Anonyme [1649], TROISIESME DIALOGVE ENTRE LE ROY DE BRONZE ET LA SAMARITAINE. Sur les affaires du temps present. , françaisRéférence RIM : M0_1090. Cote locale : A_2_60.
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TROISIESME
DIALOGVE
ENTRE
LE ROY DE BRONZE
ET LA SAMARITAINE.

Sur les affaires du temps present.

A PARIS,
Chez ARNOVLD COTINET, ruë des
Carmes, au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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TROISIESME DIALOGVE,
ENTRE LE ROY DE BRONZE,
& la Samaritaine.

Sur les affaires du temps present.

La Samaritaine.

FAITES vostre pacquet, Madame l’idiote, & cherchez qui veüille
souffrir vos sottises : car pour moy i’en suis lasse.

Le Roy.

Est-ce là, chere Samaritaine, la grace que tu m’auois accordée pour
cette pauure fille ?

La Samaritaine.

Elle en a trop abusé, SIRE, & si i’eusse fait mon deuoir hier au soir
à l’heure induë qu’il estoit, lors qu’elle vint de la Ville où ie l’auois enuoyée
m’achepter cinq ou six de ces nouueaux libelles sur les affaires
du temps, ie l’eusse mise à la ruë, & de deux pieces fausses dont vn
Colporteur luy vendit l’vne, & luy rendit l’autre pour son reste d’vn escu
d’or que ie luy auois donné à changer, I’eusse au moins rabbatu la
premiere sur ses gages ; car pour l’autre, elle est d’vne monnoye dont
ne sçachant pas lire, elle n’est pas obligée de connoistre les especes :
puis que c’est vn de ces liurets mesme qu’elle m’achepta, & de laquelle
les falsificateurs ne sont pas moins punissables, que de celle qui sert au
commerce de la vie humaine.

Le Roy.

En effet, Voisine, quelques pieces que les Escriuains puissent donner
au public, si l’image de la verité qu’on y doit voir empreinte, n’est le
coin auquel ils les marquent, ils sont autant de faux monnoyeurs : &
le cours des fausses nouuelles n’estant pas moins pernicieux aux Estats,
que celuy de la fausse monnoye, ne doit pas estre empesché moins rigoureusement.
Mais de quel libelle est-ce que tu parles ? Seroit ce
point du pacquet de ce Courier extraordinaire, dont me fit lecture (quoy
que sans songer à moy) vn honneste Ecclestastique qui s’arresta hier
icy auec vn Gentil-homme de sa connoissance, qui ne peut non plus

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que moy s’empescher de rire de ce galimatias de nouuelles.

 

La Samaritaine.

C’en est vn en effet ; & des plus grotesques : car enfin à qui croyoit ce
bon Courier vendre ses coquilles ? Encore s’il fust venu de quelqu’vn de
ces lieux d’où ceux de Renaudot viennent ordinairement, il en auroit
pû d’autant plus raisonnablement esperer le debit, qu’il est aisé de mentir
à qui vient de loin : Mais ie suis bien trõpée, s’il n’est de ceux dont les
murailles de leur maison, ou tout au plus celles de leur Patrie, bornent
les plus longs voyages, & qui ne peuuent pas se vanter de venir de si loin,
que celuy qu’auoit aposté de vostre temps, grand Monarque, vne Dame
de la ligue, qui le faisoit sortir par vne porte de la Ville, pour y rentrer
par vne autre, & dont les courses ordinaires estoient de Paris d’où
il estoit party, à Paris mesme, où bien-tost apres on le voyoit arriuer.
Mais ie veux que celles du nostre soient plus longues, & qu’il vienne,
comme il dit, de S. Germain : qu’elle est la moitié des nouuelles qu’il
nous fait sçauoir ? Ce qui se passe à nos portes. Et l’autre ? Ce qui se fait
& ce qui se dit chez nous mesmes, dont il nous déguise la verité auec
autant d’impudence, que s’il ne pouuoit craindre vn démenty que de
nos Antipodes.

Henry.

C’est où l’on deuroit l’enuoyer porter les nouuelles de ce monde.
Mais laissons-là l’Extraordinaire, & ne parlons que de ce que nous pouuons
apprendre de nostre Ordinaire mesme. Dy-moy ; Qu’apprens-tu
de nouueau ?

Samaritaine.

Que puis ie apprendre icy, moy qui suis tousiours sedentaire plus
que vous, grand Monarque, qui passez les iours entiers & les nuicts
à cheual ?

Henry.

Quoy, ta Seruante fait-elle tant de tours en Ville, sans en rapporter
de quoy te diuertir ?

La Samaritaine.

Si Vostre Majesté veut prendre pour argent comptant tout ce que
ma seruante me debite, il n’est ny Courier François, ny Courier Estranger
qui reuienne plus chargé de nouuelles des voyages qu’il fait hors
de Paris, que ma coureuse de ceux qu’elle fait en Ville. On n’apprend
iamais rien des cent bouches de la renommée, qu’on ne puisse apprendre
aussi de la sienne : & si de tant de langues que la Fable donne à ce
monstre, vne seule auoit le caquet de celle de ma Gazette viuante, toutes
les autres luy seroient bien superfluës. Il n’est rien de si sot, rien de
si impertinent, rien de si difficile à croire, qu’elle ne reçoiue & ne donne
pour nouuelles triées sur le volet, & qui ne s’enfile aisément : Comme
elle croit tout, elle pretend aussi m’obliger à tout croire, comme texte

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d’Euangile : & si peu qu’il m’eschappe de rire de ses impertinences, mon
incredulité l’offense & la scandalise, comme vne nouuelle heresie. Enfin,
on dit cecy, on dit cela : & au bout du conte, ce Maistre On est le seul
garand de ses contes à dormir debout.

 

Henry.

Que veux-tu ? Elle n’en a point d’autres à te donner, & le Siecle a
des esprits qui seroient les plus forts du monde, s’ils l’estoient autant
qu’ils s’imaginent l’estre, qui s’en contentent bien. On ne voit pas tout.
On ne sçait pas tout : & pourtant, on ne laisse pas de dire indifferemment
tout ce qu’on sçait, & tout ce qu’on ne sçait pas. On n’a pas
moins de bouches que la Chimére dont tu viens de parler. Et ie suis
bien trompé, si Maistre On, & Dame Renommée, ne sont sous deux
diuers noms, vne mesme personne. Quoy qu’il en soit, manque de
meilleurs memoires ; c’est de ce qu’on dit que les Historiens forment
leurs Chroniques, & que nous pouuons icy former nos entretiens ordinaires.
Dy-moy donc, que dit-on de nouueau ? Paris est-il tousiours
bloqué ? La Reyne est-elle tousiours inexorable ?

Samaritaine.

Elle ne le fut iamais, grand Monarque ; & si nos maux ne touchent sa
Majesté d’vn traict de compassion, c’est que sa Majesté ne les voit pas,
& qu’on tasche adroittement de la rendre non seulement aueugle à ce
tragique spectacle, mais aussi sourde aux plaintes de son Peuple. De
ces deux soins que prend vn Fauory, le second pouuoit estre vtile à sa
tyrannie, tant que l’excez de nos souffrances n’estoit pas tel qu’on ne
le pût croire sans le voir. Mais a present qu’il est si prodigieux, que pour
le croire, il faut en estre tesmoin oculaire. Que ne relasche-t’il vn peu d’vn
soucy qui n’est plus de saison ? & que ne nous permet-il de porter nos
plaintes iusqu’aux pieds du Throsne ? quel mal en pourroit il craindre
& quel bien en pourrions nous esperer, que ce foible allegement qu’on
voit naistre du recit de ses maux, s’il est vray que celuy des nostres semble
si fabuleux à ceux qui ne les ont pas veus, qu’il fait plus d’horreur
que de compassion ? Ses François employent le fer & le feu à rauager
la France. Sa Majesté le pourroit elle croire ? On vole, on pille, on tuë,
on massacre.

Henry.

Ah! n’en dy pas dauantage, chere Samaaitaine ; Ie fremy d’horreur
à ce tragique recit : & si i’estois à l’oüir, ie voudrois estre sourd, si tu
n’estois muette. L’Vniuers m’a veu quereller les droicts de ma naissance,
à ceux qui taschoient de me les rauir : & i’auouë que le fer & le feu
m’ont frayé le chemin à mon Throsne ; & que ma main a deu son Sceptre
à son espée. Mais i’atteste le Ciel & le Genie tutelaire de la France, que
ce fut malgré mon humeur que i’en vins à ces extrémitez, & que ma Iustice
n’en voulant qu’au crime, eust espargné l’innocence, si l’vne n’eust
esté mal-heureusement enueloppée dans les disgraces de I’autre.

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Samaritaine.

Ne cherchez point au Ciel, ce que vous offre la Terre qui fournit à
vostre posterité autant de tesmoins d’vne verité si connuë, qu’elle en a
donné d’écriuains. La memoire en est si fraische, que ie m’imagine encore
vous voir, grand Monarque, tel qu’on vous a veu dans la plaine
d’Iury, auare du sang de vos Subjets, & prodigue du vostre choisir de
l’œil & separer l’innocent du coulpable, lors que dans vne gresle de
plomb, au milieu d’vne forest de piques, & à trauers vne épaisse fumée,
on vous discernoit moins au pennache de vostre Salade, & à celuy de
vostre cheual, qu’à ces mots que poussoit vostre cœur, & proferoit vostre
bouche : Main basse à l’estranger, & sauuele François. Quoy que le caractere
de la Royauté que le Ciel imprime à ceux qui naissent Roys, fust
inuisible aux yeux de vos Subjets : ils eussent pû reconnoistre leur Roy
legitime à ces genereux mouuemens du soin qu’il auoit de leur salut,
plus que du sien propre ; si la iuste horreur qu’ils auoient de vostre heresie
saintement abjurée, les eust laissé remarquer. Mais sans trencher
icy de l’Arbitre d’vne querelle vuidée, que les causes des troubles passez
estoient bien differentes de celles des presents ! Nostre repos n’estoit
troublé que de l’apprehension de vos approches, de vostre arriuée, &
de vostre presence : & sous le Regne de vostre petit Fils, nous n’en eusmes
iamais d’autres que de son départ, de son esloignement, & de son
absence. Nous vous refusions l’entrée de vostre Capitale, & nous en
auons refusé la sortie à ce ieune Monarque qu’on nous vouloit rauir, &
qu’on nous a rauy. Enfin malgré vostre destin qui vous conduisoit au
Throsne, vos Subjets vouloient vous empescher d’y monter : & tout au
contraire, les siens ont voulu l’empescher d’en descendre. Mais helas
on a trompé nos soins ; ou plustost nos soins eux-mesmes, se laissant
comme nous charmer aux douceurs du sommeil, ont dormy lors que
plus que iamais ils estoient obligez de veiller : c'est à dire à l’heure du
voleur, qui ne fait ordinairement ses bons coups qu’à la faueur des tenebres.
O nuict, la plus noire & la plus funeste que l’absence du Soleil
ait iamais causée, que tu coustes de soûpirs à nos cœurs, de larmes à nos
yeux, & de plaintes à nos bouches, & que la perte que nous auons faite !

Henry.

Elle est grande, ie l’auouë, mais non irreparable ; & Paris n’a pas
long-temps à souffrir ces funestes effets du courroux du Ciel, & de celuy
de la Reyne.

Samaritaine.

En effet, SIRE, c’est de l’vn que l’autre a pû naistre : mais quel crime
si grand auons-nous commis, qui merite vn chastiment si rigoureux,
& de si longue durée ? Falloit-il des larmes pour en lauer la tache ?
Nous en auons versé. Falloit-il du sang ? Nous en auons respandu.
Que peut dauantage exiger la colere de sa Majesté, qui deuroit bien

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estre appaisée ? Et qu’attend-elle à nous ramener nos delices, qui sont
les siennes mesmes ? Apres auoir manifestement reconnu, que de tous
nos ennemis, & de tous ceux du Roy, les Domestiques (qui nous vendroient
aux autres, s’ils nous vouloient acheter) sont les plus redoutables.
Ouy, SIRE, ce pernicieux Fauory mettant à prix nostre sang &
nos vies : concertoit nostre perte auec eux, & vouloit faire naistre du
sein d’vne Paix, la plus honteuse que la France ait iamais faite, vne
guerre la plus funeste qu’elle ait iamais soufferte. Graces à nostre
Destin la mine en est éuentée, & le temps nous découurant ses noires
pratiques, les va reduire en fumée. Si nous desirons la paix, nos Ennemis
la souhaittent aussi ; & Mazarin la leur offroit plus auantageuse,
qu’ils n’eussent pû ou la conceuoir sans extrauagance, ou la desirer sans
injustice, ou l’esperer sans folie. Mais graces à Dieu, ils estoient trop
bons Politiques, pour en traitter auec vn Fauory declaré Perturbateur
du repos public ; & comme tel, condamné par ceux là mesmes qui deuoient
en omologuer le traitté. Plust à Dieu seulement que toutes les
intelligences des mauuais François auec Mazarin, ne nous fussent pas
plus cachées que celles de Mazarin auec les Ennemis de l’Estat, & que
le Parlement connût les complices de ces deux humbles Prelats, dont
nous parlions hier, qui meilleurs Courtisans des grandeurs de la terre,
que de celles du Ciel, ayment mieux chez vn Fauory estre assis sur vn
banc, quatre à quatre, dans vne sale basse, que dans leur Euesché chacun
dans vne chaire ; & qui semblent n’abandonner leur troupeau, que
pour venir icy vendre celuy du premier de leurs freres, & de ce braue
Duc de Rets, l’Hercule de ce grand Atlas ; qui sensiblement touché
de l’outrage qu’on luy fait de tirer de sa bergerie les victimes qu’on immole
à ce [1 mot ill.] & plus encore des sacrileges & des insolences que
son Eglise souffre de ces Demons Athees, qui prophanant nos mysteres,
foulent aux pieds, ce qu’adorent les Anges dans le Ciel Empyrée,
ne respire que la vengeance du Tout-puissant outragé, qui luy prestant
ses foudres, luy fait joindre ses genereux efforts à ceux de nos Generaux.
Mais où vont tant de Compagnies que nous voyons passer par
icy ?

 

Henry.

Ie ne sçay, Voisine, si ce n’est que sur I’auis qu’on vient de receuoir
que Monsieur le Prince alloit au deuant du Conuoy qui nous vient de
Normandie, on aille enfermer ce ieune Victorieux entre nos troupes
& celles de Monsieur de Longueuille, que ce bon Ministre d’Estat a
voulu débaucher du party du Roy.

Samaritaine.

Mazarin nous débaucher Monsieur de Longueuille ? Le connoist-il
bien pour y songer seulement ? Et croit-il auoir dequoy tenter vne
vertu si ferme ?

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Henry.

Vne espée de Connestable est au gré de ce Fauory, vn riche present.

Samaritaine.

Vn Sceptre en est vn encore plus riche, & Mazarin en eust-il eu vn à
luy donner ? Ce ne seroit pas de la main d’vn si petit compagnon que le
voudroit receuoir vn si grand Personnage. Que vostre Majesté iuge
de ce raisonnement, si l’éclat d’vne si belle charge auoit dequoy l’éblouyr.

Henry.

I’appris le mespris qu’il en fait, lors que i’en appris l’offre : & l’on ne
deuoit pas moins attendre d’vne si belle ame, qui ne respirant que la
liberté de mon petit Fils, & le repos de ses Peuples ne demande pour
l’vn & pour l’autre, autre Espée que la sienne. Adieu, Voisine, iusqu’aux
nouuelles que i’attends, & du sujet de cette sortie, & du succez
que luy donnera le Dieu des Armées, qui seront la matiere d’vne autre
conuersation. Adieu derechef, chere Samaritaine.

Samaritaine.

Adieu, grand Monarque.

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