Anonyme [1649], QVATRIESME ET SVITTE DV PREMIER DISCOVRS D’ESTAT ET DE RELIGION, A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_1106. Cote locale : C_7_39.
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QVATRIESME
ET SVITTE DV PREMIER
DISCOVRS
D’ESTAT
ET DE RELIGION,
A LA
REYNE.

A PARIS,
De L’Imprimerie de NICOLAS IACQVARD, ruë
Chartiere, prés le Puits-Certain, au Treillis-vert.

M. DC. XXXXIX.

Auec Permission.

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QVATRIESME
ET SVITTE DV PREMIER
DISCOVRS
D’ESTAT
ET DE RELIGION,
A LA REYNE.

MADAME

NOVS sommes contens le plus souvent
que la prosperité nous aueugle pendant
qu’elle nous flate de ses faueurs : Et
nous ne pouvons desiller les yeux pour considerer

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l’Estat de nostre fortune, si nous ne
nous treuvons comme engagez sur le panchant
de nostre ruine. Elle nous fauorise
quelque temps pour nous attirer à elle, &
se rendre triomphante de nostre prudence
par les charmes de ses appas : & lors qu’elle
nous croit montez au plushaut point où
elle nous peut conduire, elle commence par
vn nouueau caprice à changer de face, &
nous fait voir auec horreur les precipices ou
nous estions prests de tomber. C’est pour
lors que nous reconnoissons nostre aueuglement,
c’est pour lors que nous nous plaignons
de son inconstance, que nous maudissons
nostre mauuaise conduite, & que
nous nous réjouyssons de treuuer quelque
voye pour s’en retirer quand nous n’y sommes
pas encor tout à fait enuelopez.

 

Nous croyons que les delices qui passent
deuant nos yeux, ne doiuent iamais s’épuisser,
& que le bon-heur qui nous charme
doiue tousjours triompher de tous autres
évenemens. Encor qu’elle soit prospere &
fauorable à quelques-vns dés-le commencement
jusques à la fin, & qu’elle ait tousiours
esté contraire aux autres : Il arriue neanmoins
qu’ayant esté ennemie au commencement

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à quelques-vns, à la fin elle les séconde ;
& qu’ayant esté favorable à quelques autres
des l’entrée, elle leur deuient à l’issuë &
mauuaise & pernitieuse.

 

Cette fortune, MADAME, n’est autre
chose qu’vne cause seconde, procedante de
la pure volonté de Dieu, & nous deuons
plustost attribuer les bons succez de nos entreprises
& les heureux euenemens de nos
affaires publiques & particulieres, à la bonté
& au simple vouloir de sa Maiesté Diuine,
qu’à nostre seule vertu. C’est luy qui vous
represente auiourd’huy le déplorable estat
de la France, afin que tant de marques de
piété que vous auez tous-jours témoignées
pour elle, vous forcent à la conclusions d’vne
paix qu’elle vous demande : c’est luy qui
vous remet incessamment deuant les yeux
que vous estes Reyne, que vous estes Regente,
que vous Mere, & en suitte que vous
deuez témoigner à vos sujets les sentimens de
bien-veillance, ou ses qualitez vous obligent.

Le gouuernement n’est autre chose qu’vn
soin particulier du salut des peuples, & le
Tiltre de Mere denote vne sincere affection
envers ses enfans.

IL vaut bien mieux, MADAME,

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il vaut bien mieux ceder à la necessité, & mettre
à part ses haines particulieres, que de porter
un Royaume à deux doigts de sa ruine :
& cette Victoire est la plus glorieuse que l’on
puisse jamais remporter, puisque les passions
d’un vray Crestien doiuent estre enseuelies dãs
l’obscurité des tenebres. Celuy-là ne se vange
que trop, qui fait uoir que la uie de ses ennemis
n’est deuë qu’à sa seule clemence : & il
enrichit sa victoire d’un double triomphe, lors
que les pouuant domter, il se domte soy-mesme.
C’est cette seule uertu qui nous peut donner
des palmes, qui nous peut faire triompher
& qui nous peut dresser des trophées pour
seruir de memoire à la posterité. Tout un peuple,
MADAME, auquel uous aurez témoigné
uostre bien-ueillance souhaittera à
l’enuy l’un de l’autre, que le Ciel uous comble
de ses prosperitez, & conseruera à iamais
uostre Nom pour seruir d’exemple à la suitte
des siecles. Vostre conscience qui aura en soy
l’image de ses bonnes œuures, uous fera mener
une uie douce, pacifique, tranquille &
plaine de repos : & au contraire si uous leur refusez
ce qu’ils esperent de uostre pieté, vostre
conscience qui se croira criminelle uous tourmentera
incessament. Oüy, MADAME,

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elle se croira criminelle, puis que refuser un
morceau de pain aux pauures & prendre plaisir
à les uoir endurer, c’est une action que l’on
ne jugera jamais autre : & autant de peines
que uous leurs aurez fait souffrir, autant se
presenteront à uos yeux, pour uous reprocher
leur perte. Pardon, MADAME, si ie prens
tant de liberté, les miseres des pauures m’y
obligent, un milion d’ames qui souffrent m’y
contraignent, tout un peuple m’y force, la
Noblesse m’y excite, les Princes me l’ordonnent,
& enfin Dieu me le commande. Pourriez-vous
uoir, MADAME, pourriez-vous
uoir si uous estiez à nostre place, la justice de
France aux pieds d’vn Estranger, ou plustost
la pourriez-vous voir sans la relever. Pourriez-vous
dénier à la iustice de nos armes, de couurir
à la vangeance du Royaume, & de conserver
à la jeunesse de nôtre Monarque, ce
qu’on tasche de luy rauir. Est-il juste, que la
fureur triomphe tousiours de l’adresse, & le
desespoir de la vertu : & quoy que l’on masque
la Tyrannie du voille de la police, il
est neanmoins impossible que la verité & la
justice succombent sous sa rage. Pouriez-vous
refuser à la France le recouvrement de
sa premiere gloire : & ne luy pas permettre que

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deux cens mille hommes, qui se croyent trop
heureux de prendre les armes pour sa défence,
arrachent des mains d un Estranger, le
précieux dépost qu’il a dérobé au peuple pour
mettre ses méchancetez à l’abry d’un si glorieux
larcin. Nos armes, MADAME, n’ont
point d’autre mouuement, que le salut du
Prince, & la devise de nos drapeaux, n’a point
d’autre but que son recouvrement. Les Enseignes
ne sont levées que pour l’oster de ses
mains, & nos soldats tant qu’ils aurõt du sang
dans les vaines, l’employeront tousiours pour
la gloire de Dieu, & le service de sa Maiesté.
Ne croyez pas, Madame, que la France soit si
dépourveüe d’hommes, qu’elle ne puisse bien
encor supporter les interrests de son Roy ; elle
se souvient de son ancienne splẽdeur, & a assés
de persones que la conessance de leur capacité
peut élever au Ministere pour soûtenir l’Estat,
luy rendre son premier lustre ; & luy servant
de colomnes inébranlables, remettre la police
à sa premiere gloire. Considerez, MADAME,
tous les desordres qui menacent la France, &
qui l’eussent peut-estre renuersée, si tant d’illustres
Chefs n’en eussent pris la conduite : Considérez
aussi que vous estes seule qui y pouuez remedier ;
tout vn mõde vous en prie, les Princes

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vous en convient, & le Parlement se soumet à
la iustice de vos volontez. Estes-vous insensible
aux pleurs & aux soupirs de tant de pauvres
qui languissent dans ces desordres : & voulés-vous
pour vn seul homme en perdre vne
infinité d’autres. C’est vn mot ordinaire à la
bouche des hommes que Dieu ne ua pas precipitamment
à la vengeance, pour donner loisir
au pecheur de consulter sa conscience, & vomir
les flateuses pensées qui le perdent : mais ne
voyons nous pas que le retardement du supplice,
n’est que pour en augmenter continuellement
les peines à ceux qui ne se dépoüïllent
pas de leur fautes.

 

Ne faites pas tant de réflexion, MADAME,
sur vos interrests particuliers, que vous
ne consideriez en quelque façon ceux de
vostre Royaume : & voyez (si vous ne les
preférez pas aux vostres,) que vous avez à combatre
contre la Nature, la Raison, la Iustice
& le Ciel. Il ne vous reste plus qu’vn remede,
qui est de rapeller vos vertus. Ouy,
MADAME, rappeller vos vertus ou du
moins les faire briller sur nostre horrizon,
puis qu’elles semblent auoir esté éclipsées
pour nous depuis vn si long-temps. La Iustice
n’attendriroit-elle point vostre cœur : la

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Raison ne peut-elle fléchir vostre esprit : la
Nature ne vous touche-t’elle pas ; & enfin,
estes vous sourde aux plaintes que le Ciel vous
represente. Nous ne pouuons croire, MADAME,
que vôtre vertu puisse produire des fruits
si plains d’amertumes : & nous aymons encor
trop tendrement vostre Sacrée Maiesté,
mesme dans nos plus grandes infortunes,
pour luy en attribuer la cause. Nous ne
pouvons nous imaginer que de si rudes traitemens
puissent sortir de vostre naturel ; lequel
outre sa naissance Royalle, a tousiours
fait paroistre tant de piété, que nous ne pouuons
plus douter que cette vengeance que
vos gens exercent maintenant sur nos testes
innocentes, ne procede plustost d’un esprit
de tenebres & de contradiction que du vôtre.
C’est à present, MADAME, que tous
les éuenemens de nostre vie passée & les plus
agréables & les plus funestes reuiennent à
nostre memoire : & que nous nous voyons
attaquez & du souuenir des bon-heurs que
nous auons perdus, & du ressentiment des
malheurs où nous nous treuuons enseuelis.
Nous auons examiné toutes nos actions &
nos pensées & nous n’y auons rien rencontré,
qui se puisse opposer à la conclusion d’vne

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paix que nous souhaittons. Faites reflexion,
MADAME, à l’estrange naissance, aux
funestes progrez & aux tragiques euenements
qui peuuent arriuer de cette guerre : &
de tous les trois nous pouuons conjecturer
que Dieu ne s’est attaché auec tant d’interest
à la suitte de nos infortunes, que pour faire
voir dans nôtre siecle vn exemple tres redoutable
de son couroux, & des disgraces où se
precipitent ceux qui l’abandonnent. Nous
auons veritablement sujet de nous affliger
dans des matieres d’affliction où nous sommes
engagez de iour en iour : & nous ne pouuons
treuuer d’autre consolation dans nos miseres,
que celle que vôtre retour nous doit apporter.
Vous vous laisseriés peut-étre toucher à la pitié,
elle auroit quelque auantage sur vostre esprit,
si vous nous treuuiez si peu sensibles à tous
sujets de joye & de contentement comme
nous sommes : & que vous reconnussiez que
nostre ame qui est preuenuë des Impressions
de la douleur ; n’a plus d’entrée pour d’autres
mouuements que les siens, ny de sentiments
pour d’autres atteintes que pour celles que
vous pouuez seule luy donner. Accordez aux
prieres de tout vn peuple & aux conseils de
tant d’Illustres testes, ce qu’ils vous demandent

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auec tant d’equité, que vous ne leur pouuez
iustement refuser. Ne considerez plus les
raisons & le Politique de quantité de flatteurs,
qui deguisent à vostre Majesté l’estat auquel
est reduit vostre Royaume : & qui sont tellement
contraires aux bons aduis que l’on vous
donne, qu’aucune chose ne leur agrée, ils s’opposent
à toutes sortes de conseils qui aduancent
leur perte, & en suitte l’affermissement
de nostre Monarchie : & treuuent des obstacles,
des empeschemens, des repugnances &
contradictions en tout ce qui les touche, ils
mettent en difficulté & controuerses toutes
les opinions quoy qu’elles soient bonnes & il
ne se peut rien dire ny proposer à leur presence
qui leur puisse plaire.

 

Méprisez, MADAME, méprisez ces faux
luisans qui vous conduisent insensiblement
en des precipices, méprisez les flatteries d’vn
Estranger qui vous enchantent, méprisez les
conseils de ces Politiques qui cherchent leur
salut dans la perte de vôtre Royaume, suiuez
les sentiments que vôtre naissance vous suggere,
embrassez enfin le Conseil de tant de
sages Politiques ; de qui l’experience blanchie
dans les affaires doit rendre à nôtre Monarchie
l’éclat de sa premiere gloire.

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