G. D. B. [signé] [1649], LA NAISSANCE D’VN MONSTRE ESPOVVENTABLE. Engendré d’vne belle & ieune femme, natifue de Mark, à deux lieuës de Calais, le vingt-troisiesme Feurier 1649. , françaisRéférence RIM : M0_2524. Cote locale : C_6_33.
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LA NAISSANCE
D’VN MONSTRE
ESPOVVANTABLE.

Engerdré d’vne belle & ieune femme, natifue de Mark,
à deux lieuës de Calais, le 23. Feurier 1649.

IE venois de nettoyer mes armes, & i’apprestois
mon petit equipage pour sortir de
Paris, & aller à la guerre, combattre nos
ennemis, qui esperent de nous rauir nostre
pain ; lors qu’vn mien amy & voisin,
m’apporta vne Lettre qui s’addressoit à moy, laquelle
Lettre, il disoit l’auoir receuë en mon absence, enuiron
deux heures auparauant. Cette Lettre contenoit ces
paroles :

Montres-cher & bien-aymé Cousin, il ne se passera
aucun iour que ie ne me resouuienne de vous, & que ie
ne me tienne beaucoup vostre obligé, comme ie le suis
effectiuement, voyant la peine que vous prenez a satisfaire
à ma curiosité. I’ay receu les quatre Couriers François,
que vous m’auez enuoyez : Et ie vous prie de m’enuoyer

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les autres à mesure qu’il se feront : Mais ie vous prie
autant comme ie puis, de prendre garde qu’ils soient
tous d’vne impression, dautant que le quatriesme que
vous m’auez enuoyé, n’est pas si aysé à lire que les trois
autres. Mon cher Cousin, si ie ne craignois vous estre
importun, ie vous ferois icy la description de la naissance
espouuantable d’vn Monstre tres-effroyable, arriuée à
Mark, à deux lieuës de Calais, & proche de nostre demeure :
Et croy asseurement que vous en serez émerueillé ;
& que vous ne sçaurez rien de si nouueau de ce pays, qui
soit digne de vous, & qui puisse vous destourner de vostre
honorable trauail. Sçachez-donc, cher Cousin, que la
fille de Quelin Soufré, fut mariée apres Pasques à vn ieune
Lorain de nation, lequel faisoit icy l’homme prudent &
remply de sagesse. Ce fripon, autant qu’il a paru honeste
garçon auant que se marier, autant a-il fait le mauuais
quand il s’est veu lié & conjoint auec sa nouuelle espouse :
Car il l’abattoit & outrageoit extraordinairement, &
là laissoit quelque fois comme morte. C’est ce qui a causé
que plusieurs personnes honestes apres luy auoir remonstré
qu’il ne faisoit pas bien, ont enfin vsé de main mise
sur luy, & l’ont tellement poursuiuy, qu’ils l’ont contraint
d’abandonner Calais, pour aller demeurer à Mark,
la où il n’a point changé de complexion : ains au contraire,
s’il auoit mal traité sa femme icy, il ne la molestoit
pas moins en ce lieu là. Mesme qu’à-il fait, quand il a
seu que Paris estoit bloqué, par les troupes Mazarines ?
Il a abandonné sa femme qui estoit preste d’accoucher,
& c’est allé ietter dans le Regiment de Picardie. Sa femme
ainsi demeurée seule fut saisie de mal le 19. Feurier,

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& par des cris espouuantables, rendoit bien tesmoignage
que son corps souffroit grands douleurs. Elle fut dans
ce tourment iusqu’au 23. Feurier à midy : & auec l’ayde de
Seruais Cardon, Chirurgien, qui luy fit incision, elle se
desliura d’vn enfant. Que dis-je d’vn enfant ? ce fust plutost
d’vn Monstre espouuantable, n’ayant rien d’humain
que la face qui est assez passablement belle, horsmis qu’il
à la bouche extremement grande ; les oreilles comme
celles d’vn chat accompagnees de deux cornes qui se croqueuille
par derriere ; les mains semblables aux pattes
d’vn Singe, dans l’vne desquelles il tenoit vn parchemin
oû ces mots estoient escrits ; Ie distruiray celuy qui m’a engendré.
Et en l’autre main il auoit vn ferrement, comme
pouuoit estre vn petit fer de ses flesches que l’on soufle
auec des serbacannes, lequel fer on ne luy sceut tirer
des mains, pour quelque effort que l’on luy pust faire ;
derriere le dos, il est garny de quatre petites aisles, semblables
à celle d’vne Chauue-souris, en l’vne desquelles
on y peut voir depeinte vne petite chaisne composée de
sept agneaux, & à vne autre de l’autre costé il y à comme
vn petit animal, qui a vne corne à la teste ; l’vn des pieds
de ce Monstre est semblable à celuy d’vn Chevreüil, hors
qu’il est plus velu sans comparaison ; & l’autre resemble
au pied d’vne poulle n’y ayant que trois doigts qui font
face d’vn costé, & vn argot qui regarde de l’autre, tous
armez d’ongles pointus à merueilles : Toute la peau de son
corps est fort dure & bazannée horsmis entre les deux
tetins, qu’elle est fort tendre, & de couleur entre verd &
jaulne ; vn petit au dessus du nombril il y a vne estoille qui
est rouge comme sang, & au milieu du dos, entre ces quatres

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aisles, il y à vn croissant de couleur perce. Ce Monstre
estant nay de la sorte apporta bien de l’effroy à ceux
qui estoient presens : & on en eust plus fait de bruict alors,
que l’on en fit, sans le Chirurgien qui imposa silence à
ceux qui murmuroient des-ja, leur disant : Qu’il ne fissent
point de bruict, & qu’ils enueloppassent cét enfant ou
Monstre, iusques à tant qu’il eust pensé la mere & que l’on
eust deliberé ce que l’on en deuoit faire ; Et pour cét effet,
ce Chirurgien enuoya querir Quelin Soufré & sa femme,
lesquels estant arriuez, eurent ce mescontentement
de voir mourir leurs fille, qui auoit fait perte & de son
sang & de ces forces, en mettant au monde ce Monstre effroyable,
qui fut montré à Quelin & sa femme, lesquels
commencerent à dire : (ne sçachans se que c’estoit) Dieu
te doint cressiente, mon enfant, & meilleur heur, pendant
ta vie qu’à ta naissance, puis que tues si malheureux
que d’auoir causé la mort à nostre pauure fille, ta mere :
disant cela, la femme à Quel in prist l’enfant ou Monstre
d’entre les mains de celle qui le luy presentoit & commença
à le desmaillotter ; Et quand il fust desmaillotté, la
bonne femme s’effroya si fort de voir ce qu’elle ne croyoit
pas voir qu’elle tomba pasmée, & l’enfant ou Monstre prist
la volée (chose incroyable mon cher Cousin) & se mit
à battre tellement auec ses aisles qui luy estoit beaucoup
accreuë en sept heures de temps qu’il y auoit qu’il estoit
nay que c’estoit vne merueille ; & l’on en perdit la veuë en
peu de temps. Ce qui causa vne grande admiration & effroy
aux habitans de Mark, qui disent : Que pour vray ce
prodige n’a pas pris naissance sans quelque permission diuine
& pour nous aduertir de quelque sinistre accident.

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Dieu vueille destourner ces fleaux de dessus nos testes,
& des habitans du Royaume de France. Mon cher Cousin,
c’est tout ce que i’auois à vous escrite, pour le present
Dans vne autre saison nous aurons peut estre quelque
chose plus serieux ou iouial. De Calais ce 27. Feurier
1649.

 

Vostre tres-humble & affectionné
Cousin & amy, G. D. B.

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G. D. B. [signé] [1649], LA NAISSANCE D’VN MONSTRE ESPOVVENTABLE. Engendré d’vne belle & ieune femme, natifue de Mark, à deux lieuës de Calais, le vingt-troisiesme Feurier 1649. , françaisRéférence RIM : M0_2524. Cote locale : C_6_33.