C. J. [signé] [1649], LA LETTRE D’VN SECRETAIRE DE S. INNOCENT, A. IVLES MAZARIN. , français, latinRéférence RIM : M0_1896. Cote locale : E_1_62.
Section précédent(e)

LA LETTRE
D’VN SECRETAIRE
DE S. INNOCENT,
A. IVLES MAZARIN.

MONSIEVR,

Ie ne pense-pas que vous trouuiez mauuais
que ie n’employe point icy le nom de Monseigneur,
ie m’en suis empesché par la rencontre de
l’Arrest du huit Ianvier dernier, que Nosseigneurs de
Parlement ont donné contre vostre Eminence, c’est
pourquoy ie me sers du terme dont nous traitons ceux
qui écriuent comme nous ; Car aussi-bien j’ay apris que
vous estes le plus grand barboüilleur de papier qui soit
au monde, receuez donc mon cher Camarade, la lettre
que ie vous escris.

Depuis que vous vous meslez du Gouuernement des
affaires de France, I’ay tousiours oüy dire que vostre
conduite ne valoit rien, & i’ay fait ce que i’ay pû pour
desabuser les Peuples de la creance qu’ils auoient en vostre
politique, ils se flattoient tellement en leur opinion,
que le Cardinal de Richelieu vous auoit choisi pour luy
succeder en cette administration, que iusques à ce qu’ils
aient veu que vous auez perdu la tramontane, & que
vostre petite ceruelle se trouuoit au bout de ses finesses,

-- 2 --

il m’a esté imposible de leur persuader que vous estes le
plus ridicule Ministre qui ait iamais esté. Ie vous asseure
qu’à present ils le croyent, & quand vous vous estes engagé
en cette dignité de fauory, vous n’avez pas sceu
que nous auons des exemples dans nos Histoires, de ceux
qui ont possedé les Roys, qui ont fait des fins fort esloignées
de celles qu’ils s’estoient proposées, il y a eu veritablement
de grands hommes, & les Roys qui les ont
choisis pour estre soulagez dans le pesant fardeau de
leur Royaume, nous font voir que celle de trouuer vn
bon Ministre, c’est la peine la plus insuportable. Charles
cinquiesme, surnommé le Sage, comme il estoit
Prince de grand sens, n’ay ma iamais que des seruiteurs
bien sencez, ainsi il affectionna le Connetable du Guesclin,
à cause de ses rares vertus, Charles VII, pour le
mesme suiet admit au Gouuernement de son Estat Iean
d’Orleans, appellé pour ses merites le bon Comte de Dunois,
au quel la France demeure encore redeuable, aujourd’huy
pour les continuels seruices qu’ils a rendus à
cette Couronne pendant le cours de sa vie ; Louis XI.
choisit Tristan l’Ermitte, le Roy François I. aima l’Admiral
de Bonniuet pour la gentillesse de sa personne,
Henry II. esleua Mommorency pour son courage, &
Charles IX. tint le Mareschal de Rez pour sa bonne conduitte,
Henry III. agrandit d’Espernon pour son esprit,
Henry IV. le Duc de Sully pour l’instrument de ses
desseins, Louis XIII. se trouua obligé pour le bien de
son Royaume de se cõfier au Cardinal de Richelieu. Voila
Monsieur vn petit abregé des fauoris, mais grands
hommes, & s’il les faut considerer par les grandes & importantes
affaires qu’ils ont adrettemement & genereusement
desmeslées, vous auoürez auec moy que vous

-- 3 --

auez bien manqué en toute vostre conduitte, & il vous
estoit autant facile de vous maintenir en l’Estat que vous
vous estes trouué apres la mort du grand Armand, qu’il
est aisé à vn fils de famille de se conseruer le repos dans
vne grande succession que son pere luy auroit laissée.

 

Du temps de Charles VIII. François Duc de Bretagne,
se laissa posseder par vn Tailleur nommé Landais,
auquel les Grands du païs firent faire le procez. I’ay
grand peur que cet exemple ne vous touche, & l’Historien
qui en escrit, dit qu’il estoit fin Tailleur : On peut
dire de vous, que vous estes vn fin Lapidaire ou Tailleur
de Diamans, & parmy les plus grandes affaires de l’Estat,
importantes à faire l’Abé Mondin, ou Lescot suruenant,
vous les attirez dans le plus secret de vostre cabinet, &
laissiez-là le Courrier & l’Ambassadeur dans vostre anti-chambre
se jouër auec vos singes, pendant que vous
visitiez l’escrin de vos diamants, on sçait que l’an passé
vous enuoyastes Lescot en Portugal auec des lettres de
change, pour plus de trois millions de liures, & des lettres
de creance pour autant d’argent qu’il en faudroit,
pour achepter ce qu’il auroit trouué à Lisbonne. Mais
ces bassesses ne nous arrestent pas, il y a toujours quelque
chose en l’homme de foible, & les plus grands personnages
ont toujours eu quelque chose qui les ont fait
remarquer, pour n’auoir pas toutes les perfections de l’esprit :
Vous estes venu en France la premiere fois en assez
menu equipage : Si vous vous souuenez qu’au voyage de
Nancy, n’ayans pû trouuer de giste, vous fustes contraint
de coucher dans le carrosse du feu Mareschal de Schomberg,
& le lendemain matin les cochers le voulant mettre
en estat de marcher, vous éueillérent assez rudement,
je vous dis cecy en passant, afin de vous faire voir, que

-- 4 --

l’on vous connoist : Vostre condition est si releuée dans
Rome, qu’il me souuient qu’vn honneste homme écriuant
de Rome à Paris, à vn sien amy, le querelloit,
de ce que de Paris il ne luy auoit pas mandé que
vostre mere estoit morte à Rome, pour dire qu’on en
faisoit plus de bruit à Paris qu’à Rome, où on ne la connoissoit
presque point.

 

Ie ne sçaurois laisser passer vostre temerité, quand vous
auez voulu entreprendre sur la liberté de Messieurs du
Parlement, vous auez bien manqué d’adresse en ce rencontre,
vous croyez peut-estre que c’estoient des iuges de
la rotte de Rome, que la pourpre d’vn Cardinal éblouït,
leur pourpre éclatte bien d’auantage, & vous deuiez
vous ressouuenir d’vn certain mot que vous dist vn iour
Bautru, lorsque vous voyez qu’il faisoit tant d’honneur
à vn Conseiller des Enquestes, & luy en demandit la
raison, il vous dit, qu’il flattoit le chien qui le pourroit
mordre quelque iour : Pensez-vous qu’il soit Prophete,
il y a bien des chiens dans la meutte qui le prendront
bien-tost aux fesses : Mais puisque nous sommes sur ce
propos, que pensez-vous que le Parlement fasse de vos
Conseillers qui vous ont si bien conduit, on peut bien
dire, que les oublieux vous ont conduit dans le precipice,
quelque bonne lanterne qu’ils ayent pû auoir, mais ils se
sauueront ces matois, & vous, vous y perirez.

Consultez maintenant vostre Conseil, vous en auez
autant besoin que iamais. L’Arrest du Parlement du 8
Ianuier n’est pas grande chose, à ce que vous dites, cassez-le
par vn Arrest du Conseil d’en-haut : certainement
vn Guenegaud en parchemin preuaudra sur vn Guyet,
mais on dit que ce n’est pas à present, ou du moins sera’t’il
aussi bien executé, que celuy qu’on publia à Poissy

-- 5 --

ces iours passez, portant defenses de vendre aucun bestial
sur peine de la vie, il est vray qu’il fut obey en ce point ;
mais les marchands debitérent leurs marchandises à la
Chaussée, & par ainsi, Paris n’a point manqué de son ordinaire,
& vostre dessein de l’affamer n’a pas bien reüssi :
Sçauez-vous bien que i’ay desabusé beaucoup de personnes
qui disoient que vous auiez plusieurs biens en France,
& que la maison que vous auez derriere le Palais Cardinal
estoit de grand prix, il est vray qu’il y a du trauail
pour de grandes sommes, & il est tres-aisé d’acquerir du
bien à ce prix-là, que celuy qui l’acheta de M. le President
Duret vous passa vn bail de six mil liures, & pour
faire quelques accommodemens pour vous, il fit quelques
auances, dont il fit des parties, & comme l’appetit
vient en mangeant, vous ordonnastes vne gallerie à
Pasque, en sorte que de toute la dépense qui y a esté faite,
vous la deuez toute entiere, plusieurs marchands de
cette ville ont este pipez par ceux qui se meslent de vos
affaires, vous me direz que la pluspart des grands Seigneurs
font de mesme : Il est vray, si c’est par cette action
que vous voulez faire voir vostre Eminence ; car ie ne
voy en vous, ny en vostre esprit rien d’eminent pour
tout. On ne doute pas que quinze iours auant le depart
du Roy, pour fauoriser la sortie de vos meubles hors de
cette ville, vous fistes courir le bruit que le Cardinal Grimaldy
alloit loger à Chaillot, & soubs ce pretexte, ce
que vous auiez à Paris de plus prcieux fut transporté de
ce costé-là, soit à Ruël où plus loin, mais on trouuera
bien tout auec le temps : On sçait bien que lors de la sortie
de M. d’Emery de la Sur-intendance vous empruntastes
de tout le monde iusques à Desbournais qui vous
presta dix mil liures. Les François ne sont point si duppes,

-- 6 --

que de croire que vous ayez esté à cette extremité,
& lorsque vous distes à Madame la Duchesse d’Aiguillon,
que vostre pere auoit emprunté douze mil liures
pour les funerailles de vostre frere le Prescheur, il me
souuient qu’elle vous fit response, qu’il valoit mieux que
l’on crust que vous auiez douze millions, que d’auoir esté
reduit à cette extremité d’emprunter vne si modique
somme, cela seroit-il bien possible que cela fust.

 

Si la coustume estoit en France de mettre les testes à
prix, où dormiriez-vous en seureté, y a t’il aucun de vos
valets en qui vous vous puissiez confier, vous les auez
si mal recompensez, qu’il n’y en a aucun qui ne s’efforçast
de l’auoir de cette sorte : Mais la France a des loix
bien plus douces ; ses formes ne se changent point, & le
Parlement veut que son Arrest soit executé. Le Duc de
Boüillon qui a tant souffert depuis qu’on luy promet de
liquider son affaire de Sedan : Monseigneur le Duc de
Beaufort apres vne prison si violente de tant d’années iniustement
passées au bois de Vincennes : le Mareschal de
la Motte, dont l’on ne peut assez admirer la vertu, apres
auoir receu vn si rude traitement de vostre Eminence, &
tant d’autres braues gens que vous auez consommez de
patience, en seront les execureurs, ils feront la perquisition
de vostre personne aux quatre coins & au milieu du
Royaume, & si vous les échappez, ie l’iray dire à Rome,
vous pensez estre en grande seureté, proche la personne
du Roy. Détrompez-vous ie vous prie, la France en l’estat
qu’elle est, a besoin d’vn autre Ministre, & le Roy
d’vne autre personne pour veiller à son education.

Combien auez-vous leurré de personnes de condition,
pour les engager au seruice de l’education de Monseigneur
Frere du Roy, ie m’en rapporte à Mons. de Fontenay

-- 7 --

que vous engageastes en l’Ambassade de Rome,
pour vn peu de temps, au braue Comte de Cesy, qui en
a receu mille lettres, & qui en cette qualité a esté logé
dans le chasteau de Fontaine-bleau. Pensez-vous auoir
fait vn grand bien au Precepteur du Roy, de luy auoir
donné l’Euesché de Rhodez pour le Prieuré de Poissy,
que vous auez donné à l’Abbé de la Machoire, cela
s’appelle escroquer vn Benefice, toutes ces façons vous
décrient fort en France, on ne trouue pas fort estrange,
que vous ayez bienné l’Abbé de la Riuiere du Chapeau
de Cardinal, cela s’appelle en langage Badaudois painbeny,
je vous enuoye vn Rondeau qu’on a fait sur ce sujet,
apres que i’auray finy ma lettre ; car aussi bien depuis
que son Altesse de Conty a fait donner les passeports
pour les Messagers, i’auray beaucoup de Lettres à
faire pour les Seruantes de Paris, qui sont en peine de
leurs bons amis les Soldats des Gardes, que l’on dit que
vous auez enuoyé à Saint Denys pour estre noyez : il est
vray que l’argent que vous leur auez fait donner, ne les
fera point couler à fonds.

 

 


A la Riuiere a vint cas fort nouueau,
Et tres-fascheus quand on luy dit tout-beau,
Vous n’estes pas encor du Consistoire ;
Car pour sa teste vn Capelan doit croire,
Qu’vn chapeau rouge est vn trop lourd fardeau,
Vn Prince veut en affubler sa peau,
D’y resister vous passeriez pour veau,
Et comme vn asne on vous meneroit boire
à la Riuiere.
Quoy vous ranger dans le sacré troupeau,
Vous dont le pere, & le gris de bureau,
Dedans Montfort gauloit & pomme & poire :

-- 8 --


Rentrez chez vous pedant à robe noire,
Ou l’on renuoye & l’homme & le chapeau
à la Riuiere.

 

A trompeur, trompeur & demy, Seigneur Iules, puisque
vous auiez trouué vne bonne place en France, & que les
peuples estoient accoustumez d’auoir vn Cardinal, vous
vous y deuiez tenir, & ne rien entreprendre. Ie vais dresser
vn petit discours pour vous faire voir vos fautes, afin
de vous donner moyen de faire vne bonne confession
generale ; car on dit que ce que vous auez de plus court
est la memoire, ressouuenés-vous du Prouerbe de vostre
pays,

Ché ben sta no si moue.

C’est assez vous dire vos fautes ; mais prenés garde à
vous, car les Arrests de la Cour de Parlement sont de
grand poids, & tres difficile de les éuiter, & quoy que
mon style soit de tres-bas pris, neantmoins ie vous diray
ce petit passage d’Horace.

 


Raro antecedentem scelestum,
Deseruit pede pœna claudo.

 

MONSIEVR,

Vostre Seruiteur & bon Amy C. I.

A PARIS,
Chez NICOLAS BOISSET, Maistre Imprimeur & Libraire,
ruë Calende, à l’image Saint Estienne.

M. DC. XLIX.

Section précédent(e)


C. J. [signé] [1649], LA LETTRE D’VN SECRETAIRE DE S. INNOCENT, A. IVLES MAZARIN. , français, latinRéférence RIM : M0_1896. Cote locale : E_1_62.