Anonyme [1649], LA VERITABLE CONDVITE DV COVRTISAN GENEREVX. , françaisRéférence RIM : M0_3925. Cote locale : A_5_107.
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LA VERITABLE CONDVITE
du Courtisan genereux.

NOVS naissons tous auec le desir de paroistre,
& bien que cette genereuse inclination ne soit
pas approuuée de tout le monde, elle est neantmoins
tres-loüable, & selon les sentimens des
Esprits les mieux sensez. La terre apres auoit
essuyé les larmes qu’vn hyuer rude & fascheux luy a causé
l’espace de cinq ou six mois, n’a autre dessein en faisant voir
à nos yeux tant de raretez, & de si differentes fleurs, sinon de
nous faire connoistre qu’elle veut que nous admirions ses
belles productions. Si le Soleil dissipe auec tant d’efforts les
vapeurs qui s’esleuent des eaux, & qui couurent de tenebres
la splendeur de ses rayons, n’est-ce pas à dessein de nous
communiquer ses lumieres ; de nous publier qu’il est l’Astre
du iour, & l’objet de nos contentemens. Qu’a fait Dieu, mais
que n’a-t’il point fait, pour se donner à connoistre aux hommes,
& se faire adorer de ses Creatures : dés la naissance du
monde, il opere des miracles qui estonnent la nature, & qui
font craindre les Cieux : il parle aux mortels parmy les foudres
& les tonnerres ; il renuerse l’ordre des saisons & des
elemens ; il enuoye à la terre ou des inondations, ou dessecheresses
estranges ; il fait tomber des pluyes de soulphre
sur les peuples qui méconnoissent son Nom, ou qui blasphement
sa Majesté ; il chastie ceux qui se monstrent rebelles à
ses volontez, & veut, ou que par les supplices, ou que par les
faueurs, les hommes, les Anges, les demons, les Monarques
confessent qu’il est le Seigneur de l’Vniuers. Si donc le Souuerain
de l’Empyrée aussi-bien que les plus belles choses du
monde ont inclination de se faire connoistre, ne deuons-nous

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pas estimer ceux qui dans les mesmes sentimens cherchent
les moyens, & les occasions de ne pas demeurer inconnus.
C’est pour cette raison sans doute que les Courtisans
frequentent ordinairement la Cour, & se rendent sujets
à la suitte du Prince, afin de se faire regarder sur ce
Theatre, où les plus beaux, les plus nobles, les plus genereux
esprits paroissent auec éclat. Vous me direz peut-estre
que les plus grandes actions des Courtisans sont de peu de
merite si elles ne sont considerées du Prince, & que pour arriuer
au bon-heur d’estre veu de bon œil, ou estimé de son
Souuerain, il faut cheminer par des voyes pleines de seruitude,
de sueur, de tromperie, d’inquietude : que bien souuent
les fourbes, la violence ou l’artifice d’vn ennemy couuert,
l’enuie, la jalousie en deffendent l’entrée, ou pour le
moins la rendent tres-difficile ; & que les sousmissions honteuses
qu’il faut deferer à tous ceux qui tiennent vostre fortune
en bride, ou qui la balancent sont indignes d’vn Courtisan
genereux qui ne pretend que la gloire & l’honneur. En
effet le chemin qui approche des Grands, & le sentier par lequel
on peut aborder les Throsnes sont tout couuerts d’espines
& de ronces, ou parsemez de foibles roseaux, sur lesquels
on n’oseroit s’appuyer sans se mettre en danger de
precipice. Saint Augustin nous monstre en peu de mots la
miserable condition de ceux qui suiuent la Cour. Dy-moy
ie te prie, dit ce grand Personnage resonnant auec vn Courtisan,
où aspire-tu auec tant de peines ? tant de soins, tant de
trauerses ? ne sçais-tu pas que l’esperance du Courtisan ne
peut estre plus grande que la grace qu’il attend des liberalitez
de celuy auquel il fait la Cour : que cette mesme
grace est incertaine, fragile, & de peu de durée : qu’il faut
beaucoup de temps, de seruices, d’amis pour l’obtenir &
moins d’vn moment pour la perdre : que Dieu a mis deuant
nos pieds les malheurs, les disgraces, les infortunes ? & les
felicitez au milieu des trauaux, des hazards, des miseres, des
calamitez. D’ailleurs plus vne Ame est genereuse, plus
les coups de la fortune luy sont sensibles, & les sousmissions
odieuses ? les desastres sont plus funestes aux personnes de
cœur qu’à celles qui n’en ont point ; & de tous ceux qui frequentent

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la Cour, il n’y en a point dont la condition soit pire
que des Sages, & des gens de bien. Le sage n’est esclaue que
de luy-mesme, & Maistre de tous les autres ; & il est bien raisonnable
que celuy qui ne voit rien au dessus de luy que
Dieu seul, ne se mette pas au dessous de personne. Neantmoins
toutes ces raisons quoy que puissantes, ne doiuent pas
diuertir le Courtisan genereux de la frequentation de la
Cour, il trouue des satisfactions, où les autres ne rencontrent
que des gesnes, des supplices, des tourmens ? & son
ame exempte d’interest ou de lascheté : regarde les honneurs,
les charges, les préeminences seulement comme des choses
qui donnent du lustre & de l’éclat à sa vertu, & non pas comme
des moyens qui puissent rendre sa fortune plus glorieuse.
En effet se rendre agreable au Prince, rechercher sa bien-veillance,
se la procurer & en faire estime sont des actions
dignes de loüange ; & le parfait Courtisan ayme mieux mourir
auec Andromaque que de viure sans honneur, & sans reputation ?
en quelque lieu qu’il puisse estre, il peut conseruer
sa generosité inuiolable, l’integrité de ses mœurs mettront
fon innocence à l’abry de la calomnie, & quelques richesses
qu’il possede par la faueur du Prince, il les employera toutes
au seruice de l’Estat, & du public. Oüy certes ce seroit auoir
trop mauuaise opinion de ceux qui sont aupres des Princes,
que de les croire ou malheureux, ou imprudens : ce seroit
noircir d’infamie le plus noble employ du monde, de dire
qu’il ne puisse estre exercé que par dés hommes lasches ; &
ce seroit faire passer la Cour pour vne prison, où l’on ne voit
que des criminels, ou des desesperez Non non, la Cour n’a
rien que d’agreable pour ceux qui la connoissent bien, &
les pretensions du genereux Courtisan, que le vulgaire blâme
ou mesprise, sont tres-nobles, tres-releuées, & tres-considerables.
Si la veritable conduite du Courtisan, est vne
jmage de la conduite de la nature, & si la vie ciuile n’est
qu’vne certaine imitation de ce qu’elle a de plus parfait, ne
pouuons-nous pas dire que celle du Courtisan doit se conformer
aux sentimens de la mesme nature, puisque les maximes
dont elle se sert, sont de pures impressions de la raison
qui est en Dieu, & comme la nature lors particulierement

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qu’elle n’est point deprauée nous apprend que la Royauté
est le comble de tout le bon heur qui puisse iamais arriuer
aux hommes ; que la fortune n’a rien au delà où elle puisse
esleuer personne : & que le desir d’estre au dessus de la pluspart
des choses humaines soit l’vne des plus glorieuses marques
de l’excellence de celuy qui ioüyt de cét auantage ; il
s’ensuit que le Courtisan est tres-genereux, tres-éclairé, &
tres-raisonnable qui recherche la familiarité des Princes,
puis qu’ils sont le cœur & l’ame de la vie ciuile, le seul bien
où tous les hommes aspirent ; le but de toutes leurs pretensions,
la fin de toutes leurs esperances. Comme le centre de
toutes choses est celuy duquel elles peuuent receuoir leur
plus grande perfection ; comme la Lyre n’est parfaite qu’en
ce qu’elle resonne parfaitement ; que la langue est deffectueuse
si elle n’est bien organisée ; de mesme le Courtisan
est moins genereux qu’il ne doit estre, s’il ne met toute sa
gloire à bien seruir son Prince, & se rendre recommandable
aupres de luy par le merite de ses grandes actions.

 

Vous me direz peut estre que de s’assujettir à la suite des Roys
est vne marque infaillible de nostre ambitiõ desreglée plûtost
que de nostre iugement, & des reliques du peché d’Adam qui
ne fut pas si-tost né qu’il ambitionna d’estre Dieu, & de penetrer
ses secrets : à cela ie vous responds, que si c’est vne
espece d’ambition que de suiure la Cour, qu’auec plus de
raison on doit estimer ambitieux celuy qui fait vanité de
mespriser la faueur des Grands, & de se monstrer peu affectionné
à leur seruice. En effet, dit Plutarque, comme la
plus parfaite ambitiõ est de ne se sousmettre à personne, bien
que sa condition, ou sa naissance l’esleue infiniment au dessus
de nous : comme le plus dangereux orgueil, dit saint Bernard,
est le desir d’estre estimez humbles : ainsi nous pouuons
dire que le genereux Courtisan qui fait la Cour à son
Prince, est moins ambitieux & auec moins de lascheté que
celuy qui fuyt l’approche & l’abord des Roys, crainte de se
sousmettre à leur obeyssance, & de leur rendre iournellement
des deuoirs. Les grands courages n’ont d’autre but que
l’honneur & la vertu, & ils n’attachent leurs pensées qu’à la
gloire du Souuerain qu’ils respectent. Ie sçay donc qu’il y a

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deux sortes d’ambition, l’vne qui est loüable, sans artifice, &
sans fraude : l’autre qui est trompeuse & pleine de malice ; &
ceux qui s’en seruent au iugement de S. Augustin, sont semblables
à ces hommes fourbes, qui sous la peau d’vne brebis
cachent le naturel, & les brutalitez d’vn loup deuorant.
En matiere de vices ceux qui ne se monstrent point, sont plus
abominables que ceux qui paroissent. Et certes qui ne détestera
pas dauantage les flateries couuertes dont Messala
vsoit enuers Tibere, que toutes celles que le Senat employoit
pour n’encourir pas l’indignation de ce Prince : la
meschanceté qui marche à descouuert par vn chemin battu
n’est qu’vn simple mal ; celle qui va par vne route destournée,
& qui s’escarte du chemin ordinaire est vne double méchanceté,
& apres tout il n’en est point de plus signalée, ny de
plus dangereuse que celle qui tasche de se couurir du manteau
de la vertu, ou du voile de la pieté : Comme celuy-là est
beaucoup plus meschant que les meschans mesmes, qui veut
qu’on le croye bon. Ainsi aymer la pompe des maisons,
la magnificence des habits, le nombre des valets, les actions
genereuses, les entreprises honorables, la faueur du Prince,
sont les chemins les plus communs que les moins ambitieux
tiennent. Mais mespriser ce qui est en estime ? blasmer ce
qui est loüable ? ne tenir pas mesme conte de l’honneur, c’est
marcher sur les pas de la plus haute ambition qui se puisse
imaginer : le defaut souuent n’a pas moins d’arrogance que
l’excez ? & selon la pensée de S. Augustin, s’il y a des riches
méconnoissans, il y a despauures blasphemateurs. Nous en
voyons, dit S. Hicrosme, qui sont si aueuglez qu’ils cherchent
de la vanité iusques dans la poussiere, le rustique habit de
ceux de Sparte tenoit quelque chose de la suffisance, au rapport
d’Aristote : ne t’approche point de nous auec tant de
gloire, dit autre fois Socrate à vn certain, qui estant en mauuais
equipage faisoit parade de ce qui estoit de plus deschiré
sur luy. Le sage Philosophe, & le veritable Stoïque deteste
la saleté aux habits, l’aduersion que l’on peut témoigner pour
l’argent, & autres vanités feintes qui sont sorties de l’escole
de cette ambition pernicieuse. En effet, fuyr ce que les meilleurs
esprits recherchent, fouler aux pieds les biens que les

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autres passionnent, & les croire indignes de nous ? les reputer
moindres que nostre merite ? s’imaginer que les autres
manquent de iugement, ou qu’ils ne connoissent pas la valeur
des choses : faire profession de vouloir tenir tout le monde
pour buse ou pour ignorant ; c’est auoir vne ame bien altiere
& bien vaine. Mais auoir honte de iuger des choses infiniment
releuées selon la grandeur qu’elles possedent en elles-mesmes,
c’est la preuue asseurée d’vne arrogance insupportable.
Le genereux Courtisan ne se contente pas seulement
de n’estre point ambitieux, il en abhorre le vice & le
nom mesme ; comme le Palais de Cesar ne desire pas seulement
d’estre esloigné de toute, infamie, mais il veut encore
l’estre de tout soupçon. Non non, le Courtisan qui a de la
conduite iugera en luy-mesme que le monde n’a rien de plus
estimable que le throsne ? que tous les thresors de la fortune
ne luy peuuent estre comparez ? que la Royauté est le comble
de l’excellence humaine ; & que tout ce qui a vn pouuoir
absolu sur les hommes tient de la Diuinité. Ainsi ne se pas
soucier des bonnes graces du Prince est vne marque ou de
mespris, ou de hayne, ou au moins d’indifference, & vn témoignage
que le Courtisan qui agit de la sorte a peu de conduite,
de iugement, & de vertu, ou au contraire celuy qui
est genereux, sage, & affectionné à son Prince, preferera toûjours
le bien de l’Estat à son propre auancement : & renonçant
à tous les objets qui peuuent animer sa passion, ou corrompre
sa Conscience, desgagé des interests, ou des motifs
qui poussent les autres à la Cour : il s’y trouuera courageusement
dans l’esperance que sa vertu, & ses belles actions donneront
de l’éclat à vne Couronne de qui les moins genereux
n’attendent que des recompences.

 

Mais ce n’est pas assez que le genereux Courtisan soit entre
dans la Cour par la porte de sa propre vertu, c’est peu de chose
qu’il y paroisse comme vn Astre éclatant, qui répand & qui
communique par tout la splendeur de ses rayons. Il est necessaire
encor qu’il cherche les moyens de s’y conseruer, & que
le Palais du Prince qui bien souuent a plus d’adorateurs que
de veritables Ministres, ne soit pas priué d’vn tresor si estimable
& si auantageux à l’Estat. Le diuin Platon estoit d’auis que

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celuy qui auoit dessein de se maintenir en bonne posture aupres
de la personne des Roys, deuoit auec grand soin s’adonner
à l’étude de la Philosophie. C’est elle, dit cét Oracle des
siecles passez, qui apprend aux Courtisans ce qu’ils doiuent à
leur Souuerain, & ce qu’ils sont obligés de se rendre à eux-mesmes.
C’est elle qui nous donne la connoissance du bien
& du mal ; qui nous descouure les precipices qui enuironnent
les throsnes, qui nous éclaire parmy les obscuritez de cette
vie pleine de miseres & de calamitez, qui nous rend constans
dans les disgraces, & moderez dans vne fortune eminente.
La Philosophie donc est tres-necessaire au genereux Courtisan,
& sans ses lumieres sa conduitte seroit peu iudicieuse,
ses entreprises sans effet, & ses actions sans gloire. Ie sçay
qu’il s’est rencontré des esprits trop grossiers pour se persuader
que la complaisance, & la valeur estoient des motifs assez
puissans pour porter les Princes à aymer ceux qui possedoient
ces qualitez ; Que pour l’ordinaire les Majestés absoluës
ne considerent que les personnes capables de les deffendre
ou de les diuertir ; Que la flatterie penetre iusques dans
les Cabinets des Roys, & que quelque prudence qu’ils puissent
auoir, ou quelque resolution qu’ils fassent, ils ont tousjours
beaucoup de peine à se garentir de cette peste malheureuse.
De là ils concluent, quoy que sans raison & sans fondement,
que la Philosophie est inutile & infructueuse aux Courtisans,
d’autant que cette science est trop genereuse pour flatter,
& trop craintiue pour s’exposer dãs les hazards de la guerre.
Leur pensée auroit sans doute l’approbation de plusieurs, si
la science estoit semblable à ces statuës, qui n’ont ny vie ny
sentiment, ou bien à ces geans dépeins auec tant d’artifice
dans des tableaux, qu’ils semblent marcher à grands pas bien
qu’ils n’auancent aucunement. Mais il est tres-certain qu’elle
a le pouuoir d’animer, de donner de l’action, du courage, de
la vertu à tous les cœurs dans lesquels elle reside. C’est elle
qui inspire les grands desseins, les entreprises glorieuses, les
projets honorables, & qui donne de la resolution pour les
executer ; l’ardeur d’vne generosité qui enuisage les plus
grands perils, & mesme la mort sans aucune émotion, l’issuë

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des bons conseils qui deffendent vn Royaume de l’artifice
de ses ennemis, la prudence qui s’obserue & en paix & en
guerre, sont des effets & les compagnes ordinaires de cette
diuine Philosophie ; si la perfection des Estats mesme des
moins nobles consiste dans leur action. Si le propre de Dieu
est de tousiours agir, comme des Cieux de mouuoir ; du Soleil
d’esclairer ; du feu d’eschauffer ; l’operation seule est donc ce
qui met de la difference entre la puissance, & l’impuissance.
Oüy certes le fort & le foible semblent vne mesme chose pendant
qu’ils ne font rien ? le soldat poltron a autant d’auantage
que le plus courageux, lors qu’il ne se presente aucune occasion
de combattre, le repos égalle la valeur de celuy-cy à la timidité
de l’autre : le plus ignorant homme du monde paroist
autant dans les compagnies que le plus habile, lors qu’il est
question seulement de garder le silence, & d’escouter auec
modestie ceux à qui la naissance a donné authorité de parler.
Il est bien difficile de pouuoir discerner vne femme chaste d’auec
vne autre qui ne l’est pas, quand elles ne sont ni caiollées,
ni poursuiuies : il n’y a point de disproportion, ou pour le
moins elle est bien difficile à remarquer entre Hector & Nirée,
entre Teane & Macque, entre Dauid & Saül, quand ils
sont tous égallement endormis. Comme donc les actions sont
les preuues asseurées, & les témoignages infaillibles de la
grandeur de courage, & de la vertu, il s’ensuit que le Courtisan
genereux est d’autant plus vaillant & capable de deffendre
son Souuerain, par consequent aussi de se conseruer en ses
bonnes graces qu’il possede parfaitement la science de la Philosophie,
puis qu’elle ne hayt rien plus que l’oisiueté, & que
cette science n’est ni insolente, ni flatteuse, ni lasche, ni temeraire,
ni audacieuse, ni craintiue. Si les Roys, comme il
est vray, sont les rayons de la Diuinité, & les parfaites images
d’vne puissance qui est Souueraine & independante, ne doiuent-ils
pas esperer de nouuelles perfectiõs du Courtisan qui
est Philosophe ; puisque le Philosophe est vn Sculpteur excellent,
qui auec la delicatesse de son burin & les caracteres
de son esprit forme les ames à la ressemblance de Dieu : ou
pour mieux dire, c’est vn Peintre, qui pour les faire prend son

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modele sur l’original eternel de la Diuinité. Iugez de là si les
Roys ne sont pas obligez de conseruer auprés de leurs personnes
les genereux Courtisans qui ayment la vertu, la gloire,
l’honneur, & l’estude des bonnes lettres, ces rares qualitez
estant dignes de posseder des Sceptres & des Couronnes, ou
pour le moins de ne s’en esloigner iamais. Plus vne chose approche
de la condition de Dieu, plus elle est obligée de ne pas
demeurer oysiue. La terre qui est l’elemẽt le plus esloigné des
Cieux, n’est qu’vne masse pesante priuée de toute vigueur &
de tout mouuement. Au contraire des Intelligences celestes,
qui auoisinant de plus prés les perfections diuines, continüent
le trauail auquel elles ont esté destinées auec vne prõptitude
extreme, & sans aucune interruption. Le dernier accomplissement
de toutes les choses que nous voyons, & ce
qu’elles possedent de meilleur en elles-mesmes vient de la
noblesse ou de la grandeur de leur action : tout ce qui cesse
d’agir presuppose quelque defaut, ou quelque marque d’impuissance.
Le sommeil est vn aduertissement de la foiblesse
humaine, l’oisiueté vn témoignage de nostre peu de merite,
la vertu qui ne fait rien est inutile aux autres, & dommageable
à elle mesme, elle contrarie l’ordre de la nature qui n’est
iamais en repos, elle combat les desseins de Dieu qui est sans
cesse en action, & s’oppose directement aux decrets de sa
Sagesse comme de sa Prouidence, qui ordonna le trauail à
l’homme aussi-tost qu’il fut né, & ne le mist dans le Paradis
terrestre que pour en cultiuer les fruicts. D’ailleurs il est
constant que comme le Medecin expert & qui cognoist parfaitement
la necessité des membres qui sont au corps humain,
a beaucoup plus de soin de l’œil, du cœur ou de la teste que
des autres parties moins nobles, ou moins considerables :
Qu’ainsi le genereux Courtisan qui considere son Prince &
son Souuerain comme l’œil d’vn Estat qu’il conduit par sa prudence,
& qu’il protege par la splendeur de ses belles actions,
ou par la valeur de ses armes ; comme le cœur de ses amis, &
comme le chef des peuples qui sont sous son domaine : apportera
tous ses soins, & toutes ses industries pour se maintenir
auprés de sa personne, scachant que par la connoissance de la

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Philosophie il est capable de moderer les passions qui la tyrannisent,
de guerir les maladies de son esprit, & de donner
quelques remedes aux blesseures les plus desesperées. Celuy
qui donne des instructions à vn homme particulier ne profite
qu’à vn seul, là où celuy qui estale ce qu’il sçait en faueur du
Prince est vtile à tout vn Royaume. Le Courtisan genereux
& sçauant est la vie des Monarques, & la discipline des Monarchies ;
il est le Maistre des Roys & de leurs peuples ; & par
consequent il sera égallement cheri du Prince & de ses sujets,
les vns & les autres ayant interest à sa conseruation. Si vn
homme pour peu sage qu’il puisse estre, baise volontiers la
main qui le retire du precipice : si vn blessé ne laisse pas d’aymer
le Chirurgien qui luy couppe des membres entiers, qui
applique le fer à ses playes, bien que d’ailleurs il ayt suiet de
se plaindre de sa rigueur ? si ces anciens idolatres adoroient le
Soleil comme vne Diuinité de laquelle ils esperoient beaucoup
de faueurs ; bien qu’il bruslast quelquesfois leurs moissons,
& causast de grandes sterilitez au païs : si les Magiciens
respectent les demons qui les outragent. Ce Prince ne sera-t’il
pas obligé d’honorer tousiours vn sage & genereux Courtisan,
quand il considerera, que ses bons conseils & ses prudens
aduis peuuent donner des remedes veritables à toutes
ses indispositions : qu’ils peuuent garentir son throsne d’vne
cheute honteuse ; qu’il est la diuinité seulle sur terre capable
de remplir son Royaume de tresors inestimables, & le Magicien
innocent qui peut predire la felicité de son regne, le
bon-heur de son gouuernement, la gloire de ses conquestes,
la grandeur de ses triomphes, bien que les fourbes & les flatteurs
luy persuadent que cét homme Courtisan entreprend
trop sur l’authorité Royale, qu’il manque de respect & de
ciuilité, que sa temerité est trop audacieuse, & son iugement
trop aueugle pour contre quarrer des actions que tout le monde
regarde auec admiration, & trouuer à redire à des desseins
qui surmontent les pensées du vulgaire, & qui surpassent les
imaginations des autres. C’est en cela neantmoins que paroist
auec éclat la veritable conduite du genereux Courtisan, de ne
iamais permettre que le Prince duquel il est affectionné, fasse

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rien qui soit indigne de sa grandeur, de son rang, de sa naissance :
s’il fait autrement c’est vn ennemy dangereux, & vn
lasche perfide qui trahit le party de son Maistre. Plus les Souuerains
ont de seruiteurs & de subiets, plus aussi ont-ils,
d’ennemis à combattre, & d’embusches à esquiuer. C’est
vne fatalité malheureuse qui est ordinaire aux Roys, que leur
puissance fasse autant de persecuteurs, qu’elle fait d’esclaues :
& il semble que l’Autheur de ce grand Vniuers ayt ioint par
vn secret de sa Prouidence ces deux choses ensemble, la haïne
& la Royauté. Vn ancien disoit, que ce n’estoit, ni les finances,
ni les armées, ni les soldats, ni les victoires qui conseruoient
les puissantes Monarchies, mais les veritables amis :
En effet la gloire de la fortune paroist à desraciner les Royaumes,
& non pas à renuerser les petites loges des pasteurs. Iupiter
ne fait point éclatter ses foudres contre les campagnes,
ni contre les cabanes des pauures ; il s’attaque au Mont Ida, ou
à celuy de Caucase. Denys est mocqué à Corinthe ; Pompée
est le joüet des ondes, & la proye des poissons de Phare. Cesar
est deschiré par les siens, & le grand Alexandre meurt à Babylone
par la violence d’vn poison mortel. Enfin comme il
n’est point de Royaume qui n’ayt vn bourreau destiné ; il n’y
en a point qui n’ayent besoin d’vn parfait amy pour se conseruer,
& ce parfait amy est le genereux Courtisan qui ne souffre
rien de bas, ni de raualé en la personne du Prince, & qui ne
se propose autre but dans les seruices qu’il luy rend, que la
gloire & l’honneur. Alexandre n’osoit rien faire en presence
de Mecenas, ou de Crates qui fut indigne du Sceptre qu’il
portoit ; Numa Pompilius deuint pieux dans la conuersation
qu’il eut auec la Deesse Leglira, Minos grand Politique pour
auoir demeuré l’espace de neuf ans entiers auec Iupiter : &
Lycurgus parfait Legislateur pour auoir esté long temps disciple
d’Apollon. Ainsi le Courtisan genereux est vn amy tres-necessaire
au Prince, & le Prince vertueux qui connoistra son
merite, & qui l’estimera, le conseruera auprés de sa personne
comme la plus riche perle qui orne sa Couronne, & qui
donne de la majesté à son diadême. Sans parler de ces ieunes
Courtisans qui semblent nés à la seruitude ; le Prince n’a besoin

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que des secours qui regardent les plus importantes affaires
de son Royaume, mais il ne peut attendre ces assistances
que des conseils iudicieux, & de la sincere amitié du sage
Courtisan, n’appartenant qu’aux ames genereuses & prudentes
de bien conseiller les Roys, & de se bien conduire elles-mesmes,
toutes les autres necessités qui se rencontrent dans
l’Estat, sont necessitez qui regardent plustost la pompe, & la
magnificence de la Cour, que sa conseruation, ou son estenduë.
Donc le genereux Courtisan estant vne fois en Cour, &
s’estant bien mis auprés la personne du Prince par les preuues
signalées qu’il aura données de son iugement, de sa conduite
& de sa vertu, il s’y conseruera sans doute, & s’y rendra glorieux
par l’estude de la Philosophie, & la pratique de la sagesse.

 

FIN.

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