Anonyme [1652], DE LA NATVRE ET QVALITÉ DV PARLEMENT DE PARIS, ET Qu’il ne peut estre interdit ny transferé hors de la Capitale du Royaume, pour quelque cause ny pretexte que ce soit. , françaisRéférence RIM : M0_857. Cote locale : B_15_32.
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SECTION V.

Que c’est prostituer l’authorité Royale & la rendre contemptible, de
vouloir transferer le Parlement de Paris qui est sedentaire & immuable,
dans vne bicoque ny ailleurs que dans la Capitale, & particulierement
sans cause, sans suiet, sans pretexte, sans necessité,
sans Edict verifié, & sans aucune formalité de Iustice.

Ovtre ce que nous auons rapporté cy-deuant pour
faire voir & connoistre que le Parlement de Paris
estant né auec la Royauté, que son establissement
premier faisant vne Loy fondamentale de l’Estat, & qu’estant

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estably sedentaire dedans la Capitale, par le consentement
des Rois, par l’adueu des trois Estats, par quatre cens
ans de possession non interrompuë, & par vne Pragmatique-Sanctiõ
speciale pour cela. Il faut estre bien aueuglé ou bien
ignorant des principes de la Politique, & des Loix de nostre
France, pour douter encore qu’il ne peut estre interdit pour
quelque cause ny pretexte que ce soit ny que ce puisse estre ;
non plus que transferé de la Capitale & du Palais de nos
Rois, sans rendre leur lict de Iustice contemptible, & prostituer
la grandeur & la maiesté de leur puissance & de leur authorité
Souueraine.

 

Nous disons qu’il ne peut estre interdit ny transferé pour
quoy que ce soit, parce qu’il ne peut iamais faillir en Corps,
ny se rendre criminel en son entier, mais bien quelques particuliers
d’iceluy qui peuuent estre repris & censurez seulement ;
autrement il faudroit que le Roy mesme qui en est le
Chef, les Princes du Sang, les Ducs & Pairs, & tous les Officiers
de la Couronne qui le composent, viennent à se trahir
eux-mesmes, à se declarer coupables, à se faire leurs procez,
& à se despoüiller d’vne authorité qui est aussi inseparable de
leur caractere, qu’il est impossible de faire que nos Rois demeurent
sans Iustice, & que ce Parlement n’en soit plus le
lict ny le Throsne venerable, & incommutable. Et quand
mesme on le pourroit, que non, il faudroit que cela se fit
par les mesmes voyes qu’il a esté estably, & declaré sedentaire
dedans Paris, c’est à dire, par la resolution libre des Estats
generaux, conuoquez & legitimement tenus pour ce sujet,
ou par vn consentement vnanime & volontaire de toute cette
Compagnie, qui peut seule authoriser & verifier ce changement,
qui ne peut arriuer qu’auec le bouleuersement de
la Monarchie en general.

De plus, si ce grand Senat estoit transferé de Paris, comment
nos Rois iroient-ils y tenir leur lict de Iustice ? Et s’ils
vouloient imiter l’equité & la pieté de leurs predecesseurs
comme ils deuroient ; comment iroient-ils deux ou trois
fois la semaine y rendre la Iustice eux-mesmes & en personnes

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à leurs sujets ? Le pourroient-ils encore appeller leur
Parlement simplement comme ils font, s’il estoit esloigné de
leur presence & de leur Maiesté ? Quand il faudroit faire
vne Regence, declarer vn Roy Maieur, entreprendre la
guerre, confirmer vn traitté de Paix, verifier tant d’Edicts
& tant de Declarations le Roy seant en son lict de Iustice,
faudroit-il que le Souuerain se rendit postulant & solliciteur
pour l’aller chercher où il seroit transferé, tantost en vn lieu
& tantost en vn autre contre l’ordre & la nature de son establissement ?
Non, non, il n’en va pas ainsi, c’est se mocquer
de Dieu & de la Iustice, & rendre ridicule la Maiesté du
Roy ; Ce Corps Illustre ne s’appelle point en vain le lict de
Iustice de nos Rois, ce nom mysterieux luy est donné pour
monstrer que nos Monarques ne peuuent & ne doiuent l’esloigner
ny le quitter de veuë, non plus que celuy qui est dedans
leur Chambre & deuant leurs yeux, celuy-cy pour y
reposer la nuict l’humanité du Roy, & l’autre plus noble &
plus glorieux pour y exercer tout le iour l’excellence de la
Royauté, rendant la Iustice doucemẽt & tranquillement au
peuple, & à ceux qui la demandent, comme faisoient Charle-Magne,
Louis le Debonnaire, Saint Louis & les autres que
nostre histoire remarque, autremẽt il faut cesser d’estre Roy,
comme repartit la bonne vieille à l’Empereur, qui luy dit
qu’il n’auoit pas le temps de l’entendre. Et puisque nos Rois
n’en veulent pas prendre la peine auiourd’huy, & qu’ils ont
estably cet Auguste Parlement pour le faire pour eux, &
comme s’ils y estoient presens, s’en disans les Chefs & les
premiers Senateurs, y reseruans leur place, & voulans que
leurs Arrests soient prononcez sous leurs noms, aussi bien
que sous leur authorité ; quelle apparence qu’ils soient d’vn
costé & leur Iustice de l’autre ? Qu’vn Chef ne soit pas à la
teste de sa Compagnie ? Qu’vn premier President soit separé
des Conseillers ? Et que la teste soit en vn endroit & les autres
parties en vn autre ? Qui est vouloir des-vnir l’ame d’auec
le corps, arracher le Sceptre de la main du Roy, & le
rendre la haine & l’auersion de tous ses sujets, quand ils le

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verront sans Iustice, sans regle, sans maiesté & sans authorité
legitime.

 

Apres que Dieu eut permis que son Arche d’Alliance fut
portée deçà & delà à la suite des Rois d’Israël, il ordonna à
Salomon le plus sage & le plus esclairé des Rois, de luy bastir
vn Temple superbe, & de la rendre sedentaire dedans vn
lieu sacré, où tout le monde viendroit luy rendre ses hommages
aux jours qui seroient ordonnez ; Ædificans ædificaui domum,
& habitaculum tuum, firmissimum solium tuum in sempiternum ;
Regum lib. 3. cap. 8. vers. 13. Ainsi Philippe le Bel estant
resolu d’aller en Flandres pour vn long-temps, voulant laisser
à ses suiets l’Arche de sa Iustice qui auoit accoustumé de
suiure les Rois ses predecesseurs, la rendit sedentaire, & ordonna
qu elle demeureroit à l’aduenir dedans sa Capitale,
où tous ses sujets viendroient la reconnoistre dans la necessité
de leurs affaires, voulant que le Senat que nous voyons
encore auiourd’huy en fut le gardien & le depositaire ordinaire,
ce qui le fit appeller dés lors ; Statarius Senatus ; firmissimum
solium in sempiternum : C’est pourquoy l’Abbé Suger parlant
de l’entrée de Louis le Gros dans sa bonne ville de Paris,
dit que ; Venit vrbem Parisius, quæ est Regni caput, & sedes
Regia, vbi solebant Reges antiqui conuentum Prælaiorum & principum
euocare, ad tractandum super statu Ecclesie, & de Regni negotiis
ordinandum : Et Charles VI. parlant de la maiesté de ce grand
Senat dans ses Ordonnances, art. 164. dit ; Nostre Cour de Parlement
qui est la Capitale & Souueraine Cour de nostre Royaume : Si
nos Rois mesme luy donnent le nom de Capitale, sans dire
de Paris ny d’ailleurs, pourquoy l’arracher d’vne Ville qui
semble ne porter le nom de Capitale qu’à cause de cette Illustre
Compagnie, puisque nos Rois sont plus puissans &
plus considerez par le Siege & le lict de leur Iustice, que par
celuy de leurs personnes & de leur humanité.

Pour rauir cette Vierge de son Temple, & priuer Paris qui
est le racourcy de toute la France, d’vn rayon de la Diuinité
qui le protege & qui le conserue, il faloit du moins auoir
quelque pretexte specieux, faute d’vn sujet assez cõsiderable

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pour l’entreprendre. Si Charles VII. & Henry IV. qui n’estoient
point reconnus par tous les Prestres & les Ministres
de cette Deesse, n’ont pas entrepris de les interdire ny de
les transferer ; Quelle raison peuuent auoir les pipeurs & les
suborneurs d’vn Roy de quatorze ans, pour appliquer son
sein & son image à vn sacrilege & vn attentat, que sa Iustice
& sa Religion condamnera quelque jour, quand sa prudence
& son experience luy permettront d’agir, & de connoistre
les mauuais conseils qu’on luy donne ?

 

Quand Trajan eut condamné à la mort la fille de Sejan,
voulant plustost conseruer la Loy, que l’equité qui en est
l’ame & la substance ; il ordonna qu’elle seroit deflorée par
le bourreau au milieu des appareils de son supplice, afin que
le priuilege des Vierges qui deffendoit cette innocente, ne
fut point violé en conseruant la chasteté qui l’exemptoit de
mourir ; Que iuxta laqueum à carnifice compressa est, quod Triumvirali
supplicio virginem affici inauditum esset. Tacit. lib. 6. Annal.
& Sueton. in Tiberio, cap. 61. On veut sacrifier les Dieux tutelaires
de la France à son mauuais Genie, & parce qu’ils n’ont
pas failly & qu’ils sont encore dans leur premiere pureté, on
les force, on tasche de les corrompre, on les soüille d’iniures
& d’accusations, on veut les liurer & les prostituer à leur
propre bourreau, & pour frauder la Loy on s’efforce de les
punir pour vn crime qu’ils condamnent, & qu’ils des-aduoüent
en leurs faux freres, & en ceux qui meritent la peine
qu’ils authorisent & qu’ils ordonnent contre eux.

Il y a grande apparence que le Cardinal Mazarin fait tout
ce qu’il peut pour nous asseruir à l’ancienne Tyrannie de son
païs, & qu’il veut que nous pratiquions ce que Iustin raconte
au liure quatriesme de son Histoire, que les Siciliens ses
compatriots portoient tant de respect à leur Roy estant encore
en bas aage, qu’ils ne refuserent pas d’obeïr à vn esclaue
sous la Regence duquel Anaxilaus son pere l’auoit mis ;
Et parce que ce proscrit est Maistre de nostre Roy, & qu’il
abuse de son nom & de son authorité, il faut que nous nous
sousmettions aueuglément à son insolence, permettre qu’il

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destruise les Iuges qui luy ont fait son procez, & consentir
qu’il perde les peuples qui ne peuuent plus souffrir la violence
de son gouuernement ny les desordres & les bassesses qui
le suiuent & qui l’accompagnent. Si Tacite parlant de Felix
Procureur de Iudée, dit, hist. lib. 5. cap. 2. que ; Per omnem
scientiam & libidinem jus Regium seruili ingenio exercuit : Il n’y a
aujourd’huy plus de Crocheteurs, ny plus de Païsans qui ne
descouurent & qui ne publient, que iamais l’authorité
Royale ne fut plus auilie, & que iamais Ministre quelque
ignorant qu’il soit, ne l’a tant abaissée ny tant prostituée que
le mal-heureux banny qui seroit plus capable de gouuerner
des Saltin-bancques, ou quelque fameux Serrail, que non
pas vn grand Estat où les moindres Officiers en sçauent plus
que luy.

 

Ce ne sont point les Senateurs qui sont restez à Paris dedans
le lieu de leurs Majeurs, & dessus le Throsne immuable
de nos Rois, qu’il faut traitter d’interdits & de rebelles,
ce sont les sacrileges & les pariures qui ont faussé leur serment,
& renoncé à la grandeur de leurs Charges, qui meritent
qu’on les baptise de ces noms odieux & criminels, puisque
Dieu par la bouche de Salomon, deffend de suiure & de
s’attacher aux ennemis de l’Estat, & aux perturbateurs du
repos public, qu’il qualifie du nom de rebelles ; Fili mi, time
Dominum & Regem, nec cum rebellibus te commisceto ; Prouerb. cap.
24. vers. 21. 22. Rebelles en cet endroit estant expliqué par
tous les Interpretes les plus sçauans qui suiuent la version
Hebraïque, pour ceux qui violent les Loix fondamentales
de l’Estat, & les maximes anciennes de la Monarchie ; Rebelles,
hic Hebraïcè dicuntur, Mutantes, nempe leges & statum Regni.

Ceux qui pretendent faire vn Parlement à Pontoise des
excremens & des parties honteuses de celuy de Paris qu’ils
ont abandonné si laschement ; font comme Homere qui
donne deux licts & deux sources au Scamandre. Ces fictions
sont belles, mais elles n’ont ny fondement ny justice ; l’vnité
ne se diuise point, & le Throsne de nos Rois ne se peut qu’affoiblir
en se partageant ; Et si vne fois on le peut mouuoir &

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esbranler, on pourra à la fin le transporter & le renuerser. Et
puisque nous auons commencé nostre Metaphore par l’Arche
d’Alliance, il l’a faut acheuer par cette mesme comparaison,
& prier le Tout-puissant d’inspirer aux Ministres qui
corrompent & qui prophanent le Conseil de nostre jeune
Roy, de dire auec l’Esprit de Dieu ; Regum lib. 1. cap. 5. vers. 7.
11. Non maneat arca Dei Israel apud nos, quoniam dura est manus
eius super nos, & super Dagon Deum nostrum ; Non, non, il ne faut
point abuser plus long-temps de cette Arche sacrée, ny violer
dauantage le Temple de Iustice, puisque nous experimentons
si sensiblement les ruines & les mal-heurs qui nous
accablent pour cela, & nostre Idole Mazarine ; Dimitte Arcam
Dei Israel, & reuertatur in locum suum, vt non interficiat nos
cum populo nostro ; Si nous voulons prosperer & rendre heureux
le Regne de nostre Souuerain, il faut la laisser à ceux
qui l’ont en charge, & ne point l’arracher du Temple qui
luy est consacré, crainte que le Tout-puissant ne fasse paroistre
sa Iustice lors que nous la violons, & qu’il ne nous punisse
lors que nous la mesprisons si temerairement ; La perte
de Troyes commença par la ruine de ses Magistrats ;

 

Peritura Troia, perdidit primum Deos.

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