Anonyme [1649], SVITTE DE LA RENCONTRE INOPINÉE DE MARS ET DE VENVS DANS LE COVRS DE LA REYNE, ARRIVEZ NOVVELLEMENT EN FRANCE. SECOND ENTRETIEN. , françaisRéférence RIM : M0_3348. Cote locale : C_9_60.
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SECOND ENTRETIEN
de Mars & de Venus.

CYPRIS.

MADAME,

Sçachez que nos effects seront inutils ; qu’il
est impossible d’estre sage, & amoureux tout ensemble, &
que Mars sans considerer ny la perte de nostre honneur, ny
ny le hazard de nostre vie, ne manquera pas de nous venir
chercher. Ce n’est pas vn dieu à se laisser esconduire de la
sorte, & la creance qu’il a de son pouuoir, comme de l’ancienne
amitié qu’il a contractée auec vous, luy persuaderont
facilement que rien n’est capable de choquer sa grandeur.
Escartons-nous plustost de ces lieux, fuyons sa rencontre
en nous esloignant de ce verger, en l’importunité
de ses poursuittes en nous cachant à ses yeux.

Mars.

Princesse de mon ame, diuinité de mon cœur, ou fuyez
vous ? auez vous dessein en vous retirant de moy, de me
faire perdre la vie, & me mettre au rang des autres mortels :
vos charmes ne me causent-ils pas assez de tourmens, de
transports, d’inquietudes, sans me donner la mort : & vostre
beauté que i’adore, & qui tient vn empire absolu sur
mes sens aussi bien que sur mon esprit ; n’exerce-elle pas
assez de tyrannie contre ma personne, sans que vostre
cruauté inuente de nouueaux supplices à mes peines, &
que vostre absence fasse de mes yeux vne source continuelle
de larmes. Quoy ay-ie fait quelque mépris de vostre
puissance, ou de vos perfections ? ay-je manqué aux
deuoirs que meritent vos iustes grandeurs ? ay-je oublié

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ce que vous estes ? & les charmes que vous possedez m’ont
ils esté inconnus ; vous sçauez que mes armes victorieuses
n’ont estendu les limites de mon pouuoir, que pour y faire
reconnoistre la gloire du vostre ; que ie n’ay estimé mes
desseins qu’autant que vous les auez approuuez ? que ie
vous ay tousiours deferé l’auantage de mes conquestes ; &
que mes ttiomphes ne m’ont esté considerables qu’en ce
qu’ils vous ont fait triompher par toute l’estenduë de la
terre.

 

Venus.

Grand Dieu ie sçay trop bien ce que vous estes, & ce que
vous meritez ; ie cognois assez les insignes obligations que
i’ay à vostre bien-veillãce, & ie passerois pour la plus ingratte
du monde, si ie n’auois deuant les Cieux & la terre, que ie
doibs toute ma gloire à vos soins, mon bon-heur à vostre
courage, mes plaisirs à vostre cõplaisance, mon estime à vos
bontez : mais ie sçay aussi ce que ie vous ay rendu ; & ce que
ie suis obligée de ne vous plus rendre maintenant. Autrefois
vous n’auez regné que par moy, à present vous ne pouuez
plus regner auec moy ? & vostre empire donne trop de
crainte aux hommes, pour croire qu’il soit d’accord auec
le mien, ou que la douceur de mes attraits soit iointe auec
la violence de vos armes : c’est le mal-heur du temps qui
cause cette des-vnion, & qui nous oblige à nous separer.
Permettez que ie m’en aille ? vne Dame de condition m’attend,
qui desire auec passion que ie l’entretienne sur vn
sujet qu’elle m’a proposé, & qui est tres-excellent.

Mars.

Madame, si vostre affection estoit égale à l’ardeur de ma
flamme, & si vos desirs auoient de la cortespondance auec
les miens, vous quitterez toute sorte de compagnie pour la
mienne, & vous ne seriez iamais plus rauie que quand
vous auriez le bien de ma conuersation, & moy l’honneur
de la vostre. Puis que ie viens de quitter le Duc de Chastillon
qui est retourné des enfers pour m’entretenir du fait de
la guerre, & sçauoir de moy en quoy consiste l’auantage
des armes. Dans le peu de temps que i’ay eu le bien de le

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ie luy ay fait connoistre comme les Seigneurs d’illustre
naissance, ne peuuent auoir de passion plus glorieuse, de
desseins plus releuez, de projects plus nobles, d’entreprises
plus genereuses que de se trouuer hardiment dans les cõbats,
& faire preuues de leur courage aux despens de leur vie
& de leur personne. Dittes-moy, Venus, auez vous iamais
rien veu de plus beau, de plus magnifique, de plus põpeux,
lors que vous estiez adorée dans Rome le chef du monde, la
gloire de l’Vniuers, la merueille des Empires, que de voir vn
de ses Empereurs retourner victorieux de ses ennemis tout
couuert de poussiere & de playes, monté sur vn Chariot
tiré par quatre Lions, mener apres luy quantité de captifs,
& de Princes esclaues, entrer dans la ville en triomphe, &
receuoir de toutes parts les acclamations du peuple qui
estoit rauy de le voir dans l’enceinte de ses murailles. Non,
MADAME, les Princes ne peuuent releuer la noblesse de
leur naissance que par l’éclat de leurs belles actions, leur
race emprunte sa splendeur du merite de leur vertu, & les
peuples les respectent & les craignent à proportion qu’ils
possedent plus ou moins ces deux rares qualitez : Estant
certain que la valeur appartient aux Nobles, comme la
Chasteté est la vertu des Dames. Le Duc de Chastillon
m’ayant entendu discourir de la sorte apres vne profonde
reuerence prist la parole & me dit : que veritablement la
la guerre estoit auantageuse à la gloire, à l’estime, à l’honneur
des Princes ; mais aussi qu’elle estoit souuent prejudiciable
à leur conscience, & funeste à leur reputation, puis
qu’elle excite beaucoup de desordres, dont les Generaux
sont estimez estre la cause ; c’est dans la guerre où la vertu
est mesprisée, & le vice approuué ? où la Chasteté passe
pour foiblesse, l’innocence pour lascheté, le blaspheme
pour courage, l’impudicité pour galanterie : où le meurtre,
le vol, la vengeance, l’iniustice est permise ? où la Religion
est foulée aux pieds, ses ceremonies profanées, sesoracles
condamnez ? où la iustice ne regne plus, & où le
plus fort l’emporte par dessus le plus foible, sans considerer
le droit de l’vn, ny la tyrannie de l’autre.

 

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Cypris.

Hé ! bien grand Dieu quels furent les sentimens de ce
Seigneur incomparable sur vne matiere si contestée de
part & d’autre ; qui peut auoir ses deffenseurs, aussi bien
que ses ennemis, qui peut estre approuuée des vns & condamnée
des autres, & qui est receuë differemment de tous
les esprits. Certes pour ce qui regarde le Duc de Chastillon,
i’ay ouy dire que c’estoit le Seigneur le plus beau, le plus parfait,
le plus accomply de la France, & la De esse Venus doit
auoir beaucoup de regret à sa mort, puis qu’il estoit capable
d’agrandir son empire, & de luy acquerir vne infinité d’Adorateurs :
des-ja toute la Cour le regardoit auec admiration ;
la Noblesse ne parloit que des preuues qu’il auoit rendu
de son courage, les Dames ne discouroient que de ses
perfections, & l’on s’estonnoit que dans vn cœur de Mars
on y trouua des complaisances & des beautez de Venus.

Venus.

Cypris, laissons-là ce discours : & permettez que ie vous declare
le sujet sur lequel cette Dame qui m’attend me veut
entretenir ; elle desire sçauoir de moy, si le plaisir de l’amour
consiste dans la poursuitte ou dans la iouyssance ; s’il y a
plus dauantege dans le combat ; que dans la victoire, &
plus de satisfaction dans la conqueste que dans la possession
de l’object qui anime nos desirs, & qui entretient nos
flammes. Quelques-vns asseurent qu’il y a plus de plaisir à
poursuiure qu’à posseder quelque chose, parce que pour
lors nos puissances sont en actiuité, nos esperances animées,
nos actions vigoureuses, nos mouuemens arrestez ;
nos larmes sont des larmes de ioyes, nos transports des
transports d’allegresses ; & nos souspirs des souspirs d’amour.
Les peines que nous prenons pour vn object que
nous affectionnons sont legeres, nos trauaux sans fatigue,
nos fardeaux sans pesanteur, nos soins sans inquietude.
Dans l’ardeur de nostre poursuitte nous n’apprehendons ny
les precipices des rochers, ny la hauteur des montagnes
inaccessibles, ny les embusches des voleurs. Pour lors le
Soleil n’a pour nous que des lumieres, le Ciel que de bonnes

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influences ; l’air des douceurs, la terre des feconditez,
les campagnes des Fleurs, & des Roses, l’Occean des calmes,
& des bonacx. Toutes les saisons sont des Printemps ;
tous les oyseaux des Rossignols, toutes les forests des reretraittes
où logent mille petits amours. Les autres disent
au contraire que la iouyssance est la fin ; & la perfection
de l’amour ; & que comme toutes les choses du monde sont
dans des contraintes, dans des violences qui tiennent
de la captiuité & de la tyrannie iusques à ce qu’elles
soient arriuées à leur centre, qui est proprement le lieu
de leur repos, & la periode de tous leurs mouuemens.
Qu’ainsi l’amour ne peut estre aucunement satisfait qu’il
ne soit paruenu à l’accomplissement de ses desirs & au but
de ses pretentions ; Auant cela, il souffre vn continuel
martyre, des gesnes, des tourmens, des supplices sans
relasche, des langueurs, des ialousies, des tristesses, des
afflictions qui le conduisent enfin iusques dans les cendres,
d’vn funeste tombeau. En effet qui pourroit exprimer les
agitations d’vne ame passionnée. Tu le sçais Cipris ? combien
de fois les Dieux se sont despoüillés des ornemens de
leur grandeur ? combien de fois ils ont renoncé à leurs priuileges
& à leur Maiesté pour m’admettre à leur couche, &
pour iouyr des charmes de ma beauté. Comme les eauës
des fontaines, & des riuieres sont tousiours en inquietude
iusques à ce qu’elles se soient reposées dans le sein de Thetis ?
comme le Soleil continuë sa course sans interruption
iusques à ce qu’il soit arriué dans son Apogée : Comme les
Dieux combattent sans cesse pour destruire les geans qui
s’attaquent à leur authorité. De mesme l’amour à beau
auoir des traits, des charmes, des extases, des rauissemens,
nous n’en iouyssons iamais parfaittement qu’en iouyssant
de l’object qui les possede & qui en est la source.

 

Cipris.

Madame, l’on peut iuger par vostre discours aussi bien que
par vos pensées, que cette Dame qui vous vouloit entretenir
est entierement amoureuses, puis que toutes vos conferences
deuoient estre des conferences d’amour, & tous vos

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complimens des complimens, de cajollerie, de complaisance,
& d’addresse. Mais ie vous prie n’estoit-ce pas vn
beau sujet, & vne matiere digne d’estre mise sur le tapis :
Sçauoir si les charmes de la beauté sont plus capables de
gaigner les cœurs, que le merite & la vertu ; & si les esprits
se l’aissent plustost vaincre par léclat des apparences, que
par la solidité du iugement. Pour moy, MADAME, ie
confesse d’abord mon ignorance, & auouë que i’aurois
beaucoup de peine à conclurre plustost pour vn party que
pour vn autre. Quelques-vns s’attachent directement à ce
qui contente leur fantaisie, & à ce qui paroist agreable à
leurs yeux. Ithis Roy d’Hircanie fut pris par les belles
mains de Theraraé, Alexandre par le front de Oxane ;
Philippes son Pere par la bouche de Menandra. Holofernes
par les sandales de Iudith, Dion par la cuisse de Benata,
Cyrus par la gorge de Penelope femme Persienne,
Titarchus Roy d’Egypte, par la blancheur du sein de Ragastes
sœur de la Reyne Tomiris. Les autres considerent
beaucoup plus l’excellence de l’esprit que les perfections
du corps, & croyent que la veritable amitié ne pouuant
perir, qu’elle doit par consequent estre appuyée sur des
fondemens qui soient de durée, & que ny les injures du
temps, ny la violence des maladies, ny l’inconstance de
la fortune ne nous puisse rauir quand bon leur semblera.

 

Venus.

Cypris, ie conçois la pointe de ton raisonnement : &
tu veux demander si l’amour d’election est plus excellent
que celuy d’inclination. Pour dire vray, aymer par inclination
c’est plustost vn effet de nostre temperamment que
de nostre choix ; & vne personne ne nous a pas beaucoup
d’obligation de faire vne chose de laquelle nous ne pouuons
nous empescher ; c’est aymer sans estre aymé : brusler
sans échauffer ? donner de la complaisance sans en receuoir ?
s’inquieter pour contenter les autres ; & se rendre
mal heureux pour combler les autres de felicité, d’vn autre
costé forcer nostre humeur à cherir vn object qui n’a
que de rares qualitez d’esprit, dont le merite n’est fondé

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sur vne vertu oculte & cachée : qui est beau & laid tout ensemble ?
qui touche nostre cœur, sans gaigner nostre veuë :
C’est faire iustement comme ces imprudens qui adorent des
diuinités inconnuës, & qu’ils mesprisoient apres, parce
qu’elles estoient formées d’argile, sans art, sans façon, sans
industrie. Non, Cipris, que l’on dise tout ce que l’on voudra ;
la beautez a des charmes qui sont ineuitables, & les ames
qui font gloire de resister à tout le monde se laissent tousjours
vaincre par la force de ses appas.

 

Mars.

Madame, ie veux que la beauté soit necessaire à vostre
sexe, & qu’elle soit comme vne arme puissant auec laquelle
vous triomphés de toutes celles de la terre ; Mais pour ce
qui regarde les hommes, elle leur est assés mal scante & l’on
croira tousiours que celuy qui aura les perfections, & les
traits d’vn beau visage, en possedera aussi les defauts, les
manquemens, les foiblesses. Laissés-nous les tiltres glorieux
de sages, de prudens, de genereux ; nous vous
laissons la qualité de belles : & si vous vous vantés de faire
des Admirateurs, nous sommes asseurés de faire des esclaue,
des mal-heureux, des infortunées, aussi bien que
des riches, des Princes, & des Monarques. Par vostre discours
vous voudriés nous persuader que la beauté a beaucoup
dauantage par dessus la valeur, & que sans elle les plus
courageux Capitaines ne peuuent faire que de legeres conquestes.
Ie sçay, & il est vray, que son empire est fort doux,
que sa domination ne tient rien ny de la rigueur, ny de la
tyrannie, & que les hommes n’apprehendent aucunement
de se soúmettre à vne puissance, qui est des-ja victorieuse de
leurs cœurs. Mais ie sçay aussi que son Sceptre est vn roseau
qui a beaucoup de fragilité, & son diademe plus déclat que
de fermeté. Les charmes de la beauté sont ils finis, chacun
secouë le ioug de son obeyssance, & l’on ne veut plus suiure
des loix, qui n’ont plus rien pour se faire aymer. Là où
l’Empire de la valeur est vn Empire de durée, & comme il
est soustenu par la force d’vne vertu qui est inuincible, il demeure
tousiours inesbranlable aux coups de la fortune, aux

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iniures des saisons, aux rebellions des Peuples.

 

Venus.

Grand Dieu, il est constant que tous les hommes sont
differens en leurs pensées & en leurs sentimens, & qu’vn
mesme object ne produit pas de semblables affections dans
tous les esprits : bien que la beauté soit vn don du Ciel,
vn rayon de la Diuinité, vne idée de ses grandeurs, vn
abbregé de ses perfections, vne image de sa puissance : Il
y en a neantmoins qui l’ont blasphemée comme le plus
grand de tous les maux ; & comme la seule cause de tous
les desordres qui arriuent au monde. C’est elle, disent-ils,
qui renuerse les Monarchies, qui ruine les Prouinces, qui
desole les Royaumes, qui rend les peuples mal-heureux,
& les Princes esclaues, & qui a este autrefois si insolente
que de mettre la dissension iusques dans la demeure des
Dieux : C’est vne fleur qui se flettrit si-tost qu’elle est éclose,
que les vents poussent, que le Soleil desseiche, que les
pluyes abbatent, & qui est de si peu de durée qu’elle trouue
en vn moment sa ruine dans ses propres fondemens :
Les autres au contraire, & auec plus de raison employent
tous les traits d’vne éloquence estudiée, & d’vne Rethorique
artisicieuse pour esleuer son merite, & publier ses
louanges. Platon en fait tant d’estime qu’il dit, que ce
n’est pas vn moindre crime de l’offencer que de violer vn
temple ; & tous les plus sages Philosophes de l’antiquité en
ont parlé auec tant dauantage que tous leurs escrits, & leurs
Liures ne sont remplis que de ses éloges. Dion l’appelloit
l’ame du monde, la Mere des Dieux, l’aiguillon des puissances,
& des volontés ; la chaisne qui captiue les cœurs
sans violence, & l’ayment qui attire tout à soy. Le Roy des
Roys, s’en est seruy comme d’instrument à ses victoires,
comme de lumiere à ses triomphes, comme de flambeau à
la gloire de ses conquestes. Et nous remarquons dans les
Histoires Sacrées, que les plus belles femmes ont tousiours
esté victorieuses. Qui perdit Holofernes auec toute son
armée sinon la beauté de Iudith ? qui obligea Affuerus de
reuoquer vn Edict general de mort donné contre la Nation

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des Iuifs sinon les charmes, & les perfections de la Reyne
Esthée : par tout où la beauté se descouure, elle se fait des
Adorateurs, elle n’a qu’à paroistre pour vaincre, & à se
monstrer pour auoir des seruiteurs : D’ailleurs la beauté à
cét auantage que souuent elle est vne marque de la beauté
interieure de l’ame, & les caracteres visibles d’vne vertu
qui est cachée ; en effet ce n’est pas vne chose moins estonnante
de voir vne belle ame logée dans vn corps difforme,
que de voir vn Roy reuestu des haillons d’vn gueux, ou demeurer
sous le toict d’vne pauure cabane.

 

Cypris.

Madame, vous entretenez le Dieu Mars d’vn discours
qui à la verité est tres-agreable, & capable de flatter sa passion,
mais aussi qui pourroit bien le mettre en colere : puis
que vous luy faites connoistre par se raisonnement que
vous remportez dessus ses armes tous les auantages imaginables
veu qu’elles sont seulement victorieuses des hõmes.
Là où par les charmes de vostre beauté vous triomphez &
des hommes & des Dieux ; Il cognoist bien cette verité, mais
il ne l’auoüera iamais, & sans doute il aymera mieux abandonner
nostre compagnie, que d’entendre de semblables
cõplimens. Certes, c’est l’vnique expedient pour nous deffaire
de sa personne, & le meilleur moyen du monde pour
ne plus estre importunées de ses frequentes visites, aussi
bien sont-elles scandaleuses, & prejudiciables à nostre reputation.
O dieux ! le voila qui se retire tout en colere, &
sans prendre congé de vostre grandeur. Vne autrefois
quand il viendra nous chercher en ces lieux, & nous entretenir
de son courage & de ses combats, de ses actions genereuses :
ie suis resoluë afin de le faire en aller aussi tost, de
parler des louanges de la beauté, & des mépris de la guerre.

Venus.

Cypris, i’ay beau te dissimuler ma flamme, & les ardeurs
qui me bruslent, ie ne puis me dispenser de l’entretien de
Mars, & quand bien mon honneur y seroit interessé il faut
que ie le voye. Non, Cypris, vnique confidente de mes
pensées & de mes larmes, mon cœur ne peut souffrir son

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absence, & mon esprit trauaillé de mille inquietudes ne me
permet aucun repos dés-lors que ce cher object est esloigné
de ma veuë : pardonne à mes sentimens ils sont iustes quoy
qu’ils soient violens, & ma passion m’est agreable encor
que plusieurs la trouuent scandaleuse, indigne de ma condition,
au dessus de ma naissance & du rang que ie tiens
parmy les diuinitez. Ie sçay qu’elle est blasmable, ie cognois
ses foiblesses & ses defauts, mais ie ne puis me soustraire
de l’empire qu’elle exerce sur moy, & tant plus elle
me témoigne de tyrannie, tant plus ie l’affectionne, & y
rencontre de la satisfaction. Cypris te souuiens-tu comme
autrefois i’ay méprisé ses carresses, ses cajolleries, ses
complaisances, comme ie me suis mocquée de ses promesses,
de ses armes, de sa puissance, maintenant ie me vois
prise, par les mesmes liens que ie pensois prendre, & son
cœur vainqueur du mien, me tient captiue dedans ses
chaisnes.

 

Cypris.

Madame, le respect que ie doibs à vostre grandeur m’auoit
tousiours obligée au silence, ie n’osois vous parler
d’vne chose dont i’auois vne parfaite connoissance ; & ie
m’eusse creu la plus criminelle du monde, si ma langue
vous eut pû desplaire en vous declarant des secrets que mon
cœur tenoit cachez, & qu’il ne failloit pas publier pour
vostre honneur. Mais comme vous n’estes pas faschée que
l’on sçache l’affection extreme que vous portez au Dieu
Mars, ie vous proteste que doresnauant, ie contribueray
de tout mon possible à vostre contentement, & feray en
sorte qu’il se trouue le plus souuent qu’il pourra en ces
lieux.

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Anonyme [1649], SVITTE DE LA RENCONTRE INOPINÉE DE MARS ET DE VENVS DANS LE COVRS DE LA REYNE, ARRIVEZ NOVVELLEMENT EN FRANCE. SECOND ENTRETIEN. , françaisRéférence RIM : M0_3348. Cote locale : C_9_60.