Favre (R. P.) [1649], HARANGVE FVNEBRE, PRONONCEE AVX OBSEQVES DE MONSIEVR LE DVC DE COLIGNY, FAITES A ST DENYS LE SAMEDY XX. FEVRIER M. DC. XLIX. en presence de Monseigneur LE PRINCE. Par le R. P. FAVRE Cordelier, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, & Predicateur de la Reyne Regente. , françaisRéférence RIM : M0_1606. Cote locale : C_5_44.
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HARANGVE FVNEBRE
PRONONCEE AVX OBSEQVES
DE MONSIEVR
LE DVC DE COLIGNY,
FAITES A SAINT DENYS, EN
PRESENCE DE MONSEIGNEVR
LE PRINCE.

Consummatus in breui expleuit tempora multa.

Il a vescu long-temps, quoy qu’il ait bien tost finy
sa course. C’est ce que Salomon dit du Iuste au liure de
la Sagesse.

MONSEIGNEVR,

La coustume de mesler les Harangues
Funebres, dans la Pompe des
funerailles, n’est introduite dans l’Eglise,
que pour soulager les morts,
ou bien pour consoler les viuans. C’est pourquoy,
MONSEIGNEVR, si pour vostre consolation vous
attendez que j’employe dans celle-cy, les loüanges du

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DVC LE COLIGNY ; agréez que pour le soulagement
de son ame, ie vous demande des larmes & des prieres.
En cela ie ne vous demande rien que l’Escriture ne
vous conseille. In mortuum produc lachrymas, & vous n’exige
rien de moy que la mesme Escriture ne me commande,
lauda post mortem.

 

Quand ie considere le DVC DE COLIGNY par les
illustres conditions de sa Race, par les rares vertus de sa
glorieuse vie, & par les circonstances de sa mort veritablement
Chrestienne ; ie ne doute point que ses merites
singuliers n’exigent des loüanges extraordinaires ;
Ie crains mesme que la foiblesse de mon art, desnué du
fonds de l’esprit & du temps, necessaire pour trauailler
à cet ouurage ne luy face tort, & ie me fusse sans doute
dispensé de l’entreprendre, si ie n’auois pensé, qu’où
la desobeïssance seroit vn crime, la temerité peut passer
pour vne espece de vertu. Mais quand ie le regarde par
les miserables conditions de l’infirmité humaine, quand
ie le considere comme vn pecheur obligé de rendre
conte de toute sa vie, deuant la face de ce redoutable
Iuge, des viuans & des morts ; que ie me souuiens que
sa mort precipitée ne luy a pas donné tout le temps,
qu’il eut bien desiré pour faire penitence ; Et que ie sçay
par vn Oracle qui ne peut mentir, qu’il faut expier ses
crimes dans cette vie ou dans l’autre, le desir passionné
de le soulager m’oblige de vous demander des larmes ;
mais des larmes proportionnées à ses merites, & à l’affection
que vous luy portiez. Pleurez donc, Chrestiens,
& ie parleray ; ainsi nous rendrons vous & moy ce que
nous deuons à la memoire du Duc de Coligny.

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Quand les hommes seroient les artisans de leur propre
felicité, & qu’ils disposeroient souuerainement de
leur fortune ; Ie ne croy pas qu’ils puissent raisonnablement
desirer quelque chose au delà d’vne Illustre
naissance, d’vne vie glorieuse, & d’vne mort veritablement
Chrestienne ; car la Naissance illustre, apporte
à l’homme tous les auantages du sang ; la vie glorieuse
luy acquiert le fruit de toutes les vertus, & la
mort Chrestienne le met en possession d’vne eternelle
felicité ; Ainsi dans le cours de peu d’années, il possede
la fleur de la Noblesse, le prix du merite, & tous les
priuileges de la grace : & passe dans vne carriere, dont
les principes sont glorieux, le progrez admirable, &
la consommation bien-heureuse. Et cela s’appelle selon
Dieu & selon le monde, naistre, viure, & mourir
heureux, Iste moritur fœlix. GASPAR DVC DE COLIGNY
& Seigneur de Chastillon, est nay, a vescu, & est
mort de la sorte : Il est nay dans vne des plus nobles &
des plus anciennes Maisons de France, il a vescu de la
plus glorieuse memoire, & il est mort tres-Chrestiennement ;
Iugés apres cela, si vous luy deuez des larmes,
& si ie luy puis donner de legitimes loüanges : Commençons
par son illustre Naissance.

Il n’y a rien dans la nature de si caché que l’origine
des fontaines, ny rien de si obscur dans l’Histoire que
la tyge & la souche des anciennes familles ; toutesfois
comme l’on juge de la beauté de ces viues sources par
le premier bassin qu’elles se forment en sortant des entrailles
de la terre, bien que l’on sçache que les veines
en sont plus esloignées, aussi reconnoist-on la Noblesse

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des anciennes Maisons par la premiere marque de
grãdeur qui les fait esclater dans l’Histoire, quoy que
l’on n’ignore pas qu’elles y sont venuës par degrés ;
mais comme les sources qui naissent sur le haut des
montagnes sont communément les plus pures, les
plus belles, & les plus merueilleuses ; les familles qui
prennent leur origine sur le Throsne, sont sans contredit
estimées les plus nobles & les plus illustres.
C’est sur le Thrône des Ducs & des Comtes de Bourgogne,
qu’en montant dans les siecles passés à la faueur
de l’Histoire, nous descouurons la premiere
Tyge de l’ancienne Maison DE COLIGNY.

 

MANASSES premier du nom, qualifié Duc &
Comte de Bourgogne, de Chalon & d’Autun, & qui
viuoit il y a plus de neuf cens ans ; laissa deux de ses
fils, GILBERT ET MANASSES, possesseurs de ces deux
grandes Prouinces ; Gilbert espousa la sœur de Raoul
Roy de France, de laquelle il n’eust qu’vne fille, qui apporta
en mariage le Duché à Othon, frere du Roy
Hugues Capet ; Le cadet appellé MANASSES second,
laissa le Comté à HVGVES son fils aisné, qui n’eût
qu’vne seule fille mariée à ADELBERT second Duc
de Lombardie, & Marquis d’Yurée Roy d’Italie, fils
de Beranger second Empereur & Roy d’Italie ; par là,
le Duché & le Comté de Bourgogne, furent partagés
entre la France & les Roys d’Italie par le moyen
des filles.

MANASSES troisiéme, puisné de Hugues & fils de
Manasses second, demeura Comte de Coligny & du
païs de Reuermõt ; Et c’est par luy que cét illustre Sang

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a passé de pere en fils en droite ligne, iusques à Gaspar
Duc de Coligny, & au Marquis de Saligny son Cousin,
mort auec luy à l’attaque de Charenton. Mais cette
noble source feconde en vertus & en merites, qui de
temps en temps a donné des Princes à l’Eglise, des Generaux
aux Armées, des Gouuerneurs au Prouinces,
& des Officiers à la Couronne, s’est meslée auec toutes
les plus nobles Familles ; tantost en les retenant en son
sein, tantost en s’y communiquant par les mariages, &
par ce flux & reflux d’alliances, a receu & donné de l’éclat,
à tout ce qu’il y a de plus grand & de plus esclatant
dans l’Europe. Il m’eust fallu plus d’industrie que
ie n’en ay reçeu de la nature, & plus de temps qu’on ne
m’en a donné, pour rechercher & recueillir toutes les
marques singulieres de grandeur, de cette ancienne
Maison ; & il me faudroit plus de loisir que ie n’en ay
pour les descrire, quand ie les aurois trouuez. C’est
pourquoy ie suis contraint de me seruir de l’inuention
des Geographes, qui pour representer le monde en
racourcy, marquent vne Ville par vn poinct, les plus
grands fleuues par vne ligne, & les Prouinces & les
Royaumes par la diuersité des couleurs : Et de vous dire
en abregé que la Maison DE COLIGNY est vne des
plus grandes, & des plus anciennes du Royaume,
qu’elle a cét auantage sur beaucoup d’autres de s’estre
alliée dans la Maison Royale il y a plus de six cens ans,
& depuis dans celles des Roys d’Italie, des Comtes de
Sauoye, de Mascon, de Geneue & de Champagne, des
Dauphins de Viennois, de Forcalquier, de Montagu,
puisnés des anciens Ducs de Bourgogne, Prince du

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Sang de France ; dans les Maisons de Villars, de Vergy,
de Saligny Princes de Tarente, de Montmorency, de
Laual, d’Entremont, de Ryeux, de Salmes, de Nassaw,
de Polignac, d’Amilton, de Vvitemberg, & de plusieurs
autres tres-remarquables. Comme les fleuues
qui coulent dans nos campagnes, en portant la beauté
& l’abondance par tout, en reçoiuent aussi le tribut
de tous les ruisseaux, & se grossissent à mesure qu’ils
s’aprochent de leur centre ; Vous diriez que le sang de
Coligny, ne s’est respandu dans toutes les Familles de
France, que pour joindre leur gloire à la sienne, & que
toutes ses vertus esparses s’estoient ramassées dans le
deffunt Mareschal de Chastillon, pour donner naissance
à GAPSAR DVC DE COLIGNY, qui deuoit apporter
vn nouueau lustre à toute sa race.

 

Ie sçay bien, Messieurs, que les auantages que les
hommes reçoiuent de leur naissance, ne produisent
qu’vne gloire imparfaite, & ne meritent qu’vne foible
recommandation parmy les honestes gens : Ie
confesse qu’il y a bien plus de plaisir, de chercher
dans les propres actions d’vn homme, les preuues
de sa noblesse, que d’esuenter pour cela la poussiere des
sepulchres & contreroller toutes les Chartes d’vne
Prouince ; car la noblesse qui tire son origine de la vertu,
ne peut se conseruer que parla vertu ; ce qu’ont fait
nos ayeuls ne nous touche guiere plus, que ce que
feront nos descendans, apres la reuolution de quelques
siecles, & si nous sommes descheus de leur merite,
que nous sert l’esclat de leurs vertus, que pour
faire dauantage remarquer nos imperfections ? Et

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pour le dire en vn mot, c’est produire de mauuais titres
de noblesse, que de n’alleguer que des papiers, que
des peintures & des Armoiries ; Et peut-estre trouuerez-vous
estrange, que demeurant d’accord de ces veritez,
ie tire la loüange du DVC DE COLIGNY, d’vne
source estrangere, en ayant vne preuue continuelle
dans le cours de sa vie, & que le pouuant enrichir du
trauail de ses propres mains iusques dans les portes de
son tombeau, ie le pare d’abord des liurées de ses ayeuls.
Mais, Messieurs, auant que de condamner mon procedé,
ie vous prie de considerer, que si ie ne deffere pas
tout à la Noblesse, au moins ne suis-je pas de l’aduis de
ceux qui font gloire de la mespriser, comme si elle estoit
peu considerable deuant la Diuinité & deuant les hommes ;
Il me semble que ce n’est pas vn des moindres
presents que les hommes reçoiuent de la liberalité de
Dieu, & puis que l’experience nous apprend, qu’vne illustre
Naissance donne presque en vn moment, autant
d’auantages qu’vne vertu laborieuse en peur acquerir
en plusieurs années ; Ie ne serois pas d’auis, qu’on la mist
au nombre des choses indifferentes. En effet qu’est-ce
que peut produire la vertu mesme consommée, au
jugement des plus sages, que le repos, & la tranquillité
d’esprit au dedans ; les richesses, les emplois, & les dignitez,
au dehors ; que peut-elle faire de plus grand
que de vous esleuer & de vous faire connoistre ; que de
vous mettre en estat de faire de grandes & de belles
actions, & d’acquerir de la gloire ; Et ne sont-ce pas
les auantages que vous apporte tout d’vn coup la grande
naissance ; comme le sang en est plus espuré, les inclinations

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d’ordinaire en sont meilleures, l’esprit en est
plus delié, l’ame plus forte, & la nature en se joüant, luy
donne vne tranquillité & vne esleuation, où la vertu ne
peut atteindre auec tous ses aduantages, ny auec le secours
de la Philosophie. La Naissance illustre & releuée
porte auec soy les grandes richesses, qui sont les
addoucissements des chagrins de la vie ; les grandes
dignitez & les grands emplois, qui sont les aiguillons
de la vertu ; Enfin la naissance fait le portrait d’vn
homme tout d’vn coup, & comme vne planche sur laquelle
sont grauées toutes les belles actions d’vne infinité
de grands hommes ; elle imprime dans le sang &
sur le front des Nobles, des characteres d’authorité,
qui attirent le respect, l’amour, la soûmission, & l’estime
de tout le monde, au lieu que la vertu ne forme son
portraict que peu à peu, & à diuers coups de pinceau,
encore n’est-ce qu’auec des sueurs estranges, & des peines
incroyables, encore faut-il perdre beaucoup de forces,
& beaucoup d’années, pour atteindre à ses nobles
productions, qui se ressentent tousiours de l’âge qui les
produit, qui sont chagrines, inquietes, & melancoliques,
& qui ne portent leur fruit, que quand on n’est
plus en estat de les gouster ; Ne soyons donc pas si iniustes
de mespriser la naissance, puis qu’elle donne de si
grands auantages ; reconnoissons plustost que c’est vn
effet de la bonté de Dieu, qui disposant de ses creatures
comme bon luy semble, fait naistre les vns sur le
Thrône, & les autres dãs la poussiere ; & dans l’ordre de
la Politique cõme dans l’œconomie du Ciel. Auoüons
qu’il y a des Astres qui ne sont plus esclatans que les autres,

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que parce qu’il a pleu à la Sagesse du Seigneur de
les faire de la sorte : Mais confessons que ce qu’il y a de
plus considerable dans vne grande naissance, c’est
qu’elle jette vne certaine impression dans l’ame, & luy
impose vne bien-heureuse necessité de ne pas degenerer
de la vertu de ses ayeuls ; C’est que le Noble void
dans sa famille des lumieres perpetuelles qui ne s’esloignent
iamais ; trouue des Maistres & des precepteurs
domestiques qui le sollicitent perpetuellement à faire
des actions, dignes du rang que luy donne sa naissance.

 

Ce sont Messieurs, les illustres auantages que le DVC
DE COLIGNY rencontre dans sa Famille, le sang d’vn
grand nombre de braues Heros, s’estoit ramassé dans
sa personne, & couloit dans ses veines ; il auoit quitté
tout le marc & toute la lie de l’imperfection pour ne
produire que des chef d’œuures. De quelque costé
qu’il jettast les yeux, il voyoit des exemples d’vne vertu
consommée ; il voyoit vn HVMBERT I. du nom Sire
de Coligny & du Païs de Reuermont, suiure l’Empereur
Conrad III. auec trois de ses enfans dans la Terresainte,
en l’an 1146. exposer sa vie & sa famille, pour
conseruer à l’Eglise le Patrimoine de IESVS-CHRIST
dissipé par l’inondation des Barbares. En l’an 1202. il
voyoit HVGVES DE COLIGNY employé à la conqueste
de Constantinople, choisy par tous les Princes
Chrestiens pour défendre la ville de Serres contre Ianiza
Roy de Bulgarie, & sceller par sa mort les preuues
immortelles de sa fidelité, de son courage & de son
zele. Il voyoit IEANDE COLIGNY viure, mourir &
triompher à la bataille de Nicopolis contre Baiazet ;

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IACQVES Comte de Coligny mourant victorieux à la
bataille de Rauenne ; & GASPAR son frere Mareschal
de France à Acqs, conduisant l’armée de François I.
en Guienne ; apres auoir porté la terreur & l’effroy dãs
l’Italie, aux guerres de Charles VIII. & de Loüys XII.
& dans la Grece au siege de Metelin, contre le Turc,
& remply toute la terre de leur renommée ; Il voyoit
GASPAR II. du nom Comte de Coligny victorieux à
la bataille de Cerizoles, conquerant dans le Boulonnois,
& reuestu des charges de Colonel de l’Infanterie
Françoise & de grand Admiral de France ; FRANÇOIS
Comte de Coligny son Ayeul, Lieutenant General
des armées du Roy Henry IV. à dix-neuf ans,
cõtraindre le Mareschal de Danuille son Cousin auec
des forces inesgales, de leuer le siege de Montpelier ;
triompher de la deffaite de cinq cens Gentilshommes
commandez par Saueuse, en suite des Barricades de
Tours, où il se signala pour la deffence du Roy Henry
III. comme aussi au combat d’Arques & au siege de
Chartres. Il regardoit son Pere couuert des lauriers
qu’il auoit cueillis, en gagnant la fameuse Bataille d’Auain,
& conquerant plusieurs places considerables sur
les ennemis, en conduisant tant au dehors qu’au dedans
du Royaume, onze armées Royales ; & vne infinité
d’autres grandes & belles actions, qui ont consacré
son nom, & l’ont rendu immortel à la posterité : Et
au dessus de tout cela, MONSEIGNEVR, il auoit l’idée
du parfait Heros, dans la personne de vostre Altesse,
à qui Dieu sans doute a donné le veritable Genie de
la guerre ; l’Histoire ne luy pouuoit fournir que des

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essais de courage, mais il en voyoit tous les iours des
chef-d’œuures dans vos actions.

 

Que pensez-vous Messieurs, que deût faire le
Duc de Coligny, apres de si grands & de si beaux
exemples ? pensez-vous qu’il peût contempler les
faits heroïques de ses ayeuls, sans estre touché d’vn
aiguillon de gloire ? sans estre pique du desir de les
imiter pour se rendre digne de leur rang ; & pour
grossir à ses descendants le nombre des exemples de
vertu, qu’il auoit trouuez dans sa Famille ? S’il consultoit
les mouuements de son cœur, il sentoit boüillir
dans ses veines, le sang des victorieux ; s’il regardoit
leurs images, il y voyoit l’idée de la parfaite
vertu ; ses Peres en luy donnant la vie, luy auoient
donné leurs inclinations, & le faisant heritier de leurs
biens, l’ont laissé possesseur de leur nom, de leurs vertus,
& de leurs exemples. Si la statuë de Cesar inspiroit
la vertu, si son image en frappant les yeux renouuelloit
la memoire de ses belles actions, & faisoit
naistre dans les cœurs genereux les desirs d’aller à la
gloire, par les chemins qu’il auoit tenus, comme dit
Seneque ; Si ses statuës de pierre & de bronze eschauffoient
l’ame de ceux mesme, qui n’auoient aucune
attache à Cesar, ny par les liens du sang, ny par
les maximes d’vne mesme Religion, ny par les loix
d’vn mesme païs ; quelle impression pensez-vous
que fissent dans le cœur du Duc de Coligny, ces
exemples domestiques & paternels ? croyez-vous
que l’art du Sculpteur & du Peintre, soit plus puissant
que la nature ? que Cesar trouue des imitateurs

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chez les Estrangers ; & que les COLIGNYS n’en trouuent
point dans leur race ; Et si l’image de Cesar a fait
tant de grands Capitaines, ne doutez point que le
sang, la vie, l’image & les exemples de tant de Cesars,
ne puissent former vn Heros de leur sang & de
leur Famille ?

 

Non Messieurs, vous n’en pouuez douter, puis
que vous auez esté tesmoins de ses actions, & vous
en serez conuaincus si vous prenez la peine d’entendre,
qu’il a donné à son illustre naissance, vn esclat
tout nouueau, par vne vie toute glorieuse.

LA Vie de la gloire, c’est proprement la vie de la
vertu, qui ne se trouue que dans les ames heroïques ;
comme il y a differents degrez de vie entre les
plantes & les animaux ; ou pour parler plus nettement,
comme il y a des plantes, où la vie vegetante
paroist mieux, que dans les autres, & des animaux,
où la vie sensitiue se monstre plus esclatante ; aussi y
a-t’il des hommes dans lesquels la vie raisonnable se
fait voir auec plus d’auantage, il y en a de si terrestres
& de si brutaux, qu’on a peine d’y reconnoistre la
moindre estincelle de raison ; Mais il y en a de si bien
nais, que vous diriez à voir leur conduite, qu’ils n’ont
le corps, que par bien-seance, & dans lequel l’ame
fait toutes ses fonctions, comme si elle auoit quitté
le marc & la lie de la corruption, & qu’elle fust independante
de la matiere : ceux là parmy les spirituels
s’appellent les vrays Chrestiens, qui adorent Dieu en
esprit & en verité ; qui viuent de la Vie de IESVS-CHRIST,

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comme s’il estoit à leur ame, ce que leur
ame est à leur corps : & entre les Politiques & les mondains,
ce sont ceux que l’on appelle les honnestes
gens, qui en toutes leurs actions ne regardent que la
gloire ; & qui ne se remuënt que par deux ressorts,
par l’honneur, & par la probité. C’est Messieurs, ce
que vous me permetrez auiourd’huy d’appeller la vie
de gloire.

 

La nature & la grace en auoient jetté les fondements
dans le DVC DE COLIGNY, il les a cultiuez
auec tout le soing possible, & mesnagez auec vne
prudence incroyable. La gloire de la vie despend de
trois choses principalement, des attaches de la vie,
comme des alliances & des amis ; des conditions de la
vie, comme des employs, des charges & des dignités :
Et des actions de la vie, parce que la reputation
& le repos de la conscience, y sont necessairement
attachez. C’est en quoy le DVC DE COLIGNY
auoit esté parfaitement heureux, il n’auoit fait que
de nobles alliances & de solides amitiez ; il n’auoit
eu que de beaux employs, il n’a fait que de belles
actions.

Puis que l’homme est nay pour la societé, & que
cette societé s’entretient, ou par l’alliance du sang
ou par le commerce des amitiez ; ie ne m’estonne
point si les sages de tout temps ont esté tres-delicats
au choix des alliances & des amis ; & s’ils ont creu,
que le meslange du sang par le mariage ne lioit pas
seulement les interests ; mais qu’il confondoit les
inclinations ; & que le commerce de la conuersation

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des amis, faisoit entr’eux comme vne transfusion d’espris
& de mœurs, & que dans l’vn & dans l’autre, la gloire
des hommes y est attachée ; dis-moy quels sont tes
amis, & ie te diray qui tu es, disoit vn Philosophe ; la
femme est la gloire du mary, disoit saint Paul, vxor gloria
viri est.

 

Le DVC DE COLIGNY, n’eust pas plustost formé
le dessein de penser au mariage, qu’il fit vn choix
digne de son sang, de son esprit, & de son courage ;
& quoy que par les reigles du bien, du merite, & de
la condition, il peut traitter cette alliance en la maniere
accoustumée ; il prit des routes toutes extraordinaires ;
soit que par la destinée des grandes ames,
qui ne se plaisent qu’aux choses difficiles, il ne peut
s’assujettir aux loix receuës ; soit que son affection
qui n’estoit pas commune ne se peut tenir à des conditions
vulgaires ; soit enfin que le merite de la personne
qu’il auoit choisie estant tres-rare ; il n’en
creut deuoir acquerir la possession qu’au prix de son
amour & de son industrie, & qu’il voulut à l’imitation
d’Alexandre, mesler quelque image des fatigues
de la guerre aux douceurs de son mariage : tant y a
qu’il fit vne alliance qui portant l’honneur & la vertu
dans sa Famille, la remplit de toute sorte de benedictions.

Dittes-moy Messieurs, s’il vous plaist, s’il estoit
iudicieux dans le choix de ses amis ; ou s’il estoit heureux
à les rencontrer ; ie n’en sçaurois prendre de
plus sinceres, ny de plus fidelles tesmoins que vous-mesme.
Ce torrent de larmes qu’il a tiré de vos yeux ;

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ce fleuue de loüanges, qui a coulé de vos bouches apres
sa mort, sont des marques asseurées qu’il auoit des
amis ; Les Iuifs iugerent sainement que IESVS-CHRIST
aymoit le Lazare, parce qu’ils le veirent
pleurer sur son Tombeau, Dixerunt Iudœi ecce quomodo
amabat eum. Et cette approbation vniuerselle qu’on
luy a donnée dans tous les païs où il s’est monstré, &
qu’il a arraché mesme de la bouche de ses propres ennemis,
est vne preuue conuicante qu’il estoit veritablement
aymable.

 

Il l’estoit sans doute, Monseigneur, puis que vous
l’auez iugé digne de vostre amitié : Si-tost que les merites
eurent gagné vostre estime, vous l’honnorastes
de vostre affection : le sang de Coligny, si souuent
meslé auec le sang de France, & de Montmorency,
fit naistre cette inclination, que la douceur de ses
mœurs, la beauté de son esprit, & la fidelité de ses
seruices, auoient tousiours entretenuë ; vous l’estimastes
digne de tous les plus grands employs, parce
que vous l’auiez trouué digne, d’auoir part en vostre
cœur, qui ne sçauroit s’appliquer qu’à de grands sujets :
Vostre amitié, Monseigneur, luy fut pendant sa
vie, vtile, agreable & glorieuse, & pour luy en donner
des preuues dignes de vostre inuincible courage,
vous le mistes en estat de vaincre auec vous, & voulustes
luy faire part de la gloire, que vous auiez esté
cueillir à la teste de tous nos Bataillons & de tous nos
Escadrons, dans la fameuse bataille de Lens. En cela
Monseigneur, les sentimens de l’amitié furent plus
forts, que la passion de la gloire, & j’oze dire que c’est

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en quoy vous n’auez pas seulement surpassé tous les
Conquerants de l’antiquité ; mais que vous vous
estes surmonté vous-mesme ; ces grands Heros partageoient
les despoüilles de l’Ennemy entre les soldats ;
mais ils se reseruoient toute la gloire des bons
succez, comme vn bien qui leur appartenoit legitimement ;
Vostre Altesse laissant toutes les despoüilles
de l’Ennemy à la discretion du soldat, voulut faire part
de la gloire aux Chefs, & la distribuer magnifiquement
apres l’auoir iustement gagnée : Et parce que le DVC DE
COLIGNY l’auoit portée iusques à vous ; dans le fort
de la meslée, vous luy voulustes rendre prodigalement
apres le combat ; & l’enrichir d’vn bien qui vous appartenoit,
parce seulement qu’il vous auoit aydé à l’acquerir :
vous dites hautement, & vous l’auez souuent
reïteré, qu’il n’y auoit rien dans le Royaume au dessus
des merites du Duc de Coligny ; que vous auez voulu
Couronner de gloire par vostre approbation, quand
vostre puissance a esté empeschée par sa mort precipitée
de le faire combler de bien-faits, & de luy faire
posseder les honneurs qui luy estoient si ligitimement
deus.

 

Mais reuenons à ses emplois & à ses charges, qui
sont les characteres de l’authorité du Prince, & des occasions
de gloire pour les sujets. Ce n’est pas pour estre
chargez de titres, de dignitez & d’emplois, que les hõmes
doiuent estre plus estimez des sages, bien que se
soit des Throsnes de gloire pour les belles ames, se sont
pour les effeminez des theatres d’infamie & de deshonneur ;
la veritable gloire ne consiste donc pas à les receuoir ;

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car les plus imbecilles en sont capables : Mais elle
consiste à les bien faire valoir, à ne se point laisser accabler
sous le poids de la charge ; & sous le faix de la dignité ;
à sçauoir mesnager & remuer adroitement la
puissance qu’on a receuë. Il ne faut pas que la charge
donne tout le lustre & tout l’esclat à celuy qui la possede,
il faut que l’homme anime sa charge, & se rende
recommandable par sa propre vertu.

 

Le DVC DE COLIGNY est entré dans toutes les
Charges par la porte de la Victoire, & a contraint la
Fortune de les luy donner, deuant le temps. Dans la Hollande,
où il commença de faire la guerre, il fut Mestre
de Camp d’vn Regiment d’Infanterie, Capitaine d’vne
Compagnie de Caualerie, & puis enfin General des
troupes Françoises. En France il eut la conduite du Regiment
de Piedmont, apres la bataille de Sedan. Au
siege de Thionville on le fit Mareschal de Camp, bien
qu’il n’eust alors que vingt & deux ans ; mais sa vertu &
son experience auoient surpassé la force de son aage.
En Catalogne il commanda la Caualerie-legere, &
fut Lieutenant General des armées du Roy dans la Flandre
à la derniere Campagne ; tellement que l’on peut
dire auec le Sage, consummatus in breui, expleuit tempora
multa, qu’en peu de iours, il a remply plusieurs années ;
que comme si son courage n’auoit peu estre arresté,
par tous les obstacles qui se rencontrent, dans le chemin
de la gloire, il estoit paruenu presque en vn instant
aux plus grandes charges de l’armée, quoy qu’il n’y fust
pas esleué, par le coup de quelque aueugle fortune,
mais qu’il y fust monté par les degrez du merite. Ce

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n’est pas pourtant ce que ie trouue de plus glorieux
dans sa vie ; ie vous ay desia dit que les charges, peuuent
estre le partage des lasches, aussi-bien que des
courageux, & que souuent la fortune prostituë les graces
aux indignes. Mais sçauez-vous ce que i’estime le
plus dans le DVC DE COLIGNY, & ce que i’y trouue
de plus remarquable ; C’est qu’il sçauoit honorer tous
ses employs, & animer toutes ses charges, c’est qu’il
sçauoit mesnager vtilement ce rayon de puissance Souueraine.
Et si vous voulez sçauoir, comme il les a dignement
possedées, escoutez ce qu’il a fait ? aussi-bien
ne connoist-on l’arbre que par les fruicts, dit l’Euangile,
ny l’homme que par les œuures.

 

Mais Messieurs, que vay-je faire ? qu’attendez-vous
de moy ? croyez-vous que j’entreprenne de conter
toutes ses belles actions ; il faudroit que ie sceusse le
nombre des heures, qu’il s’est trouué aux occasions de
la guerre. Pensez-vous que ie veüille mesme, vous representer
celles qui ont le plus esclatté dans le cours de
sa vie ? Et que le prenant au siege de Reinberg, qui fut
son coup d’essay, sous le feu Prince d’Orange son Cousin ;
ie le conduise par les sieges, d’Iury, de Damuilliers,
de Sainct-Omer, de Ranthy, du Castelet & d’Arras,
(où il gagna le fort de Rantzau que les ennemis auoient
emporté de force, & receut ses premieres blessures)
iusques à la bataille de Sedan, où par vn effort de sa
prudente conduite & de son inuincible courage, il desgagea
le Mareschal de Chastillon son Pere qui commandoit
l’Armée, d’entre les mains de l’ennemy, sauuant
ainsi heureusement la liberté à celuy qui luy auoit

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donné la vie ; Et prenant de sa main la clef de la victoire,
hereditaire à la Maison DE COLIGNY, pour la
porter dans toutes les occasions de la guerre, où il se
trouueroit à l’auenir ? comment voudriez-vous que ie
le suiuisse aux sieges de Thionville, de Lannoy, de
Courtray, de MardiK, de DunKerque, d’Ypre, & à la
bataille de Lens, iusques à l’attaque de Charenton, où
il receut le coup de la mort, apres auoir frappé à la teste
de nos troupes le coup de la victoire ? Non Messieurs,
ie n’entreprend pas de les exprimer, ie les marque seulement
pour en réueiller la memoire ; vous en auez esté
la plus part les spectateurs, & ie courrois fortune de ne
vous faire que de mauuais pourtraits de ses excellents
originaux, qui ne doiuent paroistre que comme sortis
de la main du Maistre ; car le discours n’est pas comme
la peinture, qui fait voir en vn instant ce qui s’est fait
en plusieurs siecles, & en differents endroits ; il ne monstre
les choses que piece à piece, par lambeaux, & à diuerses
reprises. Tout ce que ie puis faire, Messieurs, c’est
d’en rechercher la source, & de voir par quels ressorts,
cette ame si tranquille dans le commerce de la vie Ciuile,
estoit si forte & si vigoureuse dans les occasions de
la guerre.

 

Certes, Messieurs, il faut auoüer que les grandes
ames, ne sçauroient jamais rien faire paroistre de mediocre ;
de quelque sorte qu’elles s’expliquent, soit par
les actions, soit par les paroles, il faut tousiours qu’elles
y jettent vne impression remarquable de grandeur qui
les fait admirer de tout le monde ; cette grandeur d’ame
paroist mesme dans les plus petites actions, aussi-bien

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que dans les plus grandes, dans les plus sombres aussi-bien
que dans les plus esclatantes, parce que les moindres
actions sont tousiours assorties à la iuste proportion
que la prudence requiert ; ie croy mesme que l’on
reconnoist mieux la portée de l’Ame dans les actions
communes que dans les plus extraordinaires, parce
qu’en celles-là, l’ame se desploye sans art & sans preparatifs ;
elle paroist dans sa naïue simplicité ; au lieu que
dans celles-cy elle s’estudie & se pare, elle se farde & se
desguise, pour faire vn grand effort, apres lequel elle se
repose. Et c’est ce qui faisoit dire à vn ancien Orateur
parlant à Trajan, qu’il le trouuoit aussi grand, quand
il estoit descendu de son throsne pour se communiquer
à son peuple, que lors qu’il y estoit esleué pour prononcer
des Edits, & faire des Ordonnances.

 

L’on ma dit vne chose toute pareille du DVC DE
COLIGNY, la vertu qui s’estoit renduë maistresse de
son cœur & de son esprit, l’auoit tellement preparé à
toutes les fonctions de la vie humaine, qu’on eust dit
qu’il estoit nay pour toutes les choses qu’il entreprenoit ;
en cela il imitoit le procedé de nostre Dieu, quand il
fait Iustice, vous diriez qu’il a banny toutes les autres
vertus, bien qu’elles ne le quittent jamais. Et quand il fait
misericorde, l’on diroit qu’il a oublié les reigles de la
Iustice. Ainsi quand le DVC DE COLIGNY estoit à la
guerre, vous eussiez dit qu’il ne respiroit que le sang &
le carnage ; & lors qu’il estoit sorty du combat, il estoit
doux, paisible, & complaisant à tout le monde ; ou
bien plustost disons qu’ayant receu de Dieu la semence
de toutes les vertus, il les auoit toutes cultiuées ; il les

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auoir enchaisnées de telle sorte, qu’il les faisoit agir
selon les mouuements de son esprit : on n’eût sçeu dire
dans le progrez de sa vie, voila vne action de prudence,
en voila vne de justice ; Celle-là de vaillance ;
celle-là d’humanité ; celle-là de douceur ; celle-là de
magnificence, mais tout ce qu’il faisoit sembloit estre
meslé & composé de toutes les vertus ensemble, decerpebat
summitates ex singulis virtutibus ; Et comme le Sage
des Stoïques, il n’agissoit iamais qu’il ne les fist agir
toutes ensemble ; pour former le tableau de sa vie, il
en sçauoit mesler industrieusement toutes les couleurs,
il les faisoit regner alternatiuement.

 

Messieurs, ne vous y trompez pas, il n’y a que la
seule vertu, qui puisse faire les grands Heros, quelque
authorité, quelque puissance qu’vn homme possede,
il est petit, s’il est vitieux, ostez-luy la vertu
vous le trouuerez petit en toutes choses. Il est petit
en ses dons, car il est auare, il est petit en ses trauaux,
parce qu’il est delicat ; il est petit en sa Religion enuers
Dieu, parce qu’il est superstitieux ; il est petit enuers
les bons, parce qu’il est enuieux ; il est petit entre
les hommes, car il est lasche ; il est petit entre les femmes,
à cause qu’il est vitieux ; Et si la fortune l’esleue
à quelque eminente dignité, ce n’est que pour le faire
paroistre plus petit, pour le descouurir, pour le descrier,
& pour le deshonorer dauantage.

Mais Messieurs, quoy que les vertus que le Duc
DE COLIGNY auoit acquises, fussent grandes deuant
les hommes ; elles estoient nulles deuant Dieu,
tandis qu’il a vescu dans l’erreur. Il n’y a point de vertu

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parfaite, dit sainct Augustin, sans le Christianisme,
& le Christianisme est vne erreur, s’il est meslé d’heresie,
& de superstition ; Le Christianisme anime, embellit
& fortifie toutes les vertus ; il leur donne l’esclat,
le lustre, & le merite ; c’est le dernier trait qu’il
faut adiouster à la vertu Morale pour la rendre parfaite ;
Toutes les vertus du DVC DE COLIGNY
estoient esclaues, tandis que son esprit estoit dans
l’heresie de Caluin ; Et certes ie ne mets pas sa conuersion
au nombre de ses actions vulgaires ; ie la mets
au nombre des plus esclatantes, soit qu’on la iuge par
les maximes de l’Euangile, soit qu’on la mesure aux
reigles de la prudence mondaine. Et s’il estoit en estat
de nous respondre, & que vous luy demandassiez, laquelle
de toutes les actions de sa vie luy fut la plus
difficile, il respondroit ie m’asseure que ce fut celle-là.
Il nous diroit sans doute qu’il n’eût jamais tant de peine
à vaincre ses ennemis qu’à se vaincre soy-mesme,
& qu’il n’a jamais tant trauaillé à surmonter ses passions,
qu’à assujettir son esprit. Le sang des COLIGNYS
autrefois si zelé à la cause de l’Eglise, qui auoit
esté porter iusques dans l’Orient les marques de sa
pieté, s’estoit departy depuis quelque temps de son
obeïssance ; cette noble source s’estoit escartée de son
propre canal, & ces genereux Guerriers par vn faux
zele de la Loy destruisoient veritablement la Loy.
Zelo legis impugnabant legem ; Dieu frappa le cœur du
DVC DE COLIGNY, & luy inspira de ramener
ces ruisseaux à l’Eglise Romaine, comme à la mere des
fidelles. Mais bon Dieu, que de difficultez à surmonter,

-- 27 --

& que d’obstacles à vaincre ; il faut renoncer à ses
interests, surmonter la mauuaise honte, se preparer
à la calomnie, estouffer vn million de scrupules qui
naissent dans ce changement de Religion, & choquer
les inclinations, les conseils, & les volontez d’vn Pere
iudicieux & d’vne sage Mere, sans violer pourtant
le respect ny l’obeïssance, que Dieu commande aux
enfans de rendre à leurs parens.

 

Le DVC DE COLIGNY l’entreprend auec prudence,
& l’execute auec courage. C’est icy sans
doute où il eût besoin de toutes les forces de son esprit,
de toutes les graces & de toutes les vertus du
Ciel. S’il n’eût fallu que vaincre des ennemis estrangers,
il luy eut esté facile, il y estoit tout accoustumé ;
son seul nom estoit capable de leur donner l’espouuante ;
mais il falloit se vaincre soy-mesme, &
trouuer en soy-mesme vne partie foible ; il n’y en
auoit point. En quoy certes le combat estoit plus dangereux,
& par consequent la victoire plus glorieuse ; il
auoit soigneusement disposé son holocauste, à l’imitation
d’Elie, il s’estoit preparé de longue-main ; il
auoit conferé de son salut, & lors qu’il eût inuoqué le
secours du Tout-puissant, le feu descendit du Ciel,
deuora les holocaustes & les victimes, & d’vn heretique
en fit vn Catholique tres-zelé : car c’est vne remarque
qu’il faut faire à la confusion de ceux qui ont
tousiours esté nourris dans la veritable Eglise ; qu’ils
ont moins de Religion que les nouueaux conuertis ; à
mon auis, parce que la Religion n’est aymable qu’à
ceux qui la connoissent, & que les nouueaux conuertis

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ayant esté obligez de la connoistre, se trouuent
comme necessités à l’aymer, & par consequent
à la pratiquer auec plus de fidelité. Sa conuersion
luy acquist beaucoup de gloire deuant Dieu & deuant
les hommes, à ce coup toutes ses vertus receurent
vne nouuelle force ; & bien qu’auparauant elles
ne luy peussent acquerir qu’vne gloire passagere : elles
commencerent deslors à luy acquerir vne gloire
d’immortalité. Tellement qu’à suiure tout le cours
de sa vie, on la trouue si pleine & si remplie de grandes
actions, que l’on peut dire auec verité, Consummatus
in breui expleuit tempora multa, qu’elle a esté terminée
en peu de iours ; mais qu’en peu de iours, il a
fait de grandes actions qu’il a terminées par vne mort
veritablement Chrestienne & glorieuse.

 

C’EST apres la mort qu’il faut porter iugement
de l’homme, pendant le cours de sa vie, ses desseins
sont cachés, toutes ses actions sont equiuoques,
son courage n’est qu’esbauché ; mais apres sa
mort, tout paroist à nud & à descouuert : Et in fine hominis
denudatio operum illius ; Ses œuures sont exposées
sans déguisement, l’on a donné les derniers traits au
tableau, il est acheué ; & parce que la mort est la
derniere action de la vie, c’est par la mort qu’il faut
iuger de toute la vie.

Ie consents, Messieurs, que nous iugions par là,
des merites du Duc de COLIGNY, parce qu’en verité
il a terminé vne vie glorieuse, par vne mort veritablement
Chrestienne ; & par consequent, il a rehaussé

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par ses derniers traits tout l’esclat & tout le
lustre de ses belles actions ; Et si sa mort vous semble
precipitée, parce que sa vie a esté fort courte, &
qu’vn funeste coup l’a rauy dans la fleur de son aage,
dans le printemps de sa fortune, auant qu’il ait eu le
loisir de cueillir les fruits de ses merites : Permettez-moy
de vous dire, que pour estre trop auancée selon
vostre iugement, elle n’en est pas moins parfaite au
iugement de Dieu : Iustus si morte præoccupatus fuerit in
refrigerio erit. Ne regardons pas quand il est mort, ce
n’est pas vne chose de grande consequence ; mais
examinons comme il est mort ; mourir tost ou tard,
dit Seneque, n’est pas considerable, citò vel tardè mori
ad rem non pertinet bene vel male mori hoc ad rempertinet ;
mais mourir bien, ou mourir mal, c’est ce qui decide
tout, & c’est la plus grande des affaires humaines.

 

En effet, vous vous trompez Messieurs, si vous
croyez que la plus longue vie soit la meilleure, ce n’est
pas celuy qui paroist le plus long-temps sur le Theatre
qu’on estime le meilleur Acteur, c’est celuy qui
joüe le mieux son personnage. Si la vie est vne guerre
continuelle, comme dit le patient Iob, celuy-là
n’est-il pas le plus heureux qui en sort le plustost par
vne signalée victoire ; si c’est vn enchaisnement de
miseres & de disgraces, croyez-vous que le sage en
puisse demander la durée ? & si c’est vne prison dans
laquelle nous sommes enchaisnez, comme parle l’Apostre ;
ne croyez-vous pas qu’on nous oblige quand
on nous ouure la porte de bonne-heure ? Ce sont
ses amis que Dieu appelle le plustost, au sentiment de

-- 30 --

l’Escriture ; Et au iugement des doctes, la vie des Heros
& des demy-Dieux, ne fut iamais plus longue, parce
disent-ils, que Iupiter ne permet pas que ses amis
tombent dans vne foible & ennuyeuse vieillesse ; &
apres tout, celuy n’a-t’il pas assez vescu, qui a vescu
tout ce qu’il deuoit viure ? C’est pour auoir bien employé
le temps qu’on merite loüange ; & qu’est-ce que
la plus longue vie des hommes, qu’vn petit poinct, si
vous le comparez à l’Eternité.

 

Sur ce fondement, ne concluons rien au desauantage
du Duc DE COLIGNY, si nous le voyons emporter
dans la fleur de son aage, disons au contraire, qu’il
luy est auantageux d’estre sorty de ce monde, puis
qu’il en est sorty par la porte de la gloire, mourant
genereusement pour le seruice de son Prince ; & par
la porte du salut, mourant Chrestiennement en consacrant
sa vie à IESVS-CHRIST : disons auec le Sage
ce que nous auons desia dit, que consummatus in
breui, expleuit tempora multa, qu’en peu de iours il a
plus vescu, que les autres en plusieurs années ; & qu’il
falloit bien que Dieu cherit son ame, puis qu’il s’est
hasté de la retirer de cette region de mort & de cét
abysme de desolation & de crimes. Qui se peut plaindre
que l’on l’ait tiré de l’embrazement de la concupiscence,
qu’on l’ait sauué du naufrage & de la
tempeste ? Il est mort dans l’ardeur de la jeunesse ; c’est
la fortune des Heros ; il en a fait les actions ; c’est le
destin des puissans de la terre, dit l’Escriture, Omnis
potentatus vita breuis, il estoit sorty du sang des Roys,
quelle merueille s’il en ressent l’impression. Apres

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tout, disons de nostre Duc, ce que saint Ambroise disoit
de l’Empereur Theodoze, perfecta est ætas vbi est perfecta
virtus, l’aage est parfaite quand la vertu est consommée.
I’atteste vostre conscience, Messieurs, vous
qui viuez presque tousiours entre les bras de la mort,
pensez-vous, qu’vne pareille à celle du Duc de Coligny,
doiue estre jugée malheureuse ? ou plustost ne la
iugez-vous pas digne d’enuie, selon toutes vos maximes
politiques & militaires ? mourir les armes à la main
pour deffendre l’authorité de son Prince, n’est-ce pas la
plus forte passion des ames les plus nobles ? le DVC DE
COLIGNY est mort de la sorte. Mourir apres auoir
triomphé, tout chargé de Palmes, & tout couronné de
Lauriers, & marquer le dernier iour de sa vie par vne
glorieuse victoire, n’est-ce pas l’ambition de tous les
gravds Capitaines ?

 

Le Duc DE COLIGNY est mort de cette façon,
mourir durant vn concert de loüanges ; dans l’acclamations
publique, faisant couler les larmes des yeux du
Roy, de la Reyne, des Princes, des Princesses, de tous
les grands de l’Armée & du Royaume, regreté de tous
les soldats, pleuré de tous les peuples de l’vn & de l’autre
party, n’est-ce pas le desir de toutes les grandes ames ?
le DVC DE COLIGNY est mort de cette maniere. Helas
Messieurs, combien y en a-t’il, à qui la vie est donnée
comme en punition de leurs crimes, qui se sauuent
des tremblemens de terre, des ruïnes de quelques
grands edifices, qui ont escrazé des millions de personnes,
pour lesquels il semble que toutes les armes
du Ciel ont eu de la connoissance & de l’adresse pour se

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destourner de leur teste, & tesmoigner par le soing de
l’esuiter, qu’ils ont eu commandement exprés de les
conseruer au milieu de tout vn monde perissant : qui se
sauuent d’vn embrasement, & qui trouuent leur salut
dans la tempeste, pour estre exposez dans la bonace à la
furie de leur desespoir ; qui s’arrachent d’entre les bras
d’vne vie glorieuse, pour se conseruer quelques moments
d’vne malheureuse vie, qui doit finir par vne
tragedie toute sanglante ; Croyez-vous ceux-là heureux
Messieurs, parce qu’estant jeusnes, ils ont esuité la
mort ? ou bien plustost ne les estimez-vous pas malheureux,
d’auoir conserué auec infamie, vne vie qu’ils
pouuoient perdre auec honneur ? Desabusons-nous
Messieurs, & n’estimons la vie que ce qu’elle vaut,
destrompons nostre esprit, espurons nostre imagination,
arrestons ses troubles ; & disons auec Seneque,
que ceux-là l’estiment qui ne la connoissent pas, car
personne ne la receuroit, si l’on ne la donnoit qu’à des
bons qui la connoissent. Voila ce me semble vne raisonnable
consolation, pour les mondains, mais voicy
vn grand subiet de consolation pour les Chrestiens.

 

Si-tost que le Duc DE COLIGNY, se sentit blessé, il
creut que le coup estoit mortel, & apres auoir dit quelques
paroles aux soldats pour leur donner courage,
d’acheuer glorieusement, ce qu’ils auoient si genereusement
commencé ; apres auoir entretenu quelques
momens ses amis & ses domestiques ; soit pour disposer
de ses affaires, soit pour exprimer la fidelité de son
affection ; il se resolut de destourner entierement toutes
les pensées du monde, pour employer le peu de

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temps qui luy restoit aux affaires de son salut ; si bien
que deslors il acheua de viure au monde, pour ne viure
desormais, & ne mourir qu’en IESVS-CHRIST.

 

C’est icy Messieurs, où ie vous coniure de redoubler
vostre attention ; c’est sans doute la plus belle partie
de sa vie, & la plus vtile pour vous. Il sentit sa mort,
& tout incontinent il dit mourons en IESVS-CHRIST ;
il en fut assuré par la bouche de son Confesseur, sur la
deposition des Chirurgiens qui auoient sondé sa playe :
Et voyant son ame sur le point de se destacher de son
corps, il l’attacha fortement à la volonté de Dieu, fiat
voluntas tua. Vn jeune homme engagé dans les passions
de la jeunesse, attaché au monde par tous les liens les
plus forts que l’on se puisse imaginer ; qui auoit l’ame
toute pleine des pretentions d’vne tres-grande fortune,
qui se voyoit à la veille d’estre esleué au plus haut point
d’honneur, où puissent aspirer les plus grands hommes
dans vn Estat ; entend la nouuelle de sa mort auec vn
visage serain & constant, brize tous ses liens, romp
toutes ses chaisnes, & abandonne toutes ses esperances
en vn moment. Certes ce changement est vn coup de
la grace toute-puissante de nostre Dieu, hæc mutatio dextera
excelsi. Il falloit bien qu’il se fust fortement attaché
à Dieu, puis qu’il s’est si aisément destaché du monde.

C’est vne chose que l’experience iustifie tous les
iours, que dans les approches de la mort l’ame redouble
ses forces, & fait reuiure presque toutes ses humeurs,
ou du moins fait-elle paroistre les plus fortes &
les plus enracinées, comme vn flambeau qui multiplie
ses rayons en s’esteignant. La Theologie soustient que

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c’est aussi le moment auquel le Demon redouble
toutes ses forces pour nous perdre ; mais elle nous
asseure que Dieu plus jaloux de nostre salut que le
Demon, n’est desireux de nostre perte, multiplie ses
graces, & les respand auec abondance : si bien que
c’est dans ces derniers moments que la grace est aux
prises auec la nature ; & que le Demon se met entredeux
pour fortifier la nature contre la grace, & du
succez de ce combat despend nostre bon-heur ou
nostre mal-heur eternel.

 

Ceux qui ont esté spectateurs de la mort du Duc
DE COLIGNY, nous raportent quelque chose de
semblable ; Dieu versa ses graces dans son cœur auec
abondance, qui firent renaistre toutes les vertus
pour donner la chasse à tous les crimes, & enchaisner
toutes ses passions. Il reconnut & le dit plusieurs
fois, qu’il n’y auoit que ceux-là d’heureux, qui
mouroient en IESVS CHRIST, Beari mortui qui in
Domino moriuntur, & il apprit de ses directeurs, que
pour mourir en IESVS-CHRIST, il faut viure en
IESVS-CHRIST, & que pour y viure, il faut estre
destaché de toutes les creatures, pour n’estre lié ny
attaché qu’au souuerain Createur. Dieu luy fit la
grace de le croire, de le vouloir, & de l’executer,
quoy qu’il luy restast trop peu de temps ; sentant
que la mort se pressoit de separer son ame de son
corps, il voulut separer premierement le peché
de l’ame & du corps, puis que l’vn & l’autre l’auoient
commis ; Il vosmit tous ces pechez par vne
Confession generale, reïterée iusques à trois fois ; il

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les poussa de son cœur auec ses soûpirs, qui estoient
les marques de sa douleur ; il les arrousa de ses larmes,
& le Prestre par le Sacrement de penitence qu’il luy
appliqua, les noya dans le Sang precieux de IESVS-CHRIST,
& les fit consumer & brusler dans les
flammes de sa charité ; Son cœur ainsi deschargé de
ce pesant fardeau par la misericorde de Dieu, fut
remply du mespris de cette vie mortelle, & du desir
de l’immortalité ; Dieu prit la place du monde, Et
si pendant sa vie il ne sortoit de sa bouche que des
paroles mondaines, à sa mort il ne sort que des paroles
diuines : Et si pendant sa vie il ne pensoit qu’à
multiplier ses engagemens dans le monde ; à sa mort
il ne songe qu’à rompre ses liens, ne voulant pas
laisser faire à la necessité ce qu’il pouuoit faire par sa
vertu ; Et si pendant sa vie, l’on n’auoit apperceu
que des actions d’vn sage mondain ou d’vn vaillant
Capitaine ; à sa mort l’on ne void que des œuures
d’vn humble Chrestien, & d’vn fidelle tres-zelé
pour son salut.

 

Pendant que nous sommes dans cette region de
mort, nostre ame est comme suspenduë entre le
temps & l’eternité, entre les choses temporelles &
les eternelles ; quand le temporel contrepeze, il emporte
l’eternel, & l’ame renonce au Paradis pour les
moindres interests ; mais lors que l’eternel est plus
fort, il enleue facilement le temporel, & elle mesprise
& renonce sans peine à toutes les creatures ;
Dans les derniers momens, l’ame du Duc DE COLIGNY,
qui tenoit à la terre, par quantité de chaisnes,

-- 36 --

tres-fortes, tres-naturelles & mesme tres-legitimes ;
(Car outre qu’il laissoit les esperances d’vne grande
& belle fortune, il perdoit la joye de voir reuiure
son nom dans ses enfans, il quittoit vne femme, que
l’inclination & la vertu de l’ame luy rendoit encore
plus aimable que la beauté du corps, les charmes
de l’humeur, & les delices de sa conuersation ; il la
quittoit sans doute auec violence, car l’on ne quitte
qu’auec beaucoup de peine, ce que l’on possede auec
beaucoup d’affection, apres l’auoir acquis difficilement,)
eut la force cependant comme colée à IESVS-CHRIST,
de rompre tous ces liens, & se mit en
estat de ne sentir, de n’aymer & de ne penser qu’en
Dieu. Anima eius immortalitate plena est. Que cette pensée
de l’eternité produit de merueilleux effets ! le feu
que l’on renferme dans vn Mortier, ou dans vne
Bombe, y demeure enseuely quelque temps, mais
quand il vient à esclater, il brise & romp tout ce qu’il
rencontre.

 

La pensée de l’Eternité est vn feu descendu du
Cœur de IESVS-CHRIST, il demeure long-temps
caché dans nos cœurs, & quelquefois pendant nostre
vie, il est caché comme le feu des sacrifices dans
le puits de Ierusalem ; mais quand à l’article de la
mort, le Soleil redouble ses rayons, quand IESVS-CHRIST
y allume ses flames sacrées ; pour lors l’on
peut dire que le feu brusle tout, deuore tout, & fait
fondre l’ame comme vne cire, pour la mettre en
estat de receuoir l’impression de la Diuinité. C’est
ainsi qu’il en a vsé auec le Duc DE COLIGNY : Et si

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vous demandez la preuue, ie vous diray que ie ne puis
iuger de ce qui se passe dans son cœur, que par ce qui
sort de sa bouche. Quand le nuage est plein de feu, il
l’exhale de toutes parts, par des esclairs qui esblouïssent
nos yeux ; quand le cœur du Duc DE COLIGNY fut
animé du feu du saint Esprit, il le fit connoistre aux assistans ;
il ne pensoit qu’en Dieu, il ne parloit que de Dieu,
quand faisant reflexion sur ses propres miseres, il repassoit
toutes les actions de sa vie, & quand ses pensées
faisoient naistre des paroles sur ses levres, il disoit, helas !
qu’estois-je hier ? que suis-je auiourd’huy ? que
seray-je demain ? Pouuoit-il faire vne plus Chrestienne
confession de ses miseres ? quand il consideroit ses
amis & ses seruiteurs, tous baignez dans leurs larmes, il
leur disoit ; Voyez mes amis, en quel estat ie suis reduit ?
profitez au moins de mon exemple ? reconnoissez en
ma personne la vanité du monde ? quoy que ie meure
jeune, ie n’emporte que la seule douleur de n’auoir pas
mieux vescu ? Profitez mes amis de l’estat où vous me
voyez, ce qui m’est arriué auiourd’huy vous peut arriuer
demain ? Peut-on parler plus vtilement, & auec
plus d’edification ? Quand il esleuoit son cœur à Dieu,
s’il luy arriuoit de contempler la seuerité de sa Iustice,
il s’escrioit, Ne proiicias me à facie tua Domine. Seigneur, Seigneur,
ne me rejettez point de vostre face ? S’il jettoit
ses yeux sur ses infinies misericordes, redde mihi lætitiam
salutaris tui. Seigneur, disoit-il, versez en moy les consolations
que vous auez apportées en qualité de Sauueur ?
S’il s’entretenoit sur les adorables decrets de sa Prouidence,
qui le vouloit faire sortir du monde : Seigneur,

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disoit-il, que vostre volonté soit faite, fiat voluntas tue ?
Et si meslant toutes ses pensées, pour seruir de matiere
à l’entretien de son esprit, son cœur animé de la grace,
luy faisoit pousser ses paroles expressiues de ses plus
ardants desirs, Beati moitui qui in Domino moriuntur.

 

En conscience Messieur, falloit-il pas qu’il fust tout
remply de l’Esprit de Dieu, puis que Dieu fait tous les
mouuements de son cœur, toutes les pensées de son
ame, toutes les paroles de sa bouche : Et n’auois-je pas
raison de dire, que son ame estoit embrazée du feu de
l’Amour de Dieu, puis que l’on en voyoit de temps
en temps sortir les esteincelles, & les flâmes. Et cela
estant ainsi, concluons que sa mort a Christianizé toutes
ses vertus ; quelles les a toutes employées, & qu’il
les a toutes faites regner dans les derniers moments de
sa vie.

Apres cela Messieurs, ie vous laisse à penser si l’on
peut desirer quelque chose à la perfection du Duc DE
COLIGNY, & si ie n’ay pas raison de vous dire que,
consummatus in breui expleuit tempora multa. Qu’ayant acheué
sa course en peu de temps, il a autant vescu que s’il
auoit duré plusieurs années ? Peut-on desirer vne naissance
plus illustre ? peut-on passer vne vie plus glorieuse ?
peut-on mourir plus Chrestiennement ? A la mort
des grands Capitaines l’on void des ennemis vaincus,
des lances brizées, le corps chargé de blessûres, la terre
baignée de sang, des trophées d’armes de tous costez,
& c’est ce que les guerriers appellent mourir, dans le
lict d’honneur. A la mort des Chrestiens, l’on void les
biens mesprisez, les honneurs foulez aux pieds, les voluptez

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terrassées, les vices abbatus, les passions vaincuës,
les vertus victorieuses, les graces triomphantes,
toutes prestes à receuoir la couronne de gloire ; & c’est
ce qu’on appelle mourir au Seigneur, mourir Chrestiennement.
Ces deux nobles circonstances se trouuent
heureusement recueillies dans la mort du Duc DE
COLIGNY ; Quand vous le voyez affronter la mort,
au milieu des combats, la receuoir sans crainte & la
porter sans effroy, dans la meslée, confessez que le Duc
DE COLIGNY estoit inuincible ; quand vous le voyez
transporté du Camp dans le lict auec vne blessure mortelle,
accompagné du premier Prince du Sang, & de
quantité d’autres Princes & Seigneurs de la Cour, qui
le conduisent à pied iusques dans son logis ; & qu’au
milieu de ses trophées, il réueille la pensée de son salut,
& ne songe qu’à mourir en IESVS-CHRIST ; dites que
son ame estoit inexpugnable, & destinée pour la felicité.
Et quand vous entendrez dire que le Roy pour reconnoistre
la fidelité de ses seruices, considerant qu’il
estoit sorty d’vn sang si souuent meslé auec celuy des
Souuerains, & allié presentement à toutes les testes
Couronnées de l’Europe, & que pendant sa vie il n’auoit
fait que des actions Royales ; a voulu trauailler luy-mesme
à la pompe de ses funerailles, & choisir sa sepulture
dans le sepulchre des Roys ; dites que iamais sepulture
ne fut plus glorieuse ; Et quand vous verrez qu’on
met son corps aux pieds des Roys ; souuenez-vous que
c’est pour apprendre à la posterité, que ce priuilege
luy est accordé, pour auoir soustenu par sa mort l’authorité

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Royale ; car c’est au fondement que l’on met
d’ordinaire les appuis.

 

Mais Messieurs, apprenez par le regret qu’il a eu en
mourant, de n’auoir pas employé tout son temps au
seruice de Dieu, le soing que vous deuez auoir de penser
à vostre salut ; que cette Image de deüil entre vtilement
dans vostre cœur. N’est-ce pas vne chose estrange,
nous voyons tous les iours les mesmes spectacles,
& n’en sommes jamais touchez ; tous les iours cette leçon
nous est faite, & jamais nous n’en sommes instruits ;
il n’y a rien dont nous facions moins d’estat que de la
vie future, bien qu’il n’y ait rien qui nous soit de si grande
consequence.

D’où vient ce desordre Messieurs ? si ce n’est ou que
vous estes mal persuadez de l’auenir, ou que vous estes
trop fortement attachez aux choses presentes ? En conscience
Chrestiens, ne faut-il pas que la Foy soit bien
petite, en celuy, dans lequel la negligence est si grande ?
parlons franchement, si vous preniez tout ce que
l’on dit du Paradis, de l’Enfer, & du Purgatoire, pour
les champs Elizées, pour les fleuues de Stix & d’Acheron,
& les autres contes de l’histoire fabuleuse ; auriez-vous
moins de soing pour acquerir le Ciel & pour esuiter
l’Enfer ? viuriez-vous d’vne autre façon ? Ie voys bien
que vous auez changé de doctrine, mais non pas de
mœurs ? que la Religion de vostre esprit est fondée sur
les maximes de l’Euangile ; & que celle de vos mœurs
est formée sur l’exemple des Payens ? & qu’en vn mot
vous estes mal persuadez de l’autre monde ? Car si vous

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croyez ce que l’Euangile en dit, vous y penseriez d’vn
autre façon ; Et quoy ! si les hommes vous promettent
quelque chose, que ne faites-vous point pour vous en
rendre digne ? S’ils vous menacent, que ne faites-vous
point pour esuiter le chastiment ? Et Dieu dont les paroles
sont des Oracles de verité, vous promet vn Paradis,
vous menace d’vn Enfer, & auec tout cela, il ne
sçauroit rien emporter sur vous ? Il faut sans doute que
vous defferiez peu à sa Parole, & que vostre Foy soit
estrangement foible, puis que vos œuures sont si monstrueuses ?
Dieu n’est point en vous, puisque vous ne le
craignez point, & vbi Deus non timetur nisi vbi non est,
dit le docte Tertulien.

 

Mais ie voy bien pourquoy vous estes si peu touchez
des pensées de l’autre monde ; c’est parce que vous
estes trop fortement attachez à celuy-cy ; vostre ame
est tellement enchaisnée, qu’elle n’a aucune sorte de liberté ;
& la terre l’occupe tellement, qu’elle ne pense
jamais au Ciel. L’on se mocquoit de ce Philosophe, qui
à force de regarder le Ciel tomba dans vn precipice ; sa
faute cependant estoit pardonnable, car son corps ne
fut blessé, que parce qu’il vouloit esleuer son esprit.
N’a-t’on pas plus de sujet de pleindre le sort malheureux
de ceux qui perdent le Ciel à force de s’enfoncer
dans la terre ? O que vous estes insensez ! Et quoy, ne
sçauez-vous pas que præterit figura huius mundi, que tout
passe en ce monde auec vne extreme vistesse ? Ne voyez-vous
pas perir tous les iours entre vos mains, les choses
que vous croyez les plus asseurées ? & pourquoy ne
vous desabusez-vous point ? Pourquoy faut-il qu’vne

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vaine esperance flate eternellement vostre cœur, & infecte
tousiours vostre esprit ? Ne voyez-vous pas, que
le monde vous occupe à des bagatelles ? à des sottises ?
à mille choses inutiles pour entretenir vostre esclauage
& vostre seruitude ? Au nom de Dieu, Chrestiens,
reuenez à vous-mesme ! pensez qu’il y a vne
Eternité de bon-heur ou de malheur, qui vous attend
apres cette vie ! que ce qui est arriué à vostre
amy, vous peut arriuer tous les iours ! & tenez pour
maxime, qu’il n’y a rien de si digne d’vne Ame veritablement
Chrestienne, que de rompre ses chaisnes,
que de se mettre en liberté, & que de finir le cours de
cette miserable vie ; par vne mort qui serue de passage
à l’Immortalité bien-heureuse.

 

FIN.

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Favre (R. P.) [1649], HARANGVE FVNEBRE, PRONONCEE AVX OBSEQVES DE MONSIEVR LE DVC DE COLIGNY, FAITES A ST DENYS LE SAMEDY XX. FEVRIER M. DC. XLIX. en presence de Monseigneur LE PRINCE. Par le R. P. FAVRE Cordelier, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, & Predicateur de la Reyne Regente. , françaisRéférence RIM : M0_1606. Cote locale : C_5_44.