Anonyme [1651 [?]], LE ROY MINEVR OV PANEGYRIQVE SVR LA PERSONNE ET L’EDVCATION DE LOVIS XIV. DIEV-DONNÉ ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE , français, latinRéférence RIM : M1_226. Cote locale : B_3_1.
Section précédent(e)

LE ROY MINEVR
OV
PANEGYRIQVE
SVR LA PERSONNE
ET L’EDVCATION
DE
LOVIS XIV.
DIEV-DONNÉ
ROY DE FRANCE
ET DE NAVARRE

TOVTES les Creatures
ont du rapport
à la Diuinité, la Raisonnable
seule en est l’Image ;

-- 2 --

Et cette noble difference qui
l’éloigne de la bassesse des autres,
la faict approcher de la
grandeur de son Principe.

 

Dans ce Priuilege commun,
il se rencontre encore vn auantage
particulier, qui de tous les
hommes, ne peut appartenir
qu’à ceux, que le premier des
Souuerains a voulu distinguer
de la communauté de leur raison,
par les Caracteres de son
pouuoir.

La façon d’vn Monarque ne
couste pas plus à Dieu, que celle
d’vn Vassal, parce que sa
Puissance s’estend à faire toutes
choses auec facilité : Il agit

-- 3 --

pourtant en ce point d’vne maniere
autant extraordinaire
qu’elle est mesurée à l’importance
du sujet : C’est en céte sorte
d’ouurage qu’il a coustume
d’exceller, c’est alors qu’il va
puiser au fond de ses Tresors les
riches ornements qui peuuent
parer vn effet des beautez de sa
cause : Et quoy qu’il obserue
tousiours de la proportion entre
les moyens & la fin, il paroist
icy plus estudié, & prend,
ce semble, plus de soing d’aiuster
son choix aux circonstances
qui le déterminent.

 

La France tient le premier
rang parmy les Monarchies

-- 4 --

Chrestiennes, ses Roys sont
les aînez entre les enfans de
l’Eglise ; Et le Ciel qui les éleue
à ce degré d’Honneur, leur a
faict des Inferieurs de tous les
Potentats de la Terre.

 

Ce Pere Vniuersel de qui le
monde est la famille, jaloux d’en
maintenir l’éclat, accompagne
tousiours de ses benedictions
ce droict d’ainesse qui leur est
acquis ; Et la rosée du Ciel, &
l’abondance de la terre qui en
composent les effets, contribuënt
également à les rendre
les plus vertueux comme les
plus puissants.

† De rore
Cœli & de
pinguedine
terræ.
Genes. 27.

Cette verité si constante qui a

-- 5 --

paru sensible à nos ancestres,
& qui semble assez establie
par l’experience de tant de
siecles, trouue encore vne
belle confirmation dans la
nouuelle espreuue que nous
en faisons, par la naissance, &
par l’education du plus parfait
de tous les Princes.

 

Sa naissance ne tient-elle
pas du miracle, ou plustost
ne peut-on pas dire, qu’elle
fut vn miracle entier, soit
qu’on examine le temps &
l’estat du Royaume, soit
qu’on repasse en sa memoire
la crainte que plus de vingt
années du Mariage du Roy,

-- 6 --

nous faisoient conceuoir de
la sterilité de la Reyne ?

 

Vn Estat en paix ne peut
pas long-temps estre sans
guerre, les corps les plus sains
ne sont pas exempts d’estre
malades, nous trouuons le
plus souuent nos ennemis
parmy nos domestiques &
nos familiers ; bref, nous ne
sçauons point de regles, dont
l’obseruance la plus exacte
nous puisse garantir de ces
accidents : Et quoy que tout
cela ne soit pas hors du nombre
des choses possibles, on
peut en faire vne categorie
auec la pierre des Chymistes,

-- 7 --

& la poudre de proiection ;
l’inconuenient en destruit
tousiours le succés : Et comme
le mauuais vsage des richesses
fait euaporer le trauail
de celuy qui par son Art
se rendroit bien-tost l’arbitre
de sa fortune ; aussi l’oisiueté,
& le trop grand attachement
aux choses de la terre, trouble
le repos, la santé, & les
estroites vnions de ceux que
la trop longue jouyssance de
ces plaisirs pourroit écarter
de leur dépendance legitime.

 

Si nous raisonnons bien
sur ces euenements, nous
trouuerons sans doute que

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ce sont les moyens dont se
sert la Sagesse eternelle, pour
nous tenir dans le deuoir ; &
qu’à peu prés pour de pareils
motifs elle auoit permis entre
les deux premieres Monarchies
de l’Europe, vne
guerre, dont on ne void encore
l’issuë qu’à trauers nos
souhaits : desia depuis quelques
années ce fleau de sa Iustice
leur faisoit sentir son
courroux, lors que parmy les
marques de sa colere, elle en
donna vne à la France de son
amour, par cette naissance
autant agreable que desirée :
Celles-là estoient generales,

-- 9 --

& sa colere sembloit estre
commune à ces deux Royaumes
armés, celle-cy toute
particuliere, & son amour
se declara pour l’appanage
de ses fauoris.

 

Il n’est pas necessaire à la
France de reuoir toute son
Histoire, pour se ressouuenir
de tant de merueilleux effets,
qui luy ont rendu visible
la protection du Ciel,
sa memoire luy en fournit
en si grand nombre, qu’on
peut dire, que la suitte des
temps en a plustost continué,
que renouuellé les preuues ;
mais la premiere & la principale

-- 10 --

espece de toutes les
graces qu’elle en reçoit, est
le don de ses Roys, qui a cela
de rare, que comme ils sont
toûjours éleus par l’vnique
suffrage de la Diuinité, leur
participation en est d’autant
plus espurée, qu’elle est immediate,
& qu’ils ne sont pas
redeuables de leur Couronne
à des électeurs corrompus,
ou interessez.

 

C’est l’aduantage des Loix
fondamentales de l’Estat, qui
reseruent à Dieu seul vn
droict de patronage sur cette
Monarchie, & qui l’exemptent
ainsi des erreurs de l’élection,

-- 11 --

comme de la foiblesse
du gouuernement, en ce
qu’elles ne souffrent pas,
qu’on face indifferemment
vn Sceptre, du bois d’vne
quenoüille, ou de celuy d’vn
jauelot.

 

La naissance de nostre
Prince encherit sur toutes
les autres, aussi est-elle signalée
par le titre qui l’a suiuie.
Cét Auguste surnom de
DIEV-DONNÉ qui comprend
auec auantage ceux
de Iuste, de Grand, & tous
les plus Illustres, qu’ayent iamais
porté ses deuanciers, les
reünit en sa seule personne ;

-- 12 --

& l’importance du Present
se manifeste assez par la designation
de la main, qui nous
l’a fait.

 

France ! tu estois donc armée,
la terre portoit tes legions
& la Mer tes vaisseaux,
vn enfant vient à ton secours
pour asseurer tes victoires :
qu’est-il de plus foible, mais
qu’est-il de plus fort pour toy ?
Sur l’vn de ces élements il
renuerse tes ennemis, sur l’autre
il les épouuante : vne insigne
victoire gagnée par tes
Galeres en la Mer de Gennes,
est vn signal de sa venuë,
& le bruict qu’elle fait au

-- 13 --

monde, porte par tout la
ioye ou l’effroy : Il ne falut
qu’vne nuict à l’Ange pour
exterminer la puissante armée
de Sennacherib, vn iour
suffit à ton Dauphin pour
vaincre, ou pour estonner les
grandes forces de l’Espagne,
parce que tous deux estoient
enuoyez de la part de Dieu.

 

Reg. lib. 4.
cap. 19.

Le besoin que nous auons
d’vne grace, nous la fait desirer
auec ardeur, nous en souffrons
le retardement auec
impatience, & nous l’obtenons
auec joye ; la longueur
de l’vn, fait la grandeur de
l’autre, & le plaisir qui suit la

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joüissance, s’augmente par le
souuenir de la priuation qui
l’a precedée ; La Naissance
de Louys le Iuste fit éprouuer
cette verité, celle de son
DIEV-DONNÉ la confirme :
La premiere donnoit à nos
François fatiguez de leurs
mouuements ciuils, vn Fils
d’Henry le Grand, pour estre
l’heritier de ses vertus, & de
son Sceptre, la derniere fait
encore viure ce Heros, &
monstre que le Ciel luy fait
Iustice, en conseruant à sa posterité
vne Couronne, qu’on
pouuoit moins dire son heritage,
que sa conqueste.

 

-- 15 --

La France qui auoit veu
finir la race des Valois aprés
trois freres Couronnés, ayant
languy plus de soixante ans
dans la vaine esperance d’vn
Dauphin, s’en voyoit encore
frustrée par le malheur de leur
alliance, qui rendoit sterile
le mariage de Henry le Grand :
ainsi vous eussiez dit que par
vne fatalité tant de fois reconnuë,
la succession de ce
Royaume n’estoit plus destinée
qu’à des Collateraux ;
Mais ces apprehensions moururent
auec le suiet qui les
auoit fait naistre, Louys le
Iuste ne vit pas plustost la

-- 16 --

lumiere, qu’il fut le Soleil de
l’Estat ; & le premier de ses
rayons fut assez vigoureux,
pour dissiper tous les nuages
qui l’auoient troublé.

 

Ce petit Hercule François
ne fit pas son essay sur des
serpents, il écrasa dés son berceau
vn hydre, qui iusqu’alors
auoit tousiours eu quelques
testes ; enfin la ligue disparut,
& la vie de ce monstre
finit, où celle de nostre
Monarque commença : Heureuse
lignée de nos Roys qui
preserue les Peuples de tant
de malheurs, qui n’ont semblé
nous menacer, que pour

-- 17 --

signaler, & nous rendre plus
adorable la venuë de ce DIEV-DONNÉ,
qui termine nos miseres
par l’accomplissement
de nos vœux.

 

Les grandes choses ne se
produisent pas à la maniere
des communes, la mere des
estres a coustume de se tenir
quelque temps en reserue
quand elle veut enfanter des
prodiges, ses beaux accouchements
ont leur saison &
leurs presages, comme ses
funestes destructions ; Et
l’on ne doit plus s’estonner,
si pour vne seconde fois
la sterilité d’Anne a deuancé

-- 18 --

la naissance de Samuël.

 

Reg. lib. 1.
cap. 1.

Il estoit iuste que Louys,
qui le fut en toutes ses actiõs,
laissât à son Empire vn Iuste
protecteur de sa Iustice & de
ses Loix ; mais il faloit aussi
pour accomplir cét acte de
Iustice, qui dépendoit moins
de sa volonté que de ses
vœux, implorer vne iuste misericorde ;
Il faloit qu’vne
Reyne versât des larmes,
pour seconder la pieté d’vn
Roy ; Et que l’ardeur de la
priere enflammât leur amour,
pour en donner à leurs subjets
vn gage precieux, qui fût
moins vn enfantement de

-- 19 --

la Nature, qu’vne adoption
de la grace.

 

L’vnique passion de deux
cœurs étroitement conioints
deuoit croistre par le refus,
auant que d’estre satisfaite,
le vœu de deux testes Couronnées
d’vn seul Diadême,
deuoit emprunter sa perseuerance
de ce qui sembloit
le rendre inutile, l’obiect de
tant de soûpirs élancez par
ces deux personnes Royales,
deuoit estre plus estimé par
la difficulté de sa Conqueste,
la voix d’vn Peuple, iointe à
celle de ses Souuerains humiliez,
deuoit enfin par ses redoublements

-- 20 --

penetrer tous
les Cieux, pour y porter vne
mesme plainte ; & tout cela
sans doute deuoit predire à
nostre Louys, que luy (qui en
estoit l’enfant) seroit le Pere
d’vn miracle.

 

Mais si tant de desirs ont
préuenu cette naissance, beaucoup
plus de contentements
l’ont suiuie, l’excez de ce
bon-heur en surpasse les esperances,
& la nature mesme
trouue tant de surnaturel
en son ouurage, qu’elle s’y
méconnoist ; le dessein de sa
production n’estoit qu’vn enfant,
ce qu’elle a fait, luy semble

-- 21 --

plus qu’vn homme, iusque
là qu’elle croit voir vn genie
dans le berceau, & vne intelligence
à la mammelle, elle
en reste interdite, & se deffie
si fort de quelque artifice
étranger, qu’elle accuseroit
volontiers d’vne belle supposition
tous les tesmoins, qui
pourroient la conuaincre d’estre
seule coulpable, si c’est
vn crime d’auoir trop bien
fait.

 

Tant de graces font son erreur,
& les mesmes beautez
la desabusent ; Elle reuient de
son estonnement, & parmy
tant d’attraits reconnoissant

-- 22 --

les perfections du plus grand
homme, dans son plus petit
abregé, elle se ressouuient incontinent
que toutes les rares
notions, qui ont iamais
remply son Idée, ont entré
par dessein dans la composition
de ce chef-d’œuure, &
que sans se tromper, elle a peu
le prendre pour vn genie, &
pour l’intelligence qui seroit
desormais la motrice de cét
Estat.

 

En effect, SIRE, il est constant
que cét Artisan, de qui
l’industrie fit vn Nauire couuert
de l’aile d’vn moucheron,
n’eut iamais tant d’adresse

-- 23 --

à ramasser en peu d’espace,
vn si grand nombre de
belles proportions ; Et que
tout ce qui est de rare au
monde, ne pourroit rien faire
admirer d’accomply, comme
vostre enfance, si ces mesmes
perfections qui vous accompagnoient
dans le berceau,
ne croissoient auec vous,
pour faire éclatter sur le trône
vne Majesté que l’aage
fortifie ; mais qui n’estoit point
puerile dans vn Roy de quatre
ou cinq ans.

 

Ainsi nostre Dauphin naissant
ne trouue rien d’égal en
l’Vniuers, & pour n’estre

-- 24 --

comparable qu’à luy-mesme,
il ne peut estre surpassé que
par vn Roy, en qui ses propres
agréments paroissent
auec plus d’éclat soubs les
brillants d’vne Couronne qui
les couure, sans les cacher.

 

Le reflechissement qui naist
de l’approche de ces deux lustres
differents, donne de l’ébloüissement
aux yeux, qui
ne leur permet pas d’en distinguer
la force ; Ainsi l’on
peut douter quel des deux
est le plus puissant : ces rayons
mutuels s’entrechoquent, sans
s’offusquer ; au contraire ils
s’allient dans leur opposition,

-- 25 --

Ainsi mal-aisémẽt pourroit-on
dire quels sont les plus vifs,
toutesfois ceux de la Personne
semblent d’autant plus encherir
sur ceux du Diadéme,
que celuy-cy s’éleue à mesure
que celle-la croist.

 

Mais n’allons pas si viste à
faire vn Roy qui le sera trop
tost, ne pouuant pas manquer
de l’estre, considerons vn peu
nostre petit Dauphin, qui n’a
paru qu’apres de fâcheuses
tempestes, trouuons en luy
de la Maiesté, auant que de le
mettre sur le Trône, Pour le
moins laissons à la France le
loisir & la liberté de rendre

-- 26 --

graces au Tout puissant qui l’a
fauorisée, & ne confondons
pas des sacrifices de reconnoissance,
pour vn suiet de
ioye à la naissance du Fils,
auec des regrets & des plaintes,
pour vne occasion de
douleur à la mort de son
Pere.

 

France t’és-tu bien acquitée
des deuoirs qu’vn bienfait
de telle importance exigeoit
de tes sentiments ? As-tu
bien satisfait aux vœux &
aux promesses qui accompagnoient
tes demandes ? Leur
effet ne cause-il point ton
oubly, & leur succez, ton ingratitude ?

-- 27 --

Non non, ce crime
est éloigné de toy, ie t’en croy
incapable, la presence de ton
obiet te fera sans cesse adorer
ce qui t’en conserue la
possession, & le deffaut de ta
memoire ne sera iamais compatible
auec l’excez de ses
charmes.

 

Aussi ce pompeux appareil
& toutes ces beautez
dont le rebut auroit paré
l’Ancienne Rome dans la
solemnité de ses jeux & de ses
triomphes ; Ces feux qui rendoient
la nuict plus éclairée
que le milieu du iour, & tant
d’Astres artificiels qui auroient

-- 28 --

fait honte, au soleil, n’estoient
que des estincelles de
la ioye publique, & des legeres
marques de l’amour, que
faisoit éclater dans la Capitale
du Royaume le cœur des Citoyens :
Cette noble partie de
l’homme auoit reserué tous
ses principaux mouuements,
pour n’en monstrer la vehemence,
qu’à l’Autheur de nos
felicitez : enfin tous les François
estoient rauis, & parmy
ces rauissemens, si l’on voyoit
des apparences d’insensibilité,
elles ne prouenoient que
d’extase.

 

Donc ce Dauphin celeste

-- 29 --

paroissant au plus beau climat
de la Terre, en charma
tous les habitans, & ses seules
beautez visibles partagerent
d’abord les cœurs & les yeux
dans la veneration de l’ouurier,
& de l’ouurage : mais
dez-lors que parmy ces auantages
corporels, on apperçeut
quelque chose qui surpassoit
le sensitif, & que l’esprit d’vn
homme commença tant soit
peu d’en animer la figure ;
quelle fut nostre admiration ?
quel fut le sentiment vniuersel
à la premiere obseruation
de sa personne, & de ses gestes ?
que nous marquoit son ton

-- 30 --

de voix, son air, sa démarche,
son asseurance, & ce visage serieux,
sur vn corps enfantin,
qui dans sa petitesse faisoit
déja respecter sa grandeur ?
Lors chacun ne conclud-il
pas d’vn commun suffrage,
que le Ciel s’estoit épuisé à
nous combler de ses faueurs,
en versant sur ce petit Prince
l’abondance de ses benedictions.

 

Toutes nos ames sont de
mesme trempe, tousnoscorps
sont de chair & d’os, pourtant
l’esprit des hommes n’est pas
toûjours pareil, ny leur vigueur
semblable : l’Ame agit

-- 31 --

plus parfaitement, où elle est
mieux organisée ; Et dans les
ouurages de la nature, comme
dans ceux de l’art, quoy
que de la mesme matiere &
du mesme dessein, l’vn auorte
& l’autre excelle.

 

Que voyons nous dans cét
aymable rejetton de nos Lys
qui ne prouue son excellence ?
que découure-t-il à nos
yeux, quine soit tres parfait ?
Ha ! sans doute l’exterieur
d’vn si beau vase fait juger
de ce qu’il enferme, & l’Artisan
qui mit en œuure cette
pierre pretieuse, nous laissa
dequoy comparer son ornement

-- 32 --

auec son prix.

 

Bref c’est sans contredit
que ce Prince a eu de la nature
tout ce qu’elle auoit à donner ;
& que iamais elle ne fut
si liberale dans la distribution
de ses graces à ses Fauoris,
qu’elle a esté curieuse
de les ramasser, pour faire en
celuy-cy vn parfait assemblage
de toutes les parties, dont
chacune en particulier eust
esté suffisante pour faire ailleurs
vne merueille.

Mais quoy ? la prouidence
ne nous fit-elle ce Present que
pour noyer dans nostre joye
la douleur qui la deuoit suiure ?

-- 33 --

n’auions nous obtenu ce
Fils que pour nous voir rauir
le Pere ? encore qu’il fût né
pour succeder à son Empire
falloit-il qu’il en prît si tost la
possession ? Ces deux Astres
sont-ils si fort incompatibles
que l’Orient de l’vn soit le
Couchant de l’autre ? Ouy
grand Roy cette circonstance
manquoit encore à vostre
amour, pour le rendre parfait
enuers vos peuples : Il falloit
qu’vn fâcheux éuenement
en fît voir la sincerité dans
vostre propre perte, & que
ne jouïssant pas du fruit de
vos demandes, on n’en deût

-- 34 --

l’enterinement qu’à vne vertu
dés-interessée. Vous ne demandiez
pas pour vous, ce n’estoit
que pour vostre Estat,
& peut-estre que sacrifiant
pour son repos, vous auez
souhaitté d’estre vous mesme
la victime : le desir de
la gloire qui ne marchoit en
vous qu’aprés la piété, ne daignoit
plus abaisser vos pẽsées
à la conqueste de la Terre, il
les éleuoit toutes au Ciel ; Et
ce Theatre plus éminẽt (quoy
que moins visible) auoit pour
vous bien plus d’appas que
celuy de l’Europe, où vostre
bras victorieux alloit bien-tost

-- 35 --

faire pleurer ce petit
Alexandre.

 

Si les hommes n’estoient
creés que pour le monde, les
Roys par dessus tous les autres
auroient raison d’en aymer
le séjour : Mais puis qu’ils
y meurent comme ils y naissent,
les Rois plus que tous
autres, s’en doiuent détacher,
afin de n’estre pas plus éloignez
du vray bon-heur dans
vne felicité apparente, que
ceux qui s’y peuuent le
moins tromper, dans la souffrance
d’vne misere veritable.

LOVYS le Iuste qui portoit
grauez dans son cœur les

-- 36 --

sentiments qu’imprime la
vertu, sçauoit assez l’importance
de ce discernement, &
si quelque chose auoit pû
luy faire souhaitter vne plus
longue vie, ce ne pouuoit
estre que le desir d’acheuer
en nostre Dauphin, par son
éducation, ce que le Ciel
auoit si heureusement commencé
par sa naissance.

 

Luy qui auoit regné comme
s’il eût voulu reduire la
posterité dans l’impossible de
trouuer son semblable, eût
pourtant fait ses efforts pour
le rendre encore plus parfait,
& auroit creu ne pouuoir

-- 37 --

mieux immortaliser sa vertu,
qu’en nous laissant vn successeur
capable d’en couurir l’éclat,
par le nouueau lustre
de la sienne.

 

Sic imperato
quasi
certes in
hoc, ne quis
cui similis
que at succedere,
at
sic interim
liberos futuro
Parans
Imperio
tanquam id
agas vt
tibi succedat
te melior.
Erasm.
Instit Prin.
Christ.

Toutesfois, il sçauoit aussi,
& par experience, que le bras
qui abat le Pere dans sa force,
soûtient le Fils dans sa foiblesse,
que le coup qui met
l’vn par terre, n’abandonne
pas l’autre au desespoir ; Et
que cét œil toûjours ouuert à
la conduite de l’Vniuers, éleue
mieux vn Roy Mineur,
que les soins Paternels ne le
rendent digne de l’estre : ainsi
sans vouloir de plus prés examiner

-- 38 --

quelles sont ses maximes,
il attendoit toûjours auec
respect, ce qu’il estoit prest
de souffrir sans murmure.

 

Enfin la mort (cette aueugle
coulpable qui détruit
l’inégalité de nos vies, par l’égalité
de nostre fin) reduit le
premier des Monarques, au
mesme point que le dernier
des hommes ; Heureux que sa
Iustice & sa pieté en ayent
fait la difference, en nous faisant
juger auecque plus de
certitude, qu’aux vieux Romains,
qu’il est vn de nos tutelaires,
sans augmenter le
nombre de nos Dieux.

-- 39 --

Consolez-vous, François,
vostre douleur offense son
obiet, il consent que vous
l’étouffiez dans l’amour de
son successeur, Et que la mesme
voix qui vient de vous
annoncer sa perte, ne face
que changer de ton pour proclamer
le nouueau Roy :
Mais quoy ? ne connoissez
vous pas que c’est luy mesme
qui renaist en la personne
de son Fils ? qu’il veut estre
Mineur vne seconde fois,
pour recommencer d’estre le
Tuteur de son peuple ; vne
seule vnité adjoutée sur le
premier nombre nous distingue

-- 40 --

ces deux LOVYS, vne
mesme victoire qui fait la fin
d’vn Regne & le commencement
d’vn autre, fait trouuer
à la France dans le changement
de sa fortune, la constance
de son bon-heur.

 

Non moritur
qui
viuam sui
relinquit
imaginem
Erasm.

C’est maintenant que nous
pouuons considerer nostre
petit Monarque dessous le
daiz de ses ayeuls, il est temps
qu’il nous face voir dessus le
tribunal de la Iustice de son
Pere, vn petit Souuerain, qui
ne cognoist qu’vne seule puissance
au dessus de la sienne :
faites vous porter sur le Trône
(SIRE) vous n’y sçauriez

-- 41 --

monter, la delicatesse de vos
membres ne seconde pas encore
la vigueur de vostre
courage ; vostre bras n’est-il
point trop foible pour vn
sceptre si pesant ? vne couronne
qui auroit chancelé sur la
teste des Cesars, peut-elle reposer
auec asseurance sur la
vostre ? Quoy ! déja vous parlez
en Roy ; Et le decret du
Ciel qui vous establit, s’execute
par vostre bouche qui
le prononce, par la voix du
peuple qui l’interprete, &
par les suffrages de vostre
Parlement qui le confirme.

 

Mais pendant que vous

-- 42 --

estes dans le Senat François,
oserois-je introduire ce
grand Orateur qui fût autresfois
l’ornement du Senat Romain,
pour vous dire que
l’homme est doüé d’vne viuacité
d’esprit, dont les sens
sont (pour ainsi dire) les gardes
& les émissaires, & d’vne
figure de corps conuenable
à ses mouuements : tous ceux
qui peuuent regarder fixement
V. M. trouueront l’application
de cette pensée tres
fauorable en sa personne ; Et
s’il est vray que le visage soit
le miroir de l’Ame, ils verront
briller dans ses yeux les

-- 43 --

rayons naissants d’vne vertu
solide, & paroistre sur son
front les signes euidents d’vne
sagesse qui preuient son
âge : Ils remarqueront que
son jugement forme ses gestes,
& cognoistront sa moderation,
dans la grace de sa
contenance ; ils jugeront que
son esprit commande à ses
sens, comme à des gardes, de
veiller à sa seureté, comme à
des émissaires, de porter ses
ordres par tout, & qu’il fait
ainsi ses esclaues de ses tyrans :
l’ordinaire des hommes est
d’en faire leurs maistres, &
quelquesfois leurs Dieux, vn

-- 44 --

enfant les gourmande & s’accoûtume
à les domter ; il est
vray qu’il est Tout-puissant,
& mesme sur sa volonté : Il
impose le joug à cette aueugle
souueraine, qui veut étẽdre
sa domination jusque sur
les puissances éclairées.

 

Tanquam
satellites ac
nuntios.

Cic. lib. 1.
de legib.

La methode de bien regner,
est de s’assujettir soy-mesme :
vous diriez que nostre
petit Prince la conçoit
déja si parfaitement, qu’il
s’arme & qu’il se fortifie contre
des passions qui ne sont
pas encore nées ; comme s’il
vouloit enseigner auant que
d’auoir appris, qu’vn Roy

-- 45 --

doit se rendre plus absolu sur
luy mesme, que sur ses peuples.
Laissons le croistre &
voyons cultiuer par vne illustre
éducation, les plus nobles
inclinations, & les plus
beaux talens qui ayent jamais
paré le Trône.

 

Isocrat.
Orat. ad
Nico.

Ce n’est pas assez d’estre né
pour l’Empire, il faut le meriter ;
le merite s’acquiert par
la vertu, la vertu se perfectionne
par l’instruction, &
la bonne instruction du Prince,
fait la principale esperance
d’vn bon Regne : Il est
bien vray que la vertu emprunte
quelques mouuements

-- 46 --

de la nature, mais c’est
à l’art de les regler ; il faut en
trouuer le secret à force de
soins : Et c’est dans cette étude,
que le Prudentrencontre
vn surcroît de sagesse, le Conquerant
de courage, & le
Prince de Iustice.

 

Tametsi
virtus impetus
quosdam
à natura
sumat,
tamen persicienda
doctrinâ
est. Quintil.
lib. 12.
cap. 22.

Ibi prudens
inuenit
vnde
sapientior
fiat ibi bellator
reperit
vnde
animi virtute
roboretur :
inde
Princeps
accipit
quem admodum
subditos
sub æqualitate
disponat
Cassiod.
10.
Var. Epist. 3.

Chez les Ethiopiens & dans
les Indes, au rapport de quelques
Cosmographes, on élisoit
antiennement le plus
beau ; parce que la beauté sympathise
auec la vertu, comme
la laideur auec le vice : Aujourd’huy
dans les Royaumes
électifs on cõsidere le plus vertueux ;
parce que de ce choix

-- 47 --

dépend la bonne ou la mauuaise
fortune dvn Estat : Mais
dans les successifs, il faut
que l’éducation supplée ce
que l’élection recherche ; parce
que cette sorte de Principauté
n’est estimée la meilleure,
qu’à cause qu’elle peut
auoir tous les auantages des
autres sans participer à leurs
defauts.

 

Quod suffragiorum
iuri detractum
est,
id edu
candi studio
pensetur.
Erasm.

Il est tres necessaire de bien
commencer, & de jetter dés
le berceau les premieres semences
qui pourront auecque
le temps, d’vn Prince, faire
vn Demy-Dieu : l’esprit est
plus facile à préuenir dans sa

-- 48 --

foiblesse qu’à moderer dans
sa fougue : la memoire est plus
ferme quand le jugement est
moins formé ; & comme les
premieres impressions sont
souuent les plus fortes, il importe
qu’elles soient bonnes.

 

Le temps le plus propre à
l’instruction du Prince est celuy
qui préuient la cognoissance
de ce qu’il est, l’idée de
la puissance absoluë qui s’empare
aisément de l’esprit d’vn
jeune Monarque, y laisse peu
de place pour vn assujettissement
volontaire ; rarement
souffre-t-il correction, quand

-- 49 --

il conçoit en luy ce pouuoir
de tout faire auec impunité ;
rarement preste-t-il l’oreille
au Panégyrique de la vertu
ou à la satyre du vice, quand
son cœur luy suggere, qu’il
peut faire vne mode duquel
il luy plaira.

 

Non aliud
æquè idoneum
formandi
corrigendive
Principis
tempus
quam cum
ipse nondum
se se
Principem
esse intelligit.
Erasm

Le nostre, que le Ciel vouloit
excepter de cette maxime,
en a receu des graces qui
la font cesser : il ne pouuoit
pas estre instruit auant qu’il
fût Roy, parce qu’il est presque
né sur le Trône ; mais il
est né auec les qualitez d’vn
Roy, du moins auecque les
dispositions propres pour les

-- 50 --

acquerir : il se vît chargé d’vne
Couronne, deuant qu’il pût
sçauoir comment il falloit la
porter ; parce que cette science
ne veut point de temps limité,
& que ce n’est pas trop
d’vne vie pour vne estude si
necessaire : Mais quoy que
la premiere de ses cognoissances
ayt esté celle de sa Souueraineté,
ses inclinations témoignent
que le plus grand
de ses desirs, sera toûjours
d’apprendre à n’en point
abuser.

 

Vne docilité incomparable
(la vraye source des bonnes
mœurs) fait en luy la premiere

-- 51 --

couche sur laquelle se
peut tracer, auec peu de peine
& beaucoup de fruit, le trait
hardy d’vn beau precepte :
C’est là qu’il rencontre son
jour, c’est là qu’il fait tout son
effet ; Et qu’vn esprit qu’on
peut dire fort, sans rien auoir
de rude, & doux sans estre foible,
court au deuant par vne
viue conception, qui releue
dans sa moindre pratique, la
plus parfaite theorie.

 

Aussi sembloit-il, SIRE, à
voir vos premieres actions,
que le precepte adjoûtoit
moins à la perfection de vostre
esprit, que vostre esprit à

-- 52 --

l’éclat du precepte ; Et que
vous estant enseigné par vostre
Gouuernante, il receceuoit
bien plus de lustre
qu’il n’en donnoit à V. M.
qui en a toûjours fait vn
exemple d’autant plus admiré,
que vostre âge, & son sexe
contribuoient à le rendre incroyable :
Vne femme, pour
l’ordinaire, n’est pas reputée
fort capable d’inspirer de
beaux sentiments, ny vn enfant
d’en beaucoup profiter ;
mais nostre Prince estoit docile,
& sa Gouuernante genereuse.

 

Madame de
Senecé.

Quand aurez vous vn Gouuerneur

-- 53 --

SIRE ? n’est il pas
temps que vos vertus deuiennent
mâles ? vous auez
assez fait d’honneur aux Dames
qui iusqu’icy vous ont
enuironné, voulant bien
qu’on ayt creu qu’elles vous
en donnoient les premieres
teintures ; pour peu que vous
demeuriez encore entre leurs
mains, vous rauirez vne bonne
partie de la gloire à ce Heros
qui vous en doit étaller les
principes : Et toute son experience
n’aura desormais rien
à debiter qui ne soit au dessous
de vos lumieres.

 

Vn excellent autheur de

-- 54 --

l’Institution du Prince Chrestien,
fait vne de ses principales
maximes, du soin qu’on
doit prendre de luy choisir
vn Gouuerneur ; & dit qu’il
faut y apporter autant de
circonspection, qu’en pourroit
desirer l’élection du Prince
mesme : En effet comme
cela seul fait toute l’importance
d’vn regne, il faut bien
prendre garde, à qui se peut
confier cette grande affaire
d’Estat. La force de nos vœux
peut donner le bon naturel
au successeur de nostre Empire ;
mais qu’il ne se corrompe
point, ou qu’il se perfectionne,

-- 55 --

cela dépend des soins
& de la vigilance de celuy
qui par ses bonnes ou mauuaises
leçons peut en faire
l’opprobre, ou l’ornement de
l’vniuers.

 

Vbi potestas
non est
deligendi
Principem,
ibi pari diligentia
deligendus
erit is, qui
futurum instituat
Principem.
Erasm. Inst.
Prin.

Vt nascatur
bonæ
indolis
Princeps,
id votis
exoptãdum
à superis,
porro ne
bene natus
degeneret,
aut vt parum
bene
natus reddatur
melior,
id partim
in nobis
sirum
est. ibid. Er.

L’employ d’vn homme qui
entreprend de gouuerner
vn Prince, n’est pas dissemblable
à l’office de l’Intelligence,
qui donne le mouuement
au Soleil ; ces deux conduittes
ont du rapport entre
elles, soit à raison de leur sujet
exposé à la veuë de tout
vn monde, soit pour la consequence
de leurs déreglemens :
Plus vn objet est éleué, plus sa

-- 56 --

hauteur le rend visible ; mais
plus il est visible, plus il doit
monstrer d’agrémens à nos
yeux, parce que s’il ne les arreste,
il les détourne. Le Prince
& le Soleil doiuent tous
deux briller d’vne belle lumiere,
qui éclairant toutes
leurs actions, les face admirer
aussi tost que connoistre : autrement
si ces Astres viennent
à s’obscurcir, s’ils s’égarent,
ou s’ils s’eclypsẽt, le blâme
en rejallit sur ces intelligences,
qu’on accuse ordinairement
(& auec quelque
sorte de justice) d’estre les
causes de leurs defauts.

 

-- 57 --

Il n’est rien de si dangereux,
ny d’vne consequence plus
certaine, que les vices du
Maistre passent à l’Escolier ;
& c’est pour ce sujet, que
dans le Gouuerneur d’vn
Prince on ne doit pas moins
rechercher les bonnes meurs,
que l’experience : Seneque
fut rappelé de son exil pour
éleuer Neron, & la plus generale
des regles de la politique
veut que les sages gouuernent
les Roys.

Nulla res
discipulo
tam peruiciosa,
quam
vita Magistri
contumeliosa.
Inquirendi
itaque Filijs
præceptores.
&c.
Plutarc.
lib. de ed.
Pue.

Tacit lib.
12. Annal.
n. 8.

Isoc. Orat.
ad Nicocl.

Aussi n’est-il rien, à vray dire,
de plus diuin, ny qui merite
dauantage d’occuper les
soins paternels, que l’education

-- 58 --

des enfans ; Les Roys
de Perse leur donnoient quatre
Gouuerneurs, vn sage,
vn juste, vn moderé, & vn
vaillant : Le premier deuoit
enseigner la pieté enuers les
Dieux, le second la verité
parmy les hommes, le troisiéme
vne Politique interieure,
pour combatre la
conuoitise & les Passions ;
Et le dernier deuoit bannir la
crainte d’vne ame Royale,
pour l’empécher d’estre seruile.
Ces grandes qualitez se
trouuent rarement dans la
mesme personne ; du moins
il est difficile qu’vn homme

-- 59 --

excelle en toutes également :
Ainsi la France est heureuse
de rencontrer dans vn seul,
ce que la Perse estimoit ne
pouuoir estre qu’en plusieurs.

 

Nihil diuinius
de
quo quis
consulere
queat quam
de recta sui
suo : umque
institutione.
Plar.
Dialog.
De sapient.

Plat. in
Alcibiad.

Ce fut auec autant de prudence
que de bon-heur, que
la France commit la conduite
de son Ieune Prince à Monsieur
de Villeroy ; il y a des
Gouuernements qu’on donne
à la naissance & aux seruices,
celuy-cy ne peut estre
deu qu’au merite & aux bonnes
qualitez : Toutes ces choses
contribüent à faire que ce
choix passe sans contredit
pour vne action des plus judicieuses

-- 60 --

de la Regence ; Et
ce Royaume le plus fertile en
sages & en genereux, ne pouuoit
pas fournir vn homme,
en qui tous ces grands
auantages se rencontrassent
mieux vnis, ny qui les
possedât en vn degré plus
éminent.

 

Ie dirois volontiers icy
quelque chose des deux premiers,
auant que de m’estendre
dans le denombrement
des autres qui paroissent visiblement
dans toutes les actions
d’vn Roy, comme la
cause en son effet : mais i’ay
peur que cette digression ne

-- 61 --

choque celuy que mon dessein
veut obliger ; i’ay pretendu
de luy plaire en parlant
de son Maistre, ie crains de
le fâcher si ie parle de luy ;
quand ie diray qu’il est vertueux,
ie dois me souuenir
qu’il est modeste, & que cette
vertu rougit d’vne loüange
meritée, comme d’vn injuste
reproche : Toutesfois i’ay sujet
d’apprehender vn autre
inconuenient, & que voulant
trop épargner vne modestie
particuliere, ie n’offense vne
justice publique ; La vostre,
SIRE, pourroit me reprocher
d’auoir trahy ses interests,

-- 62 --

si i’obmettois de dire à
V. M. ce que, peut estre, elle
n’a pas encore appris : Ie
sçay que vostre Gouuerneur
ne vous a pas fait vn precepte
de l’exageration de ses seruices,
ny du détail de sa Genealogie ;
& que ceux qui
auroient eu dessein de vous
en faire le recit, ne l’ayant
peu qu’en sa presence (puisque
il est toûjours à vos cotez)
se sont teus, ou par complaisance,
ou par la mesme
crainte qui me retenoit : Enfin,
SIRE ; Ie ne veux pas
estre complice d’vne faute
qu’il croit auoir droit de

-- 63 --

commettre impunément, ce
qui le justifie feroit mon crime ;
Et s’il s’en tait auec honneur,
ie ne pourrois pas m’en
dispenser sans blâme. I’entreprendray
donc, SIRE, mais
sous l’aueu de V. M. de luy
faire cognoistre ce grand
homme qui voulant acheuer
en vous la merueille de nostre
temps, ne vous supprime
rien de toutes les belles
veritez que celles qui le touchent.

 

Si la seule naissance ne
fait pas toute la Noblesse,
elle en appuye le fondement ;
la generosité naist quelquesfois

-- 64 --

dans les Cabanes, & la
bassesse dans les Palais ; mais
ce qui fait l’exception ne destruit
pas la regle, & constamment
vne grande suite
d’ayeuls n’est pas vn petit argument
du merite d’vn Gentil-homme.

 

Le Nom de Neuf-ville s’accorderoit
Mal auec l’ancienneté
de sa maison, si le temps,
qui adjouste beaucoup à son
estime, diminuoit tant soit
peu de son premier éclat : Il
est du nombre de ces choses
qui se renouuellent en vieillissant,
ou du moins on peut
dire que tant de genereux,

-- 65 --

que cette famille a donnez à
la France (s’estants toûjours
picquez d’encherir sur la gloire
de leurs Peres) ont cõserué
la nouueauté dans la vieillesse
de leur origine : Mais quand
ce premier nom n’auroit de
l’énergie que pour son principe,
celuy de Villeroy en a
pour son accroissement, il
marque assez precisément &
les employs & les seruices de
ceux qui l’ont porté ; puisqu’estant
composé du nom
du Prince, il exprime combien
ils furent toûjours attachez
aux interests de la Couronne.

 

-- 66 --

Monsieur le Mareschal
de Villeroy est le neufuiéme
rejetton de cette noble tige ;
Et c’est assez pour me dispenser
de faire vn grand volume,
à quoy m’engageroit l’estendüe
de ses branches, ou la recherche
exacte de l’ancienne
souche de Neuf-ville,
dont les racines sont autant
profondes, que ses rameaux
sont éleuez.

Il me suffit encore de dire
que parmy tant de glorieux
Ancestres, Nicolas de Neufville
Tris-ayeul de nostre Mareschal,
vit son merite en parallele
auec ses employs, qu’il

-- 67 --

honora autant qu’il en fut honoré
sous les regnes de Louys
Douziéme & de François
Premier ; & mesme durant
que la France estoit captiue
auec son Roy, il soulagea la
pesanteur de ses fers, par la
douceur de sa conduite, dans
l’administration des affaires
de l’Estat, dont il pouuoit
se dire vn des Principaux
Membres, puis qu’il en estoit
reconnu pour vne des meilleures
Testes : diuerses ambassades
suiuies de bons succez,
& la conclusion de la Paix
auecque Henry Huictiéme
d’Angleterre en ont esté des

-- 68 --

preuues authentiques.

 

Ces auantages sont hereditaires
à toute la famille,
comme l’honneur qui les releue,
& la vertu qui les soûtient ;
chacun de nos Monarques
ne croit pas son Sceptre
asseuré, s’il ne l’appuye sur
la prudence & la fidelité de
leurs Conseils : vn seul (Monsieur
de Villeroy dont la memoire
est toute entiere) a seruy
quatre Rois, & le changement
des Regnes qui entraîne
ordinairement l’inconstance
de la faueur, ne le fit point
déchoir de sa reputation. Iamais
homme ne se conserua

-- 69 --

plus long temps ny plus heureusement
la confiance de
tous ses Maistres ; aussi iamais
personne ne s’en monstra
plus digne dans la direction
de leurs affaires : Et l’on peut
dire qu’il partagea également
entre deux Maisons Royales,
des seruices qu’il auoit voüez
tous entiers à la France, puisqu’il
les commença sous
Charle IX. & ne les finit
qu’en mourant sous le Regne
de Louys XIII.

 

Valois &
Bourbon.

Ie me trompe, il ne les finit
pas, ses successeurs les
continüent, Monsieur d’Halincour
éleué de la main d’vn

-- 70 --

tel Pere auoit appris durant
sa vie à former toutes ses actions
sur vn si beau modele,
& témoigna depuis qu’il sçauoit
bien mettre en vsage les
leçons, que son exemple luy
auoit faites.

 

Ce grand Homme eut plus
de soin de s’acquerir les rares
qualitez de tous ses Deuanciers,
que de desir de posseder
les biens de toute sa
Maison, dont il fut le seul heritier ;
aussi en estoient-elles
la richesse. Il se rendit infiniment
capable de toute sorte
d’employs ; ceux de l’esprit
ou de la main, luy sembloient

-- 71 --

estre indifferents, toutesfois
le conseil aux vns, & l’execution
dans les autres, marquoient
en luy des vertus differentes.
Il fut diuerses fois
Ambassadeur enItalie, & sous
diuerses qualitez ; il y traitta
le Mariage de Henry le
Grand, qui à donné tant de
Potentats à l’Europe ; Il ménagea
la reconciliation des
Venitiens auec le Pape ; Et
plusieurs autres Negotiations
autant heureuses, que
bien concertées, luy acquirent
encore plus d’estime,
que de recompense : bref le
comble de sa grandeur, &

-- 72 --

l’immortalité de sa gloire est
d’auoir esté le Pere de nostre
Mareschal ; Sage Fils qui accroist
l’honneur de celuy
dont il tient la vie !

 

Filius sapiens,
gloria
Patris.

Le Lait de la Nourrice contribuë
au temperament de
l’Enfant, & le sang de la Mere
à ses inclinations ; La prudence
doit regler le choix de
toutes les deux, & le bonheur
en fauorise l’éuenemẽt :
Celuy de Monsieur d’Halincourt
fut aussi grand en son
Mariage, que la suitte l’a fait
voir dans sa fécondité, &
le fait encore admirer dans la
maturité de ses fruits ; son

-- 73 --

alliance ioignit par le sang
deux maisons qui l’estoient
déja de sentiments, & le seruice
de nos Rois qui estoit
l’objet de leur zéle, fut le motif
de leur Amour.

 

La renommée n’est pas ingrate
à la memoire de Monsieur
de Sancy, d’vn secours
important, dont il soulagea
la plus grande necessité de
Henry III. par vn renfort de
douze mille Suisses, & de
deux mille cheuaux Allemans,
que ce braue Colonel
auoit leuez à ses propres
dépens & qu’il conserua si
à propos à Henry IV. pour

-- 74 --

son auenement à la Couronne,
que ces forces y seconderent
puissamment le courage
d’vn si grand Roy.

 

Pardon, SIRE, si ie tranche si
court tant de faits Heroiques,
& si ie dis si peu de l’Ayeul
Maternel de Vostre Gouuerneur,
Ie n’ay fait qu’éffleurer
les vies de ses Illustres Predecesseurs,
& ne veux pas m’estendre
sur la sienne, puisque
par discretion ie dois plustost
flatter le desir de V. M. dans
cét abregé de leurs merueilles,
que fatiguer son attention
dans le vaste champ de
leur gloire.

-- 75 --

Voicy l’endroit où ma crainte
redouble par la difficulté
d’exprimer en peu de mots
beaucoup de grandes choses ;
ie le dois pourtant à moins
que de vouloir me contredire,
& i’ay peine à le faire, puisqu’vn
beau corps n’est plus
parfait, si on luy oste quelque
membre, & qu’on gaste
sa taille si on la racourcit : Ie
laisseray faire pour le moins
tout son éloge à ses actions,
& ne donneray point à sa vie
d’autre ornement, que leur
propre éclat, aussi les belles
veritez doiuent paroistre toutes
nuës, & l’artifice est le

-- 76 --

masque de la laideur.

 

Monsieur le Mareschal qui
auoit tous les auantages de
la naissance, eut tous ceux
de l’éducation ; Il fut nourry
Enfant d’honneur du Roy,
& de l’approche de sa Personne
il tira la connoissance des
vertus Royales, qu’il transmet
à son successeur ; Il l’accõpagna
depuis en toutes les
guerres, où il admira sa conduite,
dont il fait des regles
d’Imitation à son Fils ; Il fut
toûjours present à ses combats,
cela veut dire à ses Victoires ;
Il fut meslé dans ses
triomphes, & se fit toûjours

-- 77 --

remarquer parmy les principaux
instrumẽts de sa Gloire,
dont il interprete les Loix à
nostre Ieune Prince : Il a passé
par tous les degrez de
l’Honneur, pour atteindre
au plus haut de ceux où son
merite pouuoit butter ; Il a
seruy toutes les campagnes,
pour ne point perdre d’occasions,
il n’a point negligé de
rencontres pour signaler par
tout son grand courage, il a
sçeu mépriser tous les dangers
& jamais d’ennemis, il
a sceu vaincre & ménager
ses auantages ; Enfin ses vertus
Militaires ne cederent jamais

-- 78 --

aux Politiques.

 

Il y a trente ans que ses seruices
furent plustost reconnus
qu’honorez par la charge
de Mareschal de Camp, &
depuis par le commandemẽt
des troupes en Italie, pendant
plusieurs années ; il fut
laissé à Suse aprés sa prise &
la conserua : il commanda l’Auant-garde
lors que nostre
Armée s’auãça dans le MontFerrat,
& eut tres grande part
à ses progrés : puis au siege de
Pignerol, & n’en eut pas
moins à sa Conqueste : il y fut
renuoyé pour y commander
durant la grande peste ; Et ce

-- 79 --

dernier fleau de la Diuinité,
ne pût rien sur celuy qui pouuoit
tout sur les deux autres,
dont il sembloit disposer à son
gré pour la persecution des
ennemis de son Maistre : il en
fut rappelé pour l’attaque du
Fort, qu’ils auoient éleué au
bout du Pont de Carignan,
Celebre, pour auoir esté le
Monument de ses deffenseurs,
& l’Occasion d’vn grãd
combat, où nos armes firent
creuer leur resistance : qui
pouuoit mieux qu’vn genereux
François enseuelir l’orgueil
des Espagnols, dans la
ruine de leurs ouurages ? Ensuitte

-- 80 --

il fut pendant trois ans
Chef de l’Armée du Roy, delà
les Monts où la plus-part
de nos heureuses entreprises
furent les succez de ses ordres ;
il commanda vn corps separé
au Siege de Turin : La
Bourgogne qui l’auoit déja
veu dans les soins de sa protection,
le receut en qualité de
Lieutenant General de la principale
de nos armées, en quoy
Louys le Iuste (qui l’honora
de cét employ vn peu deuant
sa mort) fit en luy l’vn des
derniers actes de sa Iustice,
& il y demeura auec vn corps
dans le partage de nos troupes

-- 81 --

pour l’Italie & pour Rocroy.

 

Il ne fut pas moins occupé
dans le commencement du
Nouueau Regne, il fut fait General
de l’Armée que le Roy
enuoya en Xaintonge, &
dans l’Angoumois, puis il la
mena en Catalogne, pour y
auancer nos limites : Enfin le
Siege de la Motte où il ne fit
qu’Aller & Vaincre, est vne
chose trop connuë pour estre
icy exagerée ; outre que
i’ayme-mieux que la Posterité
me confrontant auec l’Histoire,
juge du tort que ie luy
fais, & m’accuse plustost de

-- 82 --

conniuence pour sa retenuë,
que de flatterie pour son ambition :
mon silence mesle ma
justification auec la sienne ; Il
ne sera point ambitieux, ny
moy flatteur, dans l’esprit de
ceux qui connoistront que
pour luy plaire, ou plustost
pour le moins fâcher, ie n’ay
fait que sauter sur les branches
de ses Lauriers, sans eriger
à sa valeur, les Trophées
d’vne loüange legitime.

 

Mais, SIRE, pourroit-il en
auoir de plus Augustes, que
ceux dont V. M. fait l’appareil ?
La conduite qui luy fut
donnée de vostre Personne,

-- 83 --

l’honneur qu’il a de vous apprendre
à Regner, le plaisir
de cultiuer en vous les semences
naturelles, mais infuses,
qui font germer les plus
beaux fruits de la Royauté,
& conceuoir à nos esperances
la douceur de leur goust ;
Ces auantages, dis-ie, qui vous
preparent des Triõphes dans
les cœurs de vos peuples, luy
promettent-ils pas la gloire
d’y participer ? L’amour de
vos subjets qui bastira des
Temples à la memoire de vostre
Regne luy donnera place
auprés de vos Autels, on
verra dessus leurs Frontispices

-- 84 --

la Statuë de V. M. éleuée
sur l’Escu de son Gouuerneur,
vos Armes neufues & luisantes
entassées sur les siennes,
faussées & toutes ternies de
la poussiere des Combats,
vostre Couronne soûtenuë
de son Casque, vostre Sceptre
croisé dessus sa Lance, vostre
Main de Iustice, sur son
baston de Mareschal, des
fleurs de Lys parmy des
Croix ancrées ; Et tous ces Ornements
Pompeux, embelliront
par de Mysterieux Emblesmes,
la dorure de leurs
lambris. La Patrie doit tout
au bon Prince, & doit le bon

-- 85 --

Prince à son Gouuerneur.

 

Omnia debet
patria
bono Principi,
at
hunc ipsum
debet ei qui
rectis rationibus
talem
effecerit.
Erasm.

Que peut-on adjouster à ce
haut comble d’Honneur, sinon
que l’on a tres justement
donné part dans le Ministere
à celuy qui Gouuerne le Timon
de l’Estat ; Et que Monsieur
de Villeroy n’a esté fait
Mareschal de France, qu’aprés
que l’Approbation de la
Cour a monstré, par le plus
important de ses choix, qu’il
ne deuoit plus rien attendre
de la Faueur, mais tout esperer
de son Merite.

Passons maintenant aux excellentes
qualitez, qu’il puise
de son sein, pour les répandre

-- 86 --

sur son Nourrisson, & rentrons
dans nostre sujet par vn
chemin, où les bonnes parties
d’vn Gentil-homme se vont
mesler auec les Attributs de
la Royauté : Les vertus d’vn
Heros éclateront mieux
dans vn Prince, l’Eminence
du Trône les mettra dans
vn plus beau jour ; Et i’ay sujet
de croire en cette rencontre,
que ne les considerant
plus que par le point de
leur operation, dans la seule
Personne du Roy, i’honore
plus, & des-oblige moins,
l’Homme du Monde, qui
passionne dauantage le succez

-- 87 --

de ses soins, dans la perfection
du plus bel Ouurage de
l’Vniuers.

 

Ie remonte à la source pour
suiure son cours, & ie vay retrouuer
mon Prince dans la
Docilité qui faisoit en luy de
si beaux effets, sous le Gouuernement
des Dames, pour
les rehausser dans leurs suittes
& faire voir auec combien de
fruit vne Excellente Main
trauaille sur d’heureux Esbauchements.

La Matiere bien disposée
donne plaisir à l’Ouurier qui
la façonne, & quãd vn Esprit
est Docile, on prend goust à le

-- 88 --

cultiuer : La peine est agreable,
quand nostre labeur n’est
point ingrat ; nous trouuons
du repos dans l’exercice le
plus violent, si l’acheminement
de nostre dessein, s’accorde
auec nos esperances ; vn
moment de relâche fatigue,
s’il fait entrer dans la pensée
le desespoir de son issuë.

 

Spes quæ
differtut
affligit animam.
Prouerb.
13.

Nous portons toûjours la
guerre auecque nous, nos ames
souffrent continuellemẽt
des seditions intestines, & le
combat ne cesse jamais entre
les Passions & la Raison : Ces
brutales sont insolentes, iusqu’à
vouloir, le plus souuent,

-- 89 --

vsurper son Empire par la
reuolte des Sens ; mais les
Hommes ne seruent pas tous
également de Theatres, à ces
Tragedies : On en voit de si
moderez, qu’il semble que
leurs actions tiennent tout
de la Grace, & rien de la Nature ;
pour le moins on peut
dire qu’il y reste peu de vestiges,
de la nature corrompuë :
leurs inclinations qui n’ont
point de racines dans le
corps, ne partagent point l’Ame
entre les operations de
l’Esprit & les plaisirs du Sens,
leurs cœurs ne poussent que
des sentimẽs épurez ; Et comme,

-- 90 --

ils se rendent toûjours susceptibles
d’instruction, ils ne
le sont jamais d’erreur.

 

FRANÇOIS, tel est vostre Monarque,
il fait caresse aux bons
enseignements, ainsi rien
n’entre en son estime, que ce
qui la merite, il n’a de passions,
que ce qu’il en faut pour ayder,
ou pour seruir à la raison ;
Et se croiroit indigne d’exceller
en Puissance par dessus ses
subjets, s’il ne pretendoit de
les surpasser en Vertu.

Xenoph.
de pœd.
lib. 7.

Quand on luy represente vn
Architecte qui doit regler
tous les ouurages de ses Artisans,
& faire entre eux le département

-- 91 --

de son idée, afin
qu’vn superbe edifice en soit
l’execution ; Ce Prince conçoit
à l’instant qu’il est l’Architecte
de son Royaume, &
qu’vne felicité politique doit
estre la fin de ses ordres, & le
succés de sa conduite.

 

Aristot.
lib. 1. Polit.

Quand on luy figure vn
vaisseau, que les vagues & la
tempeste menacent du naufrage,
si l’adresse d’vn bon Pilote
ne le détourne des escueils ;
il comprend aussi-tost
qu’il est le Pilote de son Estat,
& que sa vigilance le doit garentir
des orages, sa prudence
ne point l’exposer aux flots

-- 92 --

d’vne mer courroucée, & son
experience luy faire éuiter la
rencontre des bancs & des
rochers.

 

Erasm.
Inst. Prince.

Le desir d’apprendre & celuy
d’enseigner, font vne belle
émulation entre le Maistre
& le Disciple, c’est là le premier
fondement de la perfection
de l’vn & de la gloire de
l’autre : Et c’est où ie rencontre
dequoy admirer vn bonheur
reciproque, au Roy d’estre
éleué par vn homme accomply,
à son Gouuerneur,
d’auoir vn Prince à éleuer, en
qui les dispositions naturelles
preuiennent tous les auantages

-- 93 --

de l’Art.

 

Primus
discendi ardor,
excellentia
magistri.
Ambros.
lib. de
Virg.

I’en ay trop à dire, pour
estre creu de ceux qui iusqu’icy
n’ont veu nostre DIEV-DONNÉ
qu’en peinture :
quelque bien imitez que puissent
estre les traits de son visage,
ils ne seront jamais assez
fidelles, pour exposer au naturel
les qualitez de son esprit ;
& j’aduoüe par experience,
que l’approche de sa Personne
se reserue dequoy
monstrer que la copie est
bien éloignée des graces de
son Original.

Mais i’en ay trop à dire,
encore, pour ne pas faire

-- 94 --

des complices de l’incredulité
dont ie confesse auoir
esté coulpable, si pour les
dés-abuser, ie n’employois
les mesmes moyens, qui ont
seruy à me conuaincre ; Ce
ne seront pas seulement les
témoignages publics de toute
la Cour, ny le bruit confus
vniuersellement épanché par
le rapport de ceux qui la frequentent ;
I’en ay bien des
preuues plus authentiques :
Et ie ne laisseray plus de place
au soupçon ny au doute
pour tout le reste de mes veritez,
si i’en appuye la creance
(comme ie m’y sens obligé)

-- 95 --

sur l’authorité d’vn Prelat,
dont la bouche & la propre
main me les ont apprises. Qui
pourroit parler plus certainement
des Qualitez & de l’Esprit
du Roy, que celuy mesme
qui en ménage la portée,
& de qui les enseignements
dans la connoissance qu’il
luy donne des bonnes lettres,
le mettront vn jour dans nostre
Histoire au premier rang
de ses Princes sçauants : Le
merite de ce grand Personnage
est assez connu par la
Charge où il l’a éleué, & par la
Dignité où il l’a fait atteindre ;
Il seroit difficile de monter à

-- 96 --

l’Honneur par de plus nobles
degrez : Et la haute profession
qu’il en fait, doit faire
auoüer à toute la France,
que les choses que i’ay à dire,
ne pouuoient auoir vn Autheur
moins suspect.

 

Monsieur
l’Abbé de
Beaumont
apresent
Euesque de
Rodez Precepteur
du
Roy.

D’abord, ne rauiray-ie pas
les yeux qui vont icy voir vn
Prince obeïssant, vn Souuerain
sous-mis, vn Monarque
assujetty ; obeïssant dis-ie
mais sans contrainte, sous-mis
sans repugnance, assuietty
sans honte ; tout cela volontairement,
& pourtant sans
foiblesse : Sa grandeur de courage
subsiste dans ses deferences,

-- 97 --

plus il est humble,
moins il est abaissé, & toutes
ses soûmissions, sont les enfants
legitimes d’vne sagesse
genereuse.

 

Mais encore quelle est cette
puissance qui rend vn Roy
son tributaire ? Quel est ce
vent impetueux qui peut faire
courber nos Lys ? La France
n’est elle plus inuincible ?
Elle qui n’a jamais trouué
d’ennemis indomtables, peut
elle en trouuer de Vainqueurs ?
Rien moins, elle fera
toûjours trembler toute la
Terre, n’eust elle que des
Rois emmaillottez : Et toutesfois

-- 98 --

son Prince qui n’est
impuissant, qu’en ce qu’il ne
peut se donner vn Maistre
qui ne soit son subjet, le reconnoist
pour son Superieur,
l’honore, le reuere, subit ses
loix, & reçoit ses aduertissemens
de si bonne grace, que
non seulement il proteste d’auoir
horreur pour l’ombre
d’vne faute ; mais qu’il s’en
destourne toûjours aprés l’auoir
vne fois apperceuë.

 

L’Empereur Theodose
trouuant vn iour Arcadius
assis en presence d’Arsenius
qui demeuroit debout, témoigna
de l’indignation, &

-- 99 --

fit reproche à celuy-cy, qu’il
obseruoit tres mal la bien-seance
de son Ministere : puis
sa colere venant à s’aigrir par
les excuses, dont Arsenius tâchoit
de l’appaiser, il le fit asseoir
sur le Trône ; Et dépoüillant
son Fils des Ornements
Imperiaux, voulut qu’il se
tînt découuert, & commanda
qu’il fût toûjours dans la
posture d’escoutant auprés
de la personne qui deuoit
l’enseigner.

 

Baron.
Tom. 4.
Annal. An.
Christ. 383.

C’est vne maxime du temps,
& cest assez pour dire qu’elle
est pernicieuse, ou du moins
corrompuë, que la bonté &

-- 100 --

la franchise sont les sœurs
germaines de la stupidité ; vn
siecle qui a mis en vogue la
fourbe & l’artifice, comme il
a banny du commerce la sincerité
& la bonne foy, en a
bien introduit de plus dangereuses :
On ne considere pour
habiles gens que ceux qui
sçauent déguiser les vices &
les crimes, sous vn manteau
de gentillesse & de subtilité
d’esprit ; les enfants mesme à
qui l’õ fait succer ce mauuais
laict, passent pour grossiers,
si leurs premieres actions ne
monstrent quelque trait de
malice ; l’Innocence n’est plus

-- 101 --

en eux qu’vne imperfection,
l’on en fait vne iniure, ou vn
terme de raillerie : Et souuent
ceux qui en sont accusez (n’estans
creus bons qu’à estre
Moines) sont condamnez
par leurs propres parens à la
prison perpetuelle d’vn Cloistre,
comme s’ils estoient coulpables,
pour n’estre pas criminels.

 

Mais c’est bon signe quand
vn abus a trouué son excés ;
s’il ne peut croistre dauantage,
il faut qu’il diminuë, le
Bien fait à son tour la reuolution
du mal ; Et sans doute le
Ciel reseruoit à son DIEV-DONNÉ,

-- 102 --

la gloire de purger
la Terre de tant de monstres
qui la desolent : Tous ses deportemens
en sont des augures
certains, ses qualitez des
moyens infaillibles, & sa puissance
vn souuerain remede.
La debonnaireté & la force
d’esprit sont en luy si naturellement
vnies, qu’elles se donnent
vne assistance reciproque ;
Et semblent se prester la
main, pour destruire vne erreur
qui sera desormais rebutée
du vulgaire, comme
elle l’a toûjours esté des personnes
raisonnables.

 

Qui seroit assez obstiné

-- 103 --

pour croire que ces deux Parties
essentielles d’vn grand
Monarque, fussent incompatibles ?
puisque le nostre les
possede ; Et que l’vne n’éclate
pas moins dans le discernement
qu’il sçait faire des bonnes
& des mauuaises choses,
que l’autre dans l’accueil qu’il
fait aux enseignemens qui luy
en ouurent les moyens.

 

Les grãds esprits ont plus besoin
d’instruction que les mediocres,
à cause qu’il est plus à
craindre que leur subtilité ne
dégenere en malice ; Ils se font
d’autant plus méchants qu’ils
estoient capables d’estre

-- 104 --

bons, s’ils eussent esté bien éleuez :
Et ce defaut d’éducation
laisse eriger des Autels
au Vice, dans des Temples
qui deuoient estre Consacrez
à la Vertu.

 

Animo
præstantissimo
præditi,
si male
educati fuerint,
pessimi
fiunt. Plat.
lib. 6. de
repub.

Que peut-on esperer d’vn
Roy qui n’a rien d’auantageux
que son pouuoir, & qui
mettant toute sa gloire à
commander, se precipite par
impatiẽce dans vne authorité
quelquesfois moins acquise,
qu’vsurpée ? Mais que ne doiton
pas attendre d’vn Prince
qui fait tréve auec sa Puissance,
pour la soûmettre aux regles
de s’en bien seruir ? La

-- 105 --

Souueraineté seule fait des
Tyrans, la bonté est son temperament,
& toutes les deux
ensemble nous fournissent
des Roys.

 

Plutarque dans ce sentiment
compare le bon Prince
à la Diuinité, dont la Bõté est
infinie comme la Puissance ;
& dit que pour en estre vne
viuante Image, il faut que la
Bonté luy donne le desir de
faire generalement du bien à
tout le monde, & que la Puissance
luy serue à le faire
quand il le veut.

Il seroit assez inutile de tracer
icy la figure d’vn monstre

-- 106 --

qui ne pourroit passer que
pour vn caprice de l’imagination,
puisque la tyrannie
en France n’est qu’vne chimere,
& qu’il y a trop long
temps qu’elle y est inconnuë
& des Princes & de leurs subjets :
D’ailleurs nostre LOVYS
ne veut estre excité à la pratique
des vertus que par leurs
appas & ses mouuements ;
Il trouue plus de gloire à s’y
porter par de si beaux motifs,
& trop de foiblesse & de honte
de n’auoir pour objet que
l’horreur du vice : L’Amour
est bien plus noble quand il
est l’enfant de l’amour & de

-- 107 --

la seule beauté qui le cause,
que quand il naist en partie
de la haine, ou de la laideur
de son contraire ; Et si les passions,
comme les qualitez
élementaires, s’augmentent
par le voisinage de leurs ennemies,
elles n’ont plus besoin
de cét accroissement quand
elles sont extremes.

 

Suiuons donc le cours
naturel de nos Inclinations
Royales, sans dauantage l’interrompre
par l’auersion du
mal, ne la iugeant pas digne
d’estre icy placée parmy des
sentimens plus releuez, & qui
partent d’vn cœur, qui ne respire

-- 108 --

que le bien.

 

Il n’est point d’homme qui
ne soit obligé d’estre vertueux,
parce que chacun doit
butter ou le vice ne conduit
pas ; mais cette obligation redouble
dans les Roys qui ne
doiuent pas l’estre pour eux
seulement, parce que leur
exemple est la regle du Monde :
Les subjets sont comme
ces plantes qui tournent selon
le Soleil, & les Princes
comme ces grands miroirs
ou l’on se voit de sa hauteur,
nous formons nostre contenance
sur les postures qu’ils
nous monstrent : Les seuls attraits

-- 109 --

de la vertu sont suffisãts
pour engager les grandes Ames
à la suiure ; & nostre Ieune
Hercule ne sçauroit balancer
dans le choix des chemins,
ayant vn si bon Guide.

 

Deux choses principalement
rendent vn concert
agreable, l’excellẽce des voix,
& la methode de les conduire
dans cette justesse de tons
& de mesures, qui compose
l’harmonie de leur diuersité ;
Il faut qu’vne terre soit bonne,
& qu’elle soit bien cultiuée,
pour estre abondante ; vn
arbre doit estre de bon plant,
& bien entretenu pour porter

-- 110 --

de bons fruits ; Et par tout
où les soins trouuent le naturel
en concurrence, nos esperances
peuuent estre quelquesfois
surpassées, iamais
vaines.

 

Non coalescunt
sparsa semina,
nisi
etiam terræ
qualitas
fuerit operata.
Cassiod.
lib. 6.

Se peut-il voir vne correspondance
plus parfaite, vne
alliance plus égale, vne relation
mieux fondée que celle
où l’Art, & la Nature contestent
à qui nous charmera le
plus dans la profusion de
leurs merueilles ? Pouuons
nous assez admirer l’vne
dans vn Monarque qu’elle
a rendu si acheué, qu’il semble
n’estre pas possible de rien

-- 111 --

adjoûter à sa perfectiõ, & l’autre
dans vn homme dont l’industrie
seroit capable de suppléer
par tout ce que la Nature
auroit manqué d’y mettre :
Quelle plus grande preuue
du premier, qu’vn jugement
solide qui sçait donner d’abord
ou le blâme, ou l’approbation,
selon la rencontre
des choses ? Quelle plus grande
marque du second, qu’vne
prudence exacte, à ménager
les occasions de suggerer
à nostre Prince, tantost l’estime
pour le merite des belles
actions, & tantost le mépris
pour la bassesse des cõmunes ?

 

-- 112 --

Ie ne sçay rien qui anime
dauantage la generosité d’vn
jeune cœur qui commence
d’estre amoureux de la gloire,
qu’vne loüange judicieuse &
bien appliquée ; il voit par là
combien il en approche, il
mesure au present le plaisir
d’vne joüyssance future, & se
promet facilement le parfait
succés d’vn dessein dont il
trouue toutes les entreprises
fauorables : L’estime est le but
de l’honneur ; mais vn commencement
d’estime auance
fort les progrés de l’honneur,
pour le faire bien-tost atteindre
au poinct où tous deux ne

-- 113 --

puissent plus croistre ; & pour
peu qu’on en ayt acquis, c’est
vn grand acheminement à ce
qu’on en veut acquerir : c’est
en cela que nostre Maréchal
reüssit tres-heureusement auprés
d’vn Ieune Prince dans
lequel il ne trouue rien que
de loüable, & qui pour preuenir
le des-auantage du blâme,
n’attend pas mesme celuy
de l’indifference, croyant
qu’il auroit beaucoup reculé
dans le chemin de la vertu
s’il auoit tant soit peu retardé
le cours d’vn applaudissement
continuël.

 

In via Virtutis
non
progredi,
regredi est.

Quoy SIRE, cela vous surprend,

-- 114 --

& cette rare modestie
qui peint le visage de V. M.
a de la peine de s’accoûtumer
à des loüanges que sa genereuse
ambition recherche,
que toutes ses actions meritent ;
Et qui luy sont si justement
données, que tous les
endroits de la Terre doiuent
bien-tost seruir d’Echo, pour
faire retentir par vne infinité
d’agreables redoublemens,
ce que la plume & la voix
s’efforceront d’en publier.

 

Quel bon-heur a cette Intelligence
qui fait mouuoir,
pour ainsi dire, en la Personne
de V. M. le Soleil de la France,

-- 115 --

bien-tost de l’Europe, &
peut-estre du monde ? Quel
bon-heur dis-je à ce Grand
Homme de se voir éclairé
par le reflechissement de tant
de beaux rayons ? Quoy qu’il
n’ait pas beaucoup de peine
à contribuer au mouuement
d’vn Astre qui s’éleue
assez de luy-mesme, il ne laissera
pas d’auoir part aux adorations
des peuples, qui ressentiront
desormais ses douces
influences, & la fertilité
de sa chaleur. Et vrayement
il est juste que celuy sur qui
rejailliroit la haine d’vn
Royaume, si le Monarque

-- 116 --

se l’attiroit par sa propre malignité,
profite de l’Amour
que le Prince peut mesme
s’acquerir, par sa seule bonté
naturelle.

 

Cest assez souuent que la
bonne fortune partage l’honneur
des Combats, le gain des
Victoires, & la gloire des
Triomphes ; elle en releue
pourtant le merite, & ne le
ternit pas : L’vn sans l’autre paroist
deffectueux ; mais tous
les deux ensemble, font voir
vn beau milieu entre deux
extremitez differentes.

On peut donc appeller heureux
le Gouuerneur d’vn

-- 117 --

Prince, de qui les inclinations
échauffent & n’estouffent
pas les semences de la Vertu,
c’est ce qui les fait germer plus
promptement, & de là vient
l’honneur de la personne qui
les jette ; au lieu que son merite
resteroit sans éclat s’il estoit
sans bon-heur : Monsieur le
Mareschal en fait vne agreable
épreuue dans les soins
qu’il se donne de cultiuer,
auecque toute son application,
vne plante qu’il voit
croistre heureusement ; &
dans laquelle il ne rencontre
point d’obstacle qui s’oppose
au dessein de sa perfection.

 

-- 118 --

I’ay dequoy cõfirmer ce que
i’ay dit de la force d’esprit &
de la bonté naturelle du Roy
par des remarques particulieres,
que toute la Cour connoistra
bien n’estre pas supposées :
Mais ie ne sçaurois
m’empescher de m’interrompre
& d’aduoüer en cét endroit
que la multitude des objets
fait la confusion de mes
pensées ; tant de sujets d’admiration,
tant de merueilles
differentes viennent en foule
se presenter à mon esprit,
que i’ay peine à les démesler,
& à ranger par ordre ces
vertus impatientes qui me

-- 119 --

contraignent de les placer
icy auec bien moins de choix
que de hazard : Pourtant ie
ne m’écarteray pas trop, si
parmy les remarques de la
force de son esprit, i’en rapporte
vne belle de la fermeté
de son iugement.

 

Chacun connoist que si LE
ROY paroist tres moderé
dans ses actions, il ne l’est pas
moins dans ses paroles ; & peu
de gens ignorent que parler
peu soit vne marque de sagesse,
puisque souuent son
contraire passe pour vne espece
de folie : Vn Ancien dit
qu’vn Prince doit parler

-- 120 --

comme vn Roy de Theatre,
c’est à dire qu’il faut que toutes
ses paroles soyent estudiées,
pour n’estre pas sujettes
à la censure de ceux qui
les doiuent respecter comme
des Oracles : Tibere parut
sage, à ne parler que rarement,
toutes ses responces
estoient concertées, & mesme
il ne souffroit point qu’on
luy fît aucune demande que
par escrit ; Amasis Roy d’Egypte
se seruoit de cét artifice,
pour ne rien auoir de vulgaire
en son langage non plus
qu’en sa condition ; Et Aristote
en fit vne maxime au

-- 121 --

grand Alexandre, parce que
les paroles des Roys s’écriuent
sur le marbre ; & que
l’on cognoist le Prince à la sagesse
de son discours, comme
l’artisan par la beauté de son
ouurage.

 

Ecclesiast.
10.

Bodin
rep. l. 4.
c. 6.

Sueton. in
Tiber.

Mos erat
eo tempore
Principem
etiam presentem
non
nisi scripto
adire.

Aristot.
lib. 1. Politic.
cap.
18. & in
pręfat reth.
ad Alexan.

In manu
artificum
opera laudabuntur.
& Princeps
populi in
sapientia
sermonis
sui. Ecclesiast.
9.

Poursuiuons maintenant
& retournons à ces obseruations,
que la Cour considere
comme des presages certains,
ou plustost des preuues
sensibles d’vne Clemence
Royale & plus qu’hereditaire :
Les principales sont qu’il
ne sçauroit souffrir qu’on face
du mal à personne en sa
presence, ny sous son adueu ;

-- 122 --

& que quand il découure vn
deffaut, ce qui ne peut jamais
échaper à sa cognoissance,
il le taist, il le dissimule,
& n’en permet pas mesme
la raillerie.

 

Voilà bien assez de matiere
pour nous engager à de
grandes reflexions ; mais pour
ne les pas estendre, & ne
pas lasser nostre Prince dans
l’exageration de ses Vertus,
hastons-nous d’auoüer que
c’est vn auantage à la France
d’auoir vn ROY si clairuoyant,
qu’il n’y ayt point
d’obscurité à l’épreuue de ses
lumieres ; mais que c’en est

-- 123 --

vn bien plus grand & pour
mieux dire incomparable,
d’auoir vn Pere dans son
Prince, dont la tendresse & la
benignité répandent vniuersellement
ses graces, sans metre
jamais rien en reserue, que
ce qui pourroit nuire ou fascher.

 

La Clemence est vrayement
la Reyne des Vertus,
puis qu’elle est la vertu des
Roys ; & que comme elle
presuppose de la puissance,
elle ne sçauroit estre plus
conuenable qu’aux Souuerains :
Elle est toûjours la marque
d’vn grand cœur, parce

-- 124 --

qu’on ne peut l’exercer sans
generosité ; aussi les ames les
plus barbares ne seroiẽt point
cruelles, si elles n’estoient lâches :
Il faut que les Roys
(dit Seneque) soyent semblables
aux Dieux, & qu’ils se
monstrent tels enuers les
hommes qu’ils veulent que
les Dieux soient enuers eux ;
en effet s’ils sont des Images
de leur puissance, ils en doiuent
estre de leur bonté. Ciceron
disoit, que vaincre son
courage, moderer sa colere,
& bien vser de la Victoire,
c’estoit tenir de la Diuinité,
plustost que ressembler aux

-- 125 --

hommes illustres : La bonté
de Cesar luy dressa des Autels,
la clemence d’Auguste
luy fit des adorateurs, & cette
Vertu couronnée peuploit
anciennement les Cieux
d’autant de Deitez nouuelles,
que d’Empereurs qui l’auoient
possedée. Il est certain
que rien n’attire tant l’esprit
des peuples, que la douceur
des Souuerains ; c’est elle qui
ménage vn accord perpetuel
entre la liberté des vns & la
domination des autres ; Et qui
de quelques hommages contraints,
fait vne infinité de
respectueuses defferences :

-- 126 --

On n’adore jamais par force,
la victime égorgée ne fait
qu’ensanglanter l’Autel, il
faut que le Cœur consacre
l’Offrande, & le vray Sacrifice
doit estre volontaire.

 

Optimè
Deos
exemplum
Principibus
constituam
vt se tales
Ciuibus
præbeant,
quales sibi
Deos esse
Velint. Sen.
de Clem.

Animum
vincere,
Iracũdiam
cohibere,
Victoriam
temperare,
non ego
summis viris
comparo
sed simillimum
Deo
judico Cic.
Pro ligar.

Beroald.
de opt. stat.

Erasm. 8. ap.

Les subjets s’estiment
enfants auprés d’vn bon
Prince ; Les Citoyens le
nomment leur Pere, la Patrie
son Liberateur, l’Estat sa
Colomne, la Monarchie son
Appuy, & l’Empire son Tutelaire :
Vn Roy de Sparte refusa
des gardes, parce qu’il vouloit
(disoit-il) commander à
ses peuples, ainsi qu’vn Pere
à ses Enfants ; aussi les forteresses

-- 127 --

les plus regulieres, pour
la seureté d’vn Monarque,
sont les cœurs de ses subjets.

 

Agasicles
Rex Lacedæmon.
apud Plut.

Senec. de
Clement.

Ce Consul Romain qui entreprit
de loüer Trajan, auec
autant de verité que d’Eloquence,
dit qu’il estoit si fort
aimé, que plusieurs estimoient
auoir assez vescu,
puis qu’ils auoient eu l’honneur
de voir vn si bon Prince ;
pendant que d’autres soûtenoient
qu’il faloit souhaiter
de viure, pour joüir vn
plus long-temps du plaisir
de le voir : Enfin voilà l’Eloge
d’vn Prince bien-faisant, &
rien ne nous reste plus à desirer

-- 128 --

en luy, si la clemence est le
flambeau de sa conduite.
Heureux Monarque si vostre
grand Courage s’accoûtume
à la pratiquer ; heureux dis-je
si VOSTRE MAIESTÉ regle
toûjours ses volontés par l’vtilité
de ses Conseils, & ne
donne jamais d’Arrests sans
l’auoir écoutée. C’est elle
principalement qui vous
doit rendre plus semblable
au premier Autheur de vostre
naissance, & qui va
conferer (pour ainsi dire) à
V. M. la grace d’vn nouueau
Sacrement, par la Confirmation
du Nom mysterieux

-- 129 --

qu’elle receut à son Baptesme :
Non non cher DIEV-DONNÉ
ne craignés pas que
la Clemence affoiblisse en
vous la Iustice de vostre Pere,
ie pretends que ces deux
vertus seront d’intelligence ;
mais seulement que si l’vne
punit quelquesfois par la seuerité
du châtiment, l’autre
se contente souuent de corriger
par la douceur du pardon :
Iusqu’icy nous ne manquons
pas de fortes apparences
pour en fonder l’espoir ;
Et quoy que nous en ayons
veu beaucoup plus de bonté,
que de rigueur, Vostre Iu-

-- 130 --

nant à connoistre combien
elle encherit sur ses instructions.

 

Plin. In
Paneg.
Trajan.

Recte facit
Rex si semper
bene faciendo
cum
clementia &
beneficentia
subjectos
gubernet
Polib.
lib. 5.

On a compris dans vn seul
vers tout l’enchaînement
des Vertus, en disant que la
Iustice en est vn parfait assemblage ;
& vn grand Philosophe
rend inseparable la Iustice
de la Clemence, quand
il dit qu’il y a autant d’injustice
& de cruauté, de faire
grace à tout le monde, qu’à
ne pardonner à personne ;
d’où ie tire deux consequences :
La premiere, que la Clemence
doit fuir l’impunité qui
est vne peste d’Estat, & pour

-- 131 --

cela toûjours consulter la Iustice,
afin que si elle en reçoit
vn peu d’austerité, elle luy
donne par échange beaucoup
de douceur ; La seconde
que nous pourrions icy comprendre
toutes les rares qualitez
du Roy dans le seul Chapitre
de ces deux Meres Vertus
qui prennent force en sa
personne, & que non seulement
nous voyons croistre
tous les iours ; mais encore
enfanter de continuels prodiges
de merueilles & d’admiration.

 

Iustitia in
se se virtutes
continet
omnes.

Tam omnibus
ignoscere
crudelitas,
est
quam nulli.
Senec. de
Clementia.

Hâ ! ce seroit trop dérober
à la gloire de ce Prince venu

-- 132 --

du Ciel, que d’en demeurer
à la baze de ces Monuments
Eternels que ie commence
de luy ériger ; il faut donc de
necessité les éleuer plus haut,
& poser sur d’illustres fondements
des ouurages magnifiques ;
puisqu’il me semble
d’vn costé que toute la Cour
m’obserue, pour voir si ie
n’obmettray rien de ce qu’elle
connoist de propre à mon
dessein, & de l’autre que ie
m’attirerois le blâme de la
posterité qui doit dresser
les Trophées de sa vie, si
i’en laissois le commencement
imparfait.

 

-- 133 --

Voicy d’abord la liberalité
du Roy qui s’offre à faire la
dépense de mon Edifice, &
qui pretend de plus d’y faire
poser sa Statuë parmy les riches
ornements de cette
pompeuse structure : Mais
elle veut auoir en main pour
marque de reconnoissance
vn Baston de Mareschal qui
face voir comme elle s’en
appuye, & combien il sert
à la soûtenir. Il est certain
que ce Monarque donne tout
& qu’il ne craint pas sa propre
indigence, pour soulager
la necessité d’autruy ; Il diuertit
le fond de ses menus

-- 134 --

plaisirs, pour l’employer à ses
plus grandes delices, qu’il rencontre
souuent dans le seul
exercice de cette vertu : Et
s’il l’augmente à proportion
de son pouuoir, nous verrons
desormais que ses plus
grands Tresors seront dans
l’Amour de ses peuples, plus
que dans les Coffres de son
Epargne. Mais il est tres certain
encore, & châcun sçayt
que Monsieur de Villeroy l’a
toûiours excité par son exemple ;
il luy dit tous les iours
que la moderation est vne
vertu priuée, qui n’a pas grand
éclat sur le Trône : Et que

-- 135 --

les veritables loüanges d’vn
Monarque sont d’estre appelé
fort, juste, graue, seuere,
magnanime, bien-faisant, &
liberal ; bref il luy fait connoistre
que parmy les vertus
Royales la liberalité a le plus
d’éclat, qu’elle est la sœur de
la magnificence, & que sans
elles la plus-part des autres
vertus demeureroit dans les
tenebres : Vn Prince a beau
estre parfait, il ne le paroist
pas s’il n’a dequoy se faire
aymer, & s’il ne sçait par de
certains charmes cachez
(pour s’attirer les yeux)
gagner le cœur de ses subiets ;

-- 136 --

C’est proprement l’office de
ces diuines sœurs de chatoüiller
l’vn, & d’éclairer les autres,
la lumiere de ces flambeaux
celestes fait tout briller
d’vn mesme temps iusques
aux moindres constellations,
aussi-tost qu’il est liberal
il paroist magnifique, semble-t-il
magnifique, il est
connu pour genereux.

 

Frugi hominem
dici
nonnullum
laudis
habet in
Rege : Fortem,
Iustum
Seuerum,

Grauem,
Magnanimum,
Largum,
Beneficum,
Liberalem :
Hæ sunt
Regiæ laudes,
illa
priuata est.
Cicer. pro
Dejot. &
Leg. Manil.

D’vn grand nombre d’exemples
que nostre Prince
nous fournit, ie croy du
moins n’en deuoir pas supprimer
vn qui marque tout-ensemble
de la liberalité dans
l’action, & de la prudence

-- 137 --

dans le discernement de son
objet : La necessité, le plus
pressant de tous nos ennemis,
contraint vn pauure Gentil-homme
à demander secours
au Roy, contre les
maux qui le persecutent ; LE
ROY en ordonne aussi-tost le
soulagement, & se fait apporter
quelques pistoles ; Mais
comme il eut appris la qualité
du mandiant, par la bonté
qu’il eut de l’en interroger, il
redoubla sa charité, & monstra
qu’il faloit traiter vn Gentil-homme
tout autrement
que le commun des pauures,
faisant ainsi (par vne espece

-- 138 --

de Miracle) que la Noblesse
qui ne paroist que dans le
luxe, soit encore considerée
dans l’extremité de la misere.

 

Au dernier
voyage
du Roy à
Compiegne,
en 1650.

Qui ne seroit charmé par
des traits si dignes d’amour ?
Qui peut assez loüer de si belles
inclinations ? Mais en
pourroit-on souhaitter de
plus aymables, ou (si ie l’ose
dire) de plus diuines ? I’auouë
icy que mon ame est toute
interdite, & qu’au lieu de
poursuiure, ie ne connois que
le silence qui puisse exprimer
mes transports, ou s’il est difficile
de les imaginer, il l’est

-- 139 --

encore plus de les dire.

 

Quels termes seroient bons ?
Quelles paroles suffisantes
pour exprimer fidellement
mille actes de prudence que
ce Ieune Prince a rendu si frequents,
qu’ils surprennent
aussi peu que la clarté du
Iour, & que les moindres
manquements dans ses actions
sont plus rares, que les
Eclypses de son Astre.

La tendresse & l’amour
qu’il a pour la REYNE sa Mere,
l’obeïssance & le respect
qu’il rend à cette adorable
Princesse, n’acheuent-ils pas
de faire voir vne sagesse consommée,

-- 140 --

& l’affection qu’il
témoigne aux personnes qui
l’approchent & qui le seruent,
de monstrer que cette
Sagesse preside à sa conduite ?
Combien de fois l’a-t-on
ouy protester qu’il n’auroit
point d’oreilles pour la flatterie
ny pour la fausse complaisance ?
qu’il en auroit deux
en toutes les affaires, &
qu’entre tous ceux qu’il écouteroit,
la seule verité luy
seroit distinguer ses plus fidelles
Seruiteurs. Ce doit estre
en effet cette pierre-de-touche
qui face reconnoistre
aux Roys le bon or entre les

-- 141 --

metaux falsifiez : Et s’ils punissent
ceux qui corrompent
leur figure par l’impureté de
la matiere, quel traitement
doiuent-ils faire à ces pestes
de Cour, qui tâchent de surprendre
leur esprit par vne
douce & malicieuse subtilité ?

 

Si capite
plectitur
qui Principis
monetam
vitiarit,
quanto dignior
est eo
supplicio
qui Principis
ingenium
corruperit ?
Erasm.

La prudence que ie veux
confondre auec la sagesse,
vient de trois sources differentes,
le naturel, l’experience
& la doctrine : La premiere
l’engendre, la seconde l’acroist,
& la troisiesme l’acheue.
Ie n’ay plus rien à dire
d’vn naturel dont les prerogatiues

-- 142 --

sont assez establies, &
moins connuës parce que
i’en ay dit, que parce qu’on
en scait ; Pour l’experience
nostre Prince commence à
la puiser dans la lecture de
l’histoire, attendant que l’vsage
l’en rende maistre par la
connoissance des affaires ; &
la Doctrine s’insinuë déja
bien auant dans son esprit, par
le progrez qu’il fait aux lettres.
Courage, Illustre Nourrisson
de Minerue & des
Muses, suiuez cét incomparable
Apollon qui vous guide
au chemin des sciences,
& souffrez qu’il ménage en

-- 143 --

vous les pretieux talents dont
le Pere de la Sagesse a enrichy
vostre belle Ame ; Il ne tient
plus qu à vous d’en acquerir
autant qu’il vous a fait capable
d’en auoir ; Vous estes parfait
par nature, continuez de
l’estre par vos soins ; Et que
V. M. se souuienne que rien
ne sçauroit estre par dessus
son esprit, que ce qu’il negligera
d’atteindre. Considerez,
GRAND ROY, que le Ciel
vous a fait naistre le plus accomply,
comme le plus Puissant
des Monarques du Monde ;
mais que l’art de regner
veut de grandes applications,

-- 144 --

que personne n’est tant obligé
de veiller qu’vn Prince,
de qui dépend le salut des
peuples, & que la vigilance
du berger doit estre autant
exacte que l’œil du Maistre :
Celuy qui vous a confié ses
troupeaux (& de qui le Sceptre
releue à mesme titre que
la houlette) veut que vous luy
soyez semblable en actiuité,
de mesme qu’en pouuoir ; Et
que par vn diminutif de sa
presence vniuerselle V. M.
sçache, examine, & connoisse
tout : C’est par là que l’experience
doit se joindre à vostre
prudence naturelle ; Et que

-- 145 --

dés maintenant, l’exercice
actuel d’vn estude volontaire
luy peut prometre le
renfort, qu’elle doit esperer
d’vne science déja bien
auancée.

 

Les Republiques sont heureuses,
quand les Philosophes
sont Roys, ou quand les
Roys sont Philosophes ; c’est
pour cela que les grands Empereurs
ont toûjours esté
curieux de se faire instruire
par les premiers Hommes de
leurs siecles. Theodore de
Gadare fût Precepteur de Tibere,
Apollodore de Pergame
le fut d’Auguste, & Aristote

-- 146 --

d’Alexandre : Ce Conquerant
de toute la Terre eut
tant d’estime pour les bonnes
lettres, qu’il faisoit gloire
de sa science, plus que de la
grandeur d’vn Empire à qui
son Ambition ne donnoit
de bornes que les Limites
de l’Vniuers ; aussi faisoit-il
tant d’estat des Hommes
Doctes, & de leurs œuures,
qu’il ne dormoit que sur l’Iliade,
& souhaittoit d’estre
Diogene, s’il n’eust point esté
Alexandre : ne mettant point
de difference entre le mépris
du monde & sa conqueste.

 

Plat. de
Rep.

Malle se
Doctrinà
quam Imperii
magnitudine
cœteris antè
stare.
Ibid. Plat.

Charles V. eut regret de se

-- 147 --

voir reduit à la necessité d’vn
truchement, quand à Gennes
on le haranguoit en latin, &
ces paroles furent alors les interpretes
de son repentir ? Hâ !
cette Langue ne m’est inconnuë, que
pour auoir negligé les Conseils de mon
Precepteur Hadrian.. Opposons
encore au déplaisir d’estre
priué de tant de belles connoissances,
la satisfaction de
les auoir acquises, & l’auantage
qu’en tire vn Autheur
Grec, quand il dit que l’homme
sçauant voit doublement,
& que ses yeux ont des traits
plus vifs, qui vont iusqu’à la
substance des Choses, sans

-- 148 --

s’arrester à des apparences.
trompeuses.

 

Paul. lou.

Menand,
[Grec]

Ie ne sçay pas si V. M.
voudra bien me permettre
d’adjouster icy vn trait, qui
du discours de son estude me
conduit à la consideration
d’vne qualité des plus dignes
d’vn Roy : Luy souuient-il
point, SIRE, qu’vn iour Monsieur
l’Euesque de Rodez
(qui ne peut desirer en vous
que de l’attention pour les
choses, dont vostre seul Genie
semble pouuoir assez
prendre de connoissance, &
mesme en se joüant) contre
la paction qu’il auoit faite

-- 149 --

auec V. M. de retrancher le
temps de ses Leçons, moyennant
vne application plus
entiere, le prolongeoit au lieu
de l’accourcir, tant il estoit
charmé de voir l’effet de
vos promesses dans la viuacité
de vos Conceptions. Surquoy
V. M. le surprit par le
plus beau reproche qu’il peût
receuoir de sa bouche. Comment
Monsieur (luy dîtes
vous) qui peut estre plus obligé
de tenir sa parole qu’vn
Prelat ou vn Gentil-homme ?
Croyés-vous que pour
estre tous les deux ensemble
vous deuiez moins à

-- 150 --

cette foy, qui doit estre toûjours
autant inseparable de
vostre Caractere, que de vostre
Naissance : Au contraire
ie m’imagine que la rencontre
de ces deux conditions
vous y engage doublement,
& ie tiens pour maxime
qu’outre que personne n’a
droict d’y déroger sans honte,
plus la dignité nous éleue,
plus ce manquement nous
abbaisse.

 

Pensée vrayement Royale,
& tres-sortable à la Candeur
de nos Lys, qui sont les
vrais Symboles de la franchise
& de la liberté qui regne parmy

-- 151 --

nous. Il n’est point de
Peuple plus libre, ny toutefois
de Roys plus absolus
qu’en France, parce que nos
maximes, bien entenduës,
rendent ceux-cy dignes d’Amour,
& celuy-là capable
d’en auoir ; aussi n’est-il
point d’Empire preferable à
celuy des cœurs ; Et pour peu
qu’ils soient susceptibles de
cette passion, il ne faut que
les exciter pour faire en vn
instant plus de captifs volontaires,
que les plus tyranniques
Dominations n’ont
jamais eu d’esclaues enchaisnez.

 

-- 152 --

Qu’elle joye à tous nos
François, & principalement
à cét excellent Precepteur
qui moins par defaut de memoire,
que par le plaisir excessif
de raisonner auec vn tel
Disciple, luy auoit donné lieu
déclorre vn si beau sentiment ?
Quel contentement, dis-je,
à nous d’en voir produire de
pareils à vn Monarque de
douze ans ? Et que ne doit-on
pas attendre d’vn Roy, dont
la parole inuiolable promet
ainsi de ne jamais tromper
nos esperances. Les Anciẽnes
Republiques ont bien éprouué
que la Foy est le plus grand

-- 153 --

lien de la Societé Ciuile, &
ceux qui ont voulu pretendre
à la gloire de les bien gouuerner
(outre leur morale
& leur Politique) ont toûjours
creu que les Dieux
auoient des foudres pour les
sermens violez ; aussi est-il
constant que la bonne-foy
tient beaucoup de la Iustice
& de la Pieté, puisque l’vne
nous oblige aux effets, dés
qu’ils sont annoncez par l’organe
de nos promesses, &
que l’autre nous engage au
respect enuers vne Diuinité
dont l’essence repugne au
mensonge, & qui s’irrite puissamment

-- 154 --

quand elle est appelée,
pour authoriser vne
fourbe sous vn masque de
Verité.

 

C’est donc icy qu’on
peut dire que nostre DIEV-DONNÉ
se declare legitime
Heritier de la Iustice de son
Pere, & de la Pieté de ses
Ayeuls tres-Chrestiẽs, quand
il monstre si clairement qu’il
veut estre équitable en toutes
choses, exact iusqu’aux
indifferentes, Approbateur
des bonnes, & Censeur des
mauuaises : Il est encore le
vray protecteur des sacrées,
chacun voit tous les iours

-- 155 --

que la veneration luy sert
de guide, quand il s’approche
des Autels ; Et il n’ignore
pas que sans faire tort à
la REYNE REGENTE il faut
qu’il reconnoisse l’Eglise
pour sa Mere.

 

La prosperité de nos Roys
Chrestiens n’eut jamais d’autre
fondement que leur Religion,
les Constantins, les
Clouis, les Charlemagnes &
tant d’autres, n’ont estendu
leur Puissance qu’autant
qu’ils estoient soûtenus de la
Pieté, & c’est dans son appuy
que tous les Monarques
du Monde ont trouué l’establissement

-- 156 --

de leur grandeur.
De treize LOVYS que la France
a compté parmy le nombre
de ses Roys, l’vn est declaré
Sainct par l’Eglise, les
autres sont Canonisez par
leur propre Vertu ; Le dernier
d’entr’eux fut l’estonnement
de la Terre par sa Pieté,
comme par son Courage,
& le premier de nos Charles
fut surnommé le Grand autant
par Saincteté que par valeur.
Les Romains mesme
ont toûjours creu deuoir au
Culte des Idoles la Grandeur
de leur Monarchie, jusque
là qu’vn certain disoit que

-- 157 --

les Dieux estoient fauorables
à la Pieté & à la Foy,
qui auoient éleué le Peuple
Romain pardessus toutes les
Nations ; Aussi quand ces
Vertus se trouuent dans les
Roys, l’obeïssance redouble
dans les Subjets, parce qu’ils
croyent (dit Aristote) que
les Puissances Celestes vangent
les iniures qu’on fait à
des Princes qui les reuerent.

 

Bosius. de
Imperat.
Virt.

Caius Marcius,
Apud
Liuium ?

Obedientiores
habebunt
subditos,
quippequi
putant
Deos vindicaturos,
si
quid in Piũ
Principem
peccauerint.
Aristot. lib.
5. Politicor.
Cap. 11.

C’est en vous ô Monarque
Fauory du Ciel, que la
Religion de tant de Roys
pieux, doit prendre de belles
racines pour s’éleuer plus

-- 158 --

haut qu’elle ne fut jamais, &
pour estendre ses Rameaux
sur tout vostre Royaume,
dont encore quelques endroits
restent abandonnez à
l’Heresie ; la reconnoissance
enuers Dieu vous doit donner
ce zele, vous ne manquez
pas pour cela d’exemples,
d’enseignements, ny
mesme d’inclination : Et le
Gouuerneur de V. M. n’a
pas oublié de luy dire ce
qu’vn grand Personnage dit
à l’Empereur Iustinian, Pensés
pensés grand Roy par quels
moyens vous pourrés vous rendre
agreable à cét estre indépendant de

-- 159 --

qui vous tenez le Sceptre, & puisqu’il
vous à preferé au reste des humains,
hastez vous de l’honorer par
dessus tous les hommes.

 

Agapet.
Diacon.

I’aurois mauuaise grace
SIRE, à parler dauantage de
tant d’Illustres leçons que
ce Heros vous fait, aprés auoir
icy tracé la plus importante ;
Mais i’en ay déja monstré
les effets dans vos deportements,
i’ay quelquesfois tâché
de faire voir la liaison de
vos Vertus auec les siennes ;
Et presupposant ses Preceptes
(pour ne pas l’accabler
dans l’excés des loüanges
qu’il merite) i’ay feint d’auancer

-- 160 --

de mon Chef, ce que
i’empruntois de ses sentiments.
Enfin, grand Prince,
ie scay bien qu’outre la pieté
il vous inspire la Clemence en
vous disant que rien n’approche
plus de Dieu qu’vn bon
Monarque ; il vous enseigne
la Iustice en faisant distinguer
à V. M. que le Regne chez
les Chrestiens est le Gouuernement,
& non pas le Domaine
de la Republique ; il
fortifie la Foy dans vos paroles,
en vous representant que
ce sont peuples libres à qui
vous commandez, il confirme
vostre Prudence, il augmente

-- 161 --

vostre Sagesse, il perfectionne
vos mœurs, quand
il asseure V. M. que les Sceptres
& les Couronnes sont
des marques de Souueraineté,
que la naissance peut donner,
& que la seule vertu
maintient : Il excite encore
en vostre Cœur l’Amour de
la Patrie, se rendant l’Interprete
de celuy de vos Peuples
dans tous les témoignages
qui peuuent le faire éclater ;
il regle toutes vos actions
quand il vous fait connoistre
que vostre condition vous
oblige à ne respirer que le
soulagement de vos subiets ;

-- 162 --

Il vous éloigne du commerces
des vices, quand il bannit
d’auprés de vous la medisance
& les flateries ; il conduit
tous les mouuements de vostre
Ame, quand il vous donne
de la hayne pour les affections
dereglées, & de l’horreur
pour la colere ; il mesure
toutes vos faueurs, quand
il vous persuade que les Charges
que vous donnez doiuent
estre plustost les recompenses
du Merite, que des larrecins
de la Fortune : Bref il anime
vostre courage quand il
vous façonne à la guerre, &
qu’il vous engage au trauail,

-- 163 --

mais il en modere les ardeurs
quand il fait auoüer à V. M.
par des remonstrances respectueuses,
qu’elle ne doit pas
tant butter à l’estenduë de
son Royaume, qu’à la conseruation
de ses Prouinces.

 

Quid quæso
turpius
aut abiectius
quàm
libidini,
Iracumdiæ,
Auaritiæ,
Ambitioni,
alijsque id
genus insolentissimis
Dominis
seruire
eum qui
sibi vendicat
Impe.
rium in homines.
libe.
ros. Erasm.

Mais quoy mon Prince !
vous vous piquez déja de
braue & de guerrier, vous
voulez que la fermeté soit
mise au nombre de vos auantages :
Et que cette asseurance
qu’on remarque en vostre
posture (lors que vous faites
la reueuë de vos troupes)
vienne icy tenir son rang :
Puis-je bien vous descrire ferme

-- 164 --

comme vn Rocher, ou
plustost comme vous l’estiez,
lors que VOSTRE MAIESTÉ
voulut visiter en personne
tous les quartiers du camp
de Bellegarde ? Puis-je dire à
quel point on fut rauy d’y
voir sa contenance, & combien
on y admira dans vn
mesme visage la mine d’vn
enfant de Mars parmy tous
les attraits des Graces. Quoy ?
le bruit des mousquetades,
l’odeur du salpestre, le tracas,
l’embarras, & ce tintamarre
d’armée, ne vous surprennent
point ? Vostre Ame est Genereuse,
mais est-elle assez

-- 165 --

aguerrie pour n’y rien trouuer
d’incommode ? est-il possible
que les Canons d’vne
Ville assiegée n’ayent pas
plus d’effroy pour vous, que
ceux qu’on tire dans Paris
en réjouyssance de vos Victoires ?
Vrayement vous ne
sçauriez manquer d’estre Inuincible,
ayant déja tant de
force à vostre âge ; du moins
si vostre Corps n’en a suffisamment,
vostre Ame en est
abondamment pourueuë.
Allez Monarque Glorieux,
allez droit à vos ennemis,
par le chemin que vos Ancestres
vous ont frayé ; Ils ont

-- 166 --

toûjours adjoûté le repentir
à l’audace de les attaquer :
Faites comme eux, attachez
(à leur exemple) la Fortune à
vostre Suitte, la Victoire à
vos Combats ; Et monstrez
que le Ciel auoit reserué à
vostre main le chastiment
des temeraires.

 

Pour tout dire en vn mot, la
Grandeur de Courage acheue
en V. M. ce prodigieux amas
de hautes qualitez qui la font
connoistre par tout tres digne
de porter la plus independante
des Couronnes :
C’est ce que la Renommée a
déja publié aux extremitez

-- 167 --

de la Terre : Et les nouueaux
sujets que vous luy donnez
tous les jours d’y faire de nouuelles
courses, charment le
déplaisir qu’elle a de trouuer
le monde trop resserré, pour
vne si ample reputation.

 

Iusqu’icy quelques tourbillons
qui s’estoient éleuez au
milieu de l’Estat, ont agité
l’air de la France, mais n’ont
peu le troubler : L’impureté
de quelques parties corrompuës,
& les vapeurs malignes,
qu’ont excité dans ce Royaume
les ennemis de sa prosperité,
ont épanché quelques
broüillards sur la surface de

-- 168 --

nos Terres, pendant que leur
Soleil sembloit estre en Eclypse,
ou qu’il ne paroissoit que
sous des rayons empruntez ;
mais dés lors qu’il commencera
d’éclairer de son Chef,
de luire, d’agir, & d’échauffer
par les principes naturels de
sa Lumiere, de son Actiuité
& de sa Chaleur, quelle sorte
d’obscurité luy pourra
faire obstacle ? Quels nuages
tiendront deuant luy ? Et s’ils
sont dissipez par le premier
brillant de son Aurore, comment
attendroient-ils l’ardeur
de son Midy ? Courage,
il s’en-va se monstrer, déja

-- 169 --

nostre Orizonse réjouit de sa
venuë, & le sommet de nos
montagnes se dore à son aspect :
Fuyez tenebres, nuées
écartez-vous, allez en d’autres
Regions, ou retournez dans
ces Climats ennemis, où
vous auiez esté formées ; Et
si vous laissez choir icy quelque
reste de vos humiditez,
qu’il n’y en ayt que pour confondre
ces testes sacrileges
de qui les bouches moins enuenimées,
que les cœurs, ont
fomenté par leurs haleines, de
si noires exhalaisons.

 

Reuenez, Siecle d’Or, vous
auez acheué le temps de vostre

-- 170 --

exil : LA PAIX qui se prepare,
vous rappelle : Et quoy
que ce soit vn Ouurage qui
semble desirer la Main du
Tout-puissant, il n’est pas au
dessus des forces de l’Ange
tutelaire, qu’il a commis pour
l’entreprendre, pour en estre
l’Arbitre, pour la conclurre,
& pour l’executer. C’est vous,
ô tres Auguste DIEV-DONNÉ,
qui releuez ainsi nos esperances
abbatuës ; C’est vous que
nous considerons comme
vn vray Don du Ciel, & comme
vn Astre lumineux, dont
l’aspect fauorable nous va
rendre le calme & la serenité,

-- 171 --

pour nous remettre dans le
port de nos felicités passées ;
Mais vous n’estes pas à la
France vn Astre seulement,
vous luy estes vn Ciel entier ;
tant de graces & de vertus
que nous venons de reconnoistre
en vous, ne sont-elles
pas autant de Planetes & d’Estoiles
qui vous enuironnent,
& qui vous renuoyent, par
vn refléchissement continuel,
l’éclat Majestueux dont vous
les faites briller ?

 

Chere Patrie ! combien dois-tu
prendre de soin de ménager
cette abondance de faueurs
qu’il va répandre dans

-- 172 --

ton sein, pour en communiquer
la richesse à toutes tes
Parties ? Pense bien à les meriter ;
Et pour t’acquiter de l’estime
que tu dois faire d’vn
Present, dont le prix est inestimable,
mesure sa valeur à ta
necessité, considere qui te le
donne, & confesse hautement
que ces trois choses
sont inconceuables.

 

En effet, il est constant
que la France ne vit jamais
vn si Grand Roy dans vn
si Petit Prince ; que jamais vn
Dauphin ne luy fut ny plus
necessaire, ny tant souhaitté,
& que le Ciel, qui le fit naistre

-- 173 --

dans des conjonctures si
pressantes, luy fit vn Trône
de son Berceau ; afin que
tout, iusqu’à sa petitesse, aydât
au Miracle de sa Grandeur :
Mais il est encore tres-certain
que jamais vn si
grand Ouurage ne fut mieux
conduit à sa perfection, que
jamais Mareschal de France
ne rendit vn meilleur seruice
à l’Estat, que jamais Regente
ne reüssit mieux dans vn
choix de cette nature, &
que iamais Mere & Tutrice
ne deut estre plus satisfaite
de l’education de son Mineur.

 

-- 174 --

Grande Reyne ! il ne me
reste plus qu’à vous faire participer
à nos joyes, ou vous
demander la licence de partager
les vostres. Ce n’est
pas vn nouueau bon-heur à
V. M. de se voir Couronnée ;
la Pourpre estoit des
Ornements de son Berceau :
Ce n’estoit pas à elle vn bonheur
extraordinaire de se
voir assise sur nos Fleurs
de Lys ; l’Espagne nous auoit
déja donné des Reynes ;
Ce n’en est pas vn surprenant
de vous voir la Regente
du plus florissant des
Royaumes ; d’autres Reynes

-- 175 --

ont tenu le Sceptre durant
la Minorité de nos Roys :
Mais c’en fut vn inesperé de
vous voir Mere, lors que
tous nos vœux, fatiguez d’vn
si long refus, n’osoient plus
le pretendre, & c’en est vn
qui n’a point de pareil de
vous voir la Mere d’vn Roy
qui deuroit l’estre par Merite,
s’il ne l’estoit pas par
Naissance. Bref, l’auantage
d’estre Reyne, de l’estre
en France, & d’y estre Regente
(quoy qu’il semble
tout surpasser) est infiniment
au dessous du bonheur
qui vous a fait Mere

-- 176 --

du plus accomply des Monarques.
Le reconnoissez-vous,
MADAME, dans le
Portraict que i’ay tâché d’en
faire ; le Coloris en est-il assez
vif ? Hâ ! i’ay grand peur
que ie n’aye pas reüssi ; il
faloit vne main plus hardie
pour bien rencontrer en vn
si beau dessein : Toutesfois
il importe peu de l’habillement,
pourueu que la figure
soit fidelle, & qu’elle ayt du
rapport aux proportions de
son original ; En tout cas si
l’excellence du peintre ne
respond pas à celle du sujet,
si ie n’ay peu tirer au naturel

-- 177 --

tous les traits, ny leur
rendre le mesme éclat dont
les graces l’ont embelly, mon
impuissance & ma confusion
ayderont plustost à le rehausser,
qu’à le ternir. De plus
tous les François qui m’authorisent
dans les veritez que
ie publie, témoignent qu’ils
en sont trop persuadez, chacun
d’eux luy fait en son Ame
vn PANEGYRIQVE secret ; l’Amour
des Peuples le confirme
par les acclamations qui suiuent
par tout la presence de
vostre Fils : Et si les cœurspouuoiẽt
autrement s’expliquer,
vous y verriez, MADAME,

-- 178 --

beaucoup plus d’Eloquence
qu’en ma plume. Ie conclus
donc mes sentiments par les
vœux que pousse mon zele
pour la prosperité de VOS
MAIESTEZ, & de l’Estat : Ils
ne peuuent estre mieux exaucés
que par la durée d’vn Regne
qui surpassera tous les
autres en Felicité ; Puisque le
Ciel (qui sembloit nous auoir
fermé le Tresor de ses Graces)
nous donna LA CLEF
de ses Faueurs, quand il fit
naistre en France vn LOVYS
DIEV-DONNÉ.

 

Cependant nous experimentons
auiourd’huy le dire

-- 179 --

du sage Solon, au Roy Cresus,
que la felicité des hommes ne
se doit iuger que par sa fin.

 

L’histoire ancienne, dont
Herodote est le Pere, nous expose
que ce puissant Roy, le
plus riche qui fut iamais, ayant
fait en sorte d’attirer Solon à sa
Cour, afin de voir si sa personne
& sa sagesse respondoient à
la renommée qui estoit épanduë
par tout de luy, obtint enfin
cette visite de ce grand Legislateur.
Vn iour dans leur entretien
le Roy de Lydie luy
proposa cette question, quel
estoit à son sentiment le plus
heureux de tous les hommes, il
s’estoit persuadé qu’il luy respondroit

-- 180 --

aussi-tost que c’estoit
luy, à cause de ses richesses immenses
qu’il luy auoit fait voir
à son arriuée, mais ce Sage Philosophe,
qui ne se laissoit point
surprendre à l’apparence & à
l’esclat de l’or, luy fit vne response
bien éloignée de sa pretention.
I’ay remarqué dit-il vn
simple Bourgeois, en vostre
Ville, qui a amassé assez de bien
pour l’establissement d’vne petite
Famille, par des voyes
honnestes & licites, il a eu le
temps de iouyr de ses possessions,
il a marié tous ses enfants,
& enfin est mort dans la reputation
d’homme de bien &
d’honneur, auec les regrets &

-- 181 --

les louanges de tous ceux desquels
il estoit connu, celuy la
est a mon auis le plus heureux
de tous les hommes, le Roy
ne fit pas grand conte de cette
réponse, n’en reconnoissant
point alors la force & la verité.
Mais peu de temps apres Cyrus
le conquerant, s’estant emparé
de tout son Royaume, &
s’estant rendu maistre de toutes
ses richesses, à cause qu’il
n’auoit point voulu se soumettre
à ses volontez de bon gré,
luy en voulut faire porter la
peine, & donner vne exemple
aux autres testes Couronnées
du monde, de flechir sous sa
puissance. Il fit donc allumer

-- 182 --

vn grand bucher, sur lequel il
fit monter Cresus, pour y estre
brulé tout vif, lequel alors se
ressouuenant de ce que luy
auoit dit Solon, il s’écria plusieurs
fois Solon, Solon, ô que
tu m’as bien dit la verité, Cyrus
voulut sçauoir ce qu’il vouloit
dire par ces exclamations,
& Cresus luy ayant raconté
son entreueuë auec Solon, ce
qu’il luy auoit répondu, le peu
d’estime qu’il en auoit fait, &
comme il reconnoissoit que ce
qu’il luy auoit dit estoit bien
veritable, il luy donna la vie
en faueur de ce Sage qu’il auoit
inuoqué, ce riche Monarque
ayant pour lors bien appris que

-- 183 --

le bonheur des hommes & des
Estats, se doit estimer par leur
fin, discours qui nous apprend
encor auiourd’huy que tant de
felicitez à la France, que nous
venons de raconter dans ce
volume estoient peu de choses
si la durée venoit a en estre interrompues.

 

Les mal-heureuse guerre Ciuiles
ont bien detourné toutes
nos belles esperances, & interrompu
la belle education de
nostre Maieur, auquel on apprend
plus rien qu’à faire du
mal à ses suiets, auquel on inspire
la vangeance contre eux
l’instruisãt a regner par des passions
illegitimes, maximes tres

-- 184 --

pernicieuses dans l’esprit d’vn
Maieur à qui l’on donne des
premieres impressions, qui peuuent
estre fatale à luy & à tous
ses peuples, cependant on le
fortifie dans cette mal-heureuse
conduite, & l’on crie qu’on
attente à son Authorité, lors
qu’on s’oppose genereusement
au tort irreparable que l’on luy
fait aussi bien qu’à toute la
France.

 

Ce qui est de plus estrange
en tout cecy, c’est que la mesme
Reyne qui a pris le soin de
sa Minorité, qui faisoit esperer
par vne douceur qu’on peut
bien appeller, & feinte & dissimulée,
vne longue paix pour le

-- 185 --

bien de son Fils, & de son Estat,
est la plus obstinée à le
troubler, & a procurer sa derniere
ruine, si bien qu’en venant
de faire son Panegyrique,
ie suis obligé de la blasmer en
mesme temps, sa vertu ayant
esté suiuie de si pres, par vn si
notable manquement.

 

Mais helas ! d’où prouient ce
changement en nostre Reyne
si preiudiciable à cét Estat, i’en
trouue trois causes principales
qui sont comme les trois sources
inepuisables de nos malheurs.

La premiere, & qui donne
le bransle à toutes les autres
est l’insatiable ambition de regner

-- 186 --

qui depuis qu’elle s’est
emparée de l’esprit d’vne femme,
ne trouue point de moyẽs
qui establissent son pouuoir,
qui ne luy soient bons, & tres
propres, pour illegitimes qu’ils
puissent estre, c’est assez que
cette passion la maitrise, elle
luy fait tout entreprendre, il
faut qu’elle fasse violence à
tout ce qu’il y a de plus iuste
si on luy oppose, & qu’elle
rompe les plus fortes digues
des loix, à l’imitation d’vn torrent
impetueux qui force tout
ce qui luy resiste plus fortement,
& qui passe par dessus
tout ce qui relache facilement
deuant sa rapidité.

 

-- 187 --

Nous ressentons les vigoureux
effects de cette premiere
cause, sans sçauoir où se
terminera le cours de cette impetueuse
passion, qui a desia
produit tant de rauages, & qui
nous menace de nostre derniere
desolation.

La seconde cause de ce changement
en l’esprit de la Reyne,
est la prodigieuse & trop peu
raisonnable affection qu’elle a
prise pour le C. M. i’ose bien
l’appeller sinistre, apres les
mauuaises influences qui en
sont prouenuës, & la conionction
mal-heureuse de ces deux
astres, ne nous predisent que
trop d’infortunes, si nostre triste

-- 188 --

sort, n’est rendu plus fauorable
desormais, par la violente
separation pour iamais, de
ces deux ennemis, de nos biens
& de nos vies.

 

Il y a encore vne troisiéme
cause qui fait nos disgraces,
c’est la hayne irreconciliable,
que la Reyne a conceu contre
le Prince de Condé, cette passion
qui n’abandonne iamais
le sexe, luy fait prendre d’estranges
resolutions, qui éclattent
par apres, en d’épouuantables
coups de foudre. Ce
Prince n’a pourtant rien de
haissable en luy, qu’vne trop
grande fermeté en toutes choses,
& trop de vertu pour des

-- 189 --

gens passionnez ; c’est là ie croy
tout ce qu’on trouue de plus
mauuais en luy ; mais qu’importe
que la vertu soit enuiée,
pourueu qu’elle ne succombe
point, elle ne fut iamais sans
enuieux, & sans ennemis ; mais
il faut que les ayans reconnus,
elle preuienne tous les artifices
qui la pourroient surprendre.

 

Nostre ieune Maieur, dont
l’Education est fondée sur ces
trois principes, est instruit de
bonne heure, de tous les ressorts
dont elles se seruent, il est
desia le Spectateur de tous
leurs mouuements, & leur
donne quelquesfois le bransle
luy mesme, par la complaisance

-- 190 --

qu’il a pour sa Mere, & pour
tout ce qu’elle ayme ? voila vn
Prince bien formé dans la discipline
des ressentiments, qui
sont les plus perfides Conseillers
d’vne ame Royale, & qui
ont tousiours seruy à la destruction
de tous les Empires.

 

Tout le monde sçait que l’amour
est vne passion fatale à
tous les Estats, & si l’on veut
parcourir toute l’Histoire, l’on
n’en trouuera point, qui n’en
ayent quelquesfois ressenty les
fun estes effects, celuy des assiriens
trouua la fin dans les basses
& lasciues affections de
Sardana, qui passoit toute sa
vie dans la compagnie des femmes,

-- 191 --

auec lesquelles il s’amusoit
à filler passion méprisable
dans vn homme, qui commande
à tous les autres.

 

Marc Anthoine tout grand
Capitaine qu’il estoit se perdit
auec l’Empire, par la trop grande
affection qu’il portoit à la
belle Cleopatre, sa passion luy
osta l’vsage du iugement iusqu’au
poinct de se tuer luy mesme,
sur vn faux bruit de la mort
de cette Reyne.

Vn Childeric dans nostre
Monarchie, fut honteusement
chassé de ses Estats, pour ses affections
illegitimes, & ses mollesses
insupportables, outre vne
infinité d’autres que cette honteuse

-- 192 --

passion a mis à deux
doigts de leurs ruines. Entre
lesquels ie remarque vn Charles
VII. qui fut apres appellé le
victorieux, à cause de ses merueilleux
faits d’armes, qui firent
lascher prise aux Anglois,
lors mesme qu’ils estoient en
possession de toute la France.
Ce braue Prince estoit reduit à
Bourges, où pour soulager ses
ennuys, il cherchoit tous les
diuertissements possibles, il viuoit
là, dépoüillé de son Royaume,
parmy vn grand cortege
de femmes courtisanes, qui
s’efforçoiẽt à qui mieux mieux,
de luy faire passer le temps,
le retenant par leurs charmes

-- 193 --

dans vne vie voluptueuse &
indigne, d’vn si grand courage :
Vn iour qu’il se disposoit à
voir sur le soir vn Bal le plus
magnifique qu’on eust encor
fait paroistre, il arriua de son
armée vn Gentilhõme, qui venoit
l’auertir du danger où elle
estoit, & luy demander du secours,
dont elle estoit fort pressée,
le Roy au lieu de lire ses
depesches, d’y faire réponse sur
l’heure, & de pouruoir à vne
affaire de telle importance, negligea
mesme de le renuoyer,
luy commandant d’attendre
au lendemain, qu’il aduiseroit
à luy donner quelques ordres.
Le soir venu, & l’heure du diuertissement

-- 194 --

s’approchant, il
commanda à ce Gentilhomme
de le suiure, l’ayant mené au
lieu de l’Assemblée, & luy ayãt
fait voir tant de beautez si bien
aiustées, regarde, luy dit-il,
vois tu rien de si beau à l’armée ?
que dis tu de cette magnificence.
Ie dis, Sire, repartit ce Gentilhomme,
qu’on ne vit iamais
Roy prendre tant de plaisir à
perdre son Royaume que vous.
Le Roy qui n’attendoit rien
moins que cette réponse, se
sentit picqué d’abord de cette
hardiesse ; mais ayant repassé la
nuict en son esprit la liberté de
ce Soldat, à luy dire ses veritez,
il fut tellement touché de ces

-- 195 --

mots si bien pensez, & si hardiment
exprimez, que deuant
qu’il fust iour, il partit auec luy
pour aller secourir en personne
ses troupes chancellantes,
toute la Cour ayant admiré vn
depart si peu medité, & resolu
auec tant de precipitation, il
sauua par ce moyen sa Couronne,
qui ne pouuoit plus
long-temps se soustenir, & qui
alloit infailliblement luy tomber
de dessus la teste, s’il eust
continué dauantage dans cette
oysiueté honteuse, où la passion
amoureuse l’auoit reduit
auec vn danger si euident de
tout son Royaume.

 

La hayne n’a pas fait de moindres

-- 196 --

desordres que l’amour,
cette passion aueugle & brutale
a excité des mouuements
dans le monde capables de
le faire perir entierement,
elle porta vn Roy des Medes
à faire tuer le Fils vnique de
son Fauory, & à le decoupper
en morceaux, pour en suite le
faire seruir a table à son propre
Pere : cette fureur en attira vne
autre dans l’ame de l’offensé,
qui dissimulant fortement sa
douleur, mangea de son propre
Fils, qu’il reconnoissoit
bien entre les autres mets, puis
ayant fait Ligue auec Cyrus,
& luy ayant liuré toutes les
forces de cét Empire, dont il

-- 197 --

disposoit, il se vangea de ce
Prince inhumain, en luy faisant
perdre sa Couronne.

 

Les haynes irreconciliables
de Sylla & de Marius ne ruinerent
elles pas la Republique
Romaine ; & la sotte hayne
que Caligule auoit contre les
Romains, ausquels il ne souhaittoit
qu’vne teste pour les
perdre tous, en la faisant couper,
ne le fit elle pas perir des le
commencement de son Regne.
Enfin tous les Tyrans qui
ont agy par les mouuements
de cette passion brutale, ne
sont-ils pas peris mal-heureusement,
& n’ont ils pas entrainé
auec leur cheute, les renuersements

-- 198 --

d’vne infinité de
Monarchies. Si nous en venons
à l’ambition, ô combien
a elle fait briser de Sceptres ?
Combien tomber de Couronnes ?
Combien, perdu d’Estats,
les mieux policez du monde.
Que deuint la Royauté de Rome
sous Tarquin le Superbe ?
Que deuint celle d’Asie, sous
l’ambitieux Bajazet, celle des
Goths sous Totila, celle de Dauid
sous sõ petit Fils Roboam ?
Combien cette passion a elles
esté fatale à toutes les ames ambitieuses,
l’ambition de Cyrus
luy fit couper la teste par vne
femme : celle d’Alexandre le
fit empoisonner : celle de Cesar

-- 199 --

le fit massacrer en plein Senat :
celle du dernier Duc de
Bourgogne qui estoit insatiable,
le perdit auec tous ses Estats,
sans la ruine qu’il causa à
tous ses voisins & alliez, cõme
il appert par les paroles du bon
Duc de Lorraine de ce temps
là, qui ayant fait apporter son
corps à Nancy, il ne pust s’empescher
de luy dire ! ha mon
Cousin vous nous auez moult
fait de mal, tesmoignage assez
suffisant des desordres de cette
maudite passion, auoit communiquez
à tous les endroits
où elle auoit pû penetrer. O
qu’il est donc important d’instruire
les ieunes Roys, à combattre

-- 200 --

ces trois monstres, qui
leurs causent tant de maux,
& les peuuent reduire à des
extremitez si estranges, que
les passions sont de mauuaises
maitresses, pour conduire la
ieunesse d’vn Roy, & qui’l importe
beaucoup pour eux &
pour leurs peuples, & encore
pour leurs voisins, qu’il scachent
maitriser par la raison ses
imperieuses, qui s’emparent
de leurs cœurs, pour y exciter
mille mouuements impetueux
& tousiours de dangereuses
suittes.

 

Toutefois nous voyons auiourd’huy
à nostre plus grand
mal-heur toute l’authorité de

-- 201 --

nostre ieune Monarque, qui
sert comme d’instrument, aux
ressentiments dereglez, de ces
trois furies aueugles, qui epanchent
par toute la France le
sang & l’horreur, sans que l’on
scache bien encore quelle remede
on y pourra apporter desormais.
La Reyne veut le C. M.
a quelque prix que ce
soit, tout le monde n’en veut
point absolument, qui sera le
plus fort, tout vn Royaume
l’entreprend contre vne Reyne ;
mais le Royaume qui s’est
deliuré autresfois de la tyrannie
Romaine, qui a fait teste à
tous les Roys de l’Europe, qui
n’a pu quelquesfois souffrir ses

-- 202 --

propres Roys, quand ils se sont
rẽdus insupportables par leurs
mauuais deportements, que
peut vn Estat si puissant auiourd’huy,
ie laisse à luy mesme
a voir ce qu’il est oblige de faire,
pour fon propre auantage.

 

La Reyne hait le Prince de
Condé, tout le monde sert d’apuy
à sa vertu, on le reconnoit
pour franc, pour libre, pour
vaillant, pour innocent, il est
bien raisonnable de suiure vn
party si iuste ; mais seroit il possible
que tant de vertu si bien
appuyée, & si generalement
reconnuë, vint à succomber à
la violẽce d’vne passion si cruellement
animée, chacun doit

-- 203 --

examiner son pouuoir la dessus
& y contribuer à sa deffence,
tout ce qui luy sera possible.

 

La Reyne veut retenir tout
le pouuoir, & tout l’Empire de
cét Estat entre ses mains, il n’y
a rien quelle ne fasse pour ce
suiet, il faut qu’elle perde tout,
où qu’elle en vienne a bout, cela
se peut-il equitablement, si
le dessein est iniuste, & les
moyens pour y paruenir illicites,
offense-t’on Dieu, le Roy,
où la Iustice, si l’on si oppose
vigoureusement, hormis vn
Cordelier à gage ; i’en fais iuges
tous ceux qui sçauent les
cas de conscience.

Voila neantmoins à quoy

-- 204 --

l’on instruit le Roy, l’on luy
donne de l’affection pour le
Mazarin, de la hayne pour le
Prince de Condé, & de l’ambition
pour monter au dessus de
toutes choses iustes & raisonnables,
en sorte qu’on luy fait
croire que ce seroit s’abaisser
par trop, que de deferer quelque
chose aux tres-humbles
Remonstrances de ses Parlements,
que ne luy enseigne, ou
plutost, qu’il ne doit rien faire
d’important, sans en prendre
leurs aduis, à l’imitation de ses
Predecesseurs, qu’il ne doit
rien faire que par le Conseil, &
que la passion est vn indigne
emportement d’vn Souuerain.

-- 205 --

Mais la Reyne à ce qu’elle dit,
n’en veut pas faire vn Docteur
de Sorbonne, Monsieur l’Euesque
de Rhodes le sçait bien,
puis qu’elle luy defendit vn
iour, de faire des leçons de Politique
à ce pauure petit Prince,
à qui l’on veut celer longtemps
la verité, parce qu’on le
veut gouuerner.

 

Concluons là dessus, & disons
hardiment que la Reyne
a grand tort de se plaindre,
qu’on obeyt pas exactement
aux ordres du Roy, puis qu’elle
ne veut pas mesme luy donner
connoissance de son pouuoir,
comment le peut-il exercer,
qu’elle auouë ce qu’elle fait assez

-- 206 --

paroistre, que toutes ces volontez
supposées du Monarque
tiennent d’elle, & du C. M.
ausquelles on est point
obligé d’obeyr, principalemẽt
quand elles sont si iniustes & si
Tyranniques. Hé ! quoy elle
fera regner le C. M. en depit
de tout le monde, elle mesme
dominera, & sur le Prince
& sur ses sujets, & quiconque
ne voudra point se soumettre à
elle, sera vn criminel, vn rebelle,
vn reuolté, sur quel droit
peut-elle fonder cette authorité
si absoluë, que le Roy deffunt
luy denie dans son Testament,
mesme pendant la Minorité,
elle est reglée à deux

-- 207 --

voix dans le Conseil, ce qu’elle
pretend d’auantage est vsurpation,
elle se fait dõc voir iniuste,
& par consequẽt tout ce qu’elle
fait auec cette puissance absoluë,
est vne inustice, puis qu’elle
ne le peut pas legitimement,
n’a-t’on pas raison de si opposer,
si l’on ne veut agir aussi
iniustement, qu’elle qui voudroit
y proceder de la façon, seroit
blasmable, il ne faut point
soustenir l’iniquité, à moins
que d’estre inique. Vn bon
François abhorrera tousiours
ces noires pratiques suposant
vigoureusement à l’vsurpation
visible de l’authorité
de son Roy, & n’auoüera

-- 208 --

iamais la Reyne de ce qu’elle
fait, parce qu’il seroit traistre à
son Prince, auquel seul il est legitimement
soumis, outre qu’il
feroit vn tort irreparable à sa
patrie, laquelle il est naturellement
obligé de proteger par
dessus toute chose.

 

FIN.

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Anonyme [1651 [?]], LE ROY MINEVR OV PANEGYRIQVE SVR LA PERSONNE ET L’EDVCATION DE LOVIS XIV. DIEV-DONNÉ ROY DE FRANCE ET DE NAVARRE , français, latinRéférence RIM : M1_226. Cote locale : B_3_1.