Anonyme [1649], TROISIESME DISCOVRS D’ETAT ET DE RELIGION, A LA NOBLESSE DE NORMANDIE. , françaisRéférence RIM : M0_1106. Cote locale : C_7_38.
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TROISIESME
DISCOVRS
D’ETAT
ET DE RELIGION,
A LA NOBLESSE
DE NORMANDIE.

A PARIS,
De L’Imprimerie de NICOLAS IACQVARD, ruë
Chartiere, prés le Puits Certain, au Treillis vert.

M. DC. XLVIIII.

AVEC PERMISSION.

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TROISIESME
DISCOVRS
D’ESTAT
ET DE
RELIGION,
ALA NOBLESSE
DE
NORMANDIE.

ON ne peut plus douter, MESSIEVRS,
que ce ne soit vn pur effet
de la Providence Divine, qui vous
a si étroitement vnis avec cét Auguste
Senat pour soûtenir l’Estat chancellant
de nostre Royaume : & que les mesmes motifs

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ont poussé les vns & les autres à conserver
à nostre jeune Monarque, ce que la suitte
des ans luy garde depuis tant de siécles. La
vengeance de Dieu ne retarde le plus souvent,
que pour éclater en apres avec plus de rigueur
sur les testes criminelles : & s’il nous estoit permis
de saouler nostre curiosité en recherchant
plus avant dans l’abisme de ses jugemens, il
nous sembleroit peut-estre qu’il prendroit plaisir
à renverser les desseins des hommes, pour
les conduire à la fin au comble de leurs félicitez.

 

Le succez des affaires que nous croyons le
plus avantageux à cause qu’il nous flatte, ne
reüssit pas tousjours selon que l’on le desire,
puis que bien souvent on doit plus au bonheur
qu’à la Prudence humaine : & qu’il faut
quelques fois attendre dans leur confusion de
quel costé elles viendront à pancher, avant
que de regler leur suitte. Le bon-heur d’aucunes
personnes portent les affaires à vne fin
ou leur prudence ne les avoit jamais pû attirer :
& les sages conseils des autres joints à vne
extréme prudence les mettent dans le chemin
de la félicité, ou leur bon-heur ne les avoit
pû conduire.

La prudence de ceux-cy se fait tous-iours

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signaler, au dessus de l’incomparable bonheur
de ces autres là, puis qu’elle vous fraye
aujourd’huy vn chemin pour exécuter la vengeance,
que les occasions vous avoyent jusques
icy frustrée ; & les faveurs du Ciel la secondent,
vous en donnant auiourd’huy vne
ou vous devez monstrer ce que vous estes.
Dieu, le service du Roy, le bien de son Estat,
& l’utilité du public vous y obligent : & tant
de sang que vous avez répandu crie vengeance
au peu qui vous en reste, si vous ne luy accordez
de vanger sa perte, pour la recompense
de ses travaux. Oüy, Messieurs, que
vous avez répandu en vain, puis que l’on
vous a tousiours exposez aux traits de la fortune,
mis en butte aux coups de l’envie ; &
que vous devez à vostre seule generosité le
bon-heur d’avoir triomphé par la terreur de
vos armes de si évidens précipices, où l’on vous
engageoit insensiblement.

 

Il est bien vray que le service de sa Majesté
& de son Estat, ont esté les principales
causes, qui vous ont porté à mépriser les conspirations
que l’on machinoit pour vostre ruine,
& qu’en suitte la perte de vos biens & de
vostre sang, ne vous pouvoit estre qu’agréable,
puis que vous les immolliez à la fureur

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des Traitres pour le bien & le salut de vostre
patrie.

 

Vos Conquestes, Messieurs, eussent esté
inombrables, si l’on n’en eust pas traversé le
cours, & si l’on vous eut permis de poursuivre
vos victoires, le Throsne de la France que
l’on a voulu ébranler se fut restably au point
de son ancienne splendeur, & eut recouvert
sa premiere gloire.

Toute la France à present vous convie d’embraser
sa défence, & mettre en effet les bonnes
intentions que vous luy avez tousjours témoignées :
puis que asseurément vous ne pouvez
trouver vne plus juste occasion, que celle
que l’affermissement de nostre Monarchie
vous offre. Tous les fidelles Sujets s’y emploient ;
les Ennemis voyans la Iustice de nostre costé,
semblent seconder nos entreprises, pour avoir
part à vne si glorieuse action ; & Dieu mesme
qui veut estre de la partie vous force tacitement
à embrasser vne si fameuse rencontre.

C’est icy, Messieurs, c’est icy ou vostre naissance
vous appelle, c’est icy ou vostre vertu vous
convie, ou vostre générosité vous engage, &
ou l’exercice que vous professez doit faire voir
que le calme des desordres ne se doit qu’à vôtre
conduite.

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Cét exercice vous presente vn trop glorieux
Sepulcre pour n’y estre pas honorablement inhumez :
& tant de Lauriers qui menacent de
cindre vostre teste, vous invitent au defaut de
la Fortune à adjouster à vostre mort la gloire
de vostre vie. C’est dans cette sanglante carriere
que vous devez faire voir que vostre
courage a tousiours triomphé des hazards, &
que vos armes bravent les plus funestes changemens
de la Fortune : De plus Dieu n’a différé
sa vengeance sur les autheurs de ces troubles
que pour se servir de vous, comme instrumens
de sa puissance Divine, & adjouster à vôtre
renommée la gloire d’estre les plus vaillans
hommes du monde. Ne différez pas d’avantage,
Messieurs, ne differez pas de metrre en
effet ce qu’vn Dieu vous commande, ce que
le Roy attend de vous, ce que les Princes en
desirent, ce que tant d’Illustres Testes en souhaittent,
ce qu’vn million d’ames vous demandent :
Et enfin, ce que tout vn Royaume espere
de vostre genérosité.

Il vaut bien mieux ou l’on voit qui se peut
former encore quelque embrassement l’estendre
par vn signalé excez de vertu, que de tourner
témérairement le dos estans pres de recevoir
des Palmes pour la recõpense de ses peines,

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& d’abandonner le camp des vainqueurs aux
vaincus, où ils pourroyent du reste de leurs débris
r’amasser de nouvelles forces. Vos interrests
particuliers seroyent peut-estre trop foibles
pour vous y faire resoudre, si tout vn
peuple ne ioignoit & les siens & ceux du
Royaume aux vostres : Et si la solidité de vôtre
jugement ne vous suggéroit pas que c’est
de vous, que l’Estat de nostre jeune Monarque
attend des colomnes inébranlables pour
l’appuyer de toutes parts.

 

Pouriez-vous refuser, Messieurs, pouriez-vous
refuser aux pleurs & aux soûpirs de tant
de pauvres vne goûte de vostre sang, dont
vous estes quelquesfois si prodigues, en des
occasions ou vostre naissaince vous engage,
pour obtenir ce que l’on leur refuse : & il faudroit
que uostre uertu se démentit elle-mesme
pour les frustrer de leur esperance dans
cet Illustre Rencontre.

La fin n’en peut estre que glorieuse, puis
que le sujet en est si juste, & tant de marques
de piété que vous avez tousiours tesmoignées
envers eux, ne peuvent pas estre séparées de
uostre esprit, à moins que de vous rendre disemblable
à vous mesmes.

Il est certain, Messieurs, que cette dissemblance

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ne vous peut asseurer pendant que la
Normandie conservera son nom, & que la
suitte des ans vous laissera ce beau titre d’honneur
pour servir à l’accroissement de vos conquestes :
Où il faudroit que le Soleil qui semble
contribuer à la naissance de toutes choses,
commença par vn capritieux reuers de la Nature
a prendre vne nouuelle route dans la vague
des airs. Vous ne pouuez faire vne plus
glorieuse épreuue de uostre uertu que uous
auez signalée en tant de combats, qu’en
uengeant le Royaume de tous les desordres
qui y sont arriuez : & montrant que uous sçauez
aussi bien porter la terreur de uos armes
dans les autres prouinces que chez uos ennemis.
On ne sçait à qui attribuer la cause de
tant de troubles si ce n’est au peu de soin
que nos Ministres auoyent pour le maintient
des affaires de l’Estat, qui menaçoyent de porter
nostre Couronne à deux doits de sa ruyne :
si l’expériance de tant de personnes qui en
ont pris la conduite, n’en eussent cherché l’Origine
pour y apporter vn puissant remede :
C’est peut-estre Dieu, Messieurs, c’est peut-estre
Dieu, qui s’est trouué forcé par l’énormité
de nos crimes à déployer sur nous le fleau
de sa collére : & nous ne sommes pas les premiers

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qui ont payé la faute que les Souuerains
auoyent commises. Il ne faut s’estonner si plusieurs
ont genereusement refusé les puissances
Souueraines, que les autres recherchent auec
le fer & le feu, puis que comme les principaux
sont bien au dessus de la populace, aussi
leurs fautes sont plus grandes deuant Dieu
Combien de fils que nous auons veus endurer
pour les fautes de leurs peres, & de Sujets
pour les crimes de leurs Supérieurs. La difficulté
de bien vser de la puissance souueraine, ne
procéde pas tousjours de l’humeur bijarre des
peuples, mais bien souuent de la faute des Ministres,
dautant qu’il leur est presque impossible
de garder la médiocrité en une puissance
qui n’en a point. Ceux-là doiuent plus au
bon-heur qu à leur prudence, qui s’afermissent
dans le Ministére, s’ymaginant que les sujets sont
faits pour eux, & non pas eux pour les sujets.
Il leur est quasi indifférant qu’ils les ayment,
ou les hayssent, pourueu qu’ils les craignent :
& mettent le souuerain contentement de leur
grandeur de faire gloire de commettre ce qui
n’est licite à personne. Ils ne considérent pas
qu’il leur est d’autant moins permis d’abuser
des loix du Ministére, que toutes choses leurs
sont permises, & que les fautes qui sont légeres

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à ceux qui obéyssent, sont de tres-grande
importance à ceux qui commandent ; Aussi
uoit-on rarement une grande prudence
jointe à une signalée authorité. C’est peut-estre
pour leurs fautes, Messieurs, aussi bien
que pour les nostres, que nous souffrons ; Dieu
uous en réserue l’entiére connoissance pour punir
les coupables, & affermir l’Estat de nostre
ieune Monarque. Faites éclater uostre uertu
en cette occasion, montrés que le repos du
Royaume ne se doit qu’à uostre générosité : &
qu’en suitte appaisant ces troubles, uous ouuriés
le chemin à la conclusion d’une paix générale,
où tend le Politique des fidelles suiets,
ou leurs désirs doiuent estre bornés, & ou l’Estat
cherche sa plus sol de felicité, afin que la
recompense de tant de bien-faits ne soit deuë
qu’à vostre mérite.

 

IL est permis à NICOLAS IACQVARD, d’imprimer
le Troisiéme Discours d’Estat & de Religion.Faict
le onziéme Mars mil six cens quarante-neuf.

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