Drazor [1649], HARANGVE A MESSIEVRS LES ESCHEVINS ET BOVRGEOIS DE PARIS. Touchant tout ce qui s'est passe depuis les Baricades, jusques à present, Par le sieur DRAZOR Champenois. , françaisRéférence RIM : M0_1540. Cote locale : A_4_24.
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HARANGVE
A MESSIEVRS LES
ESCHEVINS
ET
BOVRGEOIS
DE PARIS.

Touchant tout ce qui s'est passe depuis les Baricades, jusques à present,

Par le sieur DRAZOR Champenois.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS MVSNIER, au mont sainct Hilaire,
pres le Puis Certain.

M. DC. XLIX.

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HARANGVE A MESIEVRS LES
Escheuins & Bourgeois de Paris, ensemble
tout ce qui s’est faict & passè depuis
les baricades iusques à present.

Le Philosophe ne peut trouuer assez de
figures dans son art n’y de Sillogismes assez
forts pour descrier suffisamment le
vice, n’y assez d’eloquence ny
de raisonnement pour en exprimer la
laideur & enormité, c’est pour cela que le Poëte ce
vante d’auoir découuert deux grandes extremitez qui
me font souuenir à ce propos de la vision de l’eschelle
de Iacob, l’vne desquelles touchoit le Ciel, l’autre la
terre, qui est l’image des bons par sa sublimité, &
celle des meschans, par l’autre extremité, par Analogie
& Relation, ie dis qu’on ne peut assez loüer la
vertu, veu que ses attraits la rendent tres aymable,
auec des agrément qui ne peuuent estre conceüs
du cœur humain, mais si cette belle qualité demande
des remunerations, des honneurs & deferences, ce
qui luy est opposé, qui est le vice demande des chastimens,
des mespris, des prescriptions & punitions
exemplaires, car il n’y à rien de plus vile de plus immonde
plus defiguré, plus hideux, plus monstrueux
& effroiable que le crime qui rend esclaue du Demon,
& qui rend son autheur plus noir que l’Enfer.

Si dont autrefois on attribuoit des remunerations

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aux ames nobles & genereuses : & sy on publioit hautement
leur vertu auec des acclamations, qui les rendoient
d’autant plus signalées & recommandables,
que ces trophées estoient faictes à la veuë de tout le
monde. On ne doit pas moins punir le vice qui luy
est antipatique & opposé, il n’y a aucun rapport entre
la vie & la mort, entre les Corbeaux & les Aigles, entre
le noble & le roturier, entre le seruile & le filiale en
vn mot entre les bons & les meschans, entre les loups
& les agneaux, les vns eclatent de gloire & brillent
d’honneur, ont des beautez & des lumieres qui esgalent
l’Aurore ont des senteurs & des odeurs tres-suaues.
Et toutes leurs actions sont glorieuses & dignes
d’imitation, mais si on est obligé de donner des
Eloges aux bons, on ne les pas moins, à declamer
contre les meschans, qui menent vne vie aussi deprauée
que tyranique, comme il ce voit dans l’Histoire
Tragique de ce temps, l’Autheur de la quelle est le
truchement de l’Enfer, son supost & sa gloire, autant
de pas & dégradations qu’il faict autant de pieges
qu’il dresse aux humains, parmy lesquels il regne
comme vn tyran, & pour ne me rendre prolixe n’y
confus. Ie m’adresse à la plus maiestueuse pour sa noblesse ;
plus immense, pour son entenduë, plus illustre,
par ses fais, plus recommandable par ses glorieuses
entreprises, plus triomphantes par sa valeur,
& d’autant plus quelle est l’appuy de toute la France,
c’est pour elle, que cette fameuse Cité c’est mis soüs
les armes, pour terrasser l’ennemy commun, & le faire
euaporer comme vn poison qui trauaille le corps
humain. Ce hydre & serpent veneneux est ce cruel

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Mazarin, ce sale Ethiopien, qui ne cest pas contenté
d’auoir butiné & rendu deserte la France par ses depredations,
/> mais cet insatiable, a de plus derobé par
deux fois le plus innotent de tous les Rois, du quel est
dict quo iustior alter, nec piet ate fuit, nec bello maior & armis,
Le premier larcin fut au temps des Baricades.

 

Mais ie madresse maintenant à vous illustres Concitoyens,
on ne peut trop loüer vostre zele l’Affection
qu’auez pour le Roy, & pour vostre chere patrie, on
publira vostre generosité au temple de memoire &
toutes les nations publiront les effets de vos heroïques
entreprises, qui ont braué le Sicilien & ses complices,
qui ont rendu ses efforts aussi inutils que ses
soins, aussi vostre bras, c’est trouué plus nerueux,
plus fort & plus robuste que celuy de Sanson & vostre
courage a excedé celuy d’Alexandre en vn moment,
plus de quatre cent mille hommes parurent qui donnerent
à ce cruel lutin autant de terreur, de crainte
& despouuante que d’admiration aux Estrangers, &
en deux heures de temps, on vit paroistre plus de
quatorze mille chaisnes tenduës & bien autant de
baricades.

Mais ce sinistre Estranger, & depraué Tyran, ce
subtil gripeur, ce ruzé ennemy, ce caureleux serpent
Thessalien, ce Renard humanisé, ou Demon incarné
voyant que son dessein estoit rompu, comme vne
eau croupie & relante, il a conspiré dans son esprit se
plus impie attentat qu’aucun sacrilege ait fait, qui
fut d’enleuer derechef nostre ieune Monarque, &
pour paruenir a ses pernicieux desseins a enchanté les
Princes par ses promesses, afin de sacrifier à sa vangeance

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aussi bien qu’à ces passions, ceux qui ce sont
opposé à ses desseins & afin de tyranniser & acheuer
de brigander le peu qui reste à la France & qui luy a
échappé des mains.

 

Ces complots estans faits, il enleua cet Astre brillant,
ce Soleil rayonnant, ce second Mobil la nuict
des Roys, & le iour estans venu tous les Parisiens surpris
d’apprendre que Mazarin, auoit clandestinement
& furtiuement enleué leur Monarque, mais
cette lasche action, fut bien-tost suiuie d’vne autre,
s’estant emparé de quelque poste, il a donné lieu
a ceux de sa milice d’exercer tous actes d’ennemis, &
d’hostilité, où ce recognoist manifestement qu’il n’est
pas seulement ennemy du peuple, mais encore du
Roy, veu qu’il opprime son Royaume, le rend desert
ainsi qu’il ce voit a present au pres de Paris, qui porté
de rage, de furie & cruauté, voiant cette incomparable
ville sous les armes, a permis plus de licence à ses
soldats, plus de ferocité, plus de barbarie & inhumanité
que ne fit autrefois Philaris le Tiran, il ne c’est
contenté de permettre le vol & l’incendie, mais encore :
le violement suiuy decruauté.

Il enrage, il inuectiue & vomit mille imprecations
contre ce monde racourcy, voyant vn ordre bien obserué
conduit par vne prudence & sagesse digne d’vn
tel Senat qui est annobly des plus iudicieux plus sages,
prudens & vertueux Senateurs du monde, mais
ce qui glace son cœur & congele ses vaines est qu’il ce
voit desceu de son esperance, qui croioit qu’il y auroit
de la diuision & desordre, le pauure se iettant sur le
riche pour butiner, y estant conuié & poussé par la
faim, ou par la necessité, mais tant s’en faut, il voit vn

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procedé aussi prodigieux qu’extraordinaire, l’indigent
subsister sans murmure auec vne resolution inuiolable
de perir plustost que de souffrir d’auantage
l’autheur de sa perte, la cause de son infortune & son
oppresseur.

 

Mais ce qui altere ces forces, diminuë son courage, abbaisse sa
resolution & aneanty ses proiets, est de voir que plus de six cent
mille hommes persistent sous les armes sans qu’ils forment aucun
chacrin & fasse paroistre aucun mecontentement. Ils sçauent que
leur cause estant iuste valide & bonne, Dieu est pour eux, qui
secondera leur desseins & sera auxiliaires à ses Hercules ou Mais
& heros indomtable, qui ont épousé la iuste querelle de la France
& qui s’en rendent par leur valleur, & magnanimité de leur courage
les protecteurs, cest inuincibles guerriers ne sont autres que
Messieurs de Beaufort, de la Mothe d’Audencourt, de Boullon,
d’Elbeuf & ces deux fils, & principalement ce sage Prince & glorieux
conquerant Monsieur de Longueuille qui receuant les ordres
de ce bon Prince de Conty, on voit tous les iours de grands
progres, les ennemis sont contrains de prendre de tres honteuses
fuites, mais ils se voyent maintenant inuestis de toutes parts &
rudement batues, & si on n’auoit pitié d’eux ils trouueroient leur
cimetiere dans le Cham de Mars.

Neantmoins diray que plusieurs d’entr’eux ont essuié plusieurs
combats sans estre vulneré dans ses dernieree Campagnes,
& en cette occasion, ils ont esté si violemmens batus que quoy
que la force ait esté iointe auec leur valleur, ils ont esté tués, temoin
Monsieur de Chastillon & Monsieur du Plessis Pralin, qui
furent tuez a Charenton auec plus de quatre cent, on fait venir librement
des conuoys de toutes parts, & de iour a autre, escortez
outre les soldats ordinaire, de plus de cent ou six mil parisiens qui
sans trompette n’y tambour prennent les armes & auec gaieté de
cœur courrent par emulation droit a la porte ou le conuoy doit
passer, vont sur les lieux sans commandemeut n’y sans conduite
de Capitaine, tant il est vray que le Dieu des armées preside dans
leurs cœurs, l’ennemy ne sçait, comme l’on dit, de quel bois faire
bresche, il n’a pour partage que le desespoir, qui l’oblige de faire
des actes d’inhumanité & barbarie, ces forces sont suprimées & ce

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voit absorbé dans vn precipice, & n’a aucun espoir de s’en pouuoir
rerirer, mais ce qui genne dauantage son ame, c’est de voir que sa
meschante cause ne peut trouuer d’aide, & que ses entreprises ne
se borneront que par la honte, aussi ceux qui sont morts pour
cette aussi iniuste qu’inique querelle, n’ont regretté si non de
n’estre pas morts dans vne bonne occasion, mais de mourir
bataillans contre leur propre patrie contre la justice &
contre leur conscience ; Et que d’autant plus que leur genereux
exploits ce sont rendus recommandables dans d’autres occasions,
cette derniere qui coronne les autres ; les rend autant suspects,
que leur memoire auroit esté eternelle dans le cœur des
hommes : ce sont les dernieres paroles de Monsieur de Chastilon,
qui dit à Monsieur le Prince qu’il mouroit par vne iuste punition
de Dieu pour s’estre amusé à croire trop legerement & à celaisser
suader contre sa conscience, & qu’il auoit vn tres sensible regret
qu’estant le dernier de sa race il mouroit dans la censure des peuples
& partant dans l’infamie.

 

Plusieurs grands Seigneurs ont trouué dans ce funeste lict la fin
de leur course belliqueuse, & par vne mort precipitté, ce sont
rendus tributaires à la mort auec des ressentimens dignes de
compassion. Neantmoins ce tygre de Mazarin, cela ne fait aucune
impression sur son esprit, il est fait au sang & au carnage, & la
mort quoy que terrible est tellement apriuoisée aupres de luy, qu’il
l’enuisage plustost auec serenité & douceur, qu’il ne feroit vn bien
faicteur, tant il est vray que son ame est critique, amantine & inflexibles.

Si Iupiter à iamais eu des foudres & fait gronder les Tonneres,
ie puis dire que l’engeance Mazarine n’a eu que de
sons effroyable non des Tambours, mais des Canons, ce
vertu desquels, il a fait trembler les Prouinces entieres & supprimé
toutes les nations, mais maintenant n’a plus que des soupirs,
des plaintes & des larmes, voyant sa fortune bornée & ces
desirs ancantis. Les Parisiens luy font la nique, & ne luy promettent
que funestes hazards, & ne quitteront iamais les armes que
son bonnet ne soit renuersé, aussi bien que le mouuement de la
roüe de fortune, toute la France ce rend denonciatrice contre luy,
ne luy promet aucune retraicte, n’y de lui donner aucun quartier,
il ne pourra trouuer d’Oruietan, ny d’Autidote, triacle ou Matridar,
pour guerir son mal, qui est inueteré, pour moy ie desespere

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de son salut & croy qu’en luy ce verifiera, ce verset de Dauid,
Mors peccatorum Pessima.

 

Ie ne puis assez rassasier mon esprit à la veuë d’vn si excellent &
genereux Senat qui donne le branle & le mouuement & fortifie le
courage de tous les bons François, qui estans fidels à leur Patrie,
en veulent exterminer le tyran.

Ie ne puis trop attentiuement considerer des yeux de I’esprit la
constance, le soin & la vigilance des Escheuins, Citoyens &
Bourgeois de cette florissante ville, ie ne puis m’empescher de
dire qu’ainsi que l’histoire saincte nous apprend, qu’il n’y a qu’vn
phœnix en Arabie, aussi n’y a qu’vn Paris dans toute la Crestienté,
qui enferme en soy, vn peuple tres-franc, tres-pieux, tres-genereux
& recommandable, toute la France luy a de l’obligation,
de sa liberté, franchise & de son repos.

Aristote, voulant loüer son disciple Alexandre, ce contanta de
dire qu’il s’appelloit Grand, & moy ma dressant à vous peuple incomparable,
ie dis que c’est assez que faicte vn heureux seiour
dans le miracle du monde, l’estonnement des Estrangers & le
receptacle de toutes les sciences grand Senat, vous estes son ornement,
sa Couronne & son Diadesme, c’est vn ruisseau, qui sort
de cette source, c’est vn Soleil sans eclipse, & vn Ciel sans nuage,
qui n’a que de benignes influences & vne terre feconde, les hommes
la combieront de benedictions & la posterité en conseruera
le souuenir ? Arriere donc Mazarin, arriere, auec tasquelle &
ceux detacabale, tu n’est pas digne d’y faire ta demeure, tu infecte
l’air par où tu passe, & la terre seche sous tes pieds, & ne peux
estre purgée que par les eaux, tu as des yeux de Basilique, vne teste
de Dragon, vn esprit de demon, des mains de Larron, des pieds de
Geans, si tu suis mon aduis que ie te laisse à la fin de cette Harangue
tu te retireras dans quelque lieu solitaire & gouffreux, mais
à quoy bon, veu que si tu eschape de la capture des hommes, tu
tomberas sous la griffe des oyseaux, ou sous les dents des Lyons,
ou pour seruir de pasture aux Serpens, ou aux Corbeaux, ou laceré
par les Ongles de quelqu’affamez oyseaux, tu as fait ton Testament,
ie l’approuue, mais improuue l’article de sa Sepulture, car
tu n’est pas plus homme de bien, que ceux qui ont esté mangé des
bestes les plus immondes ou trainé à la voirie, on ne peut euiter,
vn sort qu’on a merité.

FIN.

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