Carigny (P. D. P. Sieur de) [1649], BALET RIDICVLE DES NIECES DE MAZARIN, OV LEVR THEATRE RENVERSÉ EN FRANCE. , françaisRéférence RIM : M0_572. Cote locale : A_3_15.
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BALET
RIDICVLE
DES NIECES DE MAZARIN,
OV LEVR
THEATRE
RENVERSÉ EN FRANCE.

Par P. D. P. Sieur de Carigny.

A PARIS,
Chez FRANCOIS MVSNIER, au mont Sainct
Hilaire, pres le puis Certain.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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LE BALET RIDICVLE
des Nieces de Mazarin, ou leur
Theatre renuersé en France.

EMILIA,

IL y a long-tems que ie medite a par moy, Seigneur,
Phamphilio, quelque piece grotesque,
pour diuertir l’esprit de ces ieunes Italiennes,
que la fortune de l’Eminentissime, fait passer en
France pour des Princesses de nouuelles edition. Mais certes
il semble que tout s’accorde à mon dessein ; car comme
ie manque d’inuention pour y bien reüssir, i’ay besoin
de vous, mon braue, ie sçay que vous estes infiniment adroit,
& que vostre esprit est vne source inepuisable de
belles choses, puis que le Seigneur Mazarin s’est seruy de
vous en pareilles rencontres lors qu’il a fait iouer des pieces
qui ne luy coutoient rien, quoy que la depense en fut
importante.

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PHAMPHILIO.

Il est tres-certain, Seignora Emilia, que ce bon Seigneur
a souuent ry au depens des François qui versoient
des larmes de regret des profusions qu’il faisoit sans delier
sa bource. Il a imité ces Charlatans qui diuertissent-la
populace par des ieux de passe-passe lors qu’ils ont atiré des
Coupeurs de bourses qui leur fouillent dans la pochette.
Quand à moy ie me suis engraissé par ce moyen sans me
mettre en peine qui pouuoit en deuenir maigre, & vous
sçauez que c’est le propre de l’humeur Italienne qui treuue
le gain de bonne odeur, de quelque part qu’il vienne. Il est
vray que la pluspart des François en font auiourd’huy le
mesme. Tant de Partisans qui sont logez comme des monarques
qui n’ont esté autrefois que de simples valets à couleurs
confirment assez la verité que j’anonce.

EMILIA.

Tout beau, mon braue, & d’ou vous vient ce caprice auiourd’huy ?
vous faites vne satire contre les masheurs de ce
siecle lors que nous cherchons quelque passe temps pour
tuer la melancholie, quoy ne craignez vous point la boette
aux caillous ? d’autres ont esté mis en Cage qui n’auoient
point chanté si hautement.

PHAMPHILIO.

Pour moy ie ne crains plus rien, i’ay mon compte, ie vogue
a pleines voilles, & ie puis me retirer en mon pays chargé
de pistolles que i’ay gaignées en riant & en faisans rire
les autres.

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EMILIA.

Il faut auoüer qu’il y a peu de personnes en toute l’Italie
qui entende si bien que vous l’intrigue du Theatre, & que
vous inuentez des farces qui feroient rire les Morts. C’est
pour cela que ie beny ma destinée qui fait que ie uous treuue
si à propos, sçachant biẽ que vous pouuez en peu d’heures
inuenter quelque chose de diuertissant. Trauaillez y
dont ie vous en prie pour dissiper le chagrin de ces ieunes
Italiennes, ie ne manqueray pas à ce qui est necessaire pour
ouurir vostre veine inuentiue.

PHAMPHILIO.

Il est vray que l’argent est la clef des inuentions les plus
nobles, & que sans luy on ne fait rien qui plaise, sur l’esperance
que vous me donnez de la recompense ie m’en vay
inuenter quelque piece iolie pour ce carnaual En caresme,
comme en Caresme, au Mardy gras, comme au Mardy gras.

EMILIA.

Allez donc ie vous en coniure de tout mon cœur, cependant
ie vay aduertir la Compagnie qui m’attend que nous
aurons à ce soir de quoy rire à gorge deployée, & puis apres
le Balet ie donneray ordre que l’on nous prepare force confitures,
de la Marmelade, & toutes les autres delices de la
geule. Adieu donc iusques à tantost.

PAMPHILIO.

Adieu la plus royalle d’entre les femmes. Il faut que ie tire
de ma caboche quelque chose d’excellent ; car ie suis certain
que ie seray fort bien payé, il ny a personne qui fasse

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mieux ses affaires vers l’Eminentissime que les Boufons, &
toute cette troupe de gens de mesme farine. L’argent ne
luy coute rien quand il le faut donner à ceux de mon mestier,
& certes ie tiens qu’il vaut mieux estre auiourd’huy
farceur, que bon Philosophe, bon Poëte, bon Orateur, ou
grand Capitaine. Voyez vous, vous tous qui m’escoutez, ie
suis auiourd’huy en l’humeur de dire tout ce ie que pense, &
lors que chacun se masque, ie marche à découuert, & lors
que plusieurs font les fous, ie fay le sage. Mais il est temps
que ie m’aille mettre en estat conuenable pour faire rire, &
que ie me retire en mon cabinet pour consulter Rabelais
sur ce que i’ay à faire pour diuertir ces petites Princesses inconnuës.
Si la signora Emilia me treuuoit encore icy tout
seroit perdu, ie n’aurois que la moitié de l’argent que i’espere ;
il me semble que i’entens quelques personnes qui parlent,
& ce n’est pas vous, au moins Messieurs à qui ie parle,
ma foy non ie suis perdu si ie ne fuis.

 

EMILIA.

Il me semble, mes Dames, que vous n’auez pas à present
la fraischeur ordinaire qui pare vostre teint, quoy que vous
n’ayez maintenant graces à Dieu que des matieres de ioye.
Vous estes, ou peu s’en faut adorées en la Cour de France,
ou vous destine de riches partis apres tant de felicitez vous
ne pouuez plus rien demander au Ciel sans quelque sorte
d’iniustice.

Niece.

Vrayment vous nous en contez de belles, & quoy ne
sçauez vous pas, qu’il ny a rien de plus inconstant que la fortune,
& que celle qui nous montre au matin vn visage riant,

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nous tourne le dos apres midy. Pour moy i’aprehende les
trop grandes faueurs de la fortune, & ie me figure que nous
serons contraintes vn de ces iours de retourner au lieu d’ou
nous sommes venuës. Il y a ie ne scay quoy dans mon esprit
qui m’en donne à tout moment quelque crainte, & cette
peur est confirmée par des songes lugubres. Le mesme arriue
presque toutes les nuicts à mes deux autres sœurs, &
quoy que l’on m’aye deja aduertie du Balet que vous voulez
que nous dancions, ie ne sçay quel en sera le Theatre, puis
qu’il ny a point de lieu en terre de longue consistence pour
nous. Ie pense que le plus beau des branles que nous serons
contraintes de dancer sera vn branle de sortie.

 

EMILIA.

Ces presages m’estonnent, & ie suis toute surprise de ces
apprehensions qu’vne trop grande sagesse vous donne. Il
ne faut pas par la crainte preuenir vn mal qui possible n’arriuera
pas,

FALCONIA.

Quoy que vous en puissiez dire, ie n’ay garde de dancer,
ie le ferois de trop mauuaise grace.

EMILIA.

Quoy ; ne sçauez vous pas que Monsieur vostre oncle,
tres illustre, à qui il ne manque plus que la Thyare sur la
teste, a ordonné de tout, pour vous faire dancer à la veuë de
tout le beau mõde, dont la Cour est composee, vous sçauez
combien il est magnifique, quand, il ne luy en couste rien,
& qu’il ne faut pas que vous resistiez à ses volontez, qui
sont aussi souueraines que les diadesmes.

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FALCONIA.

Il faut auoüer, Signora Emilia ; que tout l’art de l’éloquence,
n’est point assez puissant pour m’obliger à monter
sur vn Theatre qui chancelle, & d’où ie ne pourrois tomber
sans me rompre le col.

EMILIA.

Ie croy que vous iugez de l’inconstance de la fortune, par
la legereté de celles de vostre sexe, & qu’estant femme elle
fait gloire d’estre volage comme vous. Vostre oncle se peut
vanter d’auoir arresté sa rouë, & ce sera pour vostre famille
seulement qu’elle sera constante.

FALCONIA.

Tout ce que vous me dittes ne sont que des cajoleries
il faudroit que ie fasse bien credule si i’adioutois foy à vos
paroles, Il n’y a point de puissance icy bas qui ayt droit d’arrester
cette femme qui ne carresse iamais que pour nous,
perdre. Sa rouë seulement me fair peur, & elle imite ceux
qui égorgent les animaux lors qu’ils passent doucement la
main au lieu ou ils veulent planter le cousteau.

EMILIA.

Il faut auoüer que vous auez bien mauuaise opinion d’elle,

deuxiesmc niepce de Mazarin.

Vrayment il fait beau voir que vous passiez ainsi toute
la iournee en des bagatelles, cependant que toute la ville
est en armes contre ceux de nostre Patrie.

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Troisiesme niepce de Mazarin.

Nous sommes toutes perduës, ie viens d’entendre chanter
par la ruë des vaudeuilles contre nostre Oncle, & ie viens
de treuuer sur nostre table vn pasquin aussi sanglant, qu’on
en puisse iamais faire.

EMILIA.

Ie vois si cela est que les François ont loué le masque :
mais peut estre que tout ce bruit ne durera pas,

ERISILA.

I’auois tousiours bien preueu, sans en rien dire que la
chance de nostre oncle se pourroit changer. I’aperçoy Pamphilo
auec vn certain Gentil homme François, de qui nous
pourrons apprendre des nouuelles : mais il faut nous cacher,
afin qu’ils parlent auec plus de liberté.

PAMPHILIO.

He bien cher Polidore, qui y a il de nouueau dans la ville,
i’ay bien peur qu’il faudra retourner en Italie. Ha la malheure,
i’estois sur le point de faire voir à toute la France,
vn balet merueilleux en inuentions, & en décorations de
Theatre ou i’aurois pû gagner quelque chose de bon.

POLIDORE.

Pour te dire en deux mots tout ce que i’en pense, & selon
le bruit qui court, la France va prendre le balet pour vous
renuoyer en Sicile, & pour balier les plus grosses ordures.
Ie suis fasché de vous dire mon sentiment auec tant de franchise :
mais c’est ma coustume de parler ainsi auec mes

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amis ; Quoy que vous soyez de ce nombre, i’ayme beaucoup
plus ma Patrie, & ie ne voy pas que les estrangers
ayent iamais aporté quelque vtilité à la France, ils en ont
tousiours esté la ruine, témoin vostre Mazarin, que tous les
Areopages viennent de cõdamner, comme l’ennemy de ce
Royaume, & le perturbateur du repos public. Ie voy bien
que cette nouuelle n’est pas de celles qui vous plaisent, &
qu’elle est bien rude à ceux qui se preparent pour vn balet.

 

PAMPHILIO.

Quant à moy i’en suis tellement surptis, que ie voy bien
que nostre Theatre sera auec raison appellé le Theatre renuersé ;
qu’en sera il donc de toute la famille de nostre bon
maistre, qui a si mal ioué son personnage ?

POLIDORE.

Il faut croire qu’elle aura vn destin aussi pitoyable que le
sien, & que vos Princesses fabuleuses seront l’entretien ridicule
de toutes les compagnies, & qu’elles s’en retourneront
pour aller filler leur quenoüilles. Et ce sont la les ieus de la
fortune, qui veut que toute chose retourne à son origine.

PAMPHILIO.

Ie n’oserois porter cette mauuaise nouuelle à ces Princesses
ses de carte, de peur qu’elle ne me mettent en plus de pieces
qu’Orphee ne le fut par les Bachantes. Voila vne estrange
castatrophe, pour celles qui n’auroient point d’autre but
que de s’asoir sous vn dais, & cette fin est bien tragique
pour vne farce qui deuoit estre accompagnee d’vn Balet.
Ie pense que le meilleur pour moy est de me retirer à petit

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bruit, & leur porte qui voudra la nouuelle de toutes ces choses.

 

POLDORE.

I’en laisse, aussi bien que vous la commission à qui la voudra
prendre, ie ne me plaist pas à ces intrigues, où il n’y a
rien à profiter.

PAMPHILIO.

Ie pensois que nous fussions les seuls entre les hommes
qui ayment le lucre.

POLIDORE.

Vostre Mazarin nous a apris à deuenir auares, & mesme
ie ne voy pas qu’il vous reste encore quelque chose en France
que l’on puisse ménager, puis que ce Ministre nous a
tout pillé.

PAMPHILIO.

Il me semble pourtant qu’il vous reste encore quelque
chose.

POLIDORE.

Il n’y a plus que le cœur qu’il n’a sçeu prendre : mais c’est
comme ie croy que les Italiens n’en veulent qu’à la bource.
Messieurs ie vous conseille d’auertir le Mazarin & toute sa
sequelle que le ieu est fini, & que le Theatre est renuersé.

FIN DV BALET.

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