Anonyme [1649], LA VENGEANCE EQVITABLE, CHARITABLE, ET PERMISE, SELON LES LOIX DIVINES & humaines, que Messieurs du Parlement, & les Habitans de Paris, veulent & doiuent prendre du mauuais Ministre d’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_3916. Cote locale : C_10_41.
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LA VENGEANCE EQVITABLE,
charitable & permise, selon les Loix diuines
& humaines, que Messieurs du Parlement &
les Habitans de la ville de Paris veulent &
doiuent prendre du mauuais Ministre d’Estat.

CE n’est pas vn blaspheme, ny vn discours qui
puisse estre treuué mauuais en la bouche d’vn
Chrestien, que d’attribuer à Dieu des ressentimens
de nos ingratitudes, & des vengeances
de nos crimes. Les iniures que nous receuons
des hommes ne sont à beaucoup prés si criminelles,
que nostre oubliance, & nostre perfidie sont coupables
enuers la Maiesté diuine : puis que les offenses sont grandes
ou petites, selon le merite & la qualité des personnes offensées.
Et comme nous ne sçaurions faillir auec suiet, ny pecher
auec excuse legitime : ce n’est pas vne chose estrange,
si abusans des graces que la bonté souueraine nous a fait, &
si nous portans auec vne malice extreme contre la iustice de
ses Commandemens, elle se venge des iniures que nous luy
faisons, & nous punit infiniment pour vn crime infini.

Aussi, bien qu’il soit parlé souuent de la vengeance de Dieu
dans les sainctes Escritures, & que les effets en soient remarquables
par vne infinité d’exemples qui s’y rencontrent :
neantmoins elle doit estre appellée douceur & clemence, à
comparaison de celle des hommes, puisque n’estant iamais
precipitée, elle nous donne du temps pour nous repentir, &
pour la destourner : & qu’il ne tient qu’à nous que la Iustice irritée
par la vengeance, ne cede à la misericorde exercée par

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la bonté. Mais pour ne point entreprendre sur la profession des
Theologiens, & pour n’entrer point en vn discours, dont la matiere
est trop releuée pour ma capacité ; ie veux limiter cet entretien
à la vengeance qui est en vsage parmy les hommes, &
me contenter de dire quelque chose de la publique & de la
particuliere.

 

La publique se fait hors les formes, ou auec les formes de la
Iustice. Hors les formes, lors que la personne du Prince, ou
quelqu’vn par son commandement, ou bien lors que le peuple
mal-content & effarouché venge vne iniure que l’on croit
estre publique. Les perturbateurs du bien & du repos de l’Estat,
les seditieux, ou ceux qui abusent des faueurs & de l’authorité
que les Souuerains leur donnent, sont souuent exterminez
à la chaude, & lors qu’ils y pensent le moins : & l’indignation
publique se venge d’eux sans forme ny figure de procez.
Les exemples d’Aman chez les Perses pour son orgueil,
de Sejan en la Cour de Tibere pour sa cruauté, & l’Italien
Conchini en celle de France pour son auarice, enleuement
de deniers, & perfidie enuers son Prince, sont autant remarquables
pour ce sujet, comme la vengeance sera exemplaire,
que nous prendrons du Sicilien, & meschant Ministre Mazarin,
pour ses perfidies, enleuement de nos deniers, & rauissement
de nostre Roy.

La vengeance publique se fait auec les formes, lors qu’il n’y
a rien de si pressé pour faire l’execution d’vn meschant homme,
que l’on ne puisse prendre du temps pour l’accuser, le
conuaincre, & le punir selon les loix, & l’exigence des crimes
qu’il a commis. Et bien que le plus souuent la faute soit
particuliere, la vengeance ne laisse pas d’en estre publique,
afin que la crainte de l’infamie & du supplice empesche chacun
de mal-faire. C’est ce que nous appellons Iustice.

Il reste donc à nous estendre dauantage sur la vengeance
particuliere, qui est vn sujet moral, & l’vn des plus importans
de ceux qui regardent la vie de l’homme : & pour la definir,
nous pouuons dire que c’est vn desir d’estre satisfait de l’iniure
que nous auons receuë, accompagné de l’effet, par la peine
que nous faisons souffrir à celuy qui nous a offensé.

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Or pour nous éclaircir des difficultez que l’on pourroit faire
sur la qualité de cette action, & pour determiner si la vengeance
est bonne ou mauuaise, permise ou defenduë : nous deuons
considerer les mouuemens & les intentions de celuy qui la
pratique. Car si celuy qui se venge n’a point d’autre but que
de faire du mal à la personne dont il se veut venger, & s’il conduit
& rapporte son action à cette seule fin qui repugne mesmes
à l’humanité, il n’y a point de doute que son dessein ne soit
mauuais, & sa vengeance illicite : parce que se plaire & se resiouyr
du mal de son prochain, de telle part qu’il luy arriue, est
vne action de haine, qui repugne à la charité, & à l’amour que
nous deuons auoir pour tous les hommes.

Ce n’est pas vne cause legitime de faire mal à autruy, pource
qu’il nous en a fait ; non plus que de hayr quelqu’vn à cause
qu’il ne nous aime pas : dautant que la Loy de Dieu, ny la vertu
morale ne nous permettent pas de faire vne iniustice enuers
celuy qui le premier nous en a fait vne.

Mais si l’intention de celuy qui se venge se rapporte premierement
& particulierement à quelque bien, si par le moyen
de son action celuy qui l’a offensé peut faire profit de la peine
qu’il luy retribuë ; ou s’il se venge pour la consideration du
repos, pour la conseruation de la Iustice, ou pour l’honneur
de Dieu : Ces particularitez font approuuer sa vengeance, &
le mal qu’il fait souffrir, deuient vn bien par la charité qu’il
exerce.

C’est pourquoy nous deuons croire que la vengeance d’elle
mesme & de sa nature est vne chose bonne, & que la seule volonté
de l’homme preoccupée de la haine, ou de quelque autre
passion, change sa qualité. Et de fait, si nous n’auons point
d’inclination naturelle & determinée à quelque chose, qui ne
se rapporte & qui ne soit poussée & excitée par quelque vertu
particuliere, il faut aduoüer que la vengeance est vne vertu à
part & separée des autres ; puisque nous auons vne particuliere
inclination de nature à repousser ce qui nous nuit, & que
nous repoussons le mal non seulement, lors que nous empeschons
qu’on ne nous face vne iniure : mais aussi lors que nous
nous vengeons de celles que nous auons receuës auec intention

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d’éloigner le mal de nous-mesmes, & non pas de le faire.
Et ne voyons-nous pas que comme chaque vertu particuliere
a tousiours pour contraire & pour opposé vn vice particulier,
& quelquefois deux : aussi la vengeance est contre la cruauté,
qui est vn excez que l’on commet dans la punition ; & la trop
grande indulgence, qui donne sujet aux meschans de perseuerer
dans le [1 mot illisible].

 

Ie ne puis approuuer ceux qui croyent auoir acquis vne
nouuelle vie, lors qu’ils se sont vengez de leurs ennemis auec
toute rigueur. Si cette vengeance, qui tient de la crainte, intimide
la haine de peu de personnes, elle irrite celle de plusieurs.
Iamais les horribles massacres que firent Marius &
Cinna pour se venger de leur exil, ne s’effacera de l’Histoire ;
iamais l’esprit moderé d’Auguste, ny la valeur d’Antoine ne
seront compensées auec l’iniustice, & la barbarie de leur proscription.
Herodes tomba dans la haine de tout son peuple,
lors que s’estant plusieurs fois déguisé, il fit mourir tous ceux
qu’il reconnut n’approuuer pas sa façon de gouuerner. Qui
pourroit excuser la perfidie & la cruauté de Caracalla, qui pour
se venger de quelques iniures legeres, qu’il auoit receuës de
ceux d’Alexandrie, fit assembler tout le peuple de cette grande
& riche ville ; & apres auoir long temps discouru de l’affection
qu’il auoit pour luy, & du desir qu’il auoit d’en tirer des troupes
pour la garde de sa personne, donnant le signal à ses gens
de guerre, les fit miserablement exterminer. Et Iustin quatriesme
du nom Empereur d’Orient, qui par le secours de Trebellius
Roy de Bulgarie, fut remis dans son Estat, dont Leontius
l’auoit chassé, apres luy auoir fait couper le nez, ne prit-il
pas vne vengeance plus que barbare de ses ennemis, de faire
mourir, chaque fois qu’il essuyoit sa playe, l’vn de ceux qui
s’estoient rangez du contraire party ?

Mais d’ailleurs cette mollesse, & la crainte de venger vne iniure,
quand le public peut tirer auantage de l’exemple ; &
quand pour ne se venger pas, celuy qui a offensé prend vne
habitude de faire mal : c’est vne obmission presque autant criminelle
contre la charité publique & particuliere, que l’excez
de la vengeance. Si quelqu’vn poussé d’vne haine sans

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sujet, ou de l’enuie qu’il porte à la vertu, entreprend de te déplaire,
& de faire tort à ta personne, à tes biens, ou à ta renommée,
venge-toy de luy par vne action contraire à la sienne ;
c’est à dire, par l’amour, tesmoigne-luy, que si tu ne luy rends
pas ce qu’il te preste, ce n’est ny par crainte ny par insensibilité,
mais pour le conuier d’estre ton amy, & de se corriger de
son defaut, sans encourir la peine qu’il auoit meritée. Que si
son obstination aueugle & brutale luy fait redoubler ses coups,
si tu préuois que sa malice le ruine, soit pour le danger de ta
vie, soit pour la perte de tes biens ; si le peuple peut conceuoir
apparemment par ton silence vn desauantage notable pour la
reputation ; & si tu iuges que ta facilité soit en partie cause du
desordre de ton ennemy & de la continuation de sa faute : iustifie-toy
deuant Dieu & deuant les hommes par vne action
mesme de la charité : monstre-luy que tu as soin de ton salut,
en te vengeant par les voyes legitimes, & demande à la Iustice
la satisfaction, que ta douceur & ta bonté n’ont pû tirer de
luy : & enfin reconnois que la vertu de vengeance consiste à la
faire auec vne iuste mesure, & auec les circonstances de la sagesse.

 

C’est en la personne du perfide Mazarin, que Nosseigneurs
de la Cour de Parlement ont resolu d’exercer cette verité, selon
toutes les circonstances d’vne parfaite & eminente sagesse,
puisque leurs loüables remonstrances & charitables aduertissemens
n’ont pû rien gagner sur l’esprit débordé de ce mauuais
Ministre, qui plus cruel qu’vn Marius & Cinna, veut faire perir
tous ceux qui luy semblent auoir causé sa fuite & retraite : qui
plus barbare qu’vn Iustin, veut faire mourir tous ceux qui ont
quitté son party, pour suiure celuy du Peuple & de la Iustice :
qui plus enragé qu’vn Caracalla, veut exterminer tous ceux
de qui il croit auoir receu quelque legere iniure : qui plus inhumain
qu’vn Herodes, veut couper la gorge aux innocens ;
plus lascif & effrené qu’vn Heliogabale, commande à ceux
de sa suite les rauissemens & violemens des femmes & filles ; &
qui plus meschant qu’vn Neron, nous veut oster la realité des
viandes, & nous contenter de la peinture : qui enfin plus abominable
que tous les scelerats, merite auec beaucoup plus iuste

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raison tous les chastimens qu’ont soufferts ensemble, Aman
chez les Perses, Sejan chez les Romains, & le Marquis d’Ancre
en cette fameuse Ville, que nous voyons maintenant dans
la desolation, par les menées de ce Cardinal inhumain. Et partant,
chers Compatriotes, que tardons-nous de nous ioindre
à cet auguste Senat, qui veut par son authorité maintenir nostre
liberté, & nous deliurer de la tyrannie de ce perfide Sicilien ?
Allons donc, courons à la vengeance, puisque les ennemis
qui nous outragent, sont de la qualité de ceux dont nous
venons de parler. Qu’attendons-nous dauantage à porter nos
mains & nos armes vengeresses contre ces impitoyables meurtriers,
qui recherchent leur satisfaction dans nostre propre
ruine ? Allons, dis-ie, & nous portons courageusement à l’exercice
de cette vertu, qui nous est non seulement permise par
les loix diuines & humaines, mais dont la contraire, ie veux
dire l’indulgence & condescendence, choque directement la
charité & la iustice.

 

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