Crespin [signé] [1649 [?]], FACTVM, Pour Maistre Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy, intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence du 4. iour du present mois de Iuin, & demandeur. Contre le Substitut de Monsieur le Procureur General au Chastelet, appellant, intimé, & deffendeur. , françaisRéférence RIM : M0_1365. Cote locale : A_4_4a.
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FACTVM,

Pour Maistre Bernard de Bautru Aduocat au Conseil Priué du Roy,
intimé & appellant de la procedure extraordinaire, & sentence du 4.
iour du present mois de Iuin, & demandeur.

Contre le Substitut de Monsieur le Procureur General au Chastelet, appellant,
intimé, & deffendeur.

L’appel à Minima, qui a esté interjetté par le Substiud de M. le Procureur
General, est d’vne sentence renduë au Chastelet de Paris, par laquelle
il a esté ordonné qu’il seroit plus amplement Informé ; cependant
que l’accusé seroit mis hors des prisons à sa caution Iuratoire.

L’accusé est vn Aduocat du Conseil Priué du Roy, qui demeure dans cette
ville de Paris, qui a vne femme & six enfans. Et bien que sa qualité, & son employ,
& l’estat de sa fortune, fussent des ostages assez puissans pour le public, & pour
ne pas craindre qu’il se derobast à la Iustice, il fut neantmoins arresté prisonnier
le premier de ce mois sur les huict à neuf heures du soir, comme vn voleur & vn
scelerat, par vn Commissaire accompagné de quarante ou cinquante archers, sans
Information, & sans decret, que l’ordre Verbal du Lieutenant Ciuil, qui est vne
violence à la seureté publicque.

Mais bien que les mauuais traitemens faicts a l’accusé par ceux, qui se saisirent
de sa personne, meritassent qu’on luy donnast quelque relasche dans sa prison ;
neantmoins il n’y fut pas si-tost entre, que l’on trauaille à son procez. Quoy qu’il
fust. dix-heures du soir, l’on ne peut attendre le iour, c’estoit vne action, qui n’estoit
bonne que pour la nuict, & pour les tenebres. Tellement que dans moins de
deux ou trois heures, l’on entend l’accusé, l’on fait la confrontation, marque
infaillible que les tesmoins estoient des personnes bien familieres de l’appellant,
& qu’ils estoient tousiours prests d’opprimer l’Innocence affligée, & de seruir
d’instrumens a l’injustice.

Le procez ayant esté mis en estat de Iuger pendant la nuict, & dans cette precipitation
sans exemple, c’eust esté encore trop de consolarion à l’accusé ; si dans
son mal-heur & dans sa persecution, Il eust peû iouyr de la veuë de ses amis, de
celle de sa femme, & de ses Enfans. C’est vne grace qui ne se refuse qu’aux seuls
criminels de leze-Majesté, & encore dans la derniere rigueur de la loy, que l’on
souffre bien souuent estre violée dans ces rencontres. Mais il fut aussi-tost reserré
par le Iuge dans vne forme de cachot : & de peur qu’il ne se trouuast quelqu’vn,

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qui eust assez d’humanité pour mespriser les ombres de la nuict, & qui
dans ces lieux obscurs, qui sont les premiers supplices, voulust soulager sa misere
& ses inquietudes, le Lieutenant Ciuil emporta luy mesme la clef du cachot,
qui est vne cruauté & vne rigueur, qui ne s’exerce point parles geoliers ordinaires,
qui n’agissent pas par des mouuemens estrangers.

 

Les plaintes de ce procedé violent ayant esté portée à la Cour dés le lendemain,
M. le Procurcur General manda le Commissaire de l’Estre, qui auoit fait
la capture. Mais con me il ne taschoit qu’à couurir, les seuices qu’il auoit luy-mesme
exercées, en prenant l’accusé prisonnier, il fit passer l’assaire pour la plus
importante de l’Estat.

Tellement que ce discours empescha que M. le Procureur General ne donnast
ses Conclusions pour obtenir vn Arrest de deffences particulieres.

Neantmoins le Lieutenaut Ciuil iugeant bien que cette procedure extraordinaire
auoit desia excité de grands mui mures, que le Parlement voudroit sans
doubte connoistie de l’affaire, & qu’on luy pourroit lier les mains, Il resolut de
Iuger l’accusé le Vendredy Et ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’on y vit des
Iuges qui ont abandonné il y a long-temps l’exercice & la fonction de leurs charges,
pour s’engager dans des affaires, qui les en ont rendus indignes tant de fois,
& qui les deuroient empescher d’entrer iamais dans le temple de la Iustice, &
pourtant leur presence n’empescha pas que l’innocence de l’accusé ne preualut
& ne fust recogneuë par la sentence qui a ordonné, qu’il seroit plus amplement
informé, cependant que l’accusé seroit mis hors des prisons à sa Caution juratoire.

Mais bien qu’il soit sans exemple, que les Substituds de M. le Procureur General
puissent appeller d’vne sentence Interlocutoire qui ne va qu’à l’instruction,
& à descouurir plus facilement la verité, le Substitud au Chastelet ne pouuant
pas cacher l’opiniastreté & la chaleur qu’il a faict paroistre dans ce rencontre, en
a toutesfois interjetté appel ; & ce qu’il y a de plus extraordinaire & qui marque
visiblement sa passion, c’est qu’il a qualifié son appel à Minima, quoy qu’il n’y
eust point de peine afflictiue, & que les Iuges n’ayent rien prononcé diffinitiuement.

L’accusé soustient donc, sauf correction de la Cour, qu’il ne faut que la simple
deduction de la procedure, pour monstrer qu’il n’y a rien eu que de violent
& de precipité dans l’action de l’appellant, & dans sa conduite, que toute l’instruction
a esté vne cabale, qui se ruïne d’elle-mesme, & par les circonstances du
procez.

Premierement dans la forme de l’emprisonnement, la Cour est tres-humblement
suppliée de considerer les mauuais traitemens faits à la personne de l’accusé,
qui est vn Aduocat du Conseil de probité, qui pouuoit estre arresté auec
moins de scandale & de ceremonie.

Mais la violence n’a pas seulement paru dans l’execution, elle se rencontre
encore dans l’ordre du Iuge. Et c’est icy que les loix se doiuent éleuer elles-mesmes
pour demander justice, la seurete publique est violée, Vindicate patres,
vindicate fratres, vindicate mariti, fortior disciplinæ publicæ seueritas surgat.

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Tous les soins qu’a pris la Cour dans ces derniers temps pour rappeller
les anciennes loix, & empescher l’oppression publique sont aujourd’huy
entierement inutils ; car elle obseruera comme vne chose d’exemple, & de
consequence perilleuse, que l’accusé fut pris seulement de l’ordonnance verbale
du Lieutenant Ciuil. La Cour rappellera, s’il luy plaist, en cét endroit combien
de combats & d’attaques il falut soustenir l’année derniere dans les Conferences
faites à Saint Germain, pour estouffer le mauuais vsage que l’on auoit
introduit dans le Royaume. Elle ne voulut seulement iamais accorder
que l’on peust se saisir de personnes sans les formes ordinaires de la justice, sans
information & sans decret : cette Police qui a mesmes esté inserée dans la Declaration
du mois d’octobre, a esté jugée si importante au lien de la societé Ciuile,
qu’elle s’appelle aujourd’huy l’article & le poinct de la seureté publique ; & neantmoins
ce que la Cour n’a pas voulu accorder dans les plus grands crimes, le
Lieutenant Ciuil a creu le pouuoir faire en cette occasion de son authorité absoluë ;
car en vertu d’vne simple ordonnance verbale, on a enleué l’accusé, on l’a
reserré dans vn cachot, on luy a faict son procez.

 

Ce fait n’est pas imaginaire & supposé : La Cour est tres-humblement suppliée
de voir l’extraict de l’escroüe, par lequel le Commissaire de Laistre qui a esté l’instrument
de cette violence, declare formellement que ce n’a esté qu’en vertu de
l’Ordonnance verbale du Lieutenant Ciuil que l’emprisonnement a esté fait.

Et bien que l’appellant pretende qu’il y a auoit vn Decret du 27. May dernier,
ce n’a pourtãnt pas esté en vertu de ce pretendu Decret que l’accusé a esté emprisonné :
Car la Cour obseruera, s’il luy plaist, que le Decret que L’on fait voir aujourd’huy
est du 27. May, & l’Ordonnance verbale dont il est fait mention dans
lescrou, est du 29. du mesme mois. Tellement qu’il paroist par cette circonstance
que l’information & le decret que l’on rapporte à present sont des pieces visiblement
supposées qui ont esté faites apres coup, & lors qus l’on tenoit l’accusé
dans les fers & dans la prison.

La seconde nullité dans la forme est la precipitation visible dans l’instruction
du procez ; il a esté obserué dans le fait, que l’interrogatoire, la confrontation,
& tout le reste, a esté fait dans trois heures. Que l’accusé ayant esté pris sur les
huict à neuf heures du soir l’on auoit passé vne partie de la nuict pour acheuer vn
si bel ouurage, & pour le mettre dans l’estat que l’on le souhaittoit : cette vertié se
justifie encores par la datte de l’interrogatoire & de la confrontation, tellement
qu’il ne s’est rien veu de plus violent que cette procedure, ny de plus contraire à
nos mœurs & à nostre vsage.

Au fonds l’accusé ne pretend pas qu’il y puisse auoir aucune charge contre
luy, quelque soin qu’on ait apporté pour la faire triompher de son innocence.

On luy a confronté deux tesmoins, le premier est vn nommé Pierre Vaudran, qui
est vn facteur du messager, lequel pretend qu’ayant esté porter quelques lettres au
logis de l’accusé : il luy demanda s’il n’y auoit pas moyen de faire imprimer vn Discours
fait contre la Deputation du Parlement à Monsieur le Prince de Condé : que
pour cela il luy auoit mené quelques iours apres vn nommé Desdin, lequel n’auoit

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pas emporté la piece ; mais qu’il luy promit seulement de la venir prendre au premier
iour : que n’estant pas venu luy-mesme, Pierre Vaudran se chargea de ce manuscrit
pour le donner à imprimer, ce qu’il auroit fait quelques iours apres, &
le nommé Boucher l’auroit imprimé de son ordre & par ses soins.

 

L’accusé soustient qu’il ne faut pas beaucoup de raisonnement pour destourner
cette supposition ; c’est vn homme qui aduouë son crime, & qui se descharge sur vn
autre, il porte son reproche auec luy : il demeure d’accord que c’est luy qui a mené
le premier Imprimeur dans la maison de l’accusé : que ce premier Imprimeur
ayant manqué & n’estant pas venu, que l’accusé n’en a point recherché d’autres, mais
qu’il s’en est luy-mesme chargé, & qu’il a pris les soins de faire imprimer le Discours
au premier de sa connoissance.

Et bien que la pluspart des choses contenuës dans cette deposition ne soient pas
veritables, qu’elles soient fausses & supposées que l’accusé n’ait iamais parlé au nommé
Vaudran de faire imprimer la piece dont est question, le tesmoignage qu’il rend
contre luy-mesme peut-il seruir à la conuiction de l’accusé ? vn homme qui s’offre &
se defere luy-mesme en Iustice, qui se dit coulpable & criminel, ne peut pas estre condamné,
s’il n’y a encores d’autres preuues qui confirment sa confession ; & neantmoins
l’on veut que dans vne accusation destituée mesmes de toute apparence & de
presomption, ce nommé Vaudran puisse conuaincre l’accusé des crimes qu’il aduouë
luy-mesme, l’on veut qu’il trouue l’impunité dans sa personne, non pas à cause
qu’il s’accuse, mais parce qu’il en accuse vn autre.

Mais ce qui fait paroistre que ce tesmoin a esté prattiqué pour perdre vn homme
d’honneur, c’est qu’encores qu’on eut pris grand soin de l’instruire pour sa deposition,
il n’a pourtant pas laissé de varier dans sa confrontation ; car il n’y a que la verité
qui soit toûjours semblable à elle mesme, le mensonge est toûjours déguisé : dans
sa deposition il dit que l’accusé luy auoit encores mis entre les mains vne piece intitulée,
La Requeste des Prouinces desolées : & dans sa confrontation il dit au contraire,
qu’il l’a euë des mains de son Clerc, sans qu’il l’ait sceu, & hors sa presence. Cette
variation est tres-importante, & fait voir que ce nommé Vaudran est vn homme
qui cherche par tout des pieces secrettes & inconnuës pour en faire commerce, ou
plutost pour surprendre ceux qui s’en trouuent quelquefois chargez par la curiosité
naturelle & la conioncture des affaires.

La 3. raison qui est infaillible, & qui fait voir que ce nommé Vaudran est vn
homme qui est nourry dans l’impunité, & qui dans cette asseurance ne craint pas
d’entreprendre tout, c’est qu’estant luy-mesme coulpable de l’impression de la piece,
comme il demeure d’accord dans tout le procez, l’on n’a pas seulement decretté
contre luy, l’on ne l’a pas arresté prisonnier, bien que cela fut fort facile lors
qu’il a esté confronté à l’accusé, de sorte que cette consideration fait bien voir
que c’est vn homme qu’on ne veut pas perdre par ce que c’est vn tesmoin Bannal,
& qui peut seruir en beaucoup d’autres rencontres.

Le deuxiesme & dernier tesmoin est vn nommé Dedin imprimeur de cette ville
de Paris, qui ne dit rien autre chose sinon qu’il fut auec le nommé Vaudran
dans la maison de l’accusé, qui luy voulut donner sa Piece à Imprimer, mais
qu’il ne la prit pas ayant remis au Dimanche suiuant, ce qu’il n’auoit pourtant
pas fait.

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Ce tesmoin ne dit pas qu’on luy eut donné la piece, mais qu’on luy a voulu
donner, si bien que sa déposition est inutile, & ne prouue rien : d’ailleurs c’est
vn tesmoin à gage de la mesme fabrique du premier, & qui est de sa connoissance.

Et de fait, toute cette entreprise auoit esté curieusement concertée auec les deux
tesmoins ; Car il est aisé de iustifier que quatre ou cinq iours auparauant que faire
arrester l’accusé, le Lieutenant Ciuil auroit fait conduire ce nommé Vaudran qui est
le premier tesmoin dans vne maison particuliere, où il passa toute la nuict, & que
la sous-esperance d’impunité & de recompense, comme l’apparence y est toute entiere,
l’accusation fust arrestée, & que tout fust preparé.

Ce n’est pas d’auiourd’huy que l’on tend ces pieges & ces embusches, il n’y a personne
qui ne sçache dans Paris que l’on distribuë de l’argent à plusieurs particuliers
afin de faire des recherches exactes, de multiplier les crimes & les accusations : &
comme cela se respend parmy le petit peuple, que ces deniers se donnent à des
mal-heureux & miserables qui sont tousiours prests à tout entreprendre, & qui sous
esperance de recompense peuuent mesme surprendre ceux qui les employent à vn
si funeste dessein ; la Cour voit les maux & les desordres que cette nouueauté peut
produire dans le public, & si l’innocence peut trouuer vne retraitte asseurée.

Tacite ne trouue point de plus grand deffaut dans la conduitte & dans le gouuernement
de son tẽps qu’en ce qu’on inuitoit les delateurs par des recompenses. La corruption,
dit-il, fut si grande en ce temps là dans l’Empire Romain, qu’elle passa
iusques aux Senateurs, qui sous esperance de se mettre en credit, & de faire leur
fortune, se rendoient mesme dénonciateurs contre toutes sortes de personnes, ils
ne se mettoient pas en peine de distinguer les innocens des coupables, pourueu que
leur action fust agreable.

Ceste sorte de recherche a tousiours esté condãnée par les loix du Royaume. Nous
auons assez de nos vices, sans emprunter ceux des estrangers : c’est vne forme d’Inquisition
qui ne conuient point à nos mœurs ny à nostre liberté Françoise. Il n’y a
personne qu’on ne puisse enuelopper par ce moyen dans ces crimes supposez. L’on
peut mesme dire que ce qui a esté fait dans ce rencontre en la personne de l’accusé
à fait paroistre vne consternation generalle dans les esprits, tout le monde à pris
l’espouuante dés qu’on a veu qu’vn homme d’honneur, vn Bourgeois qualifié auoit
esté enleué comme vn criminel d’estat sur la déposition de deux hommes de neant
& qui portent leur reproche. Car il n’y à personne dans Paris, qui ayt peu encore se
persuader que l’accusé, qui à sa famille, son employ & sa fortune sur laquelle il doit
veiller incessamment se soit amusé à faire vn libelle contre monsieur le Prince, qu’il
ait si peu consideré son rang & sa naissance, ce ne sont point les soings & les occupations
d’vn homme de la qualité de l’accuse, & encore moins de le faire imprimer.

Enfin la Cour remarquera pour dernieres considerations qu’il est de Notorieté publique
que la piece auoit paru entre les mains de mil personnes vn mois auparauant
qu’elle fust imprimée. Le Lieutenant Ciuil luy-mesme sçait bien qu’elle a esté
leuë en plusieurs compagnies, & en des lieux publics, comme elle n’estoit encore
qu’escrite à la main. Tellement qu’il y à peut-estre plus de trente personne qui

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ont donnée à imprimer, les Imprimeurs mesme qui recherchoient toutes ces pieces
auec tant de soins n’ont-ils pas peu estant commune comme elle estoit l’imprimer
de leurs propres mouuemens comme ils ont fait tant d’autres pieces, ainsi quelle
apparence de vouloir rendre responsable l’accusé de tous les desordres du temps &
exposer sa vie, ses biens & son honneur, celle de sa femme & de ses enfans, à deux
oyseaux de proyes, à deux bestes de sang & de carnage, à deux tesmoins corrompus
qui s’accusent eux-mesmes pour auoir droit d’accuser les autres qui ont esté preparés
par de mauuais artifices, & condamnez par nos mœurs : l’accusé espere donc que la
la Cour en fera vne exemple prononçant dés à present son absolution.

 

Monsieur CRESPIN Rapporreur.

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