergo quia nescitis diem neque horam.

 

Apprenez sur l’exemple de mon trespas à veiller sur
vos vies : Apprenez que ie n’ay remporté de la Cour
que mon pauure habit de Capucin, ni du monde que
les œuures que Dieu a pesées & comptees dans sa iuste
balance. Que si la pitié de Ioseph touche vos cœurs,
Patiebantur super contritione Ioseph, Amos 6. Rendez
par vos prieres la misericorde de IESVS propice à
mon ame. Et en recompence ie supplieray sa bonté
de couronner vos vies d’vne mort laquelle vous rende
bien-heureux dans le sein d’Abraham & dans le repos
de l’Eternité.

Requiescat in pace.

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Anonyme [1649], LA TRES-ELOQVENTE HARANGVE FVNEBRE QVI FVT PRONONCEE PAR LE P. LEON CARME, A L’ENTERREMENT DV PERE IOSEPH CAPVCIN, Fort entendu & employé aux affaires d’Estat aupres du Cardinal de Richelieu. Sacramentum Regis abscondere bonum est opera autem Dei reuelare & confiteri honorificum est. , français, latinRéférence RIM : Mx. Cote locale : C_5_45.