P. D. P. P., Carigny (sieur de) [1649], LA VERITABLE APPARITION D’HORTENSIA BVFFALINI A IVLE MAZARIN SON FILS. Par P. D. P. P. Sieur de Carigny. , françaisRéférence RIM : M0_3919. Cote locale : B_13_67.
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LA VERITABLE
APPARITION
D’HORTENSIA BVFFALINI
A IVLE MAZARIN SON FILS.

Par P. D. P. P. Sieur de Carigny.

A PARIS,
Par ROBERT SARA, ruë de la Harpe,
au Bras d’Hercule.

M. DC. XLIX.

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LA VERITABLE APPARITION
d’Hortensia Buffalini à Iule Mazarin son fils.

O ! Que i’esprouue bien aujourd’huy auec douleur
que ma fecondité est de celles que l’on accuse aussi
bien que la fecondité d’Agrippine ; & que celuylà
a bonne grace qui dit, que la Nature donne
souuent des bourreaux aux peres en leur donnant des enfans.
Quoy ! faut-il qu’on me reproche encore iusques dãs les chãps
Elisées que mon fils soit le perturbateur du repos de la Frãce,
& que ie ne sois pas en paix dans le tombeau ? Quoy ! sera-il dit
que la Renommée descende dans les lieux qui sont priuez des
clartez du Soleil, pour m’apporter vne nouuelle qui pourroit
m’oster la vie, si ie ne l’auois déja perdue ? Ie voy bien qu’il
faut que ie die, que si les enfans vertueux sont les fleurs du
mariage ; que ceux qui font cõme toy vanité de routes sortes
de vices, en sont les ronces & les espines le ne doute pas que si
les enfans qui sont sages, seruent de consolation à leurs peres,
que les foux & les débauchez sont leur hõto & leur desespoir.
le pense qu’il seroit plus à propos que le monde cessast d’estre
que de le voir perpetué par des sacrileges, par des parricides,
& par des ames abandonnées à toutes sortes de vices. Rome
vidnaistre chez elle son destructeur, & elle seruit de berceau
à celuy qui prit plaisir de la voir reduire en cendre, & de faire
vn buscher de celle que l’on nomme si souuent la Maistresse
de l’vniuers. Il semble que les villes mesmes où ces meschans
prennent leur naissance, rougissent de leurs crimes, & c’est
pour ce sujet qu’on raze les maisons où les meurtriers des
Rois ont commencé à voir le iour. Pour moy ie me figure

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qu’il est bien plus glorieux d’auoir des filles à la mode d’Epaminondas,
qui sont des conquestes & des actions illustres, que
d’en auoir à la mode du commun des hõmes. Il faut que l’on
confesse que c’est vn malheur bien sensible à vne mere de
sçauoir qu’elle a donné vn Tyran à sa Republique, & qu’elle
est la seconde cause de l’estre d’vn impie. Mais certes comme
l’on iuge des mœurs de l’aage viril par celles de l’enfance, ainsi
qu’Helie qui sembloit à sa Nourrice succer du feu pour du
laict, donna dés lors des marques du zele dont il deuoit estre
embrazé. Les fourberies que tu as commencé de pratiquer
dans les ieux de l’enfance me deuoient bien apprendre ce
que tu ferois quand tu serois plus grand. C’est vne verité que
ie ne puis dire qu’en souspirant, & que i’ay honte de dire. I’ay
remarqué que tu ne te plaisois qu’à imiter les plus bouffons &
les plus adroits en matoiserie ; & c’est pour ce sujet qu’apres
plusieurs apprentissages, on dit que tu es maistre passé. Tu
deuois te souuenir que dans les ouurages de l’art on ne trauaille
iamais que sur de grandes idées, & que ce n’est que sur les
parfaits originaux que l’on tiré d’excellentes copies. Il me
souuient d’auoir ouy dire qu’vn Ancien se vãtoit d’auoir veu
en Solon, la ville d’Athenes en abbregé, & toute la Grece en
vn seul homme. Mais certes on peut dire de toy, qu’il n’y a
sorte de vices que tu ne pratiques, au lieu de suiure la sagesse,
qu’vn docte a nommée vne disposition à la diuinité, & que
les Sages n’estoient pas differens des Dieux, sinon que ceux là
l’estoient déja, & que les autres le deuoient estre vn iour. Au
lieu des pasquins & des libelles qui sont les productions de la
haine publique, & les armes des beaux esprits tu receurois
des benedictions & des éloges de toutes les bouches, & de
toutes les plumes les plus eloquentes. Les François sçauent
que la Nature nous enjoint de fauoriser tousiours les choses

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loüables, & d’en augmenter l’éclat, & cela est cause qu’on fait
ordinairement monter la gloire au dessus de la verité. Mais ie
voy bien que ton esprit, qui est des plus simples, imite ceux du
vulgaire, qui prefere la fluste de Pan au luth d’Apollon, approuuant
ce qui fait plus de bruit, & non pas ce qui a plus
d’harmonie. Mais peut estre qu’il est trop tard de te donner
des aduis salutaires, car il en arriue souuent aux grands comme
à Cresus, qui ne se souuint de l’auertissement de Solon
que lors qu’il se vid sur le buscher. Il est tres-certain que le
plus grand de tes malheurs est de n’auoit aucun commerce
auec les belles lettres, & de n’auoir point appris que comme
la trop grande santé des Athletes est suspecte aux Medecins,
le plus haut poinct de la felicité est suspect au Sage. Pour
moy ie ne m’estonne pas de ton malheur, car ie sçay que tu as
tousiours suiuy la mauuaise pente de la nature, & que tu n’as
iamais presté l’oreille aux conseils de ta mere. C’est faire tout
au contraire des preceptes du Sage qui dit, Ne dédaignez
point les aduertissemens que vostre mere vous donne. Ie
m’estimerois trop heureuse si ie n’estois point icy troublée
par le bruit que l’on fait de tes laschetez, & de l’énormité de
tes crimes. Ton esprit est tour plein de fraudes, & tu dois te
souuenir, que Dieu ne deteste rien dauantage que ces ames
cauteleuses, comme il n’a rien plus à cœur que la franchise, se
communiquant aux simples & debonaires. Mais il faut aduoüer
que l’éclat de ta fortune t’a aueuglé, & que tu ne vois
pas que Dieu ne permet l’eleuation des meschans que pour
rendre leur cheute plus ruineuse, & que les familles basties
par d’iniustes moyens ne sont destinées que pour estre le déplorable
sujet, & le spectacle de la misere. Tu sçais que dans
les lieux où ie suis, on trouue des Philosophes, des Poëtes, des
Orateurs & des Politiques, & c’est par la voix d’vn de ces derniers

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que ie viens d’apprendre vne maxime qui doit estre fort
vtile, si tu es encore en estat de t’en seruir. Sçache donc que
dans les troubles domestiques, la plus belle & la plus signalée
victoire, est de ne pas arriuer à vaincre, & qu’il faut assuiettir
par la paix ce qu’on pourroit surmonter auec la force. Ie
crains pour toy le mesme sort qu’eut iadis Orphée, & cette
crainte est vn effect de l’amour maternelle que ie conserue
encore parmy la colere que i’ay conceüe contre toy. Quelle
seureté peut auoir celuy qui vit tousiours dans la crainte, qui
ne suiuant que son caprice, a fait diuorce auec l’équité ? Sçache
que c’est là le comble de mes desplaisirs, & que la cognoissance
que i’ay de tes mauuaises habitudes, fait que i’adiouste
facilement foy à ce que m’en a dit la renommée. Pour
moy ie ne sçache point de crainte pareille à la tienne lors que
tu traites la France en esclaue apres qu’elle t’a receu auec tant
d’humanité. Dis-moy si ce n’est pas imiter le serpent de la fable,
& si l’ingratitude n’est pas en ton cœur en mesme degré
que l’ambition ? Ie voy bien que le desir d’amasser des richesses
s’est accreu au milieu des richesses mesmes, & qu’il ne te
souuient plus de la pauureté de ta maison. Si tu voulois suiure
mes sentimens, tu imiterois la prudence des Pilotes, qui
voyans leur vaisseau en danger, combattu des vents & de
l’impetuosité des vagues, iettent dans la mer vne partie de sa
charge pour sauuer l’autre, & ne pensent point perdre ce
qu’ils donnent volontairement à la conseruation de leur vie.
Ie pourrois te reprocher icy l’horreur de tes crimes, mais
i’ay encore quelque tendresse de mere ? & puis ils sont connus
de toutes les nations que tu as fourbées, ils sont publiez
par les Arrests de l’Areopage, par les voix des Colporteurs,
& par les meilleures plumes de la France. Ie pour rois te
reprocher [1 mot ill.] peu de pieté en mon endroit, car ie sçay combien

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la nouuelle de mon trespas te fut indifferente. Ton dueil
n’estoit qu’vne mine estudiée, à la façon des grimaces de la
Cour. C’est là qu’on se contente de payer par la pompe & par
l’apparence ; le dueil y tient lieu de mommerie & de farce. Et
de plus, comme ie sçay que ton esprit est plein d’adresse, &
qu’il sçait se déguiser en toutes sortes de manieres, ton ressentiment
n’a pas eu besoin de beaucoup de consolation : car ta
playe n’estant que fort legere, il n’a pas fallu y appliquer des
remedes de grande efficace. Mais cela seroit peu de chose si
ie n’auois point icy les oreilles batuës des crimes dont l’on
t’accuse. Il y a quelque temps que la France s’apparut à moy
toute en desordre, & qui n’auoit rien de ces ornemens dont
i’auois crû qu’elle estoit parée à l’ordinaire. Elle se plaignoit à
moy les larmes aux yeux, & m’accusoit d’auoir enfanté vn
monstre pour elle. L’abondance de ses pleurs & de ses soûpirs
estouffa ses plaintes, & certes i’ay horreur de repeter ce
qu’elle m’apprit de tes infamies. La seule pensée de ces choses
me fait fremir, & la honte me force de les couurir du silence.
Il en est de toute ta vie comme des parties honteuses que
la bienseance oblige de cacher ; de sorte que ie pense qu’il est
plus à propos de te donner quelques conseils salutaires, que de
te rafraichir la memoire de tes defauts. Mais peut-estre que
tu ne m’écouteras non plus que tu as fait autrefois quand ie
prenois le soin de corriger les manquemens de ta ieunesse.
Toutefois ie te diray en peu de mots (& dautant aussi que le
temps te presse de songer à la conseruation de ta vie) que tu
dois choisir quelque refuge, s’il est vray qu’il y en ait quelqu’vn
pour les meschans. Tes perfidies sont manifestes à tout
le monde, & l’on croira en te receuant dans les lieux les plus
asseurez, selon les apparences humaines, y receuoir vn flambeau

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de guerre & de diuisions. Ie ne puis donc te dire autre
chose, sinon songe à ta vie. Adieu.

 

Il est besoin de te dire icy vn mot pour ma iustification, cher Lecteur,
lors que i’introduis l’ombre d’vne femme qui n’estant pas de condition,
fait paroistre toutefois quelque teinture des belles lettres. Sçache donc
qu’elle a esté instruite en la compagnie des Philosophes de l’autre monde,
ie veux dire à la mode des Payens dans les champs Elisées.

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