Anonyme [1652], CONDVITE DV CARDINAL MAZARIN, depuis son retour en France, ADRESSEE AVX COMPAGNIES Souueraines, Maison de Ville, & bons Bourgeois de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_734. Cote locale : B_11_33.
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CONDVITE DV
Cardinal Mazarin, depuis son
retour en France,

Adressée aux Compagnies Souueraines, Maison
de Ville, & bons Bourgeois de Paris.

SANS exorde & sans mouuemens, suiuant la
forme de l’Areopage, laissons les figures, &
les amplifications de Rhetorique à plusieurs
Escriuains, bons & mauuais, qui remplissent
le monde de liures : Exposons naïfuement
les faicts dans vne affaire de la premiere importance ;
puis qu’il s’agit du salut du Roy, du Sang Royal
& de la Royauté ; par consequent de celuy de tous les particuliers,
qui ne seroient pas sages s’ils croyoient que leurs
personnes, familles & biens se peuuent sauuer, si le public
vient à perir ; pour faire voir qu’il est dans ce danger, les
Compagnies souueraines, la Maison de Ville, & les bons
Bourgeois de Paris sont suppliez de faire reflexion sur l’estat,
auquel le Cardinal Mazarin a reduit les affaires de la
France depuis qu’il y est retourné ; sans mettre en consideration
ce qu’il auoit fait deuant son depart, & qui auoit
donné lieu aux Declarations & Arrests qui l’auoient
banny.

Conuaincons-le premierement de pariure & perfidie, par
les lettres signées de sa main, enuoyées & publiées par luy
lors qu’il estoit sur le poinct de r’entrer en France.

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Dans la Lettre addressée au Roy.

Ie ne me veux point ingerer à l’aduenir en aucune façon
dans le maniment des affaires : ce poinct, en cas que vostre
Majesté aye assez bonne opinion de moy pour me l’ordonner,
estant le seul qui pourroit me rendre coupable d’vne
desobeïssance enuers vostre Majesté.

Dans la Lettre à la Reyne.

Ie prends la liberté de demander vne autre grace au Roy ;
qui est d’auoir la bonté de me dispenser d’auoir aucune
part dans le maniment des affaires ; quand sa Majesté auroit
assez bonne opinion de ma suffisance ; & la protection
de vostre Majesté aupres du Roy (en cas que cette preuention
d’vne chose à laquelle peut-estre sa Majesté ne songe
pas, ne soit point trop presomptueuse) pour empescher que
ie ne sois pas exposé à commettre vne desobeïssance, comme
il arriueroit infailliblement, si on auoit la moindre pensée
de me faire cét honneur.

Ainsi cét homme pretendoit d’endormir ceux qui s’opposoient
à son retour, ou de piper les peuples, qui pour
auoir la paix luy eussent volontiers accordé le contentement
de pouuoir estre dans la Cour pour la satisfaction
particuliere de la Reyne, pourueu qu’il s’abstint de la conduite
des affaires, qu’il renonçast à l’entrée dans les Conseils,
ne se meslast point de faire changer ce qui auroit esté
resolu, & obeït à la Declaration du Roy, qui exclut les
Cardinaux du Ministere.

Pour faire voir que les protestations du Cardinal Mazarin
n’estoient que des fourberies, dés le premier iour de
son restablissement dans la Cour, il reprit sa place & sa
qualité nouuelle en France de premier Ministre : voulut
tout seul definir toutes choses ; renuersa les resolutions prises ;
conduisit la Cour là où il luy plût ; disposa des Armées
& des Finances ; presida aux despesches, ou plustost les dicta ;
euoqua tout à sa connoissance, distribua les Benefices,
les Dignitez, les Charges, les Offices & les employs, non
seulement agissant, mais parlant en Souuerain : disant, le

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vous donne : Ie vous accorde ce que vous voulez : I’ay disposé
de cela : I’ordonneray qu’on vous expedie : Ie commanderay
qu’on vous depesche : Bref, affectant de faire paroistre qu’en
despit de ceux qui ne le vouloient point pour Conseiller,
il estoit Roy de France.

 

Encores que toutes ces procedures soient de notice publique,
honteuse à nostre Nation, & suffisantes pour condamner
de nouueau le Cardinal Mazarin ; nous ne laisserons
pas d’apporter d’autres preuues de la puissance absoluë
qu’il a depuis son retour exercée, non seulement dans
la Cour, mais dans les plus importantes affaires estrangeres,
au grand preiudice de la France. Nous ne produirons
rien qui ne soit tres-certain & capable d’émouuoir la Iustice
du Parlement, d’animer le courage de le Noblesse, &
d’exciter les peuples à seconder les bonnes intentions de
Monseigneur le Duc d’Orleans.

En premier lieu, nous posons en fait veritable, que la
Cour estant à Blois le Cardinal Mazarin enuoya querir
l’Ambassadeur de Portugal, auec tous les Napolitains
qui estoient à Paris ; leur fit donner de l’argent pour payer
leurs gistes & pour faire le voyage. Que l’Ambassadeur
apres vne longue conference auec le Cardinal Mazarin, fut
disposé par luy à s’en aller promptement auec les Napolitains
trouuer le Roy de Portugal, pour luy apporter les
articles suiuans.

1. Que s’il vouloit enuoyer son armée nauale & la joindre
aux vaisseaux François qui se trouuoient sur la Mediterranee,
& aux autres que la France equiperoit en toute diligence
pour aller appuyer vne nouuelle reuolte dans le
Royaume de Naples ; que le Roy de Portugal en receuroit
tous les aduantages : Que la conqueste de cette Couronne
seroit pour luy ; la France ne se reseruant que certains fiefs,
desquels elle pourroit disposer, qui sont ceux que le Cardinal
Mazarin a enuie de mettre dans sa maison.

2. Que la France feroit à perpetuité ligue offensiue & deffensiue
auec le Portugal.

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3. Que la France s’obligeroit à ne faire iamais paix auec
l’Espagne, que les Royaumes de Portugal & de Naples ne
demeurassent au Roy de Portugal & à ses heritiers.

4. Que le Pape seroit forcé par cette puissante armée nauale,
& par les Cardinaux & Princes d’Italie qui sont de la
faction de France, à recognoistre le Roy de Portugal, &
à confirmer ses Nominations aux Eueschez & autres Benefices.

5. Que les Cardinaux Barberins, leurs amis & Princes alliez
de la France fauoriseroient de leurs conseils & de toute
leur puissance l’entreprise de Naples.

6. Qu’en consideration de cette ligue eternelle entre la
France & le Portugal, & pour maintenir la bonne correspondance,
nostre Roy espouseroit l’Infante de Portugal ;
dequoy la Reyne donnoit presentement sa parole, ayant
promis de sa bouche qu’elle feroit valloir tous ces articles,
& principalement le dernier.

En suite de cela l’Ambassadeur partit en diligence auec
le Pere Criuelly Carme, & autres Napolitains, emporta
les articles signez, receut de l’argent pour deffrayer toute
la suitte ; & parce qu’il laissoit des debtes à Paris, on luy
donna des Lettres d’Estat, qui portent deffenses de faire
vendre ses meubles iusques à son retour.

On a aduis depuis peu de iours que les articles ont esté
signez par le Roy de Portugal, & qu’en suitte la ligue
offensiue & deffensiue entre la France & le Portugal contre
l’Espagne, a esté publiée à Lisbonne. Que la nouuelle
estant arriuée à Madrid, a fait resoudre le Conseil d’Espagne
a rechercher vne nouuelle ligue contre la France auec
les Anglois, & mesmes à tascher d’y engager par ceux cy
les Hollandois, lors qu’ils seront d’accord, ce qui est bien
aduancé. Surquoy tous les bons & sages François feront
s’il leur plaist, les reflexions suiuantes.

1. Que le feu Roy, conseillé parle Cardinal de Richelieu,
principal promoteur du sousleuement de Portugal, pour
ne rendre point les choses irreconciliables, & ne bannir

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point la paix pour iamais, cõme veut faire le Cardinal Mazarin ;
ne voulut point consentir à la ligue offensiue & deffensiue,
demandées instamment par les Portugais. Que la
Reyne durant sa Regence, quelques poursuites qu’ayent
pû faire les Portugais en l’assemblée de Munster, a tousjours
resisté à cette demande : Sa Majesté ayant esté portée
à ce refus, par les conseils de Monseigneur le Duc d’Orleans,
secondez par ceux de feu Monsieur le Prince ; qui
comme sages politiques, preuoyoient que cet article accordé
jetteroit l’Espagne dans vne indignation, qui seroit
suiuie de la rupture de l’assemblée ; & quand & quand du
desespoir de la paix, que le Cardinal Mazarin veut bannir
pour iamais, & en suite perpetuer nos miseres.

 

2. On iugera aussi par cette procedure du Cardinal, qu’il
se moque de nous ; lors qu’il nous veut persuader dans ses
lettres, que les Espagnols offrent de traiter la paix auec
luy.

3. Que le Cardinal Mazarin, qui veut estre employé pour
la conclure, se rend incapable de cette commission. A
quoy nous pouuons adiouster ce que nous sçauons certainement,
que iamais les Espagnols ne feront, ny n’escouteront
aucune proposition ; que le Cardinal Mazarin
ne soit, ou hors de credit en France, ou esloigné de la
France.

4. Qu’aussi tost que ce bon heur nous sera arriué, nous
aurons la paix ; & que les Espagnols, qui la desirent, la traiteront
auec des personnes sinceres en leurs paroles, & sages
en leur conduite : mais qu’il est fort à craindre si ce bien
s’esloigne ; c’est à dire, si nous gardons encore quelque
temps le Cardinal Mazarin ; que la conclusion ne soit pas
aduantageuse pour la France, comme elle auroit esté il y a
huit ans, si nous n’eussions point eu, ou creu le Cardinal
Mazarin, qui pour se maintenir en authorité a maintenu la
guerre.

5. Que la paix tant necessaire, ne pouuant iamais estre
auec la ligue offensiue & deffensiue, que le Cardinal Mazarin

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vient de faire, seul de sa teste, & par authorité souueraine,
il oblige la France à la rompre, & en suite à desobliger
le Portugal.

 

6. Que l’entreprise, quoy que presumée chimerique, d’attaquer
de nouueau le Royaume de Naples, ayant esté declarée
aux Princes d’Italie, qui ne veulent point de trouble,
les irrite contre nous ; & a empesché iusques à present
ceux qui assistoient les Venitiens d’enuoyer leurs Galeres,
& de permettre les leuées de gens de guerre, chacun les
voulant garder pour sa seureté.

7. Nous voyons aussi l’insolence du Cardinal Mazarin,
qui dispose tout seul du Mariage de nostre Roy, plus absolument
que ne feroit vn pere de son fils, ou vn tuteur de
son pupil, qui communiqueroit leur dessein, au moins par
bien-seance, aux plus proches parens.

8. Par ce traité le Cardinal Mazarin ne s’oublie pas ; voulant
retenir pour luy & pour les siens les principaux fiefs
du Royaume de Naples. On peut prouuer aussi qu’il a offert
autrefois la conqueste de ce mesme Royaume à Monsieur
le Prince ; à condition qu’il consentiroit, que le
Royaume de Sicile demeureroit à la maison Mazarine :
dequoy vn homme d’honneur & de condition a les preuues
pat escrit. Ainsi les folies, les interests du Cardinal Mazarin
se ioüent de la reputation, du repos, & des biens de la
France. Venons aux autres crimes d’Estat, qu’il a commis
depuis son retour.

1. Nous auons sceu la belle entreprise qu’il a faite pour
auoir Brisac, qui est l’vne des plus fortes places de l’Europe,
& la plus importante conqueste de la France. Le Cardinal
Mazarin pour s’asseurer de cette retraite, s’est seruy
d’vne Dame, laquelle par tromperie se saisit du Gouuerneur :
pensant apres cela gagner la garnison, en respandant
quelques pistoles, que cette Dame iettoit de sa main,
sans que ceux qui les ramassoient en se moquant d’elle,
ayent perdu l’affection qu’ils ont pour leur chef, qui a trouué
l’inuention de se mettre en liberté, & de rentrer dans sa

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place fait auec le Comte de Harcourt, que le Cardinal
Mazarin a voulu faire arrester. Mais il ne se soucie pas de
perdre ce chef de son party, & de hazarder Brisac, qu’vn
desespoir peut faire tomber entre les mains des ennemis de
la France, apres qu’elle a employé des sommes immenses
pour l’acquerir, & pour le conseruer.

 

2. Il a reduit Barcelonne à l’estat où elle est, c’est à dire
en grand danger auec la Catalogne, & le Roussillon, qui
coustent à la France plus de soixante millions, & la
vie de quarante ou de cinquante mille hommes, & ce qui
est plus deplorable, la reputation du Roy & de la France
n’est comptée pour rien par la folie de celuy qui a abandonné
vn Mareschal de France qu’il a autrefois mal traitté :
ne luy enuoyant, ny hommes, ny argent, ny viures, ny munitions :
appliquant toutes les forces & finances du Roy à
la deffence de sa fortune, qu’il veut maintenir contre les
oppositions legitimes des Princes du Sang Royal, contre
les iustes Arrests des Parlemens, & contre l’auersion genele
de tous les peuples. Il est encore si temeraire qu’il ose
accuser de toutes les pertes que fait la France, ceux qui
pour l’vnir veulent chasser vn estranger qui la diuise, &
nous veut faire croire que les enfans de la maison doiuent
ou la quitter ou souffrir la prison, ou reconnoistre son Empire
& dependre de luy ; auquel cas il leur donnera toute
la France piece à piece.

3. Nous n’imputerons qu’à luy seul la perte de Grauelines,
c’est à dire de nostre meilleure conqueste dans les Pays-bas,
& que nous deuions à la genereuse resolution & sage
conduite de son Altesse Royale ; cette porte pour entrer
dans la Flandre ; ce fort rempart qui couuroit Dunquerque,
a esté emporté auec si peu de peine & à si petits frais
de la part des ennemis ; que nous aurions sujet d’en rougir
de honte ; si pour la décharge de nostre honneur, nous
n’alleguions, que la France estoit gouuernée par le Cardinal
Mazarin, qui pour contenter sa cholere contre le sieur
de Castelnau, auoit fait abandonner Bourbourg, & pour

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rentrer en France comme triomphant, auoit dégarny les
places frontieres, par lettres écrites aux Gouuerneurs,
ausquels il auoit demandé leurs meilleurs soldats pour luy
faire escorte, & composer cette belle armée, qu’il appelle
dans ses escrits impertinens, L’assemblée de ses amis, qu’il dit
auoir amenez pour le secours du Roy, parlant en Prince souuerain,
& allié de la Couronne ; lors qu’il se faisoit suiure par
des François, & autres gens qui estoient à la solde de Sa Majesté,
commandez par des Mareschaux de France. Disons
aussi, que nonobstant toutes les sollicitations des Gouuerneurs
qui le pressoient, pour auoir les hommes, & les choses
necessaires à la conseruation des villes conquises ; il a
negligé toutes les sollicitations pour ne songer qu’à dresser
vne armée, qui fust en estat de battre ceux qui l’auoient
chassé, ou qui s’opposoient à son restablissement.

 

4. Son esprit vacillant, qui a cherché des appuis de tous
costez, l’a porté à mettre en vente Grauelines, Mardic, &
Dunquerque, qu’il a presentez premierement aux Hollandois ;
taschant de leur persuader, que ces places leurs
seroient tres commodes contre les Anglois, auec lesquels
ils entroient en guerre : mais ces aduisez republiquains,
ayant esté informez, qu’au mesme temps le Cardinal Mazarin
faisoit pareilles offres aux Anglois, les pressant d’acheter
ces mesmes places, pour s’en seruir contre ces Hollandois ;
ces doubles negotiations n’ont produit autre chose,
que le mépris, qu’on a fait de tous costez de cet eternel
negotiant, qui vendroit en gros ou en détail tout le Royaume
de France, s’il trouuoit vn marchant assez puissant &
assez fol, pour en traiter auec luy. Grand opprobre pour
nous, qui auec nos esprits éclairez, auec nos langues disertes,
& courages esleuez, auons enduré du Cardinal Mazarin
pour la dissipation de l’Estat, ce que les moynes de
ses Abbayes, n’auroient point toleré pour la degradation
d’vn petit bois. N’entendons-nous pas nos voisins, qui
nous crient. O lâche, ô infame nation ! qui souffrez vn
estranger vsurpateur, ce que vos ancestres n’auroient pas

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dissimulé en vn Prince legitime. Gentils hommes regardez
vos peres, & considerez vos enfans, imitez ceux là, & laissez
bon exemple à ceux cy.

 

5. Nous sçauons aussi que le Cardinal Mazarin, pour faire
croire à la Reyne qu’il n’auoit point de retraite asseurée
hors de France, à cause des ennemis qu’il auoit faits pour
le seruice du Roy, a tout de nouueau irrité tous les Princes
& Republiques d’Italie par les pyrateries, ayant fait piller
sur tous nos alliez & voisins. Il a affecté plus particulierement
de fascher le Pape, violant le respect que la pieté de
nos Roys a tousiours rendu au saint Siege, ce qui est monstrueux
en vn Cardinal, qui a entrepris encore depuis peu
de se broüiller auec Rome, pour faire connoistre, qu’il ne
pouuoit estre en seureté dans le sejour ordinaire des personnes
de sa condition, non plus qu’à Venise ; ayant par
ses brigandages violé son serment de noble Venitien : ny
en Allemagne, où il est tenu pour vn infame affronteur, ny
en Piedmont, apres l’auoir abandonné aux Espagnols, où
ils ont pris Trin, & vont prendre Crescentin, qui bloquent
Cazal, & contraignent le Duc de Sauoye à s’accommoder
auec l’Espagne ; ainsi il conclud que nous deuons souffrir
les maux extrémes qu’il nous fait, parce qu’il en a fait de
moindres à nos voisins.

6. Pour faire voir que nous auons raison d’appeller nos
maux extremes, entrons dans le Royaume, pour ietter l’œil
sur cinq ou six Prouinces desolées, par le retour du Cardinal
Mazarin ; & ne faisons point de difficulté de dire, que
toute la France est menacée d’vn pareil traitement : à sçauoir
de la profanation des Temples, des Prestres meurtris
ou chassez, des Vierges dédiées à Dieu, des filles & femmes
violées, des bourgs & villages bruslez, des paysans
massacrez, & generalement de toute sorte de barbaries : la
discipline n’estant point obseruée dans les armées, ny la
police gardée à la suite de la Cour ; son passage estant marqué
par les incendies, par les ruines, par la famine, & par
les maladies contagieuses : l’abondance n’ayant paru que

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dans la maison du Cardinal Mazarin, auquel nous pouuons
demander ; qu’il nous monstre quelque aduantage
acquis au Roy par son retour, comme nous faisons voir vn
million de malheurs, & desordres qu’il nous a apportez, &
qui sont venus si auant, que si vne courageuse resolution ne
les arreste par vn puissant remede, les peuples desesperez seront
capables de toute sorte de pensées & d’efforts : on
sçait ce que la rage a fait dire à plusieurs, qui pourront venir
aux effets, si on ne les appaise, par l’eternel bannissement
de l’auteur de leurs calamitez.

 

7. La plus violente apprehension des sages, vient du peu
de soin que le Cardinal Mazarin prend de l’education du
Roy, & des auersions qu’il luy donne contre ses proches,
contre ses plus fideles seruiteurs, & contre la ville de Paris ;
à quoy nous adiousterons, qu’il tasche d’estouffer par tous
moyens dans le bon naturel de nostre jeune Prince, la compassion
des miseres de ses Subjets, ne luy parlant que de la
puissance absoluë & authorité Royale, sans jamais faire
mention, ny de la clemence, ny de la iustice. Ce qui nous
fait craindre que de ces premieres impressions, & maudites
instructions ne procede, non seulement nostre malheur,
mais celuy de nostre Roy, qui ne peut regner heureusement
s’il n’a l’empire sur nos cœurs, & si nous n’auons
l’honneur de sa bienueillance, ou s’il a plus d’inclination
pour la guerre que pour la paix, comme il arriuera, s’il
demeure plus long temps captif du Cardinal Mazarin.

8. Entre les iniustices & oppressions, que le Cardinal Mazarin
a faites en grand nombre depuis son retour, nous deuons
loger celle que souffre le Duc d’Angoulesme ; apres
auoir traité les Prouenceaux auec beaucoup de moderation
& sans interest, n’ayant iamais entrepris, que ce qui
luy a esté ordonné tres-expressement par la Reyne pour
lors Regente ; il se trouue exclus de son Gouuernement,
est prisonnier, & en grand danger de sa vie, qu’il auroit déja
perduë, s’il eût esté rencontré en campagne, ou s’il se
fust mis en deffence ; le commandement ayant esté fait à

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ceux qui l’ont arresté de faire mains basses, au cas qu’il eust
resisté. Toutes ces violences sont faites pour asseurer la
Prouence au Duc de Mercœur, qui a espousé la niepce du
Cardinal Mazarin, qui fait assieger les villes, & persecute
les caualiers qui ont obey aux ordres du Roy, ainsi qu’on
iustifiera par plusieurs lettres de sa Majesté, & mesmes
par celles du Cardinal Mazarin. Il veut faire perir vn Prince
vertueux, & grand seruite ur du Roy, pour s’establir
en Prouence ; ayant dessein au cas qu’il se voye contraint
d’abandonner le milieu du Royaume, de se cantonner
dans cette extremité, & d’y conduire le Roy, auec resolution
si on le presse de le transporter hors de la France, estant
capable de tout entreprendre, & la Reyne de tout souffrir.

 

9. Nous n’aurons point de peine de persuader à la Ville de
Paris ce qu’elle void & sent ; à sçauoir que la rage conceuë
par le Cardinal Mazarin contre le Parlement, qui l’a condamné,
contre les Compagnies Souueraines, & maison de
Ville, qui ont demandé son esloignement, contre les Bourgeois,
qui ont crié si souuent point de Mazarin, l’a porté à
faire approcher ses armées, qui ont rauagé tous les enuirons
de Paris : Il a premierement saccagé depuis Estampes
iusques à nos Faux bourgs ; il a fait passer ses armées en
Brie pour la desoler ; il les a logées dans la bonne France,
pour y faire la moisson deuant le temps ; il veut maintenant
s’establir en vn lieu d’où il puisse gaster nos vendanges, &
fermer les passages aux viures, ayant pris le dessus & les
dessous des riuieres qui nous nourrissent ; ainsi il ne nous
laisse plus que le desespoir pour conseiller.

10. N’oubliant rien de ce qui peut contanter l’esprit vindicatif
d’vn homme de sa nation ; il a voulu depuis peu de
iours faire dans Paris vn massacre plus cruel que celuy des
Vespres de Sicile d’où il est sorty. Il auoit projeté d’entrer
dãs Paris par trahison & par force pour nous piller, & se deffaire
des plus gens de bien, ayant desiré d’obliger à la retraite
Monseigneur le Duc d’Orleans, ou de l’enuelopper
dans le massacre, auquel il auoit destiné Monsieur le Prince,

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trois autres Princes, plusieurs Officiers des Compagnies
Souueraines, & quantité de bons Citoyens. Ayant
rencontré de la resistence, il se logea auec le Roy sur vne
eminence pour accoustumer au sang vn Prince de quatorze
ans, qui voyoit deuant soy comme dans vn Amphitheatre
ses vaillans Subjets immolez de part & d’autre à la fortune
du Cardinal Mazarin. Est il possible que cette Princesse
pour laquelle nous auons eu autrefois tant de compassion
n’en ayt point maintenant pour nous ? qu’elle porte
ce fils accordé aux larmes de nostre pieté, à tirer celles
de nostre misere ? & ne voye pas que si Paris qui est la teste
du Royaume est rudement frappé, tout le corps tombera
en conuulsion ? Faut-il que plusieurs millions de
François sentent ce syncope mortel, pour contenter la
furie d’vn estranger, qui a pour principal conseiller vn enragé
Zongo Vndedei banny de son pays, qui ne parle que
de fers, que de feux, & que de faim pour les Parisiens,
qui ont traitté auec tant de courtoisie le Maistre, & le
valet ?

 

11. Si le Cardinal Mazarin est si effronté de dire, que les
Princes sont les veritables causes de nos desordres, nous
alleguerons leurs protestations enregistrées dans les Greffes
des Compagnies Souueraines, & maison de Ville de
Paris ; & nous ne representerons que l’humanité & douleur
de Monseigneur le Duc d’Orleans, vray heritier des
vertus du Roy Henry le Grand son pere, nous sommes asseurez
qu’il posera les armes aussi tost que le Cardinal Mazarin
se sera retiré ; sa vie & celles des Princes du sang vnis
auec luy qui appartiennent au public, ne pouuant estre en
seureté sans cét esloignement.

12. Peut on dire que le Cardinal Mazarin soit bon pour
nous & sage pour soy, lors qu’il nous veut ruiner, & se perdre
luy mesme pour nous gouuerner en despit de nos Loix,
& de la raison qui les a faites, & les veut conseruer : Mais
peut-on dire que ceux qui le flattent ou qui le maintiennent
par corruption soient plus gens de bien que nous, qui

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rejettans ses presens empoisonnez, contentons nostre conscience
qui nous dicte ; qu’il ne faut point auoir de part au
pillage du public : Nous auons soin de la reputation, qui
nous deffend de prostituer l’honneur de nostre nation, & le
nostre particulier ; nous suiuons la Religion, qui ne permet
pas qu’on risque la bonne eternité, pour seruir au mauuais
temps : Nous exerçons la generosité, qui nous ordonne de
nous opposer à la ruyne de nostre pays : nous obeyssons aux
regles de la prudence, qui preuoit & predit, qu’en vain
on s’assemble, on delibere, on harangue, on discourt, on
arreste, on depute, on remonstre, on rapporte, on confere,
on negotie, on traicte, lors qu’il n’y a qu’à conclurre : que
si nous retenons en France le Cardinal Mazarin, nos ames
seront criminelles, nostre reputation demeurera flestrie,
nostre Roy sera mal esleué, son Royaume en guerre, les
Princes du sang en peril, les Parlemens odieux à la Cour, &
Paris en confusion ; Cela estant ainsi, il n’y a qu’vne resolution
à prendre, & vne execution à presser : Il faut que le Cradinal
Mazarin sorte, s’il estoit homme de bien & sage il s’en
iroit ; ne le voulant pas faire, c’est vn signe éuident qu’il est
meschant & insensé ; donc il s’en faut deffaire : Toutes les
voyes que nous prendrons pour cela seront tenuës pour
honnestes par toute la terre, & ne seront pas desagreables
au Ciel.

 

Omnis honesta ratio expedienda salutis, præsertim publicæ.

FIN.

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DE PAR SON ALTESSE
Royalle.

AVIOVRD’HVY deuxiéme du mois de Decembre
1651. Monseigneur Fils de France, Oncle du
Roy, Duc d’Orleans, estant à Paris, voulant fauorablement
traiter la Vefue I. GVILLEMOT ; apres auoir
esté particulierement informé de sa capacité, & des
soins qu’elle prend de faire fidellement & correctement
imprimer les Pieces, Ouurages & Relations qui luy
sont enuoyées pour son seruice. Son Altesse Royalle
luy a permis de porter la qualité de son Imprimeuse ordinaire.
Veut & ordonne qu’elle soit employée dans les
Estats des Officiers de sa Maison, & qu’elle joüisse des
Honneurs, Priuileges, Franchises, Libertez & Droits
que ses autres Domestiques. Faisant Son Altesse Royalle
defenses à tous Imprimeurs & autres, d’imprimer ou
contrefaire, & mettre au jour sous quelque pretexte que
ce puisse estre, les Relations, Pieces & autres Ouurages
d’Imprimerie, qu’elle fait ou pourra faire à l’aduenir
pour le seruice & par l’ordre de Son Altesse Royalle,
qui a pour témoignage de cette sienne volonté signé
le present Breuet, & commandé estre contresigné par
moy son Conseiller & Secretaire de ses Commandemens,
Maison & Finances.

Signé, GASTON.

Et plus bas,
DE FROMONT,

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Anonyme [1652], CONDVITE DV CARDINAL MAZARIN, depuis son retour en France, ADRESSEE AVX COMPAGNIES Souueraines, Maison de Ville, & bons Bourgeois de Paris. , françaisRéférence RIM : M0_734. Cote locale : B_11_33.