Cinq Cieux (Souil de) [Quincé, Ludovix de] [1652], DISCOVRS D’ESTAT, SVR L’ABSENCE ET LA CAPTIVITÉ DV ROY. Dans lequel est monstré, Que ceux qui le tiennent esloigné de sa bonne Ville de Paris, sont aussi criminels, que mauuais Politiques. Par Souil de Cinq Cieux. , français, latinRéférence RIM : M0_1109. Cote locale : B_3_24.
Section précédent(e)

DISCOVRS
D’ESTAT,
SVR L’ABSENCE
ET LA CAPTIVITÉ
DV ROY.

Dans lequel est monstré,
Que ceux qui le tiennent esloigné de sa bonne
Ville de Paris, sont aussi criminels,
que mauuais Politiques.

Par Souil de Cinq Cieux.

A PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

DISCOVRS D’ESTAT,
Sur l’absence & la captiuité du Roy.

Les prisons des Roys & des Souuerains ne sont
point faites comme celles de leurs Subjets, &
du commun des hommes ; ce sont leurs esprits
& leur authorité que l’on violente & que l’on
captiue, & non pas leurs corps, ny leurs personnes
sacrées que l’on enchaisne, & qu’on tient enfermées.
Quand le Roy Iean estoit entre les mains des Anglois, il
n’estoit pas moins libre de soy, ny moins Roy de France
pour cela ; mais son pouuoir estoit forcé, & les Estrangers
qui le tenoient arresté le contraignoient à faire des choses,
& à souscrire des conditions qu’il n’auroit point accordées
ny approuuées, s’il eust agy de luy-mesme & par sa propre
volonté. Lors que l’Empereur Charles-Quint se saisit du
Roy François I. il n’en fit vn prisonnier qu’en l’arrachant
de son Thrône, pour le mener parmy des Peuples qui n’estoient
point à luy ; & les liens & les guichets qui le faisoient
tel, n’estoient autres que la non joüissance de son authorité,
& la soûmission qu’il estoit obligé de faire au plus fort,
& à celuy qui le tenoit en sa sujetion.

Toute l’Europe deplore la condition de nostre jeune
Roy, & la France qui sçait son innocence, & qui le void
enleué par vn Estranger qui s’empare de son corps & de son
esprit, ne peut souffrir qu’auec douleur vne vsurpation si
dangereuse & vn diuorce si funeste : Ce mal-heureux Prince
est cent fois plus captif & plus gehenné mille fois que
ces deux Roys ses predecesseurs, qui ne pouuans agir d’eux-mesmes,

-- 4 --

auoient le Parlement, & des Ministres fidéles qui
trauailloient vtilement pour luy & pour l’Estat, faisans valoir
& reconnoistre la Royauté, pendant que le Roy estoit
absent & desiré de ses Subjets : Ce qui ne se peut pas dire de
nostre Souuerain, qui n’agit ny par luy-mesme, ny par les
Officiers qui sont auprés de sa Majesté, pour estre à son Geolier
le Mazarin, ny par son Parlement qu’on luy fait fuyr
& quitter contre les Loix du Royaume, & l’ordre de la
Royauté ; n’estant aujourd’huy reconnû que par ceux qui
l’obsedent & qui le tiennent en captiuité, non pas pour
amour, ny pour affection qu’ils ayent pour luy, ny pour son
Estat ; mais seulement parce qu’ils ont affaire de son Nom,
& de sa presence, pour s’emparer de son pouuoir, abuser de
son authorité, vanger leurs passions, & contenter leur auarice,
& leur ambition intolerable.

 

Ie ne veux point icy m’arrester dauantage, pour montrer
la difference qu’il y a entre le Roy & la Royauté, & prouuer
qu’estant hors de son Throsne, esloigné de son lict de
Iustice, separé des Princes de son Sang, fugitif de sa Capitale,
errant auec les Ennemis de son Estat, prisonnier
d’vn proscript Estranger, armé contre la fidelité de ses
Subiets, & chastiant ceux qui l’aiment & qui n’ont point
failly, ne peut donner des ordres, ny les faire executer,
non plus qu’estre reconnû pour vn Pere qui gouuerne luy-mesme,
pendant qu’il void estrangler ses enfans, mettre le
feu dans sa Maison, & bouleuerser vn grand Royaume
dont il n’est que l’vsufruitier & le conseruateur. L’excellent
autheur des Maximes veritables touchant le Gouuernement
de la France, & l’Escriuain curieux qui a fait les
Obseruations veritables & desinteressées, sur les Sentimens
imprimez au Louvre contre l’authorité du Parlement, ont
assez iustifié cette belle & certaine proposition, attendant
qu’ils nous donnent les Ouurages entiers & plus acheuez
qu’ils nous promettent, & nous font esperer sur cette matiere
importante & necessaire pour l’instruction & la consolation
des Bons François. C’est pourquoy cela posé &
confessé, il importe de representer aux esprits sans passion

-- 5 --

la malice & la mauuaise Politique de ceux qui tiennent
le Roy esloigné de sa bonne Ville de Paris, pour l’incommoder
comme ils font, comme si sa Maiesté pouuoit
tirer aucune gloire, ny aucun auantage de sa propre ruine,
& des miseres d’vn million d’innocens qui la
demandent, & qui la desirent aupres de soy auec tant
d’ardeur & tant d’affection.

 

Entre toutes les veritez de l’Histoire Romaine, ie n’en
void point de plus constante ny de plus aduoüée que celle
qui porte, que les Roys & les Empereurs ne sortoient iamais
de Rome que tres rarement & le moins qu’ils pouuoient.
Suetone parlant d’Auguste, dit qu’il ne mit pas
seulement le pied hors des portes de la Ville pendant les
deux premieres années de son Regne ; Biennio continuo, post
adeptum imperium, pedem porta non extulit ; & Tibere tenoit
sa personne si importante & si necessaire de dans sa Capitale,
qu’on ne l’en pouuoit tirer pour quelque occasion
que ce fut, Tesmoins les prieres que le Peuple luy fit d’aller
en Illirie, auiourd’huy Esclauonie, pour y appaiser
vne sedition dangereuse par sa seule presence, ce qu’il refusa
de faire hautement, disant qu’il valoit mieux abandonner
les extremitez que la Teste, & qu’il estoit plus facile
de rentrer dedans ces Villes esloignées & de peu de
consideration, que non pas dedans Rome qui en estoit le
centre & la clef : Quæ rationes non erant de nihilo, dit le Maistre
des Politiques, Imò grauissimæ ; primo, quod vrbs erat caput
rerum, neque decorum Principibus, si vna alterauè ciuitas turbet,
omissa vrbe, vnde in omnia regimen, 2. Ne se, & Rempublicam
in discrimen conijceret ; maluit enim vulpecula sedem Imperij
præmere, quam absens Rempublicam, & Dominationem
suam coniuratorum insidijs obnoxiam facere ; ou bien comme dit
Capitolin, Ne Imperatore absente, sedes Imperij à coniuratis
occuparetur ; puis racontant ailleurs les vices & les tromperies
des flateurs qui sont aupres des Roys, il met au rang
des principales les efforts qu’ils font, & les artifices dont
ils se seruent pour leur persuader : Vt ad vitam procul vrbe
amœnis locis degendam impellant, extollentes laudibus quietem &

-- 6 --

sollicitudinem, negotia vrbis increpando : & sic se negotiorum arbitros
faciunt, & munia imperij in se transmittunt : ce qui fait,
dit Herodote, que longior Principum à suis regnis absentia,
eorum inter subditos obliuionem & contemptum parit, aut difficiles
ad pristinam authoritatem recuperandam aditus præbet. C’est
pourquoy Ammurat Empereur des Turcs qui n’ignoroit
point cette maxime, se glorifioit que sans estre iamais sorty
de Constantinople, il auoit plus conquis de Prouinces
& de Royaumes, que les autres qui conduisoient leurs
Armées, & qui combattoient auec leurs soldats en personnes,
parce dit le mesme Tacite, que plura in summa
fortuna auspicijs & consiliis quam telis & manibus geruntur.

 

Sueton, in
August.

Tacit. lib. 2.
Annal. &
alibi.

Tacit. Annal.
lib 4.

Herodot. l. 4

Tacit. Annal.
lib. 13

Nos Souuerains n’ont point negligé ce Conseil, puis
que Charles V. dit le Sage, estant en guerre auec Edoüard
Roy d’Angleterre, ne voulut iamais sortir de Paris, faisant
commander son Armée par ses freres ; Ce qui fit dire
à son aduersaire, qu’il n’auoit iamais eu vn ennemy plus
fort & plus puissant que celuy qu’il ne voyoit point, &
qui ne sortoit point de chez luy.

Froissard,
hist de Frãce,
liu. 2.

Dupleix racontant l’émotion qui se fit à Paris, sous
Charles VI. en l’an 1380. sans oublier celle de Roüen qui
esleut vn autre Roy, dit : que si la plus seuere punition des
Parisiens est l’absence & l’éloignement de sa Maiesté ; aussi
leur richesse est vn thresor asseuré pour le Roy, auquel
il peut auoir recours au besoin, & des moyens de cette
seule Ville, secourir tout le reste de son Royaume ; à raison
dequoy, si les Parisiens ont à desirer la presence du
Roy pour s’enrichir, Sa Maiesté n’a pas moins d’interest
d’y faire sa residence ordinaire pour entretenir sa grandeur
& son opulence.

Dupleix,
hist. de Frãce,
tom. 2. en
Charles VI.
fol. 589.

Puis parlant de celle qui arriua au mesme Paris, en l’an
1636. contre le Cardinal de Richelieu, pour la prise de
Corbie par les Espagnols, il remarque specialement, que
pour appaiser le Peuple, & mettre cette capitale en asseurance,
le Roy reuint à Paris, & protesta au Preuost des
Marchands, & Corps des Mestiers qui le furent salüer,
qu’il vouloit exposer sa personne auec eux pour leur deffense,

-- 7 --

ce qui fit, qu’ils luy offrirent leurs biens & leurs
vies, prenans vne entiere confiance en la presence de sa
Maiesté.

 

Ibidem. En
Loüis XIII.
dans la continuation,
fol. 69.

Ces exemples joints à l’experience que nous en auons,
font assez connoistre & remarquer l’erreur & l’imprudence
du Ministre Estranger, qui pour se mettre à couuert,
& cacher les fautes par luy commises, en fait encore
de plus grandes & de moins reparables, en tirant le
Roy de sa Capitale, & l’obligeant de fuïr & de courir çà
& là, pendant que sa constance & sa presence sont absolument
necessaires pour estouffer les maux & les desordres
que son absence apporte, & qui ne gueriront iamais
que par là. Si le Roy n’eust point sorty de Paris, auroit-on
quitté le fond de la Guyenne, pour y venir maistriser
auec vne Armée ? Si sa Maiesté estoit de dans son Louvre,
& le Mazarin à Rome, verrions-nous ceux qui la redoutent
& qui la reuerent, y partager son pouuoir & son authorité ?
Et si nostre Monarque rendoit ses oracles dedans
son Parlement, & donnoit ses ordres comme ses
Predecesseurs dedans son lit de Iustice, & dans le lieu de
ses Majeurs, sans joüer à tout perdre pour conseruer vn
criminel, qui seroit assez hardy pour mépriser ses Loix,
mettre le feu insolemment dedans son Hostel de Ville, &
disputer de l’Empire auec luy ? cum non esset Rex in Israël,
vnusquisque quod sibi rectum videbatur, hoc faciebat.

Iudic cap-37
vers. 6. &
cap. 21. vers
25.

Cassiod. variar.

Lib. 1. Ep. 32.
Lib. 2. Ep. 2.
Lib. 5. Ep. 42
Lib. 6. Ep. 4.
Lib. 7. Ep. 15.
Lib. 9. Ep. 17.
Lib. 10. E. 18.

Si vn Chancelier dont la France auroit besoin appelloit
la ville de Rome ; Mater omnium dignitatum ; Vrbs sacra ;
Caput vrbium ; omnia continens & possidens ; Miraculum ; Caput
mundi ; non habens similem in mundo. Nous pouuons dire en
nostre langage, que Paris est cette ville sacrée, puis qu’elle
est le siege & la demeure de la personne sainte & venerable
des Oingts du Seigneur ; Qu’elle est la Teste & le
Chef du Royaume, & la plus belle & la plus eminente de
toute la terre ; Qu’elle est la source & la mere de toutes les
grandeurs, les richesses, & les dignitez de la France ; le
miracle du monde ; & qu’estant sans paire & sans égale
parmy les hommes, elle peut estre sans crainte & sans terreur

-- 8 --

contre ceux qui la menacent & qui l’apprehendent ;
puis qu’elle ressemble à cette ancienne Rome, laquelle
tant plus l’ennemy l’approchoit, & tant plus la trouuoit-il
puissante pour luy faire teste & resistance ; ce qui fit dire
au Ducde Veimar en la considerant, qu’elle estoit capable
de faire la loy à qui que ce soit, & de ne la receuoir iamais
de personne, sans adiouster le reste de son sentiment
sur cela que trop de gens sçauent, & n’ont point oublié ;
estant assez d’assurer qu’on peut dire d’elle, ce que l’on escrit
de Rome, que ; non tantum dicebatur caput, & sedes Imperij
æterna ; verum etiam in ca ipsa Roma, fortuna Imperij putabatur
habitare ; quapropter non facile cam de serebant prinicipes Romani.

 

Clapmar. de
arcan. rerum
public. lib. 2.
cap. 20.

Du Chesne,
Antiquit de
Paris, ch. 3.

Le plus grand & le plus celebre historien que nous
ayons, dit que nos Rois faisans Paris chef de leur Royaume,
& le siege ordinaire de leurs personnes Royales, nous
pouuons dire d’elle & iustement, ce que les anciens disoient
d’Athenes ; que ce que l’ame est à la raison, & la
prunelle à l’œil, cela mesme est Paris à la France ; parce
que cette ville se reconnoist sans pair en France, & la
France sans seconde à cause de Paris ; c’est elle qui est le
centre de la Monarchie Françoise, & la baze de tout l’Estat,
sur laquelle les Rois ont posé leur Parlement, &
dressé leur lict de Iustice. C’est dans cette Ville où se void
le racourcy de toute la France, & l’abregé de tout le monde ;
les autres villes du Royaume la regardent comme leur
aisnée, se conforment à ses actions comme à leur Maistresse,
secondent ses intentions comme venans de la source
de la Iustice, & la rendent comme la Dame & le premier
mobile de toutes les parties du Royaume. Pline disoit de
Rome ; ó Ville ! seule face digne d’vn Empire si releué, de
quelle bouche dois-tu estre celebrée ? Certes par tout où
se tourne la voûte des Cieux tu es la plus belle de toutes,
& tu tiens à iuste titre le premier rang d’honneur en toutes
choses. Il en est autant de Paris qui est nostre Rome
Françoise, & qui ne ce de en rien à la Latine ; voicy comme
en parle le Chancelier de l’Hospital, pour apprendre
au Mazarin l’importance de cette Capitale, & le respect

-- 9 --

qu’il doit auoir pour elle, s’il n’en a point pour son Roy :

 

 


Pace tua dictum sit Rõmule, pace Quirites
Vestra, si quis adhuc Romanæ stirpis in vrbe est
Barbarico nundum pollutus sanguine sanguis,
Altior & cœlo, maiorque Lutetia Roma
Extollit caput, & reliquas supereminet vrbes.

 

L’Empereur Sigismond estant venu en France fit grand
gloire à son retour de trois choses qu’il auoit veuës, &
nous les loüa comme trois merueilles en ces termes ; I’ay
remarqué, dit-il, en ce florissant Empire, vn monde, vne
ville, & vn village ; par le monde, il entendoit Paris ; par
la ville, Orleans ; & par le village, Poictiers ; ce qui est
conforme à la response que François I. fit à l’Empereur
Charles-Quint, quand il luy demanda laquelle estoit la
plus grande ville de son Royaume, & disant que c’estoit
Roüen, l’Empereur repartit aussi-tost, & que sera-ce de Paris ?
vn pais, dit le Roy, & ne faut qu’oster l’R, de son nom,
pour y trouuer cette verité visible. C’est pourquoy, dit ce
sçauant Autheur, nos Rois ne doiuent rien craindre pour
Paris, que Paris mesme, ce que le Duc de Veimar sceut
bien representer au Cardinal de Richelieu, auec vn aduis
qui ne se doit point escrire, & que le Cardinal Mazarin
tasche de pratiquer.

Oliuier de la Marche remarque, que quand le Roy alloit
anciennement en guerre, il auoit au frein de son cheual
deux Bourgeois de Paris pour marque de leur puissance
& de leur fidelité, comme estans les soustiens du Roy
& de la Royauté ; & qu’en la bataille de Mons, où le Roy
Philippe le Bel déconfit les Flamans, les deux Bourgeois
de Paris qui faisoient cette charge furent tuez à ses pieds,
qui estoient les Gentians, dont le nom & la race vit encore.
Et auiourd’huy nous voyons mépriser ce grand Peuple,
& le traitter d’ennemy & de rebelle, parce qu’il ne
doit se soûmettre à l’insolence d’vn Estranger qui le ruyne,
& qui tasche de le rendre odieux à son Prince.

Si le Roy de Sparte ayant quasi reduit toute la Grece
à sa subietion, la seule rebellion de Thebes, dont Pelopidas

-- 10 --

estoit chef, attira à soy d’autres villes, qui iointes ensemble
mirent l’Estat en ruine. La mauuaise conduite du
Mazarin, & l’aueuglement de ceux qui flattent son erreur,
en fera bien-tost autant de ce Royaume tres-asseurément,
s’il s’opiniastre dauantage à vouloir destruire le
Throsne de nos Roys, leur lit de Iustice, la base de leur
Empire, la source de leur Puissance, & le Principe de
leur grandeur & de leur authorité, pour establir la sienne
qui n’est point legitime, ny supportable. Il auroit bien
meilleure grace d’obliger sa Maiesté de dire, ou d’escrire
à son Parlement, ce que Theodoric mandoit au Senat
de Rome, pour l’asseurer qu’il n’armoit point contre la
Ville, que ces Peres du Peuple, & ces Protecteurs de l’Estat
gouuernoient & protegeoient : Conuenit nobis Romam
defendere, quam constat in mundo similem non habere : Il est plus
glorieux de deffendre que d’attaquer, & faut estre plus
que furieux pour auoir la pensée seulement de vouloir
destruire d’vn seul coup, vn miracle que deux mille ans,
& soixante-six Roys ont acheué.

 

Cassiod. variar.
lib 10.
epist. 18.

De s’imaginer sottement qu’il est facile de ruïner Paris,
& qu’vn mois ou six semaines de disette le rendra desert,
& en fera le Cimetiere de ses propres habitans. Cela est
vray, & ce mal est ineuitable à tous ceux qui ne se defendent
point, & qui ne veulent pas chercher du pain ; mais
quand il aura vn bon General, & qu’il voudra se seruir de
ses propres forces, il peut non seulement se faire venir
des viures, & garder tous les ports & les passages qui en
facilitent le commerce & la conduite ; mais encore en
prendre en tous les autres endroits du Royaume, & forcer
les places qui ne voudroient pas le secourir ny le reconnoistre.

Puis que nos Roys mesme ne font rien sans hommes, ny
sans argent, & que leurs plus grandes Armées n’ont iamais
passé cent mille combattans ; ces Troupes sont tousjours
en garnison à Paris, & plus fraisches & mieux entretenuës
de beaucoup, que tant de pauures drilles & de
pauures païsans qui se font soldats, plutost pour piller &

-- 11 --

ne pas mourir de faim, que pour combattre, ny pour conquerir
glorieusement. Et comme l’argent comptant &
le plus nombreux vient tous les iours de ce monde racourcy,
qui seul fournit des vingt & trente millions tous
les ans à son Souuerain : Que fera-il quand il en sera priué,
& qu’on l’employera contre l’insolence & la tyrannie
de ses Ministres & de ses Fauoris insupportables ? La
France seigne encore de ce commencement d’experience
funeste & deplorable, & c’est auoir perdu le sens &
la raison, de vouloir sapper les fondemens de l’Estat pour
affermir la Royauté, de rompre son Siege pour se mieux
reposer, de perdre ses hommes & ses Finances pour se
fortifier, de proscrire tous ses Officiers, & d’estouffer
tous ses Magistrats, pour establir son authorité : En
vn mot, vouloir ruiner Paris, parce qu’il n’est point esclaue
& penser à sa destruction, pour vanger vn Ministre
coupable & condamné, c’est se chastrer en dépit de
sa femme, c’est coupper la teste pour guerir le pied, &
mettre le feu dedans vn Louure pour en chasser les rats
& les souris ; ce qui est si honteux & si criminel, qu’il faut
comme vn autre Neron, se plaire à l’embrasement des
merueilles du monde, ou confesser tout au moins qu’il
n’y a que la rage ou la folie qui puissent produire vn
dessein, & former vne pensée de cette nature dénaturée.

 

C’est pourquoy le Roy plus jeune, mais mieux conseillé
qu’il n’est pas, reconnoissant en l’an 1649. le danger où
ce mauuais Ministre le precipitoit auec tout son Estat ; &
considerant combien son absence de Paris causoit de
troubles & de desordres par tout, fit sçauoir à son Parlement,
la passion qu’il auoit de rentrer dedans, non pas
pour le blasmer du zele & de la fidelité qu’il auoit tesmoignée
au bien de ses affaires, ny rien diminuër de son authorité
si reconnuë & si necessaire : mais pour ratifier &
confirmer tout ce qu’il auoit ordonné & reglé pour le
bien & le restablissement de la Monarchie, comme on
void par le Traité du mois de Mars 1649. à l’exemple du
Roy Theodahadus, qui escriuant au Senat de Rome, lequel

-- 12 --

apprehendoit qu’il n’innoua quelque chose dedans
leur compagnie, & les malmena, dit : Nos enim quod presentiam
vestram expetiuimus, non vexationis inturiam, sed vtilitalis
vestaæ causas profunda cogiratione tractauimus, vt illud
magis debuïssetis efficere, quod vobis cognouimus expedire ; certé
MVNVS EST VIDERE PRINCIPEM, hoc à vobis pro
Reipublicæ vtilitate voluinus fieri, quod præmiis solebat optari.
Ce qui fit que ce sage & prudent Parlement à l’imitation
des Tribuns de Rome, relascha à sa Majesté tout ce
qu’elle voulut, sçachant bien que, Nec quicquam de Maiestate
sua detractum, quod maiestati eius concessissent ; estant
bien vray que les Senateurs qui composent, & qui emplissent
cette auguste Compagnie, peuuent estre legitimement
comparez à ces anciens Romains, desquels on
disoit que : Si vincuntur ; non minuuntur ad nimis, nec si vincunt,
insolescere solent ; chacun ayant remarqué que ces genereux
Magistrats ne se laisserent vaincre pour lors, que
par le respect & l’obeïssance qui ne les a iamais quittée,
sans en estre moins abbatus, ny moins considerez pour
cela.

 

Cassiod variar,
lib. 10.
epist. 13.

[Illisible]

Pour donc fermer la bouche aux meschans & aux ignorans
qui osent accuser les Parisiens de sedition & de
rebellion, pour demander l’eloignement de celuy qui les
ruine & qui les perd : & respondre aux imposteurs qui appellent
injustice & desobeïssance, les refus que le Parlement
fait de reuoquer ses Arrests, de supprimer des Declarations
verifiées, & de se soûmettre à vn coupable
qu’il a si legitimement condamné : Ie ne veux employer
que le raisonnement du plus sublime & du plus fameux
Politique de la terre, qui parlant des troubles & des esmotions
qui arriuoient à Rome si souuent, dit : Pour moy,
ie soustiens que ceux qui blasment si fort les seditions de Rome, reprennent
à mon aduis, ce qui a esté cause de sa liberté, & regardent
plus au bruit, à la tempeste, & aux crieries qui se font en telles
occasions, que non pas au profit singulier qui en reuient. Et vn
peu apres. Considerez-moy de prés ces esmutes, vous verrez
qu’elles n’ont en elles ny forces, ny violences preiudiciables au bien

-- 13 --

commun ; au contraire, que c’est ce qui oblige de faire nouuelles
Loix & Ordonnances, au profit & auantage de la liberté publique ;
voire, mais repliquent aucuns, telle mode est trop enragéc & extraordinaire,
de voir le Peuple crier ainsi apres la Iustice, & elle
apres luy ; & voir des gens de toute qualité courir les ruës comme
fols & insensez, fermer les Boutiques, mettre tout sans dessus
dessous, tant qu’aucune fois la Commune en laissoit la Ville,
& tenoit les champs ne plus ne moins qu’vne vraye Armée
d’Ennemis. A cela, ie responds que le Peuple de Rome vsoit de
cette façon de faire quand il auoit enuie de faire naistre quelque
bonne Loy : Tellement qu’il falloit à toute force pour l’appaiser
qu’on luy octroya partie de ce qu’il demandoit ; Ce qui ne redordoit
pas au dommage de la liberté, parce que ces fantaisies ne
luy prennent que quand il est foulé ou greué, ou lors qu’il craint
& qu’il apprehende de le deuoir estre.

 

Machiau.
en ses disc.
sur Tite. liue,
liu. 1. ch.
4.

Ceux qui sçauent la cause, & qui connoissent la fin
des dernieres Batricades de Paris, aduouëront facilement
que si celles de Rome ont produit tant de bons effets,
celles-cy en ont encore causé de meilleurs, faisant
naistre des Loix & des Reglemens, qui tres-asseurément
assoupiroient les calamitez publiques, & la misere des
particuliers, si ceux qui sont chargez de leur obseruation,
& qui sont responsables de leur execution ne les
rompoient & ne les violoient tous les iours au detriment
du Roy, & à l’oppression de ses Subiets.

Le mesme iour que le Roy Louys XI. mourut, il ordonna
sur toutes choses, dit Philippe de Comines, qu’apres
son trespas on tint le Royaume en paix, cinq ou six
ans, ce que iamais il n’auoit pû souffrir en sa vie, afin que
le Roy mineur Charles VIII. & le Royaume pussent
demeurer en paix iusques à ce que le Roy fut grand & en
âge, pour en disposer à son plaisir.

Philippe de
Commines,
liu. 6. ch. 12.

Ou ce Roy tres-Politique ignoroit les maximes de son
Estat, & la façon de le bien gouuerner ; ou les Ministres
de Louys XIV. ne sont pas sans blasme ny sans crime de
n’auoir laissé passer aucun iour de la minorité de ce ieune
Prince, sans des guerres continuëlles & tres-cruëlles, &

-- 14 --

sans luy persuader non seulement de la faire à ses voisins,
mais encore à ses propres subiets, contre toute sorte
de justice & de raison. Et ce qui est de plus estrange &
de plus estonnant dans ces Conseils inhumains est, que
tous ceux qui reuiennent d’auprés du Roy & de sa Cour,
asseurent que ce sont douze Euesques, auec vn General
Huguenot, & le Duc de Boüillon le Chef & le Pere de
tous les Broüillons, qui se relayent & se partagent pour
estre continuëllement aux oreilles de ce jeune Prince,
& de la Reyne sa Mere, pour leur persuader qu’il faut
destruire Paris, punir le Parlement, ruiner les Peuples,
& mettre tout à feu & à sang, parce qu’on veut que le
Mazarin garde son Ban, & que ces bons Prelats demeurent
priuez des Abbayes qu’il leur a promis pour trahir
leur Roy, oppresser ses subjets, & fomenter ses Tyrannies.
On dit que le Parlement ordonna par son Arrest
du 21. Iuin dernier, que les autres par luy donnez touchant
la residence des Euesques, qui est de droit diuin,
seroient executez, & enjoint à ces faux Pasteurs de se retirer
dedans leurs Dioceses, afin d’y faire ce qui est de leur
deuoir, & empescher les cabales & les pratiques qu’ils
font pour conseruer celuy qui recompense leurs crimes,
qui tolere leurs desordres, & qui fauorise leur vie qui n’est
point Apostolique ; mais comme on ne void aucun effet
de cette Ordonnance, & que l’on compte plus d’Euesques
espions dedans Paris & à la suite du Mazarin, que
dans le reste du Royaume, il est aisé de se persuader qu’il
n’y a plus que l’iniustice qui regne, que les Prelatures ne
sont plus que des fermes & des receptes de Courtisans,
que la vertu n’est plus que pour les simples Prestres, &
que sainct Paul ne sçauoit pas ce que c’estoit des douceurs
de la Cour, ny d’estre amy du Mazarin, quand il a dit, que ;
Opo tet Episcopum irreprehensibilem esse, sobrium, prudentem,
ornatum, pudicum, hospitalem, Doctorem, non vinolentum, non
percussorem, sed modestum ; sine crimine, non superbum, non iracundum,
non turpis lucri cupidum ; sed hospitalem, benignum, sobrium,
iustum, sanctum, continentem amplectentem eum qui secundum

-- 15 --

doctrinam est, fidelem sermonem ; vt potens sit exhortari
in Doctrina sana, & eos qui contradicunt, arguere. Et puisque
Monsieur le Procureur general est plus redouté de ces
saints Prelats, que ce grand vase d’Election n’en est reueré,
il tiendra la main sans doute à ce que l’Eglise soit honorée,
que la Religion soit exercée, & que les Chrestiens
soient instruits & soulagez par les Pasteurs qui sont establis
& payez pour faire vn Ministere qui leur est commandé,
& duquel ils ne peuuent se dispenser sans scandale &
sans mespris de leur ordre & de leur caractere.

 

1. Ad Tim.
cap. 3.
Epist. ad Titum,
cap. 1.

FIN.

-- 16 --

Section précédent(e)


Cinq Cieux (Souil de) [Quincé, Ludovix de] [1652], DISCOVRS D’ESTAT, SVR L’ABSENCE ET LA CAPTIVITÉ DV ROY. Dans lequel est monstré, Que ceux qui le tiennent esloigné de sa bonne Ville de Paris, sont aussi criminels, que mauuais Politiques. Par Souil de Cinq Cieux. , français, latinRéférence RIM : M0_1109. Cote locale : B_3_24.