P. D. B. D. P. [signé] [1652], HARANGVE EN PROVERBES, FAITE A LA REINE, Par vn notable Bourgeois de la Ville Royale de Pontoise, deux iours auant le depart de Mazarin. Pour obliger cette Princesse à consentir à son esloignement, par les raisons cy-apres deduites. , françaisRéférence RIM : M0_1562. Cote locale : B_15_41.
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HARANGVE
EN
PROVERBES,
FAITE A LA REINE, Par vn notable Bourgeois de la Ville
Royale de Pontoise, deux iours
auant le depart de Mazarin.

Pour obliger cette Princesse à consentir à son esloignement,
par les raisons cy-apres deduites.

A PARIS.

M. DC. LII.

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Harangue en Prouerbes, faite
à la Reine, par vn notable
Bourgeois de la ville Royale
de Pontoise, deux iours
auant le depart de Mazarin.

MADAME,

Puis qu’on dit communément qu’vn fol instruit
bien vn sage, & que tout le sens du monde
n’est pas en vne teste, encor qu’il soit vray
que chacun abonde en son sens, & que chacun
en sa folie ne voit que sens : trouuez bon, s’il
vous plaist, que suiuant ma petite capacité, ie
vous donne les auis que le temps requiert pour
vous tirer du bourbier où vous estes, & que
ie les puise en la sagesse Prouerbiale, qui est le
Caton des petites gens comme nous.

Premierement, que veut le Roy, ce que veut
la Loy, voila desia beaucoup de sens en ces paroles :
N’est-ce pas pour dire qu’il ne doit rien
entreprendre outre ce que la Loy determine &

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prescrit, qu’il y doit conformer ses volontez
autant que faire se peut, & qu’ils doiuent aller
tous deux d’vn mesme pied, comme le frere &
la sœur. C’est sur ce niueau que ie prens mes
mesures, pour vous dire que vous auez en quelque
façon paru iusqu’icy dans le tort, lors que
vous sousteniez Mazarin, que la loy vous deffend
de tenir aupres de vous, voyant le scandale
qui en arriue & les maux qui en naissent : &
que vous portiez le Roy vostre fils à traiter ses
peuples auec beaucoup de violence, ce qui n’est
pas obseruer le Commandement qui nous ordonne
de ne faire à autruy ce que nous voudrions
qui nous fust fait. Ie sçay bien que ce
que i’aime me nourrit, & qui m’aime aime mon
chien, qu’à chaque oiseau son nid est beau, &
que l’ame est plus en effet où elle aime, qu’où elle
anime : outre que les grands n’aiment pas d’estre
repris, & veulent estre flattez. Mais il est
aussi tres-veritable qu’vn n’est pas maistre tout
seul, & qu’il n’y a si grand qui ne trouue par
fois son maistre : & d’ailleurs sur ce que vous
auez fait à ce Mazarin de grands dons du bien de
vos peuples, que vous auez rendus maigres comme
vn harang soret, pour le rendre gras comme
lard, & comme vn vilain qu’il est, vous
vous souuiendrez, s’il vous plaist, que nous n’auons
rien au bien d’autruy, qu’il ne faut faire de

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son cuir large couroye, ny descouurir sainct
Pierre pour couurir sainct Paul, que tout le bien
qui va d’vn costé n’est pas le bien employé, &
sur tout qu’il ne faut battre le boucher & auoir
sa chair. Ce n’est pas que ie m’estonne de la grande
despense que vous faites pour contenter vostre
passion & l’auarice de cét Italien, parce que
qui grand est, grand luy faut, & qu’il faut selon
le bras la saignée, & que vous auez sceu des
maistres de l’art, qu’autant despense chiche que
large. On vous conte mille sornettes de cét
Estranger, mais vous croiriez que le quiter pour
vn autre, seroit changer vostre borgne en vn
aueugle, ayant éprouué par le passé, qu’il n’est
œuure que d’ouurier, & qu’il n’amende point de
changer. Mais, MADAME, il est vray que bonne
renommée vaut mieux que ceinture dorée, &
que qui perd vn chien & recouure vn chat à toûjours
vn animal à quatre pieds, & qui n’est pas
moins quoüé que l’autre, & qu’il y a plus d’vn
asne à la foire qui a nom Maistre, à tout cela sur
le principal point on repart en vostre faueur,
qu’il faut qu’il y ait Maistre ou valet, que la
France ne doit estre comme la Cour au Roy
ptaut, où tout le monde veut commander, &
qu’enfin ce que Maistre donne & valet pleure,
ce sont larmes perduës : Mais là dessus on vous
dit pour vne response tres-considerable, suiuant

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les raisons sus alleguées, qu’il faut appeller qui
a part, que chacun le sien n’est point trop, qu’il
ne faut faire son propre du bien d’autruy, ny
prendre à toutes mains, sans se soucier ny des
rez ny des tondus, en faisant à Dieu barbe de
feurre, & disant que tout est à soy iusqu’au gros
chesne, & le gros chesne & tout ; qu’ainsi par
droit & par raison chacun est maistre en sa maison,
qu’entre trop & trop peu demeure la mesure,
& que la clause des Tabellions est icy necessaire
à obseruer, comme par tout ailleurs, sans
autruy droit. Mais peut-estre on nous battra les
oreilles de ce prouerbe en faueur de Mazarin,
de bien seruir & loyal estre, de seruiteur on deuient
Maistre : toutefois ceux qui mettroient ce
discours en auant, auroient trop beu d’vne fois,
& marche sur de mauuaise herbe, & prendroient
sans doute Marthe pour Renard, puis
que les seruices que ce mal-heureux a rendus à
la France sont bien aisez à compter, parce que
le nombre n’en est pas grand : aussi dit-on qu’il
est heureux dans ses entreprises, comme si tout
fondoit, d’où vient qu’on l’accuse auec iustice
du mauuais temps qui court, & de ce que les
affaires de cét Estat depuis cinq ou six ans, sont
tousiours allées au rebours de bien. On dit pourtant
qu’il a bien du sens, mais les harangeres de
Paris disent qu’il s’assied dessus, & qu’on luy

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feroit iustice de le ietter auec vne pierre au col à
vau l’eau. Ie sçay bien que lors qu’on veut noyer
son chien, on dit qu’il est enragé, & que lors
qu’vn mastin se noye, tout le monde luy foule
sur la teste : mais cependant il est certain qu’on
ne fait point de feu sans fumée, qu’il en ira
par le pendant, & que la voix du peuple est celle
de Dieu, outre qu’à l’œuure on voit l’ouurier,
& qu’il est encor à naistre, qui peut dire vne
bonne action que iamais il ait faite. Ainsi ie ne
puis croire que ce soient des charitez qu’on luy
preste, voyant qu’on ne parle que de ses fourbes
& de ses meschancetez, que tout le monde
en a les barbes ointes, & chante vne mesme
chanson, que les petits enfans en vont à la moustarde,
& que qui n’y peut atteindre y ruë, si
bien qu’il n’est pas de bonne heure né, qui ne
luy donne quelque estocade en passant. Sans
mentir les oreilles luy doiuent bien corner, puis
qu’il fait plus parler de luy que le grand Camp
de Tartarie, & qu’on luy donne plus de maledictions
qu’il n’a de cheueux au derriere de la
teste : de sorte que si elles valoient pistoles, il
seroit bien-tost plus riche cent fois qu’il n’est,
apres nous auoir volez depuis les pieds iusqu’à
la teste, & nous auoir rendus plus pauures que
Iob. C’est pourtant vn bon Ministre, il s’entend
à gouuerner vn Estat comme à ramer des

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choux, & se connoist en Politique comme vne
truye en espice, il nous enrichit aussi comme
i’ay le dos, & fera tousiours que s’il n’y a
qu’vn petit orage de guerre dans tout le monde,
nous en aurons nostre part.

 

C’est vn Cesar veritablement, il en feroit autant
mourir en vn an ou deux, que les plus hardis
n’en expedieroient en dix siecles : Ie pense
aussi que la peste & la famine sont de sa connoissance,
elles le suiuent comme les Moines font
l’Abbé, ou comme les corbeaux font vn corps
d’armée, & vont pour luy comme le cheual
fait pour l’esperon. Ie ne m’estonne point de
voir que les Chirurgiens l’honorent si fort, &
de ce que les Prestres le respectent comme ils
font, puis que sans luy le vent ne seroit pas de
Requiem, comme il est, & qu’il n’y auroit pas
tant de bras rompus & de cuisses cassées. Messieurs
les venerables Partisans n’ont pas aussi sujet
de le haïr, puis qu’ils ont fait leur main &
leurs orges, comme ils ont voulu, durant son regne,
& qu’il leur en a donné tout plein leur cuir,
estant la cause de ce qu’ils se promenent à cheual
quand il leur plaist, montez comme des
saincts Georges, ou se font traisner en carosse
comme des Papes, au lieu qu’ils alloient auparauant
à pied comme chats maigres, estans plus
gueux que rats d’Eglise, & plus vuides que poux

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affamez. Pour ce qui est du pauure peuple, c’est
la plus grande pitié du monde, il l’a mis à la
pille au verjus, la rendu plus nud que la main,
& ne luy a rien laissé que ce qu’on n’a pû luy
emporter, il n’a pas mesmes épargné Messieurs
les Offciers de longue & de courte robe, ausquels
il en a cousté pinte & fagot, & qu’il a forcez
d’esclairer au liure, & de cracher au bassin
comme les autres, Il n’a pas esté iusqu’à la Noblesse
à laquelle il n’ait tiré quelque plume de
l’aisle & donné quelque coup de bec, mais comme
il craignoit les estincelles volantes de leurs
espées, il n’a pas ose frapper si fort sur cette enclume,
dont le son luy causoit quelque terreur
pannique. Il pensoit bien aussi tirer son quod
iustum de Messieurs du Parlement, & leur faire
payer la folle enchere & les pots cassez, comme
à tous les autres, mais au Diable zot, à qui vendoit-il
ses coquilles, à qui reuenoit du Mont
sainct Michel, il auoit affaire à des gens qui en
ont plus oublié qu’il n’en sçaura iamais, qui ont
plus de sens au bout du doigt qu’il n’en a par
tout le corps, & qui luy apprendroient sa leçon
d’icy à mille ans : Il connut bien-tost qu’à beau
jeu beau retour, que qui compte sans son hoste
compte deux fois, qu’il ne se faut ioüer a plus
grand que soy, que ces Messieurs auoient du

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sang aux ongles, & qu’ils ne se mouchoient pas
auec le pied, mais que c’estoient de rudes ioüeurs
& de fortes testes, & qu’il y auoit plus sous leur
bonnet qu’il ne sembloit, bien qu’à la fin ils
n’ayent pas fait de grands miracles, si bien qu’il
eust autant valu pour nostre profit qu’ils se fussent
tenus en repos, puis qu’ils deuoient en demeurer
là, n’ayans dessein que de tirer leur épingle
du jeu à nos despens, & de se seruir, comme
on dit, de la patte du mattou (qui fut le peuple
en cette occasion) à tirer les chastaignes du feu,
pour nous laisser apres dans les filets, exposez à
la gueule & à la mercy des loups. Pourtant ce
fut en suite vn estrange tintamare auec vn grand
desordre, tout n’alla plus comme vous l’entendiez,
le diable fut bientost aux vaches, & le feu
aux estoupes, & la chance incontinent tournée.
On cria plus de Maltotiers, & plus de Mazarin
pour vn double, qu’ils s’en aillent à tous les mille,
il en faut faire vn Vidi aquam, eau beniste de
Pasques, & les hacher menus comme chair à pastez,
afin que Bretagne ait reuanche. On ne vit
plus que des escorcheurs de Sergens en campagne,
qui firent gagner la guerite à tous les mangeurs
de Chrestiens que vous auiez dans les Prouinces,
d’où les pauures Intendans reuinrent
auec ce qu’ils auoient de poisson pesché, la queuë
entre les jambes, petits comme fourmis, & penauts

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comme fondeurs de cloches, voyant qu’on
bailloit la fée à tous ceux de leur nombre, qui
eussent seulement osé dire la pie est noire. Vostre
Mazarin ne maudissoit pas lors qui auoit
peur, bien qu’il ne fist semblant de rien, parce
que bonne mine n’est pas deffenduë, & qu’on
fait souuent bonne mine & mauuais jeu. Mais
enfin on sçait que comme le soir des Rois, à bon
iour bonne œuure, il fit vn trou à la nuit, enleuant
comme vn corps Sainct nostre Roy, qui
n’en pouuoit mais, & qui s’en fust tres-bien passé.
Il connut pourtant bien-tost qu’à l’enfourner
on fait le pain cornu, qu’il auoit fait vn tour
qui luy cuiroit, qu’il faisoit en vain peter le salpestre,
autour d’vne Ville, qui est vn petit monde ;
que les Parisiens sont bons cheuaux de trompette,
qui ne s’estonnent pas pour le bruit, &
qui sçauent laisser pleuuoir en attendant le beau
temps, qui vient tousiours apres la pluye. Ainsi
voyant que les assiegez, à qui vous donniez le
nom de rebelles, esseimoient comme mouches,
frappoient comme sourds, & se deffendoient
comme perdus : vous iugeastes apres auoir fait
tous vos cinq sens de nature pour en venir à
bout, qu’il est fou qui d’amis parle, qu’il n’y a
si mauuais accord qu’il ne vaille mieux qu’vn
bon procez, & qu’il falloit auoir le badaut par
vne autre voye, en plastrant auec luy ie ne sçay

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quelle sorte de paix fourrée, dont les principaux
articles estoient, Que qui plus auoit mis en cette
guerre plus auoit perdu, suiuant l’Edict, au malheureux
le Virton, & au pauure la pauureté, que
les Parisiens & Mazarins demeureroient amis
comme chiens, c’est à dire tous prests de s’entremordre,
que Mazarin auroit encor voix en chapitre,
& pour tout ce qui s’estoit commis auec
violence de part & d’autre, vn plein corbillon
d’oublies, sous titre d’Amnistie generale. De
cette façon, Mazarin apres auoir encor bien lanterné
le beurre, & promené le Roy de peur des
gouttes, reuint à Paris comme s’il n’eust rien
veu, bien que la harangere à le voir creust voir
le Diable en chair & en os, & que tout le monde
le grondast parmy les ruës. Il se tint quelques
iours cache sous la tuille sans qu’on le vist,
feignant qu’il auoit quelque colique, sinon
qu’il vous alloit souuent rendre visite en secret :
Mais enfin il se remit du tout sur sa bonne jambe,
en se faisant de feste comme auparauant,
bien qu’on vit clairement qu’il auoit plû sur sa
mercerie, & que son ris estoit vn ris d’hostelier,
qui ne passoit point le nœud de la gorge. Il vit
alors, pensant à ceux qui auoient tenu son cheual
en bonne herbe pendant la guerre, ayans
empesché par diuers moyens qu’on ne luy mist
la main sur le collet, que qui a compagnon à

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maistre, si bien que pour auoir ses coudées franches,
& n’auoir personne qui le contredist, il
fist vn tour de Maistre Gonin, dont il s’est depuis
cent fois mordu la langue. Ie ne sçay pour moy
comme il eut la hardiesse d’oser ce qu’il entreprist,
pour essayer de remonter sur sa beste, &
comme trois de nos Princes se laisserent ainsi
prendre à la pipée par ce maistre Innocent : si
ce n’est qu’ils croyoient qu’il n’eust osé former
la pensée d’abaisser ainsi leur caquet,
en les prenant tous trois sans verd. Quoy
qu’il en soit, il les fit mettre à l’ombre de peur
du hasle, sous feinte qu’ils auoient mangé le
lard, sans regarder qu’il remuoit vne pierre
qui luy pourroit casser la teste quelque iour. Ce
fut lors qu’il commença de se quarrer comme
vn Iacquemart, & que se faisant fort d’auoir gagné
la partie, il crut que le Roy, qui le nomme
maintenant son cousin à tour de bras, n’auoit pas
l’honneur d’estre le sien : Imprudent qui ne
voyoit pas qu’il tenoit le loup par les oreilles, &
qu’il pouuoit bien conter pour vne, puis qu’on
ne luy pardonneroit celle-là, ny à la mort, ny à
la vie. Cependant il endossa le harnois, commença
de faire le Fierabras & le Diable à quatre :
Mais apres auoir fait quelque grabuge à Retel,
qui le fit tomber de fievre en chaud mal, il cõnut
enfin, que ce n’estoit pas au Breuiaire à faire

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l’Office de la Dague, & qu’il estoit à cent lieuës
de son but, quand il pensoit l’auoir atteint. La
fronde qu’il connoissoit pour vne mauuaise beste,
commença lors de faire des siennes, de leuer
les cornes plus que iamais : on luy bailla maint
croc en jambe, & maint fil à retordre, & ceux
qu’il auoit mis en cage, ayans eu la clef des
champs malgré luy, il fut obligé de faire Iacques
des Loges, & de dire, adieu paniers vandanges
sont faites, apres auoir esté baiser le baboin
à nos Princes, au Havre de Grace, d’où il
vit sortir le Lion, dont les griffes luy ont depuis
causé souuent de belles affres. Il eut bien voulu
demeurer encore icy planté pour reuerdir, mais
on en aymoit mieux les talons que le deuant,
& puis il sçauoit qu’on s’aprestoit à luy tailler
des croupieres, en cas qu’il ne fut prompt à desloger
sans trompette. Lors chacun sçachant
qu’il auoit fait gille, dist en luy souhaitant malencontre,
Dieu le conduise & le Tonnerre, il
n’ira pas sans tambourin. Auant que partir, il fit
en sorte qu’il eut tousiours par vostre moyen
vne porte ouuerte pour rentrer en France, quand
l’occasion s’en offriroit, & partit qu’il fut, cõme
il s’en alloit nanti de nos biens, il regardoit souuent
derriere luy, comme vn Sergent qui
craint la recousse, & ne maudissoit pas qui auoit
peur. Il ne nous promettoit pas aussi poires moles,

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s’il pouuoit iamais remettre le pié en France,
& se faire voir encor monté dessus ses grands
cheuaux au tour de Paris, à qui depuis longtemps,
il garde vne dent de laict. Enfin, il perdit
tout a fait la veuë des clochers de France, &
fit retraitte, en ie ne sçay qu’elle Ville, où quelque
bien traitté qu’il fut d’ailleurs, il estoit tousiours
comme sur espines, parce qu’il n’auoit
plus le moyen de nous mal traitter en nous commandant.
Cependant comme il souuient tousiours
à robin de ses flustes, il auoit tousiours l’oreille
au guet, pour entendre si quelque bon
vent ne souffloit point pour luy du costé de la
France. Il ne tarda gueres qu’il ne receust de vos
nouuelles, parce que bien ayme, tard oublie, &
l’on sçeut que vous luy prometiez plus de beure
que de pain, en cas qu’il se resolut à tenter encor
le hazard de rentrer en France, où les troubles de
cet Estat luy sembloient prester la main pour le
conduire : comme il ne demandoit pas de meilleur
pays, il ne s’en fit pas long-temps tirer l’oreille
ny prier deux fois, & ramassa tout ce
qu’il pût trouuer en ce païs, de vauriens, & de
gens abandonnez des Medecins comme luy, il
prit soudain ses jambes à son col, & s’en reuint
icy comme Diable à vieux moulin, plus gay que
Perrot, plus resolu que Bartole, & plus affilé
qu’vne dague de plomb. Il esperoit bien à son retour

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faire comme on dit, monts & vaus, &
rompre les anguilles auec les genoux : Mais il n’estoit
pas si meschant, qu’il l’auoit promis à sa
mere, ny si diable qu’il estoit noir. On luy fit
bien-tost rengaigner cette ardeur demeusurée,
& reboire vne partie de sa sueur, il trouua par
tout des visages, non de bois, qui ne se prometoient
pas de le nourrir, & ie sçay qu’il eut vne
belle chandelle à rendre au bon Dieu, d’estre arriué
bagues sauues auprez de Vostre Majesté,
qui le receut à Poictiers volontiers. Ce ne furent
en suitte que caresses mutuelles, & qu’acollades
entre vostre Cour & sa suitte, vous d’vn costé,
luy disant amoureusement, Monsieur le Cardinal
par cy, Monsieur le Cardinal par-là, où auez
vous esté tandis que nous auons tant gagné, à ce
coup, ils sont pris s’ils ne s’enuolent, & nous
auons ville gagnée : Et luy de l’autre, ne manquant
de vous dire aussi, Madame la Reine, ie
viens de Tours, ie vous apporte roses & flours, &
nouuelles de vos amours, vous plaira-t’il que ie
m’assise aupres de vous. Sur la permission qu’il
en receut de vostre Majesté, vous luy commandastes
comme le Roy fit à son Sergent, & la
Reine à son enfant, de faire de ces trois choses
vne : de faire coucher à ceux qui tenoient le parti
du Prince autant de cœur sur le carreau qu’il
vous plairoit pour gagner la partie, d’obliger les

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Parisiens de vous venir faire l’obenigna, comme
par le passé, sans plus faire les cheuaux eschapez,
ou de trouuer quelque inuention, pour faire
que les Espagnols eussent chez eux quelque fusée
à desmesler, qui les empeschast de fondre sur
les bras de nos troupes. Ayant iuré par ses grands
dieux, qu’il feroit tous les trois auec le temps, où
qu’il en mouroit en la peine, il receut en attendant,
suiuant le droit du jeu, le commandement
de baiser sa plus proche voisine, à quoy il ne
s’espargna non plus qu’à mettre au moulin, sçachant
qu’il falloit prendre le plus seur, & fouler
sur le bon marché. Il mit apres la main à l’œuure,
pour executer vne des trois choses qu’il
auoit promises à Vostre Majesté ; Mais il aprit
qu’on ne vient pas à bout de tout, comme de
dire son Breuiaire, & que pour luy riuer son
cloud de la bonne sorte, & luy serrer la bride de
pres, nos Princes à qui les Parisiens s’estoient
joints, auoient tous mis la teste dans vn bonet, &
que qui toquoit l’vn toquoit l’autre, Ayant oüy
cette nouuelle qui mit de l’eau dãs son vin, & qui
le refroidit beaucoup de deuotion, il iugea bien
qu’il ne s’en yroit pas sans beste vendre, & qu’il
trouueroit à qui parler : Mais parce qu’il estoit
trop engagé pour s’en pouuoir dedire, il iugea
qu’il falloit mettre le tout auec le tout, hazarder
le paquet, & faire de necessité vertu, & qu’en

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fin, comme dit autrefois Cesar en passant le Rubicon,
à tout perdre il n’y a qu’vn coup perilleux :
En quoy certes, il vit qu’il joüoit à jeu seur,
puis qu’il ne hazardoit du sien que sa malheureuse
peau. Il crut peut-estre aussi que nos Princes
n’accorderoient pas tousiours bien leurs flustes,
& que le Coadjuteur, se jettant à la trauerse,
comme il auoit commencé, les mettroit
par ses intrigues, à cousteaux tirez, les empescheroit
de pousser leur pointe, & de cette façon,
feroit que la Cour auroit tousiours barre sut
eux.

 

MADAME, on sçait que vous auez mis tout
bois en œuure, remué le Ciel & la Terre, & fait
mesme plus que puissance, pour faire donner du
nez en terre aux aduersaires de Mazarin, & faire
que le desmenty leur demeurast, de ce qu’ils
mettoient en auant contre luy : Mais vous auez
recõnu que plus il gelle, plus il estraint, que vous
estiez tombée de Carybde en Scylle, que c’estoit
tousiours à recommencer, ou plustost que c’estoit
la mer à boire, que d’entreprendre de venir
à bout de tous ceux ausquels il fait mal au cœur,
& qui voudroient luy auoir tiré les yeux de la
teste, ou du moins qui disent, qu’il seroit mieux
en terre qu’en pré, voyant qu’il n’amende pour
temps qui vienne, & fait que tous les fleaux sont
icy tousiours par voye ou par chemin. Vous auez

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aussi fait tout vostre possible, & employé souuent
le vert & le sec, pour faire que Monsieur
le Duc d’Orleans, ou Monsieur le Prince
se missent de son costé, mais il semble qu’il y ayt
quelque malediction attachée à sa personne, qui
fait que hors ceux de vostre farine aucun ne veut
de son affroc, bien que Monsieur le Prince fut
assez matois, pour luy tirer quelque plume de
dessous l’aisle s’il s’aualoit au lict comme il faut,
parce que la maxime est bonne, qui dit, qu’il faut
flatter le mastin iusqu’à tant qu’on soit aux pierres,
& qu’il faut tout prendre en payement de
ceux qui ne nous doiuent rien. Enfin, on dit que
vous n’aués rien de cher pour cet hõneste hõme,
que vous vous mettriez en quatre, & donneriez
iusqu’à vostre deshabillé, à qui vous promettroit
de le garentir de tout inconuenient. Ie ne
sçay qui vous oblige à le cherir comme vous faites,
autant que la pierre en l’or, voyant qu’il
n’est pas mieux fait ny mieux apris qu’vn autre,
& qu’il vient tousiours se brusler comme vn papillon
à la chandelle, dans toutes les eschauffourées
qu’il nous fait. Que si vous ne contez
pour rien tout ce qu’il en couste à la France & au
Roy mesme, dans les deux guerres que vous
auez desia faites pour l’amour de luy, parce que
vous esperez sortir encore à vostre honneur de
celle-cy ; Sçachez qu’il n’est pas eschappé, qui

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traisne son lien, que les recheutes sont pires que
les maladies, que tant va le pot à l’eau qu’il se
rompt le col, & que tant gratte chevre, que mal
gist, & qu’enfin on voit d’aussi belles charettes
qui versent, qu’il faut craindre ce qu’on ne voudroit
pas voir, qu’il n’est plus temps de fermer
l’estable quand le cheual est perdu, & qu’on fait
souuent en peu d’heure, chose dont on se repend
tout à loisir. Il est vray qu’on à beau prescher
qui n’a cure de bien faire, & qu’à lauer la
teste d’vn More, on perd son temps & sa peine,
ce qui soit dit seulement pour le Mazarin, à qui
l’on ne peut faire entendre raison, si bien que
comme on dit, qu’il n’est point de pires sourds,
que ceux qui ne veulent point entendre, il faut
croire que c’est peine perduë, que de se rompre
la teste à luy remonstrer la parole de Dieu, & le
laisser dans son endurcissement, puis qu’il a fait
vœu d’y perir. Cependant, il faut que ie die encore,
qu’il me semble qu’il n’estoit pas grand
besoin qu’il mit le nés dans nos affaires,
n’estant pas du bois dont on fait les habilles
gens, & que c’est se moquer de la barboüillée,
que de le laisser icy pescher en eau trouble,
& nous tailler nos morceaux à sa volonté.
En effet c’est encor vn plaisant violon & vn bon
Iean Fichu, pour faire le drolle & le quant à
moy, comme il fait, luy qui nous est venu comme

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va de par Dieu, qu’on ne connoist que d’Eue
& d’Adam, qui n’eut iamais pignon sur ruë,
ny pas mesme ou mettre le pied sur le sien, auant
que de venir icy frotter son lard à ie ne sçay qui,
& faire le factotum & le chien au grand collier.
Il faut qu’il ait vrayement vn front d’airain, puis
qu’il boiroit autant d’affrons qu’vne truye de
petit laict, & qu’il soit pourueu d’vne audace
demesurée de nous venir morguer sur nostre
paillé. Ne doit-il pas sçauoir qu’vn coq sur son
fumier est trop fort, & qu’en autruy lieu la vache
dompte le bœuf : c’est ce qui fait que ie
m’estonne comme il a l’asseurance de nous faire
tant d’algarades, sans craindre qu’on ne luy mette
enfin les tripes au Soleil, & qu’on ne l’enuoye
ad patres comme il fait les autres. Il nous prend
sans doute pour des niais de Sologne, ou pour
Arbalestriers de Coignac, qui sont de dure desserre,
ou croit que nous sommes comme les
bahutiers, qui font plus de bruit que de besogne :
Cependant il a receu deux rudes secousses,
& rencontré chaussure à son pied, dans l’vne &
dans l’autre occasion, si bien qu’il y a pour luy,
gare la troisiesme, dont il n’aura pas si bon marché,
quand le grand flot du souleuement des
peuples se fera voir, comme il y a grande apparence,
aussi dit-on communément, parlant de
cette guerre d’apresent, que ce n’est point encor

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la beste qui le mangera. Enfin il faut que l’apostume
creue, & puis que le mal-heur y est fourré,
il faut que vous en ayez tout le long de l’aune,
& que vous nous obligiez à faire pour vostre
plaisir les quatre coins & le mitan : mais vous deuriez
penser du moins, que c’est le plus difficile
à escorcher que la queue, qu’à la queuë est le
venin, & pour de plus fortes considerations, que
Dieu veut jeu, bien qu’il ne soit pas joüeur, qu’il
aide au bon droit, que le diable & le vent n’est
pas tousiours à la porte d’vn pauure homme,
qu’il n’est chance qui ne retourne, qu’on crie
tant Noel qu’il vient, que tant vente, qu’enfin
il pleut, & qu’apres le tonnerre vient la pluye.
En effet. MADAME, bien que vous ayez eu
sujet de craindre Monsieur le Prince, parce qu’à
cœur vaillant, rien impossible, & que les braues
se monstrent où ils sont, vous deuez croire que
patience irritée deuient fureur, que brebis qui
enragent sont pires que loups, & ie vous asseure
que les peuples disent desia hautement, pour se
porter à prendre le frein auec les dents, qu’on n’a
que d’vne mort à mourir, que patience d’asne
fait la dureté du meneur, que qui se fait brebis
le loup le mange, & par consequent qu’il vaut
mieux tuer le diable, que le diable nous tuë,
mourir vne fois que tant souffrir, & que lion
mort plus ne mord. Ils craignent aussi, voyant

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que les Partisans sont à vostre Mazarin, comme
les Sergens sont au Diable, & qu’ils s’entendent
comme larrons en foire, que s’ils se restablissent
iamais par son moyen, ils n’en vsent
comme les Procureurs, c’est-à-dire, qu’ils ne releuent
mangerie, & ne taschent à recompenser
le temps perdu. Vous dites à tout cela, que vous
n’auez point trempé dans beaucoup d’actions
violentes dont on accuse cét Estranger. Mais,
MADAME, en effet, assez va au moulin qui son
asne y enuoye, & qu’autant vaut celuy qui tient
que celuy qui escorche, & nous sçauons qu’il ne
fait rien qu’apres vous & par vostre congé, qu’il
est au reste bon homme, cõme le diable est bonne
beste, qu’il n’aime que playes & bosses, & ne
demande que desordre & bois abbatu. Ce n’est
pas qu’on ne die vulgairement, qu’il est de fort
bon naturel enuers vous, puis que vous ne luy
sçauriez faire vn plaisir grand comme la main,
qu’il ne vous le rende long comme le bras, mais
c’est que comme on n’est pas de tous haï, ny de
tous aimé, le peuple est coiffé de cette opinion,
qu’il est de meilleurs Diables en Enfer, & que
c’est le Precurseur l’Ante-christ : il dit aussi
qu’il est comme le chien au boucher, qu’il reuient
de quelque part où on en l’enuoye, & que
c’est veritablement vne épingle d’Enfer, qu’elle
tient comme tous les Diables. Vous auez beau

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dire en sa faueur, qu’il vaut mieux que ceux qui
le blasment, puis qu’il est certain que le bruit
pend l’homme, & qu’il a beau se leuer tard, qui
a reputation de se leuer matin. Mais vostre satisfaction
est en ce sujet, que qui est maudit bien
n’est pas perdu, qu’excommunié mange bien
pain, que tel menasse qui a peur, & que tout
ce qui branle ne chet pas. Vous ne deuez point
vous estonner, si nos Princes luy semblent faire
la guerre à tout outrance, quelque promesse
qu’il leur fasse pour les appaiser, parce que chat
échaudé craint l’eau froide, & qu’ils ont sceu de
quel bois il se chauffe, & qu’ils le cõnoissent tant
qu’ils ne l’en aiment pas mieux. Que s’ils ne
mordent pas comme ils aboyent, c’est qu’ils
veulent garder leur auantage & prendre leur
temps, & voir s’il fera tout de bon retraite, comme
il en fait le semblant, & comme il l’a fait
trompeter par tout. Il y a diuerses opinions sur
ce sujet, les vns disent d’vne sorte, les autres de
l’autre, la pluspart estant d’auis que c’est qu’il
estoit au bout de ses finesses & de son rollet,
qu’il ne sçauoit plus de quel bois faire fleche, ny
sur quel pied danser. De sorte que sur tout pressé
du costé de la bourse, qu’il craignoit de vuider
tout à fait, il a volontiers accepté vne prebende
de Vatan, à l’exclusion de la France, sous
pretexte qu’il ne falloit point tant de chiens à

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ronger vn os. D’autres croyent que le sainct
Esprit luy est entré au corps, qu’il a iugé qu’vn
qui amende vaut mieux que deux qui empirent,
qu’il vaut mieux se retirer que de tousiours fouruoyer,
& qu’ayant escuré son chauderon de
nouueau, il a mis la main à la conscience, & fait
vœu de ne remettre iamais le pied en France,
que les trois Estats ne luy enuoyent des Deputez
pour l’en prier : pour moy qui sçais qu’il ne
faut iamais iuger en bien de ceux qui ont donné
des arres de leur meschanceté comme luy, ie
croy qu’il ne recule que pour mieux sauter, qu’il
medite vne retraite de Renard, pour oster la
deffiance qu’on a de luy, & faire que la tempeste
que sa presence a grossie en cét Estat se dissipe
inutilement en son absence, pour s’en reuenir
puis apres nous faire la guerre de plus belle,
& nous accommoder de toutes pieces, en pillant
tout nostre pauure sainct Crespin, sous
pretexte de la necessité des affaires du Roy, que
de cette façon il fait passer tousiours pour indigent
& necessiteux, comme ayant besoin du secours
des miserables pour se remplumer : ainsi
ie croy qu’il n’ira pas si loin en vn iour qu’il ne
reuienne bien en deux, & que parlant de s’esloigner
de la France, il parle au plus loin de sa pensée,
parce qu’il ne peut iamais trouuer vn meilleur
nid, quand il n’auroit que l’auantage d’estre

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en vos bonnes graces, comme il est, au lieu
qu’il est aussi parfaitement cheri du Roy, qui ne
iure que par luy, parce que comme chante la pie
chante le pisteau. Il auroit cependant bien fait
de n’en faire point à deux fois, parce qu’il n’est
que de quitter le jeu quand il est beau, & de
mettre son gain en seureté : Mais il faut
qu’il acheue de ioüer icy son personnage, &
comme la France est le theatre où il represente
cette tragedie, il veut que nous ayons la satisfaction
de luy voir au dernier acte faire le saut, &
Dieu vueille que vous n’ayez point de part à cette
catastrophe, qui vous menasse l’vn & l’autre.
Ne sçauez-vous pas qu’on le trouue peint dans
les Liures Prophetiques du temps, à la façon
d’vn grand serpent entortillé autour de l’Espée
Royale, où il tient en sa gueule vne poignée de
verges dont il foüette la France, & traisne de sa
queuë deux meules de moulin dont il l’accable,
aussi bien que la Couronne du Roy vostre fils,
& puis dites que ce sont des contes de vieille, des
inuentions faites à plaisir, tout Paris en est abbreuué,
& les plus honnestes gens n’en doutent
nonplus que de leur Credo. Pour moy i’auoüe
que cela passe mon sens, mais à ne point mentir,
il semble que vous alliez le grand chemin
de desordre, sans considerer que pour vn point
Martin perdit son asne, & qu’on ne reconnoist

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les fautes qu’apres qu’elles sont faites. MADAME,
songez-y plus d’vne fois, ce dire est d’vn
sage, qu’il vaut mieux ployer que rompre, qu’il
faut aller selon le temps, & ne pas mettre ablatiuo
tout en vn tas, en se voulant conseruer la
Maistrise de tout. MADAME, tout ce que
vous auez fait iusqu’icy est vostre dam, & s’appelle
en bon François, parlant par reuerence,
faire en vn panier & se le mettre sur la teste, &
vous deuez craindre d’en porter quelque iour la
folle enchere & la paste au four, parce que toutes
choses ont vne pause, puis on se repose, &
qu’on ne tient pas le temps en sa manche. I’oserois
esperer la paix par le moyen de ce pretendu
depart, sçachant qu’en peu d’heure, Dieu labeure.
Mais ie croy certes, voyant comme toutes
choses vont, qu’il a bel œil en la teste qui
n’en verra point la feste.

 

En effet, MADAME, on voit que vous n’auez
pas encor enuie de vous en taire, que vous
seriez faschée d’en demeurer-là, que vous voulez
en auoir le cœur content, & qu’il vous fait
encor mal. Les Parisiens vous ont mis l’esprit
en pantoufle, vous voulez à quelque prix que ce
soit, auoir raison de leur audace, & leur donner
de la bastille, bien qu’elle ne soit pas entre vos
mains, les mettre au petit pas, & faire ieusner
au pain & à l’eau, tous ceux que Mazarin a mis

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au papier des rageans, s’ils en sont quittes à si
bon marché. Toutefois, MADAME, sauf meilleur
auis, il me semble que vous n’en deuriez pas
croire vostre courage, & qu’il seroit à propos de
regarder qui a tort, & qui a le premier failly,
parce que les loix sont faites pour tout le monde,
& qu’il ne faut chastier autruy du mal que
nous auons fait nous-mesmes ; c’est pour cela
qu’on dit souuent, lors que d’autruy parler voudras,
regarde à toy, tu te tairas, & de fol Iuge
breve sentence. Le mieux seroit sans doute, de
renuoyer à Dieu la vangeance, parce qu’il est
iuste Iuge, & qu’il sçait qui a tort ou droit, &
ne sçauez-vous pas qu’il a dit, que qui de glaiue
frapera, de glaiue mourra. D’ailleurs ce n’est pas
tout que des choux, il faut dequoy les engraisser.
Vous sçauez qu’il faut mesurer ses forces à son
entreprise, que l’archer ne vise pas tout ce qu’il
mire, & qu’entre la bouche mesme & la cuiller,
il y a souuent du destourbier. C’est pour vous
dire, que ie doute fort, si quand vous seriez toute
confite en malice, vous pourriez mettre hache
en bois, & faire autant de mal que vous esperez.
En effet, à brebis tonduë Dieu mesure le
vẽt, & ie croy certes que vous ny trouueriez pas
vostre compte, & que si vous faites des poids à
ces Messieurs de Paris, ils ne manqueront de
vous faire des feves, & le rendront à vostre Mazarin

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plus chaud que braize. Puis, MADAME,
en toutes choses il faut regarder la fin, & vous
en pourriez bien tant faire qu’il vous en cuiroit,
& que vous en viendrez du plus au moins, parce
que comme ie vous ay dit, tant gratte chevre
que mal gist, & tant va le pot à l’eau qu’il se
rompt le col. Il est vray que nul ne sçait ce que
Mars couue, ce que Dieu luy garde, & ce qui
luy pend à l’œil, & qui n’est pas mort, ne sçait
de qu elle mort il mourra : mais en verité belle
science prend en luy, qui se corrige par autruy.
C’est pourquoy vous deuriez ietter les yeux sur
la Reine Mere deffunte, & prier Mazarin de penser
au Marquis d’Ancre, qui fut pris au tresbuchet,
quand il ne s’attendoit à rien moins. Sans
mentir il vient souuent vn coup qui paye tout,
& vous deuriez penser, que quelque mine qu’on
vous fasse, on vous aime mieux loin que pres,
de sorte que si Dieu faisoit son commandement
de vostre Majesté, le peuple qui vous eust autrefois
encensée, si vous fussiez morte en ce temps-là,
en pleureroit tant à present d’vn œil, que
l’autre n’en verroit goute. Vostre Mazarin d’autre
part, deuroit considerer auec les Partisans
qu’il a souuent mis en besogne, leur permettant
de mettre la faux en la moisson d’autruy, qu’il
faut rendre ou pendre, ou la mort d’enfer attendre :
mais c’est vn bon Diable, ils le verront

-- 30 --

boüillir en la chaudiere de Belzebut, & ils ont
bon cœur tous tant qu’ils sont, ils ne rendent
iamais rien. Ie touche souuent cette corde, parce
que c’est où gist l’encloüeure, & que le peuple
qui sent où le bas le blesse, ne regimbe que
pour ce sujet. Sans mentir a tousiours prendre,
non plus qu’à tousiours donner, il n’y a point
de fin, & il n’y a si bon qui ne perdist patience
à voir comme vous en vsez l’vn & l’autre, & pour
moy qui suis du bour-l’Abbé, qui ne demande
qu’amour & simplesse, voyant que l’esperance
de paix que vous nous ostez souuent, est la
chanson ennuyeuse, ie suis contraint de dire
comme les autres, que ceux de vostre Conseil
feroient enrager la beste & le marchand.

 

MADAME, à dire le vray, dans ce que vous
entreprenez, il y a bien gare le heurt, autant
pour vous que pour les autres, parce qu’à voir
ce qui se brasse de tous costez, ie trouue
que j’eus tantost raison de dire que nous n’en
sommes pas encor au marc estreindre, & que les
plus grands coups n’en sont pas ruez. Mais il y
a grande apparence, que comme on dit, il rit
bien qui rit le dernier, que les rieurs ne soient pas
à la fin de vostre costé, d’autãt que vostre mesure
est bien-tost comble, & que qui se fouruoye,
ne va pas loin sans rencõtrer qui l’arreste. Ne dites
point que ce n’est pas à vilains à renier Dieu,

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qu’il faut que le Roy soit le Maistre, & qu’il ne
perd iamais son droit, puis que vos interests &
les siens n’ont rien de commun, & que nous sçauons,
rendre à Cesar, ce qui appartient à Cesar :
Mais nous ne voulõs pas souffrir que sous ce pretexte,
on nous passe la plume par le bec, qu’on
nous fasse croire que vessies sont l’anternes, &
qu’on nous paye de ce grãd mot, tout est au Roy,
au lieu que nous voyons que tout demeure aux
Partisans. Ne mesprisez pas aussi si fort le peuple,
puis que nous sommes tous sortis de la coste
d’Adam, freres en Iesus-Christ, que nous auons
autant cousté à Dieu, les vns que les autres, que
le Paradis est fait pour tous, & que vous n’auez
que vostre vie à viure non plus que les autres
encor est elle peut-estre bien courte. Cessez de
de persecuter ces miserables, parce qu’il faut
auoir pitié de son semblable, & que c’est folie
de penser tirer de l’huile d’vn mur. Songez pour
dire, vn bon mea culpa, qu’il faut du moins s’amender
sur ces vieux ans ; mettez Mazarin au
rang des pechez oubliez, c’est l’escüeil de vostre
reputation, & nous ne pouuons esperer de paix,
qu’alors que vous ne songerez non plus à luy,
qu’à vostre premiere chemise. Il n’a garde de se
porter au bien, parce qu’il ne peut sortir d’vn
sac, que ce qui y est, & qu’il ne fait rien qui en sa
ieunesse appris ne l’a. Que s’il ne craint rien, c’est

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qu’vn fol ne croit tant qu’il reçoit. Mais s’il fait
en nous maltraittant comme le valet au Diable,
plus que commandement, permettez qu’on en
chante vn Fidelium, & vous verrez que ce sera
bien-tost fait. MADAME, il ne faut qu vne brebis
galeuse, pour infecter tout vn troupeau, c’est la
derniere raison que ie mets en auant contre luy.
Pensez que s’il est pere qui nourrit, il est Roy
qui regit, & non au contraire, & qu’à battre faut
l’amour. Reflechissez sur tout ce que dessus, faites
vostre profit de ce qu’il y a de bon, & laissez le
reste, & croyez que nonobstant ce que ie vous
dis auec vn peu de liberté dans cette espece de
Harangue, que ie vous fais de bonne ame, ie
suis tousiours à vendre & à despendre, tout entier
& par pieces,

 

MADAME,

De V. M.

Le tres-humble & obeïssant
seruiteur & sujet,
P. D. B. D. P.

Section précédent(e)


P. D. B. D. P. [signé] [1652], HARANGVE EN PROVERBES, FAITE A LA REINE, Par vn notable Bourgeois de la Ville Royale de Pontoise, deux iours auant le depart de Mazarin. Pour obliger cette Princesse à consentir à son esloignement, par les raisons cy-apres deduites. , françaisRéférence RIM : M0_1562. Cote locale : B_15_41.